La Découverte de l’Amérique par les Normands vers l’an 1000/Les preuves matérielles

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Société d'Édition Maritimes, Géographies et Coloniales (p. 112-115).
Les preuves matérielles

La donnée du problème à résoudre est la suivante :

Les Normands, partis de la Norvège, à la suite d’une poussée constante vers l’Ouest, arrivèrent au Groenland à la fin du xe siècle (985). Ils s’établirent sur les côtes Ouest de cette contrée et de là rayonnèrent en des expéditions de pêche ou de commerce. Ceci est un fait absolument historique que nul ne saurait contester.

Par aventure, ou de propos délibéré, certains d’entre eux atteignirent des terres situées à l’Ouest ou au Sud-Ouest, qu’ils nommèrent par ordre de proximité du Groenland :

Helluland,

Markland,

Vinland.

On est à peu près d’accord pour assimiler le premier avec la côte Nord-Est du Labrador, peut-être à la rigueur avec le Sud de la Terre de Bafin.

Le Markland, et déjà les solutions divergent considérablement, est généralement situé sur la côte Sud-Est du Labrador, à Terre-Neuve ou même au nord de la Nouvelle-Écosse.

Mais, comme conséquence du flou des étapes précédentes, où situer le Vinland ?

Des preuves matérielles eussent été d’un secours fort précieux. On a cru en trouver au cours du siècle dernier ; malheureusement, aucune ne possède une authenticité soutenable, comme on va en juger, lorsqu’elles ne sont point tout simplement de mauvaises plaisanteries.

Certaines d’entre elles ont soulevé a l’époque de leur apparition un enthousiasme considérable dans les nombreux milieux que la question passionnait et passionne encore. Elles consistaient soit en pierres gravées de signes soi-disant runiques, soit en trouvailles d’ossements et de restes d’armures ou enfin de monuments d’origine prétendue normande.

Les pierres gravées les plus connues sont :

La pierre de Monegan (Maine, États-Unis d’Amérique) qui fut découverte vers 1856. Elle fut perdue presque aussitôt et les dessins qu’en fit le découvreur lui-même varient si sensiblement entre eux qu’on ne peut leur accorder aucune valeur. De l’avis même de ce découvreur, les signes gravés sur la pierre ne pouvaient être que l’œuvre d’un illettré, ils étaient donc probablement peu déchiffrables.

Une inscription sur pierre de Yarmouth (Nouvelle-Écosse, Canada) fut déchiffrée vers 1834 par un amateur passionné ; « mais elle n’a jamais été lue que par lui » (Vignaud).

La pierre de Grave Creek (Ohio, États-Unis) trouvée vers 1838 et la pierre du Minnesota sont de simples fraudes, reconnues comme telles.

Enfin, le fameux Dighton Rock est une œuvre nettement indienne. La reproduction que nous en donnons ici (Pl. III) suffit pour en donner l’assurance à tout esprit averti.

Sans parler de certaines ruines par trop douteuses qu’on aurait trouvées dans les îles de la côte du Labrador, on citait un monument réputé normand, le moulin de Newport (Rhode Island, États-Unis). On sait, maintenant, qu’il a été construit au xviie siècle par le Gouverneur Arnold.

Le squelette de Fall River trouvé vers 1831 ne peut même plus faire l’objet d’un doute aujourd’hui, c’est un squelette indien. Les restes d’une Syasi la Blonde, qui firent sensation vers 1867, n’étaient qu’une farce de carabin.

Aucune trace matérielle ne peut donc nous apporter le précieux appui d’un fait. Ceci n’a d’ailleurs rien de surprenant. Au Groenland, on a retrouvé des ruines et des souvenirs en grand nombre, parce que les Normands y ont séjourné longtemps et y construisirent des monuments durables, y ensevelirent leurs morts, selon le rite habituel, toutes choses dont on retrouve les traces aujourd’hui.

Par contre, au cours de leurs expéditions sur le continent, ils n’élevèrent, selon toute vraisemblance, que des huttes, des « cabins » en troncs d’arbres, tout au plus peut-être quelques murs de soutènement en pierres sèches, édifices éphémères qui disparurent rapidement du fait des Indiens ou du temps.

Les Normands tombés au combat ou morts de maladie furent sans doute ensevelis près de la mer, c’est-à-dire dans les endroits où leurs restes avaient le plus de chances de se perdre à jamais.

C’eût été un prodige que le long des milliers de kilomètres ou l’on est tenté de localiser le théâtre des combats, fort peu meurtriers d’ailleurs, on pût avoir la chance de retrouver les ossements et les identifier d’une façon certaine après un si long séjour dans des tombes probablement sommaires et insuffisantes pour protéger les restes des agents destructeurs du sol, sans aller chercher les autres motifs de disparition.

Ces résultats négatifs n’enlèvent d’ailleurs rien a la valeur historique de l’épopée. On peut même avancer qu’une découverte, à l’époque actuelle, serait trop isolée dans le temps et dans l’espace pour apporter une grande lumière à l’affaire.

Il faut donc de toute façon en revenir à nos seules sources réelles, les Sagas et au raisonnement. En rapprochant les descriptions, les renseignements donnés par les textes des faits historiques, géographiques et autres actuellement connus, on peut espérer approcher la vérité, sans toutefois se leurrer de l’espoir de l’atteindre intégralement. Les sources sont trop vagues, les renseignements trop incertains. Seul, un document ancien pourrait seul donner cette certitude, et il est bien peu probable qu’il surgisse jamais. En résumé, si en ce qui concerne le Groenland, nous possédons des documents historiques et archéologiques, qui nous fournissent une base d’étude solide, nous ne pouvons compter pour l’histoire du Vinland que sur les Sagas, documents dignes de foi, mais malheureusement peu détaillés.

La géographie semble au premier abord plus susceptible de pouvoir nous aider. Une comparaison entre les textes, d’une part, la géographie ancienne et la géographie actuelle d’autre part, devrait nous ouvrir un champ fertile.

L’étude géographique a incontestablement fait progresser la question, mais il ne faut pas oublier que nous ne possédons aucun document géographique contemporain de la découverte des Normands. Nous sommes obligés de nous en rapporter à des documents postérieurs de trois à quatre siècles, ce qui ne laisse pas de nous laisser quelque doute sur la valeur du fonds même de la comparaison.