La Décomposition de l’armée et du pouvoir/27

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CHAPITRE XXVII

Mon service au poste de Commandant en Chef des armées de l’Ouest.


Je remplaçai le général Gourko. Le départ de ce dernier avait été décidé dès le 5 mai : au ministère on tenait tout prêt le décret qui le révoquait. Mais Gourko avait fait un rapport où il déclarait qu’en présence de la situation créée dans l’armée par la « déclaration des droits du soldat, il déclinait toute responsabilité morale touchant la conduite des armées. Cette circonstance avait procuré à Kérensky un prétexte pour publier, le 26 mai, un ordre du jour qui congédiait Gourko vu son inaptitude au commandement en chef et le nommait commandant d’une division »[1]. Motifs de cette décision : « La patrie est en danger, ce qui oblige chaque officier et chaque soldat à faire son devoir jusqu’au bout, sans donner à autrui le pernicieux exemple de la faiblesse ». Et encore ceci : « Le chef suprême possède la confiance absolue du gouvernement ( ?) ; il doit y puiser la force d’accomplir la tâche qu’on lui impose. En déclinant toute responsabilité morale, le général Gourko se soustrait à ses obligations : il avait le devoir de remplir sa charge jusqu’à l’extrême limite de ses facultés intellectuelles et de ses forces physiques ». Ces formules hypocrites (n’oublions pas qu’avant qu’elles ne fussent rédigées, le gouvernement avait jugé impossible de maintenir Gourko à son poste de commandant en chef) acquièrent toute leur signification quand on compare l’épisode en question avec des événements analogues : la démission des ministres Goutchkov, Milioukov et autres, et même — ô ironie de la destinée ! — celle de Kérensky : ce dernier avait, en effet, au cours d’une crise ministérielle causée par l’intransigeance de la démocratie révolutionnaire, menacé de quitter le pouvoir et remit, le 21 juillet, à son suppléant Nekrassov, la déclaration écrite que voici : « Je ne réussis pas, malgré toutes les mesures que j’ai prises, à constituer le gouvernement provisoire comme l’exige le moment exceptionnel par où passe le pays ; voilà pourquoi je ne puis, selon ma conscience et ma raison, continuer à répondre de mes actes à l’état : je prie le gouvernement provisoire de me libérer de toutes les fonctions que je remplis ». Et il quitta Pétrograd — rapporte la chronique. Enfin, le 28 octobre, Kérensky, tout le monde le sait, s’est enfui clandestinement et a déserté le poste de commandant suprême.

Les anciens chefs se trouvaient dans une situation critique. Je ne parle pas de ceux qui professaient des opinions politiques nettement tranchées, mais simplement des soldats honnêtes. Ceux-ci ne pouvaient se décider à suivre Kérensky (il n’est pas question de l’homme mais du système) et à détruire de leurs propres mains l’édifice auquel ils avaient travaillé toute leur vie. D’autre part, ils ne pouvaient démissionner, c’est-à-dire, au jugement de leur conscience, déserter devant l’ennemi qui occupait le territoire russe. Tel était le cercle vicieux ; aucune issue ne se présentait.

Sitôt à Minsk, j’exposai au cours de deux réunions des nombreux fonctionnaires de l’état-major et de l’administration du front, puis devant les chefs des armées, mon credo politique. Je fus bref et tranchant. Je ne me rappelle plus mes paroles, mais voici, exactement, le sens de mes déclarations : j’acceptais la révolution, en bloc et sans restriction aucune ; mais j’estimais désastreux pour le pays de « révolutionner » l’armée et d’y introduire la démagogie. J’étais décidé à m’y opposer de toute mon énergie et j’invitais tous mes collaborateurs à m’aider dans cette tâche.

Je reçus une lettre de M. V. Alexéiev. II m’adressait ses félicitations cordiales à l’occasion de ma nomination. Et il ajoutait : Secouez-les ; exigez avec calme, mais avec insistance et, sûrement, la guérison viendra. Point n’est besoin de flagorner le soldat, d’arborer des nœuds de ruban rouge, de prononcer des discours retentissants… mais sans âme. Il est impossible de conserver l’armée plus longtemps, sans changement radical : peu à peu, la Russie devient un campement de vauriens prêts à faire payer au poids de l’or le moindre mouvement de leur petit doigt. Je suis d’esprit et de cœur avec vous dans vos travaux et dans vos projets. Dieu vous aide ! »

L’ « opinion publique » des troupes était représentée, à Minsk, par le comité du front. La veille de mon arrivée, ce groupe bolchevisant avait voté une motion contre l’offensive et en faveur de l’union de toutes les démocraties contre leurs gouvernements. Aussi nos relations furent-elles bien définies, dès le début : je refusai d’entrer en tout rapport direct avec le comité qui, du reste, était absorbé par son activité propre : il discutait la prépondérance du parti socialiste-révolutionnaire sur le parti socialiste-démocratique, il votait des motions dont la frénésie démagogique étonnait jusqu’aux comités d’armée, il distribuait des brochures défaitistes, il excitait les soldats contre les officiers. Légalement, le comité n’encourait aucune responsabilité ; on ne pouvait le citer devant les tribunaux. Il instruisait, dans l’esprit qu’on devine, un grand nombre d’hommes, venus de toutes les armées suivre les « cours pour agitateurs ». Les étudiants devaient, plus tard, répandre la bonne doctrine par tout le front. C’est là un petit détail — mais il permet d’expliquer, dans leur origine, bien des manifestations de la « colère et de l’affliction des citoyens ». Les représentants des cours adressaient souvent au chef de l’état-major leurs prières et leurs réclamations. Un jour, leurs revendications se firent par trop violentes — il s’agissait d’une paire de bottes supplémentaire — Markov les éconduisit. Le lendemain, on lisait dans le journal : « Le Front », n° 25, la « motion votée par l’assemblée générale des étudiants aux cours pour agitateurs » : ils avaient pu se convaincre personnellement des mauvaises dispositions des états-majors à l’égard des députés élus par les soldats. Ils déclaraient qu’en leurs personnes aussi bien qu’en celles de leurs électeurs, le comité du front trouverait toute l’assistance nécessaire pour combattre la « contre-révolution », même s’il décidait d’avoir recours à « l’insurrection armée ».

Évidemment aucune collaboration n’était à envisager.

Le comité du front finit par adhérer à l’idée de l’offensive, mais il exigea la création de « commissions de contact » qui fonctionneraient pendant le combat. Ces commissions devaient se composer de membres du comité du front et des comités d’armée ; elles auraient le droit de participer à la préparation des opérations et de contrôler les faits et gestes des chefs et des états-majors, des troupes chargées d’exécuter les plans stratégiques ([2]). Je refusai, bien entendu. Mon refus créa de nouveaux embarras qui inquiétèrent fort le ministre de la guerre ; il envoya en toute hâte à Minsk son chef de cabinet, le colonel Baranovsky ([3]) et le commissaire aux armées Stankiévitch ([4]). Les amis de Baranovsky m’ont raconté, dans la suite, qu’on avait soulevé la question de ma révocation, ni plus ni moins, en considération de « mes graves malentendus avec le comité du front ».

Stankiévitch donna toute satisfaction au comité : les commissions de contact furent admises à fonctionner jusqu’au début de l’action, mais sans droit de contrôle, sans participation à la préparation de l’offensive.

* * *


Des trois généraux qui commandaient les armées, les comités en tenaient deux sous leur férule : on pouvait les laisser, temporairement, à leur poste, l’activité sur leurs secteurs étant nulle.

On préparait l’offensive sur le front tenu par la 10ème armée, commandée par le général Kisselevsky, dans le secteur de Molodetchno. J’allai passer en revue les troupes et les positions, faire connaissance avec les chefs et leurs hommes. On a trouvé dans les chapitres précédents une synthèse de mes impressions vécues ; j’y ai consigné maint fait et épisode de la vie sur le front Ouest. Je ne voudrais pas me répéter ici : je m’en tiendrai à quelques détails. Je passais en revue les troupes sous les armes. Certaines unités — c’était l’exception, je dois le dire — avaient conservé une tenue normale, leur aspect d’avant la révolution, un moral satisfaisant. Elles appartenaient au corps que commandait Dovbor-Moussnitsky, chef sévère, maintenant sans faiblesse l’ancienne discipline. Les autres régiments avaient, dans leur majorité, gardé un semblant d’organisation et de subordination, mais les hommes ressemblaient, par leur mentalité, à des fourmis chassées de leur fourmilière bouleversée. Après la revue, je parcourus les rangs et causai avec les soldats. Je fus positivement accablé par leurs dispositions : c’était tout à fait nouveau pour moi ; ils se plaignaient sans cesse ; tourmentés de soupçons, ils se défiaient de tous et de tout ; ils se jugeaient à tout propos lésés, ils en voulaient à leur chef d’escouade et au commandant du corps, les lentilles ne valaient rien, on les laissait trop longtemps au front. Ils en voulaient au régiment voisin ou encore au gouvernement provisoire qui avait tort de se montrer intransigeant dans ses rapports avec les Allemands. J’assistai enfin à des scènes que je n’oublierai de ma vie… Dans un des corps d’armée je demandai qu’on me fît voir le régiment en plus mauvais état. On me conduisit au 703ème, le régiment de Souram. Nos automobiles s’arrêtèrent près d’une foule immense d’hommes désarmés, les uns debout, les autres assis. Derrière le village, des groupes erraient par les champs. Tous, ils étaient en haillons (on avait vendu les uniformes pour boire), pieds nus, hirsutes, malpropres !… Ils avaient atteint la dernière limite de la dégradation physique. Le chef de la division (sa lèvre inférieure tremblait nerveusement) et le commandant du régiment (il avait l’air d’un condamné à mort) vinrent à ma rencontre. Personne ne commanda le « garde à vous », aucun soldat ne se leva ; ceux qui étaient le plus près s’avancèrent et entourèrent nos autos. Mon premier mouvement fut de tancer vertement le régiment et de repartir. Mais on aurait pu attribuer mon départ à la poltronnerie. Je me mêlai à cette foule.

J’y restai une heure environ. Seigneur ! Qu’était-il arrivé à ces hommes, à ces créatures de Dieu douées de raison, à ces laboureurs russes… Leur esprit était tout embrumé. Pareils à des envoûtés, à des possédés, ils discutaient avec opiniâtreté, sans aucune logique, sans le moindre bon sens, poussaient des cris d’hystériques, vomissaient les reproches et les jurons les plus abjects. C’était navrant, c’était hideux. Tous, nous parlions — on nous répondait haineusement, avec un entêtement obtus. Peu à peu, je me le rappelle, mes sentiments de répugnance pour cette folle indiscipline s’évanouirent — et je n’éprouvai plus qu’une pitié infinie pour ces malheureux hommes russes sordides et incultes, à qui il avait été si peu donné, à qui on ne pouvait rien redemander. J’aurais voulu que les chefs de la démocratie révolutionnaire fussent présents, qu’ils vissent ces hommes, qu’ils entendissent leurs propos. Je leur aurais dit :

— Il n’est plus temps de chercher les coupables. Qui a voulu cela ? Est-ce nous, est-ce vous, est-ce la bourgeoisie, est-ce l’autocratie, est-ce la révolution ? Peu importe. Commencez par instruire le peuple, restituez-lui figure humaine. Ensuite vous lui offrirez le socialisme, la nationalisation, le communisme… s’il veut bien vous suivre dans ces voies.

Quelques jours après ma visite, ce même régiment de Souram assomma à moitié Sokolov, le fameux révolutionnaire qui avait rédigé l’ordre du jour numéro 1 et créé l’ordre nouveau dans l’armée. Il venait, au nom du Soviet des députés ouvriers et soldats, exhorter le régiment à faire son devoir et à coopérer à l’offensive.

Je me rendis ensuite au congrès organisé par le 2ème corps du Caucase. Une députation spéciale m’y avait convié, avec insistance. J’y trouvai ici des représentants élus par les soldats ; donc les conversations étaient plus raisonnées, les aspirations plus positives ; dans certains groupes de délégués, auxquels s’était mêlée mon escorte, voici sur quoi l’on discutait : tous nos chefs sont réunis ici, le généralissime, le commandant de l’armée, le commandant du corps, les états-majors, on pourrait les supprimer tous à la fois — ensuite il ne serait plus question de l’offensive…

Mes entretiens avec les chefs de corps ne furent pas pour me rassurer. Un commandant de corps d’armée tenait ses troupes bien en main, mais il se voyait débordé par les associations militaires ; un autre craignait d’aller voir ses hommes ; j’en trouvai un troisième en larmes, complètement abattu par un refus de confiance qu’on venait de voter :

— J’ai quarante ans de service. J’ai toujours aimé les soldats : ils m’aimaient jadis. Et maintenant on me crache au visage. Je ne puis rester à mon poste.

Je dus accepter sa démission. Tout près de nous, derrière la porte, un jeune général divisionnaire était en pourparlers confidentiels avec les membres du comité qui m’adressèrent aussitôt, d’un ton impérieux, la demande de mettre à la tête du corps d’armée le jeune général en question…

Ma tournée me laissa des impressions affligeantes. La débâcle était de plus en plus manifeste. Je perdais toute espérance. Néanmoins on devait travailler. Et il y avait du travail pour tout le monde, plus qu’il n’en fallait. Le front Ouest s’était nourri de théorie ; il avait vécu des expériences d’autrui. Il n’avait pas à son actif ces victoires éclatantes qui, seules, inspirent une confiance absolue dans les méthodes des chefs ; il n’avait encore eu a exécuter aucune tentative de rompre les positions défensives de l’ennemi. Bien des fois, avec ceux qui devaient le réaliser plus tard, j’ai examiné le plan général. J’ai étudié avec eux la préparation d’artillerie, Ies points de départ de l’offensive. Ce qui me paraissait le plus difficile, c’était l’organisation de l’assaut. Les hommes étaient à tel point démoralisés qu’il était impossible d’obtenir d’eux un changement de position, l’installation des abris de rassemblement, l’exécution des travaux d’approche, le déplacement des batteries ([5]). Ou bien on ne faisait rien, ou bien on ne se mettait à l’œuvre qu’après des efforts inouïs, des sollicitations instantes… et des meetings. On saisissait le moindre prétexte pour refuser de travailler à la préparation de l’offensive. Pour mettre au point la défense de leurs positions à peine fortifiées, les chefs durent accomplir un travail prodigieux et qui sortait de l’ordinaire : il ne s’agissait pas de diriger les troupes suivant des combinaisons tactiques, il fallait adapter les manœuvres aux qualités des divers commandants, à la désorganisation plus ou moins grande des régiments, au hasard des secteurs où les positions étaient plus ou moins puissamment agencées.

Et pourtant, quand on croit trouver en notre infériorité technique une explication des défaites que nous avons essuyées en 1917, on doit traiter cette question avec circonspection : incontestablement, notre armée était moins parfaite que d’autres ; mais, en 1917, elle était incomparablement mieux approvisionnée, plus riche en artillerie et en munitions, plus instruite aussi par ses propres expériences et par celles d’autrui — qu’en 1916 par exemple. Notre infériorité technique a été une particularité toute relative, mais continue, qui s’est manifestée à toutes les périodes de la guerre mondiale, jusqu’au début de la révolution. En 1917 elle s’était considérablement atténuée et il n’est pas juste de la mettre dans la balance quand on veut juger l’armée révolutionnaire et ses opérations.

Donc, on accomplissait un travail de Sisyphe. Les officiers s’y étaient mis de tout cœur. L’éventualité du succès était un dernier rayon d’espérance pour ceux qui voulaient sauver l’armée et le pays. On pourrait surmonter toutes les difficultés matérielles. Mais il fallait relever le moral du soldat.

Broussilov vint haranguer les régiments. Un des résultats de sa tournée fut la révocation, malgré mon avis, du commandant de la 10ème armée, une semaine et demie avant l’offensive. J’eus bien de la peine à faire agréer mon candidat, le glorieux général Lomnovsky, commandant du 8ème corps. Le nouveau chef n’atteignit Molodetchno que quelques jours avant le début des opérations. L’arrivée de Broussilov fut marquée par un malentendu vraiment fâcheux : l’état-major de l’armée annonça, par erreur, aux troupes la visite de Kérensky. Cette substitution involontaire causa un vif mécontentement et une grande agitation : plusieurs régiments déclarèrent qu’on les trompait et que, si le camarade Kérensky ne venait pas, personnellement, leur ordonner d’attaquer, ils ne sortiraient pas des tranchées. La deuxième division du Caucase envoya même des délégués aux informations. Il fallut, à Pétrograd, pour les calmer, promettre que le camarade Kérensky arriverait sous peu. On dut inviter le ministre de la guerre. Celui-ci partit sans joie : sa campagne de discours sur le front Sud-Ouest l’avait désillusionné. Il fit une tournée de plusieurs jours, vit les troupes, parla, moissonna des transports passionnés et dut, à plusieurs reprises, essuyer des contretemps fâcheux. Les événements de Pétrograd interrompirent son voyage : le 4 juillet, il partit — mais bientôt, il revint, enflammé d’enthousiasme ; un nouveau thème oratoire l’inspirait, qu’il sut exploiter à fond ; c’était : « le couteau plongé dans le dos de la révolution ([6]) ». Mais quand il rentra au Grand Quartier Général, sa tournée finie, il déclara nettement à Broussilov :

— Décidemment je ne crois pas au succès de l’offensive.

D’ailleurs, Kérensky envisageait avec le même pessimisme une autre question encore : l’avenir du pays. Je me rappelle une de ses conversations à laquelle je pris part avec deux ou trois de ses intimes ([7]). Il analysa les étapes consécutives de la révolution russe et nous affirma que nous ne réussirions pas à éviter la terreur.

Le temps passait et l’on différait toujours le début de l’offensive. Le 18 juin, je rédigeai pour les troupes du front l’ordre du jour que voici :

« Les armées russes du front Sud-Ouest viennent d’infliger aujourd’hui même une défaite à l’ennemi dont elles ont rompu les lignes. C’est le commencement d’une bataille décisive : les destinées du peuple russe en dépendent — et sa liberté. Nos frères, sur le front Sud-Ouest, avancent, victorieusement, sans ménager leur vie. Ils attendent de nous une prompte assistance. Ne les trahissons pas ! L’ennemi entendra bientôt le tonnerre de nos canons. J’appelle les troupes du front Ouest à déployer toutes leurs énergies et à préparer sans délai l’offensive ! Si nous hésitons, nous encourrons la malédiction du peuple russe qui nous a confié la défense de sa liberté, de son honneur et de ses biens. »

Ont-ils compris tout le tragique de la situation, ceux qui ont lu cet ordre du jour publié dans les journaux, au mépris des principes élémentaires du secret d’opérations. Toutes les lois de la stratégie étaient bouleversées. Le commandant en chef russe, impuissant à pousser ses troupes en avant pour dévoiler le front voisin, s’efforçait, dût-il, pour y arriver, dévoiler ses projets, d’immobiliser les divisions allemandes qu’on retirait pour les envoyer contre le front Sud-Ouest et contre les alliés.

Les Allemands ne tardèrent pas à répondre. Ils firent circuler par le front une proclamation où on lisait : « Soldats russes ! Votre commandant en chef sur le front Ouest vous sollicite de combattre, une fois encore. Nous connaissons son ordre du jour, nous connaissons aussi la fausse nouvelle qu’on a répandue, au sujet de la rupture de nos lignes au Sud-Est de Lvov. N’y croyez pas ! En réalité, des milliers de cadavres russes gisent devant nos tranchées… Votre offensive n’amènera nullement la paix… Si vous écoutez l’appel de vos chefs vendus à l’Angleterre, nous continuerons la guerre jusqu’à ce que vous soyez anéantis ».

Enfin, le 7 juillet, le bruit de nos canons se fit entendre. Le 9 juillet, ce fut l’assaut. Trois jours après, je quittai la 10ème armée pour rentrer à Minsk, accablé. Ma dernière espérance s’écroulait : le miracle que j’avais attendu ne s’était pas accompli…

  1. Grâce aux démarches du général Alexéiev, cette nomination fut annulée : le général Gourko fut mis en disponibilité.
  2. Ce qu’il y avait de plus original dans cette combinaison, c’est que des représentants des ouvriers siégeaient aussi au comité du front ouest.
  3. Jeune colonel de l’État-major. Kérensky le consultait sur toutes les questions militaires.
  4. Il resta deux jours sur le front ouest, puis il fut appelé dans le nord. Kalinine vint le remplacer.
  5. C’est l’infanterie qui résistait. L’artillerie a conservé, jusqu’aux derniers jours, sa volonté de combattre, presque intacte.
  6. Allusion aux émeutes de Pétrograd (du 3 au 5 juillet).
  7. Petchersky, président d’un comité ; Kalinine, commissaire aux armées.