Aller au contenu

La Découverte de l’anneau de Saturne par Huygens

La bibliothèque libre.

LA DÉCOUVERTE

DE L’ANNEAU DE SATURNE

PAR HUYGENS


Si nous ouvrons un livre récent qui traite de l’Astronomie, nous y trouvons les notions suivantes en ce qui concerne la planète dont nous voulons nous occuper pour l’instant :

Parmi les planètes connues des Anciens, Saturne est la plus éloignée : il circule à la distance moyenne 9,54 du Soleil, en adoptant pour unité le demi grand axe de l’orbite terrestre ; l’excentricité de son orbite est assez sensible, à peu près égale à celle de la trajectoire lunaire, et sa valeur entraîne entre les distances maxima et minima de Saturne à l’astre central un écart qui surpasse notre distance au Soleil. Il en résulte encore que l’éclat de cette planète est assez variable suivant les circonstances, et que son diamètre apparent peut varier de 15″ à 20″.

La durée de révolution de Saturne est de 29 ans et demi, ou 10 759 jours moyens et, tous les 378 jours, cette planète se retrouve dans la même position relative par rapport à la Terre et au Soleil ; parmi ces 378 jours, son mouvement de déplacement à travers les constellations est direct pendant 239 jours, et se produit dans le sens rétrograde durant 139 jours. Cependant sa vitesse de translation dans l’espace atteint environ le tiers de la nôtre, soit 10 kilomètres par seconde.

Après Jupiter, Saturne est la plus grosse planète : il brille avec l’éclat d’une étoile de première grandeur. Son diamètre équatorial équivaut presque à 10 fois celui de la Terre ; sa surface se mesure par 80 superficies de notre globe, et son volume correspond à 720 sphères comme la nôtre. Pourtant sa masse n’est que 92 fois plus grande que la masse terrestre, car sa densité moyenne est inférieure à celle de l’eau, environ de la densité de notre planète : s’agit-il donc d’un globe liquide ? ou d’un solide enveloppé d’épaisses couches liquides ou gazeuses ? À cet égard il serait impossible d’être très affirmatif — tandis que quelques arguments, comme la dépression polaire, nous conduisent à le considérer comme normalement constitué, avec une densité décroissante en allant du centre vers les bords.

Quoi qu’il en soit, Saturne est la plus légère des grosses planètes.

On remarque, sur son disque, des bandes analogues à celles de Jupiter, mais plus larges, moins foncées et moins variables ; ces bandes, parallèles a l’équateur, sont plus ou moins sombres, grises, jaunâtres ou blanchâtres ; tout semble nous indiquer des atmosphères assez denses et, avec W. Huggins, Janssen, Secehi,… l’analyse spectrale y décèle la présence d’importantes quantités de vapeur d’eau, et les bandes les plus lumineuses seraient produites par l’éclairage d’importantes masses gazeuses ; les saisons sont longues et très différentes, on peut observer des variations considérables dans les glaces polaires, et nous sommes évidemment très loin du climat relativement régulier de Jupiter. Comme le nôtre, l’axe de rotation est incliné sur le plan de l’orbite, l’équateur formant un angle de 27° avec l’orbite ; la pesanteur superficielle est comparable à celle de la terre.

Bien que Lalande ait nié l’aplatissement, celui-ci est considérable dans le cas de Saturne et atteint presque  ; il fut successivement reconnu et déterminé par W. Herschel (1776-1789), Bessel (1838), Main, Arago (1847), G.-P. Bond (1848), Kaiser… Enfin, l’observation de petites taches, sombres ou brillantes, qui sont très rares et ne subsistent pas longtemps, a permis de déterminer la durée de rotation ; Hall s’est particulièrement distingué dans ces recherches et l’on peut admettre avec lui le temps de 10h 14m pour durée de la rotation de cette planète sur elle même.

Saturne a de nombreux satellites qui circulent sensiblement dans le plan équatorial de la planète, le long d’orbites généralement peu excentriques. Le plus gros de ces satellites, Titan, fut découvert par Huygens le 23 mars 1655 ; sa masse vaut 0,0002 par rapport à celle de Saturne, soit 2 fois la Lune, et se trouve comparable à la masse du 3e satellite de Jupiter ; son diamètre approche la moitié du diamètre de la Terre. Après lui viennent Japet, Rhéa, Dioné, découverts à l’observatoire de Paris par Cassini en 1671, 1672, 1684, et dont les masses sont environ 0,000 01, 0,000 004, 0,000 002 ; puis d’autres, moins brillants encore, et sur lesquels nous n’insisterons pas ici. Les satellites s’éclipsent rarement, puisque le cône d’ombre est dans le plan d’orbite de Saturne, qui forme un angle de 27° avec leurs trajectoires.

Mais le fait remarquable et caractéristique du système de Saturne est relatif aux anneaux circulaires, larges et minces, qui entourent sans le toucher le globe de la planète et dont les bases sont parallèles au plan de l’équateur ; les anneaux réfléchissent vivement la lumière solaire et l’intervalle CD, qui paraît obscur et les sépare nettement, a reçu le nom de division de Cassini (fig. 1) ; ils sont très minces car, vus de champ, leur épaisseur n’atteint pas du demi-diamètre équatorial de Saturne, pris ici comme unité ; on a, d’après Otto Struve,

1/2 diamètre intérieur de l’anneau intérieur : OB = 1,48
» extérieur » » OC = 1,92
» intérieur » extérieur : OD = 1,96
» extérieur » » OE = 2,23

Puis, entre A et B, existe un troisième anneau, assez difficile à percevoir, beaucoup moins brillant que les deux premiers, anneau obscur, qui ressemble à un voile de crèpe noir. La durée moyenne de rotation de l’anneau autour de Saturne est de 10h 32m 15s d’après W. Herschel. Tisserand évalue la masse totale de l’anneau à de celle de la planète centrale. L’anneau, enfin, a des phases qu’il est aisé d’expliquer, et devient invisible lorsqu’il est éclairé sur sa tranche ou se présente de champ, c’est-à-dire lorsque son plan passe, soit par le Soleil, soit par la Terre.

Ainsi, alors que Jupiter est la plus grosse des planètes et tient une place essentielle, à cause de sa masse, comme astre principal dans les perturbations secondaires du système solaire ; alors que Jupiter semble jouer un rôle prépondérant dans la distribution des petites planètes, dans le groupement des comètes à courte période et des essaims d’étoiles filantes ; alors même qu’il peut réagir sur le résidu de condensation de la nébuleuse primitive de Laplace, et en influencer les ultimes manifestations, aurores boréales, lumière zodiacale, couronne solaire, etc…, le spectacle est autrement plus grandiose encore pour les habitants de Saturne, en quelque sorte ; et, sans sortir du domaine rigoureux pour poétiser les aspects du ciel devant un observateur Saturnien, cette planète, avec ses anneaux multiples, avec une dizaine de satellites, nous offre peut-être la plus complète agglomération de singularités qu’il nous soit permis d’observer aujourd’hui avec quelque précision.

Fig. 1.
Saturne et son anneau avec la division de Cassini.

Devant l’étrangeté et l’attrait des phénomènes que nous offre Saturne, devant les nombreux cas particuliers et les problèmes captivants que suscite la théorie de ce système complexe, il nous paraît insuffisant de résumer nos connaissances actuelles et, sans avoir ici la prétention de tracer une histoire complète, nous allons du moins montrer comment naquit historiquement la compréhension de ce problème unique dans le système solaire — l’anneau de Saturne.

Saturne se présente à nos yeux avec une teinte plombée et, bien avant le viiie siècle, les sept métaux anciens étaient consacrés aux sept planètes antiques, y compris le Soleil et la Lune, et en portaient les noms et les symboles ; le plomb correspondait à Saturne, qui se meut lentement, conformément à son nom indien. La lenteur de son mouvement et sa teinte particulière en avaient fait pour les anciens une planète néfaste, le plus grave des astres, quelque dieu détrôné et relégué dans une sorte d’exil : le jour du Sabbat lui était consacré, et sa mauvaise influence était associée aux plus grandes douleurs. Saturne jouait donc un bien vilain rôle dans les horoscopes, et nous le voyons représenté très particulièrement par une étoile noire dans les dessins du xve siècle.

Galilée venait d’inventer les lunettes. Sitôt que les circonstances le lui permirent, été 1610, il dirigea sa lunette vers Saturne, mais la faiblesse de son instrument le jeta dans une grande perplexité et, frappé par l’aspect bizarre de la planète, il annonça temporairement sa découverte par le logogryphe suivant :

Smaisnermiclmbpobtalevmibvneuvgttaviras,

dont l’énigme singulière intrigua quelque temps Képler. Galilée lui-même allait peu après détruire cette transposition de lettres, fortement emmêlées, pour rétablir la phrase latine que voici :

Altissimum planetam tergeminum observavi.
J’ai observé que la planète la plus élevée est trijumelle.

Saturne lui paraît « tri-corps », écrit-il au grand-duc de Toscane et, peu après, le 13 novembre 1610, il précise la signification de ce terme dans une lettre à Julien de Médicis, ambassadeur du grand-duc auprès de l’empereur d’Autriche :

Lorsque j’observe Saturne avec une lunette d’un pouvoir amplificatif de plus de trente fois, l’étoile centrale paraît la plus grande, les deux autres, situées, l’une à l’orient, l’autre à l’occident, et sur une ligne qui ne coïncide pas avec la direction du zodiaque, semblent la toucher. Ce sont comme deux serviteurs qui aident le vieux Saturne à faire son chemin et restent toujours à ses côtés. Avec une lunette de moindre grossissement l’étoile paraît allongée et de la forme d’une olive.

Il mentionne encore la présence de ces trois étoiles immobiles les unes par rapport aux autres dans une lettre à Castelli du 30 décembre de la même année.

Cependant, ce laborieux astronome n’allait pas être récompensé de ses efforts : il suivit assez régulièrement Saturne et vit l’éclat de ses compagnons diminuer ; bientôt, en 1612, il se trouve dans l’impossibilité absolue de rien distinguer de chaque côté de la planète là où, quelques mois auparavant, il avait encore observé les deux objets lumineux : la planète lui parut parfaitement ronde. Il appert que cette circonstance le découragea au plus haut degré et l’on peut voir l’expression de son désespoir dans une lettre qu’il adressait à Velser, en 1612 : il alla même jusqu’à imaginer que, dans toutes ses observations. antérieures, les verres de ses lunettes avaient pu le tromper et que toutes les apparences observées n’étaient que des illusions. Et pourtant, en 1616, il avait dessiné nettement l’anneau, avec deux intervalles sombres et triangulaires dont les bases s’appuyaient au corps de la planète.

En tous cas, dès ce moment, il renonça à s’occuper de Saturne — et mourut sans avoir vu s’éclaircir ce mystère.

Pendant près d’un demi-siècle l’aspect de Saturne va hautement intriguer les savants : les hypothèses les plus invraisemblables sont émises successivement, et les instruments sont trop imparfaits pour déchiffrer cette énigme, bien que les conditions de visibilité soient à nouveau favorables.

Fig. 2.
Saturne d’après Gassendi. Saturne tri-corps, le 19 juin 1633.

Gassendi voit triple comme Galilée. Il écrit, en 1633 :

… La planète avait la forme d’un œuf de Chine qui renferme le ver à soie quand il a fait son fil… Je remarquai, précédant Saturne, une anse, sorte d’appendice assez distincte ; j’en vis très nettement une autre suivant la planète. Le corps de Saturne était rond ; les anses n’étaient pas entourées de rayons, mais, par moments, je vis, assez confusément, une sorte de chevelure autour de la planète et des anses.

En 1634, Gassendi voit simplement pour Saturne une ovale très aplatie ; en 1636 il dit :

Je ne vis plus les deux petits globes adjoints au globe central, mais deux anses limitées par des taches et qui semblaient être détachées de la planète. Le tout avait la forme d’un ovale peu allongé, de sorte que le noyau central était à peine supérieur au tiers de la longueur totale, mais il était plus brillant et d’un blanc plus éclatant que les anses.

Fig. 3.
Saturne par Gassendi, le 20 novembre 1636.

Les observations de Gassendi sont d’une exactitude remarquable, analogues à celles d’Hévélius et Riccioli, mais plus précises encore et, tout en s’approchant beaucoup de la réalité, il n’a pas, cependant, soupçonne la vraie nature de l’anneau. Puis il voit les apparences se modifier et, en 1638, il perçoit son ovale très aplatie percée de deux trous ronds. Puis vient la stupeur profonde en 1642 :

… Je vis une chose inattendue : la planète était sans anses ; je ne l’avais pas encore vue ainsi. Je ne saurais dire depuis quelle époque il en était ainsi, parce que, et je le répète amèrement je n’ai pas observé assez souvent cette planète et que voilà trente-deux mois que je n’ai rien noté.

Je me rappelle pourtant que l’excellent Mersenne, qui m’avait demandé ma lunette, me dit, en me la rendant, qu’il n’avait pas pu voir les anses de Saturne. Persuadé que c’était à cause de la faiblesse de sa vue, je ne vérifiai pas moi-même s’il en était ainsi ou non.

Je fis aussitôt part de ma découverte à mes amis Bullialdus et Valesius, et à d’autres… il faudra y faire attention dans la suite… en vérité, elle (Saturne) paraissait tantôt tétragonale, tantôt pentagonale, mais avec les côtés arqués et les angles émoussés…

Fig. 4.
Saturne d’après Hévélius, le 11 janvier 1645.
Fig. 5.
Saturne d’après Gassendi, le 18 mars 1646.

Ses observations sont longuement poursuivies : en 1643, Saturne est de nouveau tri-corps, les deux compagnons étant inégaux ; en 1644 et 1645 les deux petits corps sont nettement en forme de capuchons[1] et le dessin de Gassendi est identique à celui de Hévélius. En 1646, il retrouve la forme de 1638 mais avec deux trous losangés ; enfin, en 1650, Gassendi trouve une forme très analogue à celle de Riccioli[2] et, en 1681, une configuration à deux anses ; il observa jusqu’en 1655 et projetait un grand travail sur les changements de Saturne, mais il mourut le 24 octobre de cette année, non sans recommander à son secrétaire, La Poterie, de poursuivre sans interruption ces observations curieuses. Gassendi mourut donc sans voir de nouveau l’astre rond et sans satellites, en 1656 ; mais ses nombreuses observations, dont on doit reconnaître la délicatesse, éclairent utilement l’histoire de Saturne.

Fig. 6.
Saturne d’après Riccioli (1650).
Fig. 7.
Saturne d’après Gassendi, le 21 novembre 1651.

Hévélius[3] se livre avec la plus grande attention aux observations de Saturne, il rejoint les petites étoiles à la grande et, en 1646, avoue franchement qu’il ne comprend rien aux phénomènes singuliers que lui présente la planète, notamment à ses deux bras ; il passe, lui aussi, par une phase de découragement et enfin, en 1656, après des conditions favorables, judicieusement observées, croit tenir l’explication : Saturne est triple, sa partie centrale a une forme elliptique et les deux portions latérales ne sont point des globes sphériques mais bien des lunules à courbure hyperbolique, invariablement attachées par leurs pointes au corps du milieu dont, pourtant, elles sont séparées par un intervalle vide de matière. Ceci suffit à faire comprendre l’aspect de la phase ronde de Saturne car, par un mouvement de rotation, les deux croissants qui accompagnent la planète peuvent être transportés, l’un sur le disque de Saturne, l’autre derrière.

Fig. 8.
Saturne avec ses deux bras, d’après Hévélius.

Nous ne reproduirons pas ici les conceptions des imaginations débordantes d’alors, mais, à la suite d’Hévélius, une autre opinion vraisemblable se fit jour assez communément : Saturne lui-même tournait et l’on pouvait admettre, en conséquence, que les diverses observations devaient se rapporter à l’examen de ses différentes faces. Au reste, après avoir cru un instant, comme Galilée, que tous les phénomènes étaient accidentels et dépendaient de causes passagères, Hévélius s’arrête encore, en 1656, à designer si phases principales pour Saturne :

Saturnus monosphericus
» trisphericus
» spherico-cuspidatus
» spherico-ansatus
» elliptico-ansatus-diminutus
» elli»ico-an»atus-plenus.

Galilée, Scheiner[4], Fontana[5], ignorèrent donc la véritable nature du système saturnien ; mais on leur doit d’importantes observations, tout comme à Gassendi, Eustache de Divinis[6], Hévélius, Riccioli[7]

Et, maintenant, quelles étaient les explications plausibles de ces phénomènes ?

Galilée crut à trois corps… ou à des illusions d’optique ; Riccioli imagine que Saturne est entouré d’une armille mince, plane, elliptique, adhérente en deux points à la planète, qui tournera avec elle pour cesser d’être visible en se profilant sur Saturne — hypothèse analogue à celle d’Hévélius ; Hodierna[8] suppose que Saturne est ovoïde et que deux énormes taches, par la rotation, peuvent venir l’obscurcir sur les bords (?) ; Roberval attribue la présence de l’appendice de Saturne à des vapeurs plus ou moins denses s’échappant, sous l’action du soleil, de la zone torride de la planète, et admet que ces nuages émanés de l’équateur restent suspendus à une certaine distance de Saturne — ils devraient par suite se présenter sous la forme générale d’un cercle qui s’offrirait à nous avec une apparence elliptique, « Roberval, dit Delambre, n’avait fait que la moitié du chemin ; observant peu, il ne put compléter son explication[9] ».

Dès le 6 juillet 1656, dans une longue lettre à Huygens, G. P. de Roberval dit, notamment :

J’ai aussi pensé une hypothèse qui me satisfait fort bien, touchant les diverses faces du même Saturne, quoiqu’en conséquence de votre lune (Titan), il doive se mouvoir sur son centre en moins de 24 de nos heures ; mais, comme je ne fais point de secret, je l’ai communiquée publiquement (en grand auditoire de doctes) dans la même chaire (royale) ; je vous la manderai si vous le désirez.

Dans une lettre du 5 juin 1655, à Fr. Van Schooten[10], on trouve les phrases suivantes que Huygens avait tâché de convertir en anagramme :

In Saturno novilunia recurrunt post dies sexdecim cum sextante.
Saturnum sua luna circuit diebus sexdecim cum sextante.
Luna bis octonis Saturnia regna diebus lustrat.

et, le 13 juin 1655, il écrit à John Wallis, puis à G. A. Kinner

ADMOVERE OCVLIS DISTANTIA SIDERA NOSTRIS,
VVVVVVVCCCRRHNBQX.

dont il faut ainsi rétablir le sens

Saturno luna sua circunducitur diebus sexdecim, horis quatuor.

Puis, le 6 novembre, à son frère :

Ma lunette n’est pas trop à ma fantaisie, étant sujette à se courber et à s’affaisser quand elle n’est soutenue que par un endroit. Il faudra trouver quelque remède à cela. On ne la connaît encore ici (Paris) que de renommée, personne ne l’ayant encore essayée. Mais tous étans informés par moi du Satellite Saturnien, et de sa période, ils ne peuvent nier que ma lunette ne l’emporte sur toutes celles qui ont jamais été.

Il donne à Wallis l’explication de son anagramme, le 15 mars 1656, après la publication d’un opuscule relatif au satellite de Saturne : ils échangent un autre anagramme, avec les nombres de lettres seuls, que Huygens ne peut déchiffrer. Puis, dans sa lettre à J. Chapelain du 8 juin 1656, il établit bien sa priorité sur cette découverte :

Je le suis davantage (redevable) que vous ne savez Monsieur, et ne vous dois pas seulement remercier du soin que vous avez eu de ma gloire en débitant ma nouvelle observation dans vos illustres assemblées et la communiquant à M. de Montmor de qui vous m’avez appris à connaître le mérite, mais aussi de ce que vous êtes cause que l’on ne m’ait pas prévenu dans la publication de cette nouvelle découverte. Car après que j’en eus envoyé des exemplaires en Angleterre, l’on m’a fait entendre que presque en même temps, l’on avait remarqué la même étoile en ce pays là, et que sa période était de seize jours. Mais leur industrie qui autrement aurait pu obscurcir la mienne, ne sert à cette heure qu’à prouver que ma relation est véritable. Je l’avais aussi fait savoir à M. Hévélius qui a eu de la peine à le croire n’ayant pas d’assez bonnes lunettes pour en être rendu témoin oculaire.

D’ailleurs, notamment dans une lettre du 22 juin 1656, Hévélius le complimente sur ses déterminations du satellite de Saturne et, le 12 juin, un correspondant inconnu écrit à J. Chapelain :

Je sais de bonne part qu’il s’en est tout à fait expliqué (du système de Saturne) au seigneur Fontana particulièrement sur le sujet de la nouvelle lune savoir si son mouvement est ou n’est pas perpétuel et qu’il ne lui disait rien qu’il n’assurait être conforme à ce qu’en tenaient Galilée et Hévélius lesquels il protestait être très fermes et très éclairés dans l’intelligence du Monde Saturnien ne reconnaissant aucun principe de mouvement que celui qui était dans le Soleil lequel s’est manifesté et fait sentir en cent mille façons parmi les Éléments.

La question n’est pas encore entièrement élucidée et de Roberval écrit à Huygens le 6 juillet 1656 :

J’ai montré à plusieurs votre écrit touchant la lune de Saturne mais j’ai fait bien plus, car je l’ai publié en vous nommant, dans la chaire royale, en grand auditoire de doctes attirés pour entendre l’opinion d’Aristarque, que j’expliquais publiquement : je n’en ai pourtant parlé que comme d’une observation qui s’éclaircirait avec le temps, et qui méritait bien de suspendre son jugement jusqu’à ce qu’elle fut entièrement confirmée.

Mais de Roberval ignorait, il est vrai, la confirmation des observateurs anglais en ce qui concerne Titan et, pour préciser, Huygens lui mande le 20 juillet :

Je tiens à beaucoup d’honneur que vous avez voulu faire connaître mon nom à une assemblée si illustre, qu’a été votre auditoire. Quant à la vérité de ma relation touchant la lune de Saturne, j’espère que dorénavant vous ne l’aurez plus pour suspecte puisque ce n’est plus moi seul qui l’ai vue. Presque en même temps on s’en est aperçu en Angleterre, et même remarqué sa période de seize jours. C’est ce que le professeur Wallis m’a écrit d’Oxford, et me le démontre par l’explication d’un anagramme qu’il m’envoya aussitôt que je lui eus envoyé le mien, qui contenait cette observation[11]. Hévélius n’a pas d’assez bonnes lunettes pour voir cette nouvelle étoile qui pourtant m’a aussi depuis peu envoyé un autre anagramme qui cache quelque nouveau phénomène de Saturne.

Il précise ses connaissances dans une lettre à R. Paget[12] (juillet 1656) et la possibilité d’observation des satellites et des détails planétaires suivant la puissance de la lunette (lettre à J. Chapelain (?) de la même époque). Enfin, il s’entretient de Titan dans une correspondance assez suivie avec R. F. de Sluse[13] et sa découverte ne fait plus de doute pour personne ; peu de lunettes, cependant, étaient déjà susceptibles d’apercevoir ce satellite, et, le 19 octobre 1687, J. Chapelain (?) lui écrit :

Car pour ce dernier (le Système de Saturne), ayant vu passer le mois d’avril que vous aviez pris pour terme, sans que vous m’eussiez fait savoir si le ciel vous avait confirmé dans l’opinion qu’il y avait une lune qui tournait autour de cette planète si éloignée de nous ; je vous avoue que je commençais à me défier de l’observation que vous en aviez faite, et que j’avais regret à vous avoir conseillé d’en publier la découverte dans la crainte que le Monde, n’y trouvant pas la réalité qu’il s’en était promise, ne vous blâmât d’avoir été trop léger à la croire, et à l’assurer. Mais l’entretien que j’ai eu avec notre Ami (M. Boulliau) sur cette matière a dissipé toutes mes appréhensions, et m’a donné une joie extrême de voir que votre Télescope ne vous avait point trompé, et qu’il vous avait fourni de quoi accroître si notablement la Science des Astres. Il m’a ravi en m’assurant que non seulement vous aviez retrouvé votre Lune, mais que vous en aviez encore observé le cours, et que vous aviez marqué au juste le temps de sa révolution autour de sa Planète. Il m’a dit que vous la lui aviez fait voir plus d’une fois très distinctement, et que c’était désormais une chose constante, et hors de tout soupçon d’erreur…

Et bien qu’il n’y ait que 26′ d’écart entre les plans de Titan et de l’anneau, alors seulement soupçonné, nous voyons Huygens dire à Boullian, le 26 décembre 1657 :

Le satellite ne semble pas suivre toujours le plan de cet anneau qui est parallèle à l’Équateur, mais quelque autre ; ainsi qu’il en arrive de même à notre lune.

(À suivre.)

Jean Mascart.



  1. Cependant Fontana, à Naples, fait, en 1645, un croquis sur lequel les deux anses sont très nettes, deux arceaux étroits avec deux petits globes aux plus grandes élongations : toujours l’obsession des satellites ; il mentionne les changements de formes et parle de croissants attachés au corps de Saturne.
  2. Il est étrange que Riccioli, dont les dessins sont souvent très précis depuis 1648, n’ait rien soupçonné après avoir frôlé la vérité de bien près comme on peut le voir dans son traité : Almagestum Nuvum, Bologne, 1651.
  3. Johann Hœwetke (Johannes Hevelius) naquit à Dantzig le 28 janvier 1611, et y mourut à la même date de l’année 1687. Il fut échevin (1641), ainsi que conseiller (1651) de sa ville natale, et y fonda (1641) son observatoire Stellæburgum, qui fut détruit par un incendie le 26 novembre 1679.
  4. Christoph Scheiner, né en 1575 à Walda (Souabe), mourut le 18 juillet 1650 à Neisse. Il était jésuite, professeur d’hébreu et de mathématiques à Fribourg en Brisgau, puis à Ingolstadt (1610-1616), plus tard à Rome, enfin recteur du collège des jésuites à Neisse. Il est surtout connu par ses écrits sur les taches du soleil et les satellites de Jupiter, par la description d’un halo solaire observé à Rome le 20 mars 1629 et par l’expérience optique qui porte encore aujourd’hui son nom.
  5. Son vrai nom est Matthias Hirzgarter ; naquit à Maschuanden (Zurich) le 28 novembre 1574 et mourut à Zurich le 9 février 1653. Depuis 1633 il était pasteur à Zollikon (Zurich) ; il publia divers ouvrages astronomiques, connus d’Huygens qui cite son nom dans sa correspondance.
  6. Eustachio Divini (de Divinis), naquit à San Severino vers 1620, et habita Rome, où il vivait encore en 1663. Émule de Campani, il excellait à faire des télescopes. En 1660 on le trouve en polémique avec Huygens.
  7. Giovanni Battista Riccioli naquit à Ferrare le 17 avril 1598 et mourut à Bologne le 25 juin 1671. Jésuite depuis 1614, il professa les Belles-Lettres, la philosophie et la Théologie à Parme et à Bologne. Puis il se versa à l’Astronomie.
  8. Giovanni Battista Hodierna (quelquefois = Odierna = Adierna) naquit le 15 avril 1597 à Ragusa et mourut le 6 avril 1660 a Palerme. Il était archiprêtre à Palerme, mathématicien du duc de Palma, et s’adonnait aux sciences physiques et naturelles. Il observa en 1652 les satellites de Jupiter, fit usage du prisme, et l’on prétend qu’il connut le spectre solaire. Il découvrit les fonctions de la reine-abeille et analysa l’œil de la mouche.
  9. Un des ouvrages les plus intéressants qui ait été écrit sur cette époque, et qui nous fait connaître quelques pièces importantes conservées à la Bibliothèque Nationale de Paris, a pour titre : Henry — Huygens et Roberval.
  10. Frans van Schooten, le fils du professeur de mathématiques du même nom, naquit à Leiden vers 1615 et y mourut en janvier 1681. En 1646 il succéda à son père comme professeur de mathématiques à l’École des ingénieurs, dépendant de l’Université de Leiden. Il eut pour successeur son frère Petrus (1661-1679). Il a été le précepteur de Christian Huygens et de Johan de Witt.
  11. Il s’agit ici d’une petite supercherie que Wallis avoua peu après à Huygens.
  12. Robert Paget, Magister Artium, a occupé la Chaire presbytérienne à Dordrecht de 1638 à 1685, quoiqu’on l’eut appelé à Amsterdam et à Utrecht, où il mourut : c’était un homme très savant et un ami des de Witt.
  13. René-François de Sluse, fils du notaire Renard de Sluse et de Catharine Walteri, naquit à Vise le 2 juillet 1623 et mourut à Liège le 19 mars 1685. Ayant fait ses études à Louvain de 1638 à 1642, il devint docteur en droit à Rome en 1643 et resta quelques années en Italie ; il fut reçu chanoine de Saint-Lambert le 1er avril 1651, et en 1666 abbé d’Amay. En 1674 il devint membre de la Société Royale.