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La Douleur (Blanc de Saint-Bonnet)/Chapitre premier

La bibliothèque libre.
Texte établi par Maison de la bonne presse,  (p. 1-5).
LA DOULEUR


PREMIÈRE PARTIE




CHAPITRE PREMIER




la douleur au point de vue de l’infini

L’homme est comme une production de l’être en dehors de l’Infini.

Pourquoi sortir de l’Infini ? comment rentrer dans l’Infini ? c’est là tout le problème de l’homme.

Il doit sortir de l’Infini pour établir son moi et déployer sa personnalité ; il doit rentrer dans l’Infini pour prendre place dans l’éternelle Béatitude.

Car le bonheur est la fin suprême de l’être.

Mais il faut rentrer dans l’Infini sans s’y confondre, et cependant il faut en avoir la nature pour en posséder le bonheur.

Or, la personnalité se déploie en pénétrant dans le mérite, et le cœur se divinise dans l’amour. Le mérite est la forme qui rend l’homme visible au milieu de la Gloire, et l’amour est le signe de race qui doit le réunir à Dieu.

L’amour étant la félicité de l’Infini, l’homme ne pourra participer à la félicité qu’en participant de l’amour. Mais il faudra que l’homme, qui d’abord n’était pas, constitue sa personne, par le mérite, pour contenir cette félicité.

Tels sont les éléments de la formation de l’homme. Et c’est peut-être pour assurer ces deux éléments que l’essence humaine a été, dès l’origine, divisée en deux sexes : l’un surtout doué de force, pour le travail de la personnalité ; l’autre surtout doué d’amour, pour le travail du cœur.

Ainsi toute la destination de l’homme sur la terre est de former sa personnalité en y imprimant le mérite, et de former son cœur en y purifiant l’amour. Il forme la première par la lutte, qui est dans le travail ; il prépare le second par l’amour, qui naît dans la famille et que divinise la foi.

Aussi deux choses remplissent toute son existence : le travail et la famille. Travailler et aimer, on n’accomplit pas d’autres fonctions ici-bas. L’homme sort de chez lui pour lutter, et il rentre de la lutte pour aimer.

Il lutte, pour établir son moi et sa personne ; il aime, pour ouvrir son cœur à la félicité. Douleur et amour, l’homme ne connaît que deux soupirs !

De là les guerres, les maladies et l’universelle misère : tout ce qui peut multiplier l’effort. De là, la société et les affections disposées le long de la vie : tout ce qui peut assurer l’amour. Notre corps même ne laisse sur ses traces que des larmes et des sueurs.

De là, pareillement, deux joies ne sauraient être ôtées de l’âme, toujours vivante sur deux points : la joie qui s’attache à la personnalité, et la joie qui relève du cœur, l’amour-propre et l’amour.

Celui qui, appartenant à d’autres cieux, viendrait pour la première fois sur la terre, y verrait effectivement deux faits universels se lier à l’existence de l’homme : le travail et la famille ; deux choses remplir toute sa vie : la peine et les affections. Aux yeux de l’observateur, ces deux grandes conditions de la vie humaine dans le temps indiqueront toujours le but de cette vie au delà du temps.

Il faut que l’homme ait la vie de l’Infini, mais qu’il y entre sans s’y confondre. Il semble que le but de la création, par rapport à l’homme, est d’éviter que sa nature ne s’absorbe dans l’Infini, ce qu’on obtient par le mérite ; puis de rendre cette nature capable de goûter l’Infini, ce qu’on obtient par l’amour.

L’homme viendra puiser ici-bas un principe de distinction par le mérite, qui lui devient propre, et un principe d’union par l’amour, qui doit le réunir à ce qui est éternel. Car l’Infini existe par lui-même ; de plus, il vit de l’amour de ses trois ineffables Personnes : l’être appelé dans l’Infini devra donc se rapprocher de cet ineffable nature. Il est tenu de traverser les lois même de l’Être : rien ne saurait le dispenser de ces conditions glorieuses. Mais, par suite de sa faiblesse, il ne peut réaliser que dans un ordre chronologique ce qui en Dieu s’opère dans un ordre logique infini, éternel et indivisible.

Dès lors, tout ce qui pourra purifier et déployer la personnalité, ou augmenter la vie de l’amour, conduira l’âme à ses destinées absolues. Mais un fait qui favoriserait en même temps la personnalité et l’amour serait le fait inséparable de la condition humaine, le grand auxiliaire de la création.

Or, à côté de la famille et du travail, on voit le fait mystérieux de la douleur.