Aller au contenu

La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Chapitre II

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 67-71).

CHAPITRE DEUXIÈME

DES MOUVEMENTS DU CŒUR D’APRÈS LES VIVISECTIONS.

Si l’on ouvre la poitrine d’animaux vivant encore, et qu’on enlève la capsule qui l’enveloppe immédiatement, on voit d’abord que le cœur est tantôt en mouvement, et tantôt immobile, et qu’il a ainsi un moment d’action et un moment de repos.

Ces faits sont plus manifestes sur le cœur des animaux à sang froid, tels que les crapauds, les serpents, les grenouilles, les limaçons, les crevettes, les crustacés, les squilles et tous les poissons. Ils deviennent aussi plus manifestes sur le cœur des autres animaux, tels que les chiens et les porcs, si on les observe attentivement au moment où le cœur commence à mourir et se meut avec une sorte de langueur. Alors les mouvements sont plus lents, moins fréquents. Les moments de repos sont plus considérables. On peut voir facilement, et avec la plus grande netteté, ce qu’est le mouvement du cœur, et comment il se produit.

Le cœur, à l’état de repos, est mou, flasque et relâché comme sur le cadavre.

Quant à son mouvement, il y a trois phénomènes à principaux à remarquer :

1o Il s’élève, se redresse, de manière à former une pointe, en sorte qu’à ce moment il frappe la poitrine et qu’on peut sentir ce choc à la paroi extérieure du thorax.

2o Toutes ses parties se contractent ; mais ce mouvement de contraction est plus marqué sur les parties latérales ; il semble alors se rétrécir, devenir moins large et plus long. On peut voir cela d’une manière très nette sur le cœur de l’anguille, arraché et mis sur une table ou dans la main ; on le voit également sur le cœur des poissons et des animaux à sang froid dont le cœur est conique et allongé.

3o Si on prend dans la main le cœur d’un animal vivant, on sent qu’au moment où il se meut, il devient plus dur, et ce durcissement est dû à sa contraction, de même qu’en appliquant la main sur les muscles de l’avant-bras on sent qu’ils deviennent plus durs et plus résistants au moment où ils font remuer les doigts.

4o Ajoutons que chez les poissons et les animaux à sang froid, comme les serpents et les grenouilles, le cœur devient plus pâle au moment de sa contraction, et qu’il reprend sa couleur rouge de sang, quand cette contraction a cessé.

Tous ces faits me montraient clairement que le mouvement du cœur est une tension et une contraction de toutes ses parties dans le sens de toutes ses fibres, puisqu’il s’élève, se rétrécit, se durcit à chaque mouvement ; et que c’est un mouvement analogue à celui d’un muscle qui se contracte. Car les muscles, lorsqu’ils sont en action, se tendent, se durcissent, s’élèvent, se renflent, absolument comme le cœur. De ces observations il est légitime de conclure qu’au moment où le cœur se contracte et se rétrécit de toutes parts, au moment où ses parois s’épaississent, les cavités ventriculaires se resserrent et chassent le sang qu’elles contenaient. D’ailleurs la quatrième remarque confirme cette supposition. En effet, si le cœur pâlit pendant sa contraction, c’est qu’il a chassé le sang contenu dans ses cavités, tandis qu’il reprend la couleur vermeille du sang, lorsqu’il se relâche et reste immobile, à mesure que le sang revient dans les ventricules. Il n’est plus permis de douter de cette vérité, si l’on fait une blessure au ventricule. En effet, à chaque mouvement, à chaque pulsation du cœur, on voit le sang qu’il contient en jaillir avec impétuosité.

Tous ces phénomènes sont simultanés ; et on voit à la fois la tension du cœur, le choc de sa pointe contre la paroi thoracique, choc qui peut se sentir à l’extérieur, l’épaississement de ses parois et le jet impétueux du sang, qui, primitivement contenu dans les ventricules, en est chassé par leur constriction.

Il est donc évident que les choses se passent tout autrement qu’on le croit en général. On pensait qu’au moment où le cœur choque la poitrine, choc qu’on sent à l’extérieur, les ventricules se distendent, et le cœur se remplit de sang, tandis qu’au contraire, en réalité, le choc du cœur répond à sa contraction et à sa vacuité. Ainsi ce qu’on pensait être la diastole est réellement la systole. Et le cœur est réellement actif, non dans la diastole, mais dans la systole. L’effort du cœur répond non à la systole, mais à la diastole ; car c’est alors qu’il se meut, se contracte et fait effort.

Il est une autre opinion qu’il ne faut pas admettre, quoiqu’elle ait pour elle l’autorité du divin Vésale. Il compare le cœur à un cercle d’osier constitué par une multitude de fibres réunies en forme de pyramide, et ainsi il n’y aurait de contractions que dans les fibres droites du cœur. Alors, dit-il, quand la pointe se rapproche de la base, les parties latérales se distendent, s’incurvent, les cavités du cœur se dilatent, les ventricules prennent une forme ovalaire, et le sang y est aspiré. Mais cette opinion ne me paraît pas exacte : en effet le cœur contracte en même temps toutes ses fibres, et il y a bien plutôt épaississement des parois qu’élargissement des cavités ventriculaires, les fibres coniques qui vont de la pointe du cœur à la base portent le cœur tout entier vers la base ; il n’est donc pas juste de dire que les parties latérales du cœur, par cette contraction, tendent à devenir plus sphériques ; mais le contraire est plutôt vrai, car toute fibre circulaire, en se contractant, tend à devenir droite comme toutes les fibres musculaires, qui, en se contractant, diminuent de longueur et deviennent plus épaisses en leur partie centrale qui se renfle. De même le cœur, en se contractant, rétrécit les cavités ventriculaires par l’épaississement de ses parois musculaires. Il y a encore un autre ordre de fibres droites, ayant la forme de petites languettes : elles sont horizontales (les fibres des parois étant toutes circulaires). Ces fibres, qu’Aristote appelait nerfs, sont situées dans l’intérieur des ventricules et offrent un spectacle admirable, lorsque, se contractant simultanément, elles forment dans la paroi intérieure du ventricule comme un réseau contenu dans le cœur, qui chasse le sang avec une grande force.

On commet généralement une erreur en disant que le cœur, par son mouvement ou sa dilatation, attire le sang dans sa cavité ; car, lorsqu’il se meut et se contracte, il chasse le sang ; quand il n’agit plus, quand il se relâche, le sang afflue dans ses cavités, par un mécanisme que nous montrerons plus tard.