La Découverte de l’Amérique par les Normands vers l’an 1000/Introduction

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Société d'Édition Maritimes, Géographies et Coloniales (p. v-vii).


INTRODUCTION




La littérature de l’extrême Nord et Nord-Ouest de l’Europe, vers la fin du moyen-âge, est, pour des raisons diverses, assez mal connue chez nous, en dépit de son charme et de sa saveur. Et cependant, nos Normands de notre Normandie y pourraient retrouver des traces d’un lointain atavisme. C’est à elle, et c’est là un mérite de quelque valeur, que nous devons le souvenir d’un fait remarquable dans l’histoire, la découverte de l’Amérique par les Normands au Xe siècle.

Littérature et découverte beaucoup mieux connues dans les milieux scandinaves et anglo-saxons. La découverte de l’Amérique par les habitants de la Norvège, les Northmen ou Normands, au Xe siècle, y est considérée comme un fait parfaitement historique. L’érection à Boston, vers 1887, de la statue de Leif, fils d’Eirik, le découvreur du Vinland, c’est-à-dire de la côte Nord-Est de l’Amérique ou du Canada, en est une expression symptomatique.

Dans notre littérature, un petit nombre d’auteurs dans des articles très clairsemés ont traité la question. Les Sagas du Vinland n’ont jamais, à ma connaissance, été publiées in extenso en français. C’est ce qui m’a encouragé à les présenter et à en donner une traduction aussi littérale que possible. Un court aperçu sur la nature de la littérature nordique m’a paru utile aussi pour mieux faire ressortir le caractère original des Sagas.

En dehors de leur côté purement littéraire, les Sagas ont une valeur historique considérable, puisqu’elles sont les seuls documents d’origine locale qui nous livrent une partie de l’histoire très ancienne des Nordiques et qui établissent d’une manière certaine la découverte normande de l’Amérique.

Si la découverte, en elle-même, n’a pas eu les suites qu’on aurait pu en attendre, elle constitue néanmoins un fait d’histoire remarquable. Si le voyage de Christophe Colomb en Islande, à la recherche de renseignements sur l’existence de terres au delà des océans, vers l’Ouest, est probablement controuvé, son invention seule prouve qu’à l’époque, des légendes circulaient un peu partout dans les milieux maritimes sur ces fameuses terres, et que beaucoup de ces légendes avaient leur origine dans les îles du Nord.

Leurs sources n’en étaient-elles point dans ces Sagas encore connues des descendants des découvreurs ?

Il a été nécessaire dans cette étude de faire quelques conventions. Ainsi, j’emploierai uniformément le nom Normand au lieu de Northmen. C’est là une vieille habitude chez nous et les deux noms ont la même signification. Mais il faut bien entendre qu’il s’agit en l’occurrence non des habitants de notre province de Normandie, mais de gens du Nord-Ouest de l’Europe ou colons des îles de l’océan Atlantique Nord. Au reste, la confusion ne serait pas fort grave, ceux-là étant parents de ceux-ci. À titre documentaire, selon M. A. Fossum, Professeur à l’Université de Concordia (E. U.), qui a écrit un ouvrage remarquable sur la découverte, ce furent les Norvégiens qui émigrèrent principalement en Normandie, en Islande et au Groenland, les Danois en Angleterre et en Écosse.

Par ailleurs, il a été impossible de rendre certains mots avec leur orthographe du Xe siècle. Notre alphabet ne s’y prête pas. On les trouvera dans une forme qui s’en rapproche autant que possible.

Dans le but d’éviter des confusions dans la désignation même des Sagas, désignation qui varie souvent dans les différents textes, j’appellerai :

Saga d’Eirik, l’ensemble des récits qui se trouvent dans le Flatey Bok sous les titres de Saga d’Eirik le Rouge ou de Groenlandinga Pattr.

Saga de Karlsefni, la Saga donnée dans le Hauk’s Bok et le manuscrit 557, sous les titres de Saga de Thorfin Karlsefni et Snorri, fils de Thorbrand.

Il existe, en danois, en anglais et même en latin de très nombreux ouvrages sur l’aventure du Vinland, on en trouvera une liste au chapitre Bibliographie. Volontairement, cette liste est incomplète. Elle eût été beaucoup trop longue et certains ouvrages manquent de valeur originale et peuvent être considérés comme de peu de valeur pour l’exposition de la question. Enfin, dans la masse des documents publiés à l’étranger, certains ouvrages ont pu échapper à nos recherches, je ne les crois pas nombreux.

Dans ces ouvrages, et souvent avec passion, les différents auteurs ont fouillé tous les détails de l’aventure et des textes. Il m’est apparu toutefois qu’un côté avait parfois été négligé, c’est le côté purement psychologique. Certains auteurs se sont bornés peut-être trop exclusivement à une sorte de discussion littéraire, d’autres ont cherché dans les hardis compagnons d’Eirik le Rouge, des gens d’une formation intellectuelle qui ne me semble répondre ni à leur culture probable, ni à leur genre d’existence. Sans chercher en aucune façon à les rabaisser, je crois qu’il est plus judicieux de les considérer comme ne possédant que l’intellectualité quelque peu rudimentaire des fermiers-marins ou des négociants nomades de leur époque, avec leurs qualités et leurs défauts. Partant de cette base, bien des choses s’éclairent qui pouvaient paraître extraordinaires.

Je tiens à remercier M. Grandidier, Secrétaire Général de la Société de Géographie de France et M. Reizler, Bibliothécaire de la même Société, qui, après m’avoir ouvert le champ de cette étude, m’ont fourni les moyens de la produire ; M. le Pr P. Rivet, Secrétaire de la Société des Américanistes de Paris, qui m’a aidé, sans compter de sa profonde érudition ; M. A. Fossum, qui a bien voulu me donner, en dehors de son remarquable ouvrage, des renseignements précieux ; M. Hovgaard, qui m’a autorisé à puiser, à discrétion, parmi les croquis et les photographies de son ouvrage si abondamment documenté.