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La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-05

La bibliothèque libre.
Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 128-134).

CHAPITRE V


La jeune barine. — Les coiffeuses. —
Un miroir vivant



Q uand la gouvernante, guérie de ses meurtrissures, reprit son carnet et sa nagaïka, elle se vengea férocement du plaisir que nous avions manifesté en la voyant fustiger aussi sévèrement. Elle n’infligeait que la dose fixée par la maîtresse, mais elle mesurait ses coups de façon à les détacher avec une précision redoutable, atteignant le coin visé, les espaçant pour faire durer le supplice. Quand elle avait appliqué vingt-neuf coups de cordes avec ce raffinement de cruauté, les croupes les plus dures étaient en sang.

Quand le bain était pris et les corrections infligées, les baigneuses emportaient leur maîtresse dans le cabinet de toilette attenant à la salle. Là, c’était le tour des habilleuses qui portaient un vêtement de circonstance. Nous étions toutes vêtues d’un peplum en flanelle uniformément coupé.

Ce peplum était disposé de façon que la correction pût être immédiate. Le haut du corsage était ouvert en carré suivant la taille de la porteuse. La gorge s’étalait sur le bord, émergeant toute entière. Le vêtement était fendu par derrière depuis la ceinture, de sorte qu’on n’avait qu’à écarter les pans pour que les fouetteuses eussent le postérieur sous la main de la maîtresse. La lectrice, soumise aux mêmes corrections, portait le même vêtement.

Dès que la jeune barine, que nous avions portée dans sa chambre, était revêtue de sa matinée, ce qui devait marcher rapidement, car elle nous excitait par des taloches, des bourrades à poing fermé, des pincées à vif, elle courait à la chambre de sa mère pressée d’assister à la toilette de la boïarine où elle trouvait à chaque instant l’occasion de satisfaire ses penchants cruels.

Nous allions la rejoindre après avoir endossé la tenue réglementaire et chaussé des feutres. Elle ne nous permettait de passer notre peplum que lorsqu’elle n’avait plus besoin de nos services et nous étions toutes employées à la toilette de la boïarine.

C’était d’abord le tour des coiffeuses. La dame, confortablement assise dans un fauteuil au dossier peu élevé, enveloppée dans un peignoir de satin, livrait sa chevelure de soie dorée aux mains des spécialistes qui avaient fait leur apprentissage aux dépens de leur croupe chez une modiste de la ville.

Les coiffeuses non plus ne sortaient jamais indemnes de cette séance. Il leur aurait fallu une adresse de fée et encore avec l’adresse, le pouvoir de se rendre invisibles et impalpables pour se soustraire aux effets de la colère stupide de leur maîtresse. Quand le démêloir tirait un peu sur les cheveux de cette mégère, elle prenait la coiffeuse par cette petite mèche qui s’enroule en tire-bouchon à la hauteur de l’oreille, et elle la secouait, la tête allant de droite à gauche à la faire pleurer. Quelquefois c’était par les oreilles qu’elle les prenait, les pinçant dans ses doigts en les secouant. Le plus souvent c’était la pantoufle qui cinglait la joue ou la gorge. Ces deux soufflets d’une semelle de cuir étaient très douloureux.

Une jeune fille, à genoux devant la boïarine, lui servait de psyché vivante, élevant ou inclinant une grande glace ronde qu’elle tenait dans ses mains, les coudes repliés, la présentant au gré de sa maîtresse. Quand les bras fatigués refusaient leur service, la dame l’encourageait par une gifle qui lui faisait enfler la joue ou bien c’était la semelle de la pantoufle qui la souffletait ou qui cinglait les seins à découvert. La joue ou les seins en gardaient la trace marquée en rouge toute la journée.

La pauvre fille était obligée de tenir ainsi la glace tout le temps que les coiffeuses passaient à édifier la chevelure de la maîtresse. Il était bien rare que la psyché vivante, à moins que ce ne fût une fille vigoureuse, s’en tirât sans recevoir le fouet. La séance de coiffure était toujours très longue, la dame n’était jamais satisfaite et l’on était souvent obligé de remplacer la porteuse de miroir. Alors c’était ordinairement vingt-neuf coups de martinet ou de nagaïka qui attendaient la croupe de la fille trop faible pour rester une heure à genoux.

Une grande fille de chambre très vigoureuse qui n’avait jamais faibli dans ses fonctions de psyché vivante, se moquait des faibles filles qui ne pouvaient pas rester aussi longtemps qu’elle dans cette fatigante posture. Un jour il lui arriva à elle aussi de trouver la séance un peu longue, ses bras faiblissaient, la psyché n’était plus d’aplomb. Paf ! une gifle sonore la renverse.

Elle se relève, présente de nouveau la glace mais ses bras tremblent, la pantoufle vient cingler la joue déjà giflée qui enfle démesurément et la fille qui sanglote est obligée de reprendre ses fonctions. Mais elle a beau faire, elle n’y est plus et la semelle de la pantoufle voltige sur la gorge, cinglant les seins nus qui sont bientôt d’un rouge vif. Les larmes sillonnent ses joues, elle est absolument incapable de rendre le moindre service, on doit lui donner une remplaçante. Mais auparavant on va lui faire payer cher sa faiblesse.

Elle dut s’agenouiller ; on écarta les pans du peplum et la croupe apparut toute nue. La maîtresse qui n’appliquait ou ne faisait appliquer d’habitude que vingt-neuf ou trente-neuf coups de nagaïka lui donna elle-même sans compter de cinquante à soixante coups de corde.

Elle avait voulu donner une leçon à la grande fille qui se moquait de ses compagnes moins vigoureuses qu’elle et elle la lui donna d’inoubliable façon.

Deux jeunes serves — j’ai souvent rempli cet office — étaient à genoux devant la maîtresse pour lui passer ses bas de soie et lui mettre ensuite ses souliers. Il fallait faire la chose bien délicatement, car au moindre heurt elle vous giflait avec sa terrible pantoufle qui vous faisait cuire la peau pendant des heures.

Elle s’amusait aussi dans ces moments-là à nous bousculer d’un coup de pied qui nous envoyait rouler le derrière en l’air. Elle nous montrait alors du doigt à sa fille, lui recommandant d’aller châtier cette fille de chambre qui osait se montrer dans une posture aussi indécente.

La jeune barine n’avait pas besoin d’une telle invite pour s’offrir un régal de son goût et elle ne manquait pas d’aller appliquer une douzaine de coups de verge secs et durs qui laissaient la peau fumante et une cuisson qui durait plusieurs heures. La maladroite avait alors la permission de se relever, mais elle était obligée de se remettre à sa besogne avec l’enfer au derrière.

Ce jeu-là, quand la maîtresse était de méchante humeur, se renouvelait cinq ou six fois. C’était alors une véritable fête pour la jeune barine.

En dehors de ces corrections, infligées pour des flagrants délits, la toilette ne s’achevait pas souvent sans que quelque fille de chambre, coupable d’une maladresse qu’elle croyait passée inaperçue, reçût vingt-neuf ou trente-neuf coups de corde sur ses fesses nues des mains de la maîtresse ou de la jeune barine. Elles châtiaient la délinquante au moment de nous congédier.

Plus d’une qui croyait s’en aller indemne parce qu’elle n’avait pas reçu de bourrade pendant la toilette s’entendait appeler par son nom. Cet appel donnait toujours le frisson à celle qu’il désignait. Elle savait ce qu’on lui voulait. Elle devait se trousser elle-même, tenant les deux pans de son peplum écarté et présenter son derrière nu aux cordes qui lui tannaient la peau, ce qui ne la dispensait pas d’aller comme les autres à sa besogne en sanglotant et le feu au derrière.

Ma mère dirigeait la lingerie, je n’étais donc pas exposée à lui voir donner le fouet comme le jour où on la flagella si cruellement devant moi.