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La Grande guerre ecclésiastique/03

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À SA GRANDEUR
MONSEIGNEUR IGNACE BOURGET
Évêque de Montréal

Séparateur


Montréal, 14 décembre 1872.


Monseigneur,


Les renseignements que j’ai reçus de diverses parties du pays, et surtout de ce Diocèse, sur les injures que nombre de curés et de vicaires se sont permis d’adresser du haut de la chaire, pendant les dernières élections, aux candidats qui ne leur convenaient pas, me paraissent justifier non seulement une nouvelle constatation de faits de ma part vis-à-vis de V. G., mais exiger aussi que je lui présente sous un nouveau jour la situation qu’Elle nous a faite par une tactique qui est devenue trop transparente pour que nous ne la comprenions pas enfin telle qu’elle est.

Disposés comme nous l’étions à croire à la sincérité des supérieurs ecclésiastiques dans les mandements où ils recommandaient la neutralité au Clergé, nous avions eu la bonhomie d’espérer, en 1867, que la constatation publique de faits nombreux d’intervention hautement répréhensibles de la part des Curés, en chaire, dans les élections de députés, déciderait les autorités ecclésiastiques à faire cesser cet abus. Les dernières élections nous ont montré combien il est illusoire de compter sur l’esprit de modération des ecclésiastiques, et surtout sur leur esprit de charité. La tactique du Clergé semble être de briser ou d’être brisé, et nous voyons qu’il nous faut accepter cette alternative. Je viens aujourd’hui dire à V. G. en quel sens moi pour un je l’accepte. Puisque la guerre que l’on nous fait est implacable, la défense doit découler de la nature de l’attaque, et puisqu’on nous représente partout comme des gens sans aucune espèce de principes, je ne vois pas après tout pourquoi nous ne montrerions pas un peu, de notre côté, ce qu’est, dans la vie intime et secrète, ce Clergé qui parle tant de ses principes et fait proclamer si haut ses vertus. Qu’il ait des vertus, il serait injuste de le nier ; mais qu’il y fasse, bien plus souvent qu’on ne le croit généralement, de terribles brèches, voilà ce que je me ferais fort de prouver sans dénégation possible.

Que l’intervention du Clergé dans les luttes politiques, surtout dans l’enceinte de l’Église, soit un abus grave, il existe trop de mandements d’Évêques éminents de diverses parties de la catholicité la définissant ainsi pour qu’il soit nécessaire de faire de la logique pour le démontrer. Et ceux qui pensent ainsi sont vraiment les hommes sages et réfléchis dans l’épiscopat ; pendant que nous voyons trop souvent que ce sont ceux qui ne sont ni réfléchis ni sages qui parlent autrement ?

Le simple bon sens dit que le pasteur éloigne de lui ceux avec qui il se met en antagonisme et auxquels il inflige un blâme violent en public parcequ’ils exercent leurs droits de citoyens sans le consulter ou contre son avis. Ce blâme ne serait-il pas violent dans la forme, qu’il est encore répréhensible en droit canonique du moment qu’il y a quelqu’un publiquement désigné dans une église à l’attention de ses voisins d’une manière défavorable. Ceci est trop élémentaire en droit ecclésiastique pour que V. G. ne l’admette pas. Et ce qui est aussi évident, c’est que l’influence indue que le Clergé exerce au nom de la religion dans les affaires temporelles, vicie tout le système constitutionnel, nullifie pratiquement les institutions libres, met en quelque sorte tout le système politique entre les mains du Clergé ; et l’on a vu cent fois ce que le Clergé sait faire des peuples qu’il contrôle. Il n’est satisfait de son œuvre que quand il les a amenés à croupir dans l’ignorance et la superstition.

Je comprends que je puisse paraître importun à ceux que je vois si peu disposés d’être justes. Je comprends surtout que je n’ai que mauvais vouloir et souvent haine violente à espérer de ceux auxquels je me permets de rappeler les devoirs qu’ils violent si souvent dans l’intérêt de leur suprématie temporelle. Je me suis depuis longtemps convaincu que l’autorité ecclésiastique aime encore moins que l’autorité laïque à s’entendre dire franchement et fermement la vérité ; mais ce n’est pas là une raison pour se taire quand des circonstances graves exigent que l’on rompe le silence.

J’ai d’ailleurs de trop grands exemples devant les yeux pour reculer devant un devoir ou l’exercice d’un droit. Je vois trop souvent les ecclésiastiques s’obstiner dans leurs torts les plus évidents pour céder la moindre parcelle de mon droit le plus certain, celui de dire la vérité quand l’occasion le requiert. L’été dernier même, un de mes amis entendait un curé du diocèse de Trois-Rivières dire en chaire à ses paroissiens : « Vous savez, mes frères, que nous ne nous rétractons jamais ! » Je savais cela depuis longtemps, mais je n’en avais jamais entendu ni lu l’aveu. Et V. G. me permettra bien de lui dire que j’ai pu difficilement ne pas reconnaître un peu ses propres habitudes dans la sentence peu adroite que je viens de citer. Mais il n’en devient que plus nécessaire de rappeler leurs torts à ceux qui proclament ainsi leur détermination bien arrêtée de ne pas les admettre.

Ce qui s’est passé ces derniers mois même à propos du décret de Rome sur la longue lutte de V. G. contre la maison de St. Sulpice démontre assez nettement ce que je dis ici. Dès l’arrivée de ce décret que V. G. savait pourtant avoir un caractère évident de finalité, n’a t-elle pas, si je suis bien informé, fait de nouvelles représentations à Rome pour en arrêter l’effet ? Et n’a-t-il pas fallu que l’on fit signifier de Rome à V. G. qu’elle ne serait plus reçue à prolonger une résistance qui n’avait plus de raison d’être ; et qu’il ne lui restait qu’à se soumettre ? Voilà un bien grand mot, Mgr, dont nous avons beaucoup entendu parler, mais que, si j’en crois l’information apparemment très sûre que l’on m’a donnée, V. G. semble bien plus prêcher de parole que d’exemple. Les prétextes que V. G. a imaginés pour reporter à Rome une affaire jugée, font rire les hommes sérieux et démontrent bien clairement combien il Lui est impossible de céder jamais sur quoique ce soit !

Au reste cet avis donné à V. G, si semblable à celui que j’ai reçu à son instigation, a procuré, je dois le dire, un moment de satisfaction à ceux à qui l’on en a dit autant quoiqu’on se fût soigneusement abstenu de juger régulièrement leur cause. V. G. au moins ne s’est vue condamner qu’après plusieurs années d’une lutte ou les deux parties ont été longuement et contradictoirement entendues, pendant que nous avons reçu la notification d’une condamnation avant tout avis de l’accusation nouvelle que l’on avait adroitement substituée à la question soumise. Or nous sommes, nous, des rebelles et des impies dignes de toutes les foudres ecclésiastiques pareeque nous avons regardé comme non avenue une prétendue décision qui n’était qu’une fraude judiciaire parfaitement caractérisée[1] aux yeux de ceux qui savent ce que c’est qu’une procédure et savent ce que c’est que la justice ; mais V. G. qui s’obstine contre un jugement qui a décidé les questions au lieu de les écarter comme avec nous, et qui, par les retards qu’Elle apporte tant à la publication qu’à l’exécution du décret, semble disposée à résister même à ses supérieurs jusqu’à son dernier souffle, V. G. dis-je, nous parle toujours de soumission comme si elle en était un exemple ! Nous éprouvons donc un certain plaisir, Mgr, à constater que nous ne sommes pas les seuls orgueilleux en Canada. Je viens de lire, sans doute, la lettre de V. G. au Rév. P. Lopinto. Ce sont là de vraies paroles d’obéissance, mais on aimerait à les voir confirmer par des actes, et ce qui se passe à propos du décret montre que l’acte dément un peu trop la parole. Et d’ailleurs un prêtre ne vient-il pas de nous apprendre que c’était l’orgueil qui avait perdu les prêtres des séminaires de St. Sulpice et de Québec ? Nous voilà donc, Mgr, en très grande et très illustre compagnie. Et pourtant n’aurions-nous pas eu quelque droit, nous les prêchés, de demander une petite portion de l’indulgence que les prêcheurs s’accordent réciproquement depuis si longtemps ? Ceux qui doivent l’exemple aux autres sont pourtant au moins aussi coupables de s’adonner à l’orgueil que ceux qui doivent suivre leur exemple. Or il y a vingt ans, trente ans, nous informe-t-on, que l’orgueil perd tous ces prêtres, et voilà la première fois que nous en entendons parler ! Toujours des compliments et des éloges réciproques sans fin ! Jusqu’à ce qu’on se fût querellé, nous n’entendions jamais parler que de saints prêtres ! Comment donc la sainteté a t-elle pu subsister côte à côte avec l’orgueil pendant tant d’années ? Mais ce que nous appelons l’orgueil ecclésiastique existe donc ailleurs que dans notre imagination insoumise ! C’est un prêtre qui se charge de nous indiquer où il est en mettant les points sur les i !

Je me permettrai de rappeler à V. G. un fait très frappant aussi. Au Concile du Vatican, les Évêques qui formaient la glorieuse minorité qui a défendu le droit et la tradition, et qui, quoiqu’au nombre de 226 seulement, n’en représentaient pas moins près des deux tiers de la catholicité et sa portion la plus éclairée, les Évêques de la minorité, dis-je, ont cru devoir faire, tant sur les questions elles-mêmes que sur l’ordre de procédure adopté, des représentations énergiques et souvent réitérées auxquelles la très-sainte curie romaine n’a jamais fait la moindre attention. Les Évêques n’en faisaient pas moins de temps à autre leurs protestations motivées contre l’écrasante tactique inventée par la sainte curie pour étouffer le droit de la minorité et emporter d’assaut une doctrine condamnée par toute la tradition et que tant de catholiques instruits et sincères repoussent. Il y en a bien des millions aujourd’hui, Mgr, qui pensent comme St. Bernard : Quis nobis dabit videre Ecclesiam sicut erat diebus antiquis.[2]

Eh bien, je lis dans toutes ces protestations cette constante remarque que l’on savait bien à l’avance qu’aucune réponse ne serait faite, mais que l’on était tenu de parler « pour repousser les terribles responsabilités que la très-sainte curie assumait aux yeux du monde et en présence de Dieu »

Il faut donc toujours parler, Mgr, surtout quand les supérieurs ecclésiastiques sont bien plus occupés des intérêts de la hiérarchie que de la justice envers autrui. Et j’ose espérer, qu’après ces illustres exemples, V. G. ne me reprochera pas mon insistance à lui dire la vérité. Il m’est certainement plus permis de faire des représentations exigées par les circonstances et par les inconcevables écarts de certains prêtres, qu’il ne l’est à V. G. de s’obstiner à repousser, ou à éluder sous les plus futiles prétextes et par des fins de non recevoir qui font pitié à un homme d’affaires, un jugement définitif de ses supérieurs. Votre Grandeur étant de ceux qui ont aveuglément consenti à concentrer entre les mains du Pape tous les pouvoirs de l’épiscopat, et cela au point de ravaler pratiquement l’épiscopat comme corps à n’être plus qu’une institution de droit ecclésiastique et non de droit divin, Elle devrait au moins montrer avec empressement l’exemple de la soumission aveugle qu’elle exige des autres.

J’ai enfin une autre raison que je regarde comme très péremptoire.

Au moyen de l’intimidation ecclésiastique, de l’abus de l’influence qu’Elle possède comme Évêque dans une population façonnée de longue main à l’adulation des personnes ecclésiastiques ; au moyen de cette éternelle et anti-chrétienne tactique des clergés ultramontains d’obliger les consciences ignorantes aussi bien sur les questions de l’ordre temporel que sur celles de l’ordre spirituel ; au moyen enfin des refus d’absolution que V. G. sous un faux prétexte de religion, ordonnait à son Clergé de faire à ceux qui recevaient un journal dont la politique ne lui convenait pas, et qu’Elle prétendait être immoral simplement pour colorer d’un prétexte spécieux une hostilité que rien de sérieux ne motivait (ce que prouvent de reste les sept longues lettres si malheureuses de fond et de forme qu’elle adressait en 1862 à la rédaction du Pays); Votre Grandeur a réussi à bâillonner moralement la presse locale en effrayant les journalistes. Ceux-ci, ayant affaire à des abonnés dont la majorité a été faite esclave au point d’accepter comme vérité de salut la très fausse idée que l’on ne doit pas résister publiquement au prêtre même quand il s’égare, ont cru de bonne tactique de céder momentanément sous une pression cléricale dont le caractère essentiel était l’antagonisme implacable contre toute indépendance de caractère et toute liberté de penser en dehors du cercle étroit de l’index. Cette incompréhensible tactique de reculade devant une tyrannie morale qui a eu dans ce pays une si désastreuse influence sur l’ordre politique et la prospérité générale, ne leur a servi qu’à se faire écraser de plus en plus, et à voir le Clergé se moquer d’eux par dessus le marché. « Nous les avons fait taire, profitons en. » Voilà non-seulement ce qui se dit mais ce qui se fait. Et les journalistes ne tarderont pas à s’apercevoir qu’ils n’ont abouti qu’à laisser river sur notre peuple une chaîne qu’il ne brisera qu’après des luttes sérieuses, terribles peut-être, mais inévitables aux yeux de ceux qui peuvent apercevoir quelque chose au delà de l’horizon du jour. Car jamais encore on n’a réussi, sous quelque système que ce soit, a asservir définitivement la pensée humaine, le plus grand de tous les dons de Dieu. On n’y a réussi qu’en partie quand on forçait les gouvernements, par la crainte de l’excommunication, à se faire persécuteurs et bourreaux ; et je ne vois guère comment on pourrait y arriver aujourd’hui que le laïcisme laisse loin de lui en fait d’intelligence et de savoir le corps qui l’a si longtemps maintenu dans l’ignorance ; aujourd’hui surtout que les gouvernements savent enfin revendiquer leur pleine indépendance vis-à-vis de ce même corps qui les contrôlait autrefois avec tant d’arrogance et d’ambition. Et l’histoire est là pour montrer que plus la compression cléricale est illégitime dans ses moyens comme dans son but, plus les réactions qu’elle provoque sont désastreuses. Mais malheureusement pour les peuples et pour eux mêmes, jamais les leçons de l’histoire n’ont arrêté les Clergés dans leur tactique de tous les temps d’essayer de mouler les institutions sociales sur le régime des collèges qu’ils dirigent. Aux yeux du prêtre, le fidèle doit être comme un enfant dans sa main, exactement comme le moine doit être un cadavre dans la main de son supérieur et « obéir jusqu’au péché mortel inclusivement. V. G. sait où trouver ce beau précepte de morale ecclésiastique.

V. G ayant donc réussi, par des moyens que j’ose regarder comme très douteux en conscience éclairée, à empêcher les journaux de parler de certaines choses que le Clergé n’aime pas à voir débattre en public parcequ’elles éclairent trop les esprits sur un passé que l’on voudrait effacer de l’histoire, et sur des prétentions qui ne soutiennent pas l’examen, il me faut bien m’adresser directement au principal auteur de ce mutisme imposé pour réclamer contre l’abaissement général des caractères que j’observe de plus en plus autour de moi et contre l’odieux système qui le produit. Comme les Évêques du Concile, je n’attends aucun résultat pratique de ma démarche. Je sais depuis trente ans que rien n’agit sur V. G. Je sais qu’Elle est le soldat discipliné de l’ultramontanisme, et qu’à ses yeux le premier devoir d’un catholique, même dans l’appréciation des choses temporelles, est de se dépouiller de la raison que Dieu lui a donnée pour ne s’en rapporter qu’au Pape. L’ultramontanisme a depuis plusieurs siècles cessé de tenir compte du Mundum tradidit disputationibus eorum. Je n’attends donc rien de ma démarche. Mais s’il me faut plus tard, pour raison de légitime défense, en venir à publier avec accompagnement de preuves les faits effroyables dont un si grand nombre de prêtres de ce pays se sont rendus coupables sur le chapitre de la moralité personnelle, l’autorité ecclésiastique ne pourra pas me reprocher de dévoiler tant de faits restés secrets sans l’avoir avertie de mes intentions. Je ne joue jamais que cartes sur table. Et quand je vois tant de prêtres indiscrets, et souvent immoraux, avoir recours à la calomnie en pleine église pour satisfaire un pur antagonisme politique, il me sera certainement permis de dire des choses vraies, quelque pénibles qu’elles soient, pour faire connaître au peuple du pays quel est le vrai calibre moral des calomniateurs. J’en ai déjà touché quelque chose dans ma lettre à M. le curé Rousselot à propos du honteux sermon prononcé dans la chaire de N.-D. en Octobre de l’année dernière, à l’addresse d’un mort illustre qui me touchait de près. J’ai indiqué là une très petite partie des choses que je pourrais prouver, et j’y renvoie V. G.

J’ai donc été informé, Mgr de différents points du pays, que cette année comme l’année dernière, comme en 67, comme en 63 et en 62, nombre de curés se sont permis les plus outrageantes remarques, les plus inexcusables attaques, en chaire, contre les candidats libéraux. Les expressions « rouges » « révolutionnaires, » « communistes, » « ennemis de tout ordre et de toute morale ; » « mauvais catholiques, » « impies, » « renégats, » « ennemis de Dieu et des hommes, » sont tombés de bien des chaires à l’adresse de mes amis politiques. Les ridicules assertions que voter pour un libéral c’était « se jeter tête baissée dans le péché mortel, et conséquemment se rendre indigne des sacrements et de sépulture ecclésiastique » ; c’était « insulter sa religion et renier Jésus-Christ, » ces ridicules assertions, dis-je, se sont produites dans bien des chaires de campagne. C’était aussi un péché mortel que de ne pas soutenir la politique des Évêques qui pourtant nous affirment qu’il n’en ont aucune. Et voilà comment des hommes qui se décorent du titre de pasteurs ravalent la religion au gré de leurs passions et de leur ignorance. Et que V. G. veuille bien ne pas trouver ce dernier mot déplacé et trop dur, car le prêtre même dont je parlais à l’instant nous apprend qu’une ignorance tout à fait déplorable règne chez les membres du Séminaire de Québec. L’assertion m’a paru forte, mais c’est un prêtre sorti de la maison qui me le dit. Or si les membres d’une pareille maison sont ignorants au point qu’un prêtre se sent irrésistiblement poussé par sa conscience — c’est lui qui nous le dit — d’en informer le public, comment ne trouverait-on pas par-ci par-là quelque curé ou vicaire de campagne qui serait affecté du même malheur ? J’ai déjà reproché au Clergé de ce pays un peu d’absence d’études générales et de savoir sur des questions qui le touchent de près, et l’on n’a pas manqué de me traiter d’impie et de maniaque ! En quoi donc étais-je plus impie ou plus maniaque que le prêtre dont je parle, surtout quand je n’avais pas même prononcé le gros mot dont il se sert, mais que j’ai le droit de répéter après lui.

Or nous avons toujours vu avec stupeur qu’aucune espèce de blâme ou de réprimande n’étaient jamais addressés aux prêtres qui se rendaient coupables de ces indécences de langage en pleine église, fait d’autant plus remarquable que l’un des Évêques de la Province, Mgr de Rimouski, subséquemment approuvé par l’Archevêque, vient d’avertir son Clergé que toute intervention politique, en chaire, de la part d’un prêtre, que toute désignation injurieuse, à l’Église, d’un candidat ou d’un parti ; que le conseil ou la défense de voter pour un candidat de la part d’un prêtre dans l’exercice de son ministère, leur étaient absolument interdits ! et, enfin que le mieux, pour les membres du Clergé était de rester complètement neutres, même comme individus, entre les partis. Si Mgr de Rimouski n’a pas eu tort de parler comme il l’a fait, il y a donc des Évêques, et nombre de prêtres en Canada, qui ont de propos délibéré foulé aux pieds toutes les notions de devoir et de conscience. Voilà la cinquième fois en dix ans que ce fait remarquable se produit ; que le Clergé se permet presque partout ce qui lui est absolument interdit ; que des prêtres arrogants ou incapables (et combien y en a t-il) s’arrogent le droit de déverser l’injure à l’Église sur ceux qui ne veulent pas accepter leur direction en politique ; et jamais nous ne voyons les coupables punis ou réprimandés.

C’est un prêtre qui lit un journal en chaire, le commente de manière à montrer la plus grossière ignorance de la politique, et n’en menace pas moins les libéraux de refuser le baptême à leurs enfants et à eux-mêmes les sacrements à la mort ; c’est un autre prêtre qui défend à ses paroissiens d’écouter les libéraux qui viennent représenter leurs candidats et énoncer leurs vues ; c’est un autre qui leur conseille de les chasser à coup de bâtons ; c’est un autre qui les informe gravement qu’écouter seulement un libéral est un péché mortel ; c’est un autre qui, dans un sermon plein de colère et d’insultes, rappelle à ses paroissiens qu’ils sont obligés de soutenir le ministère, coupable ou non, exactement comme on doit soutenir son père ivrogne ou vicieux ; (mais ce même prêtre, l’année précédente, les avait informés qu’ils ne pouvaient en conscience soutenir le ministère libéral qui allait inaugurer l’ère des réformes) c’est un autre qui veut obliger un père à demander pardon à ses enfants du mauvais exemple qu’il leur a donné en votant pour un libéral ; c’est un autre qui ferme violemment la grille du confessionnal à un citoyen de première respectabilité qui lui répond qu’il a voté pour un libéral ! (celui-ci n’y est pas retourné depuis et à qui la faute ? Quel droit avait le confesseur de poser un pareille question à son pénitent ?) c’est un autre qui exige d’une femme sous peine de refus d’absolution qu’elle empêche son mari de voter pour un libéral ; c’est un autre qui, en pleine église, somme Satan, qu’il prétend, en regardant au bas de la chaire, appercevoir au fond des enfers, de comparaître dans l’église et d’en emporter tous les libéraux qu’elle contient ; c’est un autre enfin qui informe une femme enceinte de huit mois que si son mari vote pour un libéral, l’enfant qu’elle porte sera maudit et malheureux toute sa vie !  !  !

Voilà les abominations dont certains prêtres se rendent coupables ! Voilà comme ils abusent impudemment des choses saintes ! Voilà comme ils trompent les ignorants au nom de Dieu ! Or de deux choses l’une : ou ces prêtres n’ont pas la foi qu’ils prêchent et se moquent des choses les plus sacrées, ou ils sont dans la plus épouvantable ignorance de leurs devoirs.[3] Mais les Évêques ferment toujours les yeux parceque ces excès vont au soutien de la politique qu’ils affirment ne pas avoir ; mais ils savent bien arrêter au premier mot le prêtre qui blâme la politique qu’ils affirment toujours ne pas avoir. On consent même à dire que quelques prêtres ont été blâmés privément de leurs excès en chaire, mais il faut que ce blâme soit singulièrement adouci puisqu’ils recommencent toujours. Et d’ailleurs quel soin l’on prend de cacher aux paroissiens que M. le curé ou M. le vicaire ait reçu une réprimande ! réprimande qui équivaut presque toujours à un encouragement puisqu’il renchérit sur le passé après l’avoir reçue. Ce sont les prêtres libéraux seuls qui ne violentent jamais la conscience de leurs paroissiens. Cela n’indiquerait-il pas qu’ils sont ou plus sincères, ou plus éclairés, ou plus honorables, ou plus consciencieux, ou plus dociles que les autres ? Le libéralisme si anathématisé serait-il donc une cause de moralité même dans l’Église ?

V. G. n’a-t elle pas elle même, dans ses mandements, déclaré que le Clergé devait rester neutre dans les questions politiques ? Comment concilier cette déclaration avec le fait universel de la guerre ardente, acharnée, faite par son propre Clergé à tous les candidats libéraux ? Comment se fait il que sur le chapitre des directions épiscopales relatives à la politique le Clergé se croie si libre de les violer à son gré ? Cela ne prouverait-il pas, par hazard, que l’on parle d’une manière pour sauver les apparences, mais qu’en même temps on marche résolument vers un but que l’on n’avoue pas ? N’est-ce pas d’ailleurs un fait acquis, démontré par un témoignage très précis dans une cause judiciaire d’un district de campagne, que les circulaires secrètes de V. G. au Clergé parlent quelquefois tout autrement que ses lettres pastorales ? Est ce là un échantillon de la sincérité des ecclésiastiques ? La lettre

pastorale de V. G. du 1er Janvier 1853, démontrait déjà ce fait remarquable de secrets pour les fidèles ; et c’est un homme qui fait ces choses qui ose mettre en doute la sincérité des autres ! Mais qu’avons nous donc vu au mois d’Août dernier ?

Les élections arrivées, V. G. qui, d’après ses propres mandements aurait dû rester neutre, fait une vraie déclaration de guerre à M. Cartier par sa lettre sur la question des écoles du Nouveau-Brunswick. Tout le monde le comprend ainsi, et ceux qui suivent toujours l’Évêché sur les questions politiques, se rangent avec M. Jetté, le Nouveau Monde en tête, et il est subséquemment approuvé par V. G !  ! Rien ne vient désabuser le public. Je me permettrai de remarquer ici que j’avais trop suivi V. G. dans son action politique pour croire qu’Elle pût jamais soutenir sincèrement, un libéral, et j’attendais la fin avec impatience.

Or M. Cartier connaît son monde ecclésiastique, car il s’en est servi depuis vingt ans pour consolider son pouvoir, et cela au prix du dépeuplement de son pays, dépeuplement qui était certes loin de donner de la force au Clergé, mais celui-ci persiste à ne pas regarder où on le mène et fait cause commune avec lui. Quelques exceptions se sont manifestées cette année mais ne tiraient pas à conséquence.

Depuis longtemps M. Cartier ne voulait pas entendre parler de l’octroi des régîtres aux paroisses canoniques érigées par V. G. et l’on sait la violente opposition qu’il lui a faite jusqu’à Rome. Or l’action du gouvernement sur la question des écoles du Nouveau Brunswick lui ayant plus que jamais rendu V. G. hostile, il chercha un moyen de refaire en partie sa position qu’il croyait gravement compromise par la lettre de V. G. Il alla donc lui rendre visite et si je suis bien informé, lui faire entrevoir la possibilité d’obtenir les régîtres tant désirés. Rien ne pouvait venir plus à propos pour V. G. qui était alors sous l’effet du profond chagrin que lui avait causé le décret de Rome donnant généralement gain de cause au Séminaire. En obtenant les régîtres il lui semblait donner du même coup sur les doigts de ses supérieurs qui n’avaient pas voulu lui donner raison en tout et partout.

Elle sacrifia donc la question des écoles du Nouveau Brunswick à son désir d’obtenir les régîtres, et moyennant la promesse de travailler à les lui faire accorder, elle donna à quelques personnes le Conseil de voter pour M. Cartier et alla lui faire visite. La Minerve annonça ces faits en leur donnant la tournure exigée par l’occasion et n’a jamais été contredite.

Surpris de cette volte-face inattendue, M. Jetté va trouver V. G. avec deux de ses amis politiques, citoyens marquants et catholiques irréprochables, pour savoir si l’assertion de la Minerve était vraie. V. G. ainsi mise au pied du mur tergiverse d’une manière pénible et fait des réponses qui confondent ces messieurs d’étonnement, au point qu’ils Lui en disent vertement leur façon de penser. Mais ils ignoraient alors complètement qu’on eût fait adroitement miroiter aux yeux de V. G. la grosse affaire des régîtres, et ils étaient à cent lieues de soupçonner qu’après avoir si emphatiquement affirmé la complète subordination du pouvoir civil « aux saintes congrégations romaines, » Elle songeât très sérieusement à se servir de ce même pouvoir civil pour contrecarrer une décision des mêmes « saintes congrégations » qui lui déplaisait. Il paraît que tout le monde doit obéir aveuglément « aux saintes congrégations » à l’exception de V. G. Voilà entre parenthèse le grand exemple de soumission qu’Elle nous donne après nous avoir si durement reproché de ne pas accepter un prétendu jugement qui n’en est un que pour les ignorants et qui n’a jamais été en fait qu’une flagrante iniquité et une moquerie de justice.

M. Cartier réussit donc ainsi avec un peu de savoir-faire, à faire souffler à V. G. le froid et le chaud devant le public. Mais le bon sens du peuple — dont, au dire du grand St. Hilaire, les oreilles sont plus saintes que le cœur des pontifes — le bon sens du peuple ne pouvait fléchir devant pareille exemple, et M. Cartier fut battu malgré son offre tardive des régîtres, et malgré les conseils de la dernière heure donnés par V. G. d’après la Minerve. Mais aussi V. G. eut une décision judiciaire qu’Elle convoitait ardemment pour agir à Rome contre le décret. Reste à savoir comment une décision obtenue sous pareils auspices et que son auteur semble ne pas avoir osé motiver, pourra être suivie de l’effet pratique.[4]

Mais cette singulière complication d’entrevues, de menées secrètes, d’arrangements intimes, d’intrigues inavouées, et de changements de front si subits, ne montre-t-elle pas un peu combien les ecclésiastiques savent encore mieux que les autres faire bon marché des bienséances de position quand leurs petites convoitises sont en jeu ? Et les laïcs peuvent-ils bien facilement s’empêcher de songer combien souvent la franchise et la sincérité doivent se voiler la face dans les coulisses ecclésiastiques ? Depuis près de deux ans d’ailleurs les laïcs n’en sont ils pas rendus à se demander s’ils ne leur faudra pas quelque jour aller mettre la paix parmi les saints ?

Au reste personne n’ignore que la sincérité n’est pas exactement le point saillant des habitudes ecclésiastiques, témoin par exemple les célèbres instructions secrètes du pape Eugène IV à ses légats au Concile de Bâle, leur conseillant de donner le change aux Princes en soumettant au Concile un projet de réforme de la Cour de Rome, « laquelle réforme ne devrait pas être une vraie réforme, mais seulement une ébauche… » mais je me demande toujours sur quel principe évangélique on a pu baser cette consciencieuse diplomatie.

Je viens donc aujourd’hui signifier respectueusement et fermement tout à la fois à V. G. que nous sommes décidés de mettre fin d’une manière ou d’une autre à ce honteux système d’ostraciser les personnes en pleine église au moyen de la calomnie érigée en tactique, et de jeter systématiquement le discrédit sur le seul parti qui compte dans son sein les hommes qui ne sont pas notoirement contaminés par la corruption, l’abus de confiance, le parjure politique, le mensonge officiel, l’autorisation du pillage des deniers publics, et la trahison et la vente de tous les droits du pays. Voilà la peinture vraie du parti que le Clergé a toujours soutenu, et celui qui vous parle ainsi, Mgr, en sait bien long, par les recherches qu’il a faites et les informations qu’il a reçues, sur ce parti et les hommes qui le composent ; et il connaît bien des choses encore secrètes qui montreront bien clairement ce qu’il a toujours été en intention comme en fait. Comme c’est un libéral qui lui parle ainsi, V. G. sera sans doute portée à faire ses réserves sur ce que je lui dis ici ; mais Elle pourrait peut-être repasser dans son esprit ce que lui a dit, pendant les dernières élections, dans cette entrevue à laquelle je viens de faire allusion et dont on a beaucoup parlé dans certains cercles, un des hommes les plus éminents de Montréal tant par son intelligence et son savoir que par sa modération bien connue, et de plus catholique irréprochable.

Quand un homme comme celui-là va jusqu’à rappeler à V. G. qu’Elle apprécie mal la situation politique, qu’Elle ne voit pas où l’on mène le pays, qu’Elle n’a jamais soutenu que les mauvais gouvernements et que le Clergé se prépare de cruelles déceptions par la ligne de conduite dans laquelle il persiste malgré l’évidence des faits et des preuves, il semble que V. G. pourrait au moins se donner la peine de réfléchir un peu sur ce que lui a dit un homme de cette valeur.

Et qu’il soit bien entendu ici que les libéraux, ceux au moins qui sont sérieux et sensés, ne demandent nullement l’aide ni l’approbation du Clergé ! Nous ne demandons que son abstention des luttes politiques, et surtout qu’il ne fasse pas de la chaire un lieu de propagande des principes du torysme et un moyen de couvrir la calomnie contre les personnes du manteau de la religion ! Nous demandons qu’il s’abstienne de l’injure, et de la calomnie des hommes politiques, dans la chaire. Nous lui demandons de respecter la religion qu’il prêche au lieu de la prostituer au soutien d’un parti. Nous lui demandons surtout de ne pas parler d’une manière pour agir ensuite en sens opposé ; de ne pas se dire neutre tout en se faisant partisan fanatique. Après tout, quand nous ne lui demandons que de la sincérité et de la modération, de la charité et le simple bon sens ordinaire, cette demande n’est pas absolument intolérable.

Nous avons souffert bien longtemps l’odieuse conduite d’une grande partie du Clergé vis-à-vis de nous, essayant de le rappeler par la discussion au sentiment des convenances ; et nous avons vu V. G. défendre la réception et la lecture d’un journal qui ne se donnait certainement aucun tort : 1o en répétant ce que tant d’Évêques — et tout dernièrement encore l’illustre Évêque de Perpignan, l’un des hommes sages et éclairés du Concile — ont dit de l’intervention du prêtre dans la politique ; 2o en prenant personnellement à partie devant le public les prêtres qui avaient commis les plus graves écarts publics. V. G. a poussé les choses au point d’intimider le journalisme, qui ne vit, comme de raison, que des abonnés dont elle contrôle beaucoup les opinions et les actes politiques, et qui ne sont pas assez éclairés pour savoir où et quand le prêtre s’égare.

Eh bien, Mgr, il reste quelques hommes sur lesquels les systèmes d’intimidation, quelque bien combinés qu’ils soient, n’ont aucune prise, et je me fais une gloire d’en être un. Je ne crains qu’une seule chose, c’est que la raison et le vrai soient contre moi. Quand j’ai pu me convaincre honnêtement qu’ils sont avec moi, le reste m’importe peu, quelles que soient les influences qui se liguent ensemble pour maintenir le faux et l’arbitraire. La presse ayant consenti à se laisser momentanément bâillonner, il n’est pas possible aux hommes qui repoussent l’esclavage de l’esprit de subir toujours en silence les insultes que des curés arrogants, et quelquefois peu respectables personnellement, leur adressent lâchement là où ils ne peuvent pas répondre[5]. Et le temps semble n’être pas éloigné où il nous faudra dire à ceux qui s’oublient si gravement : « Voyons, Messieurs, regardons-nous bien en face et sachons enfin qui doit baisser le front devant l’autre sur le chapitre de la moralité personnelle. »

Nous espérions donc depuis longtemps que les supérieurs ecclésiastiques finiraient par faire leur devoir et que les plaintes des intéressés et des calomniés auraient quelqu’effet sur eux, mais nous voyons de plus en plus que quand il s’agit de sa suprématie hiérarchique, le Clergé fait bon marché des devoirs les plus évidents et des obligations les plus sacrées. Nous voyons aussi les supérieurs ecclésiastiques s’obstiner à fermer les yeux sur mille choses que les prêtres raisonnables et sincères admettent être des écarts graves et que des Évêques ont flétries. Nous aurions donc dû être écoutés au lieu d’être repoussés et insultés de nouveau quand nous demandions des choses justes. Nous n’avions certainement pas tort puisque tant de prêtres sensés ici même blâment les écarts dont nous nous plaignons, et gémissent de la conduite anti-évangélique de leurs confrères. Des prêtres étrangers, des Évêques même ont dit en apprenant les écarts dont je parle ici : « Si vos Évêques s’imaginent donner de la force à la religion par ces moyens, bien grande est leur erreur et bien terrible est leur responsabilité. » De pareils aveux prouvent-ils que nous seuls avons certainement tort et que ce sont nos calomnialeurs en rabats, surplis et chasuble qui ont certainement raison ?

Nous en sommes donc réduits, par la détermination apparente des Évêques à laisser le champ libre à la violation constante de toutes les convenances religieuses et sociales, à adopter tel système de défense qui nous permettra de punir nos agresseurs suivant leurs mérites. C’est moi qui porte ici la parole, mais V. G. peut être persuadée que je ne suis pas seul et que je suis cordialement approuvé et soutenu par tout ce qu’il y a d’esprit fermes et de caractères indépendants dans la province ; par tous ceux enfin que le souffle de l’absolutisme ultramontain n’a pas nullifiés et flétris.

Voici donc ce que je me permets de soumettre à V. G.

On nous traite de révolutionnaires, de communistes, de renégats etc., etc. Personne n’ignore que ces injures n’ont aucune raison d’être, ne sont pas le moins du monde applicables à ceux auxquels on les addresse, et ne sont basées sur aucun fait, aucune donnée sérieuse. On sait qu’elles n’ont d’autre but que de discréditer systématiquement aux yeux de la masse ignorante un parti qui a des principes politiques sains et justes au profit d’un parti qui n’a subsisté jusqu’à présent, malgré ses pillages, ses corruptions, ses hypocrisies et ses parjures, que grâce au support actif et dévoué du Clergé qui, au fond, n’a jamais songé qu’à le forcer un jour ou l’autre de reconnaître le principe de la sujétion de l’État à l’Église. Tout cela n’est clairement que de la tactique politico-religieuse basée sur la calomnie préméditée des personnes ; mais celui qui a un peu d’histoire ecclésiastique en tête sait ce que le Clergé peut dire de ceux qu’il n’aime pas, et quel riche vocabulaire d’injures il tient en réserve pour les cas où ses prétentions, temporelles surtout, ne sont pas admises.

Mais au moins les hommes que l’on se permet de traiter comme je viens de le dire sont-ils regardés comme de mauvais citoyens parmi nous ? Loin de là. Presque tous sont des hommes qui depuis trente ans résistent à l’oppression politique et à la corruption gouvernementale, et luttent avec courage contre un gouvernement dont les fautes administratives ont dépeuplé le Bas-Canada ; des hommes qui n’ont pu être achetés par des offres brillantes ; des hommes qui auraient obtenu ce qu’ils auraient voulu s’ils eussent consenti d’entrer dans le camp du mensonge officiel et du pillage du coffre public ; des hommes enfin qui ont souvent eu l’abnégation de compromettre leur fortune personnelle plutôt que de céder aux obsessions des hommes au pouvoir. Sûrement de pareils hommes avaient quelque droit de se croire à l’abri des insultes des curés ! Et dans leur vie privée que sont-ils ? Donnent-ils de mauvais exemples dans leurs rapports sociaux, dans leurs habitudes privées et dans leurs mœurs ? Ne peuvent-ils pas regarder de bien haut sous ces divers rapports nombre d’hommes que le Clergé leur préfère ? Je ne saurais entrer ici dans beaucoup de particularités, mais je puis toujours rappeler à V. G. les scandales publics d’ivrognerie et d’immoralité donnés depuis vingt ans par plusieurs des hommes au pouvoir, scandales sur lesquels le Clergé ferme les yeux pour insulter en toute occasion ceux qui n’en ont donné aucun.

Le Clergé n’a pas d’expressions assez dures, assez insultantes pour nous ; mais quelle tendre indulgence, quelle paternelle bonté il a montrées envers cette sainte petite cohorte de rédacteurs à bons principes des journaux religieux qui, un beau dimanche matin, pendant la grande messe, allaient en vue des édifices parlementaires se baigner nus avec des femmes nues, avec lesquelles ils faisaient le soir, chez l’un d’eux, une orgie qui a provoqué les plus vives plaintes des voisins et du Curé ? Quels cris aurions-nous entendus si les intéressants baigneurs eussent été des libéraux ! Mais c’étaient des jeunes gens bien dressés et bien façonnés à parler contre leur pensée intime, et les maîtres ont complaisamment fermé les yeux sur l’énorme escapade des élèves. Quand on défend la religion, on peut bien s’amuser un tantinet pendant la messe. Voilà comme le prêtre pardonne tout à celui qui se fait son instrument, puis se retourne pour calomnier sans merci celui qui veut rester indépendant et libre.

Eh bien, Mgr, quand un prêtre, sans aucune espèce de droit, ni même de prétexte plausible, injurie ou calomnie en chaire un candidat ou un citoyen respectable pour le seul motif que sa politique lui déplaît (et combien de curés, et toujours les plus arrogants dans leurs sermons politiques, ne connaissent absolument rien de la politique du pays) ne mériterait-il pas un peu que l’on retournât les cartes sur lui en montrant au peuple ce qu’il est le plus souvent ? Car c’est un fait très-remarquable, et qui est strictement vrai en règle générale, que ce sont presque toujours les prêtres aux mauvaises habitudes et aux mœurs libres qui sont les plus violents et les plus fanatiques à l’église contre ceux qu’ils combattent au point de vue politique. J’ai souvent conclu à une conduite secrète coupable chez les prêtres que je voyais se faire insulteurs ou calomniateurs en chaire, et dans un grand nombre de cas j’ai pu constater que j’avais eu raison et que mes premiers soupçons étaient fondés.

Plus un prêtre est exagéré, ou brutal dans son langage, contre ceux dont il se fait l’adversaire politique, plus il est probable, je devrais presque dire certain, qu’il a quelque chose de grave à se faire pardonner.

C’est là sa manière à lui de faire sa cour à ceux qui doivent scruter sa conduite. Par son zèle contre ceux qu’il qualifie « d’impies, » il espère obtenir plus d’indulgence pour les petites négligences et les chères petites fautes secrètes dont il se sent coupable. Et quant au peuple, comment soupçonnerait-il d’inconduite cet homme si austère en paroles, que le zèle pour la religion inspire et emporte, et qui, s’il va un peu loin, ne semble mu que par l’unique motif de la plus grande gloire de Dieu ? La chose est impossible, et ceux qui osent dire quelque chose contre ce saint homme que la religion trouve toujours sur la brèche pour la défendre, sont nécessairement des ennemis de cette même religion qui a le bonheur de posséder un si noble enfant !

J’ai en ma possession tant de faits de la plus terrible gravité au soutien de l’appréciation que je me permets de faire ici des prêtres politiques, que je ne crains pas de dire que l’on peut presque toujours hardiment conclure des sermons politiques violents aux mœurs douteuses de leurs auteurs. L’un est presque toujours le corollaire de l’autre. Et c’est un autre fait tout aussi remarquable que j’ai rarement découvert rien de sérieux à la charge des prêtres modérés et sages qui ne violentent point la conscience de leurs paroissiens. Cela est tout naturel, du reste, puisqu’étant sages sur le chapitre de l’intervention du prêtre dans la politique il serait étrange qu’ils ne le fussent pas aussi dans les autres détails de leur conduite. Dans le Clergé comme ailleurs, la sagesse sur un point forme une présomption légitime pour tous les autres ; de même que l’oubli de tous les devoirs et des plus simples règles du bon sens sur un point important des rapports avec autrui doit naturellement faire présumer que l’on n’est pas plus particulier sur le reste. Et je répète que j’ai en ma possession des faits très nombreux et très graves au soutien de ce point de vue. Car il y a longtemps que je comprends, d’après les tendances dominatrices que je vois se développer si rapidement dans le Clergé, que nous marchons à une lutte grave, dans laquelle plusieurs succomberont peut-être avant qu’il ne soit refoulé dans le sanctuaire, mais qui ici comme ailleurs, finira nécessairement par la victoire du laïcisme, c’est à dire de la souveraineté nationale, sur le cléricalisme, qui se résume finalement dans le despotisme d’un homme. Et prévoyant cette lutte, je me suis préparé à la faire non avec de simples déclamations, mais avec des faits tangibles soutenus de preuves indéniables. J’ai donc étudié spécialement l’action sociale du clergé dans ce pays ; je l’ai suivi non seulement sur la scène publique où il semble irréprochable à ceux qui ne le jugent qu’avec leurs sympathies religieuses, mais aussi en dehors de la scène où il est tant flatté ; et là, Mgr, j’ai vu bien des points noirs, bien des lambeaux du costume sacerdotal accrochés aux épines dont le sentier où il marche est bordé.

J’ai beaucoup cherché, mais j’ai beaucoup trouvé. Et je puis l’affirmer ici devant Dieu, Mgr, mon but n’a jamais été de faire simplement du scandale, ou de contrister pour le plaisir de le faire des hommes parmi lesquels j’en vois beaucoup que je sais être sincères et estimables ; mais voyant tant de membres du Clergé si acerbes et si arrogants vis-à-vis de tout un parti politique dont le programme se résume uniquement dans l’administration honnête de la chose publique, et d’un autre côté amis si fanatiques d’un autre parti dont le bilan se résume dans la corruption universelle, l’avilissement des caractères, le parjure électoral érigé en système et la vente des droits les plus sacrés du pays, je me suis dit qu’il fallait ne venir dans cette lutte que solidement muni de toutes armes pour faire face à un corps puissant qui ne permet jamais que l’on touche même à ses membres coupables, et qui n’a jamais hésité d’organiser la calomnie contre les hommes indépendants pour protéger ceux des siens qu’il sait être indignes !

S’il me faut jamais rendre compte de quelques enquêtes ecclésiastiques qui sont venues à ma connaissance, je montrerai d’étranges choses. Je me suis donc préparé à repousser la calomnie contre les citoyens chaque fois qu’on y aura recours comme par le passé, par des faits accablants que je prouverai. Et je suis si éloigné de vouloir simplement faire du scandale, que je ne me propose de publier les faits que je possède, et dont j’ai donné une légère idée dans ma lettre à M. Rousselot, qui si les supérieurs ecclésiastiques s’obstinent absolument à permettre aux prêtres arrogants de se jouer comme ils le font de l’honneur des citoyens et de continuer leur système de dénigrement personnel contre des hommes qui savent être dans le vrai en maintenant que dans le domaine politique le catholique est entièrement libre de ses opinions et de ses actes. Le Clergé prétend le contraire, mais il abandonnera cette absurde prétention comme il a abandonné celle qu’aucun catholique ne devait prêter serment de fidélité à un prince hérétique, et bien d’autres encore qu’il n’oserait plus exprimer aujourd’hui.

S’il veut modifier sa tactique, je serai très heureux de ne pas rompre le silence que, malgré les excès de langage et les provocations outrageantes d’un si grand nombre de prêtres, j’ai gardé jusqu’aujourd’hui sur les nombreuses faiblesses secrètes de ses membres. Mais si nous devons continuer, simplement parceque notre politique ne convient pas à des hommes qui sont presque tous risiblement neufs sur les questions politiques, d’être le point de mire des colères ecclésiastiques et du richissime vocabulaire clérical, nous repousserons la diffamation et l’injure par la publication de faits authentiques, que la nécessité de nous protéger contre les calomniateurs nous forcera de commenter devant le public.

Ces faits sont souvent, sans doute, d’une nature excessivement scabreuse, V. G. le sait mieux que personne, et grand pourra être le scandale ; mais il y a vingt ans que le Clergé n’a que le langage de l’injure pour tous les libéraux du pays ; il y a vingt ans que nous espérons qu’il renoncera à faire du temple de Dieu un lieu de polémique mondaine et souvent d’outrage public aux honnêtes gens ; il y a vingt ans que les supérieurs ecclésiastiques ferment les yeux sur ces criants abus et par là encouragent les exagérés dans leur tactique de diffamation et d’injures ; et si, fatigués enfin de l’intempérance de langue des uns et de la connivence évidente des autres, nous montrons ce qui se passe derrière un rideau que personne encore, en Canada, n’a osé soulever, la faute en sera à ceux qui n’auront voulu écouter aucune représentation et qui, étant en dehors des responsabilités sociales ordinaires, s’imaginent être aussi au-dessus des lois de la bienséance, de la charité, et du respect des droits et de la réputation d’autrui. Nous ne voulons plus que sous le faux prétexte de défendre la religion, un prêtre fanatique ou ignorant fasse de la chaire de vérité un tréteau de carrefour, et adresse à ceux qui vont prier Dieu des paroles que jamais les gens bien élevés n’échangent entre eux.

La nature de la défense dépendra donc dorénavant de la nature des aggressions. Quand un prêtre ne traînera pas la politique dans la chaire, nous saurons lui montrer le respect auquel a droit un homme sage revêtu de ce caractère. Quand on n’attaquera pas les individus, nous saurons respecter les personnes. Mais quand les aggressions atteindront la vie privée, la réputation générale, et surtout qu’elles partiront de la chaire, alors nous saurons ce que nous devrons faire et nous serons prêts. Nous ne nous laisserons plus insulter et calomnier sans montrer ce que sont nos diffamateurs.

Je suis surpris que tant de membres du Clergé ne paraissent pas se douter de ce que pourraient riposter bien souvent ceux qu’ils attaquent avec tant d’aigreur, si ceux-ci n’étaient pas plus raisonnables et plus sensés qu’eux !

On a peine à concevoir comment le Clergé ne voit pas le danger qu’il y a pour lui à laisser sans mot dire un si grand nombre de ses membres blesser toutes les convenances religieuses et sociales par leur obstination à faire servir la chaire de véhicule à leurs passions politiques ou à leur esprit de domination sur ceux qui les entourent. Nombre de conciles l’ont péremptoirement défendu ; nombre d’Évêques éminents en ont fait ressortir le danger ; l’esprit de l’évangile comme l’intérêt bien entendu du corps y sont opposés ; des plaintes nombreuses se sont fait entendre ; de graves inconvénients en ont surgi ; mille haines locales en ont été la suite ; mille embarras en sont sortis, et pourtant l’abus grandit toujours ! Et la seule explication possible de la longue tolérance des Évêques est que cet abus profite à la hiérarchie au point de vue de sa suprématie temporelle. Ce n’est pas la première fois, du reste, qu’un Clergé aura fait passer les intérêts de sa domination avant les intérêts bien entendus de la religion. Combien de fois n’a-t-on pas vu la Cour de Rome ou les églises nationales sacrifier celle-ci au profit de celle-là ?

Et voilà ce que l’on fait ici aussi. Pour amener peu à peu le pouvoir civil à se compromettre vis-à-vis du Clergé, on lui a fait sentir la puissance du corps sur les masses ; on a fait ou toléré mille choses que la religion réprouve, que les Conciles ont défendues, mais qui tendaient à faire comprendre au torysme local qu’avec le Clergé pour allié il pourrait se maintenir indéfiniment au pouvoir malgré une administration corrompue de la chose publique ; mais il était bien entendu qu’il ne refuserait rien au Clergé.

C’est ainsi par exemple que celui-ci a accepté la Confédération à la condition expresse qu’on lui laisserait la haute main sur l’instruction primaire, le plus grand de tous ses moyens de domination après le confessionnal ; et le marché a été conclu sur cette base entre lui et des ministres parjures à leurs devoirs et à leur mission. De là ces déplorables mandements qui resteront dans notre histoire comme des monuments éternels de l’esprit antinational du Clergé, et dans lesquels on recommandait au peuple de sanctionner la violation du plus cher de ses droits, celui d’être consulté sur l’organisation des institutions qui doivent le régir. De là l’ensemble avec lequel le Clergé a mis au ban de l’opinion les hommes qui réclamaient contre la vente des droits du pays, vente consommée par des ministres récompensés depuis par des faveurs et des titres ; vente faite avec la pleine approbation des Évêques qui s’occupent infiniment peu, ici et ailleurs, que les droits d’un peuple soient violés et anéantis si leurs prétentions à contrôler le temporel sont admises. Peu de personnes encore parmi nous comprennent ces choses ! Peu de personnes connaissent les ressorts secrets que l’on a fait jouer pour amener le Clergé à recommander aussi fortement qu’il l’a fait la nouvelle combinaison politique. Mais quand on verra enfin la vérité ; quand on saura que le Clergé a approuvé l’infâme répartition de la représentation que l’on a imposée au Bas-Canada, et qu’en échange de promesses dont les évènements ont montré l’inanité il a poussé le peuple de toutes ses forces à sanctionner l’anéantissement de ses droits, alors il se fera une réaction qui dépassera peut-être beaucoup le champ de la politique. Car le peuple finira par comprendre que l’essence du pouvoir clérical est la négation de tout droit qui ne découle pas du bon plaisir du Pape, principe odieux qui sape par sa base tout droit naturel et politique et qui met un peuple à la merci du Clergé. Et l’on a vu depuis des siècles ce que deviennent ces masses humaines qui acceptent aveuglément la direction d’un pouvoir qui n’a jamais eu et ne saurait avoir d’autre règle que l’arbitraire.

L’infaillibilité d’un homme sur les questions de mœurs, c’est-à-dire en matière sociale, politique, législative, légale ou scientifique, donc sur tous les sujets de l’ordre temporel, est la plus terrible aberration de l’histoire. C’est, a dit un illustre prêtre mort dans le sein de l’Église : « C’est la plus grande insolence qui se soit encore autorisée du nom de Jésus-Christ ! » Ce principe de l’infaillibilité en matière temporelle ne peut signifier que l’arbitraire sous sa pire forme ; le pouvoir absolu et illimité d’un homme qui n’a aucune espèce de responsabilité en ce monde, et auquel les flatteurs en droit canon répètent à l’envi depuis des siècles qu’il est au dessus de tout droit positif humain ou divin, qu’il ne peut être lié par aucune loi, qu’il peut commander à la raison humaine même dans les choses que « Dieu a laissées aux disputes des hommes, » et qu’il est dans le monde le seul dispensateur de la vérité même dans la sphère purement temporelle ! Avec pareilles attributions, les gouvernements deviennent esclaves du sacerdoce, les peuples ne sont plus que des troupeaux taillables et corvéables qui n’ont aucun droit d’examiner le sort qu’on leur prépare, ni de surveiller leurs administrateurs ; la raison humaine perd tous ses droits puisqu’elle ne doit plus recevoir sa direction que du Pape en tout ordre de choses, et il n’y a plus qu’un seul souverain maître des sociétés et des états qui, suivant l’abominable prétention des commentateurs du droit canon, « peut faire juste ce qui est injuste, et injuste ce qui est juste !  ! » C’est à dire qu’il peut faire ce que Dieu lui-même ne saurait faire ! Est ce assez d’impiété comme cela ? Et n’y a t-il pas d’autres flatteurs en droit canon qui ont osé dire que « le tribunal de Dieu et le tribunal du pape n’étaient qu’une seule et même chose ? » Cette assertion est-elle une impiété et un blasphème, Mgr oui on non ? Et la Civiltà ne nous a-t-elle pas informés, il y a trois ans, que « quand le Pape pense c’est Dieu qui pense en lui ? Un catholique est-il vraiment tenu d’accepter cette assertion des Rév. pères rédacteurs du journal ? Dans quel système, Mgr, a-t-on jamais vu arbitraire comparable à celui-là ? Persuader à un homme qu’il est l’égal de Dieu !  ! Et cet arbitraire est la quintessence de l’ultramontanisme tel que défini par les commentateurs les plus autorisés du droit canon !  !

Le grand Bellarmin lui même, jésuite et cardinal, n’a-t il pas affirmé que « si le Pape ordonnait de commettre le péché et proscrivait la vertu, l’Église serait obligée de tenir le péché pour bon et la vertu pour mauvaise si elle ne voulait pas pécher contre la conscience ? » (Si autem Papa erraret præcipiendo vitia vet prohibendo virrutes, teneretur Ecclesia credere vitia esse bona et virtutes mala nisi vellet contra conscientiam peccare.) Est-ce à un pareil enseignement qu’un catholique est tenu de soumettre respectueusement sa raison ? Comment se fait-il que l’on n’ait jamais mis cette infâme proposition à l’Index ?

Je n’ignore pas que quelques commentateurs très modernes ont essayé de pallier ces aberrations et ces extravagances de l’ultramontanisme ; mais ceux qui vont aux sources au lieu de se laisser tromper par les falsificateurs de notre époque savent parfaitement à quoi s’en tenir sur le système et sur les hommes qui le défendent aujourd’hui. Il a sa source dans la plus colossale fraude de l’histoire, les fausses décrétales, et va bientôt mourir sous les arrogances et les mensonges de ses défenseurs du jour. Toutes ces prétentions choquent trop la conscience, la raison et le bon sens pour n’être pas bientôt reléguées parmi les plus déplorables écarts de la raison humaine.

Eh bien, où a conduit toute cette savante tactique d’un corps où l’on ne se rétracte jamais quels que soient les torts individuels ou collectifs ? À démontrer aux hommes indépendants que si l’on ne met pas une barrière à l’esprit de domination du Clergé, il n’y a pas de liberté possible dans un pays ; à leur faire sentir, par les abus journaliers que le Clergé introduit dans tous les détails de la vie sociale et politique, et surtout par l’odieux abus qu’il fait constamment des choses saintes pour dominer les simples et les faibles, que là où il n’y a pas de lois sévères pour le maintenir dans de justes bornes, il ne respecte pas plus les institutions et les lois que les droits individuels et les convenances publiques ; qu’il ne se sert de son influence sur les masses que pour broyer sans pitié quand il le peut tout ce qui n’est pas à genoux devant lui et jeter systématiquement le discrédit sur tous ceux qui ne veulent pas se faire ses esclaves de cœur et de pensée, sur tous ceux enfin qui défendent les libertés publiques contre ses empiètements constants ou contre les fautes du pouvoir qu’il soutient parcequ’il le contrôle. On sait combien le Clergé est habile à miner sourdement, quand il n’est pas assez fort pour les combattre à ciel ouvert, les gouvernements qui mettent un frein à sa soif de dominer tout dans l’état.

Nous avons vu depuis deux ans à quel point de déraison le Nouveau Monde, tout récemment approuvé par V. G., a pousse ses théories sur l’omnipotence du prêtre. Ce sont les aberrations absolutistes des bulles Unam Sanctam, Clericis laïcos, In Cœna Domini, Supernæ dispositionis, Cum ex Apostolatus officio, et plusieurs autres, que l’on nous présente comme obligeant les consciences catholiques. Toutes ces bulles, qui ont pour objet de soumettre en tout le temporel à la domination ecclésiastique, violent tout à la fois le droit naturel, le droit social, le droit politique, le droit civil ; bouleverseraient tous les gouvernements du monde si elles étaient acceptés, rendraient toute législation impossible, et mettraient à néant l’indépendance des nations. D’après leurs dispositions, les laïcs ne sont plus rien dans l’état qui ne doit rien se permettre sans l’assentiment des Évêques. C’est le glaive temporel au service du seul souverain du monde, le Pape.

Autrefois dans l’Église on prenait au sérieux les textes : « Mon royaume n’est pas de ce monde, » « Remettez votre épée au fourreau ; » « Les rois des nations les dominent, il n’en sera pas ainsi parmi vous, » et nombre d’autres. Aujourd’hui non-seulement on a mis tout cela de côté, mais l’ultramontanisme, par la bouche de Roccaberti, a contourné ces textes de manière à en changer entièrement le sens et à en tirer l’affirmation de la suprématie cléricale sur le temporel ! Il a altéré toute la tradition, fait la leçon aux pères de l’Église, relégué St. Grégoire le Grand sur les tablettes, et a non-seulement déclaré le pape infaillible, mais impeccable aussi et l’a proclamé saint par le seul fait de sa promotion. (Voir le Dictatus Papæ, de Grégoire VII, qui en réfère là-dessus aux décrétales du pape Symmaque, décrétales qui n’ont jamais existé, et sont des faux de Pseudo-Isidore.)

Et quel sera le résultat de tant d’efforts et de tactique ? C’est que comme il n’y a pas aujourd’hui dans l’univers chrétien un seul gouvernement qui pourrait subsister deux heures en acceptant ces prétentions comme règle de conduite, il faut les regarder tout simplement comme un legs des temps d’ignorance, legs qui devient nécessairement caduc et non avenu quand cette ignorance s’est dissipée devant les progrès de l’intelligence générale ; c’est que l’ultramontanisme rend de plus en plus irrémédiable l’antagonisme profond qui existe depuis si longtemps entre la conscience de l’humanité et les détestables traditions politiques de la Papauté.

On nous prêche l’absolutisme sous toutes les formes et nous n’en voulons pas. On veut nous soumettre au contrôle d’hommes qui n’ont d’autres notions politiques que celles qu’ils ont pu acquérir sous le régime papal, le pire qui existât en Europe avec le régime russe ou le régime autrichien en Vénétie ; et il n’y a que des gens sans étude et sans expérience, ou des intéressés, qui puissent accepter pareil contrôle et pareil régime. On est confondu, en vérité, de la singulière incompétence des hommes qui espèrent encore persuader les sociétés de marcher les yeux fermés sous la conduite de pilotes que l’on voit en toute occasion ne rien entendre à la manœuvre.

On voudrait en un mot faire reculer les sociétés, et quoiqu’on fasse, à Rome ou ailleurs, elles ne reculeront pas puisque Dieu les a faites pour progresser toujours. L’humanité marche irrésistiblement vers Dieu, son but suprême, comme le fleuve coule vers l’océan dans la durée des siècles ! Et ni l’une ni l’autre ne sauraient suspendre leur marche ou remonter vers leur source. Mais il reste évident à quiconque veut voir qu’au point où en sont les choses, il faut de toute nécessité que les sociétés ou la Papauté reculent. Or celle-ci compte déjà trop de défaites dans son passé pour que les gens sérieux s’alarment beaucoup de son attitude actuelle. Son hostilité au progrès ne saurait durer toujours. Il se peut sans doute qu’elle prépare des catastrophes par sa persistance à vouloir empiéter sur un domaine qui n’est pas le sien, mais son sort sera finalement celui de toutes les institutions qui ont dévié de leur principe ; et si elle ne veut absolument pas emboîter le pas avec la civilisation et le progrès qu’elle flétrit aveuglément, elle se trouvera, un jour qui ne saurait être éloigné, seule et délaissée sur la grande route que Dieu a tracée de toute éternité à la marche incessante de l’humanité. Et le fait est qu’elle en est presque rendue là aujourd’hui ; mais elle persiste à ne pas le voir. On sont ses amis, les gouvernements absolutistes ? Tous disparus sous le souffle des peuples ! Comme une antique aïeule qui quelquefois voit peu à peu disparaître autour d’elle plusieurs générations qui lui doivent l’existence, la Papauté voit aussi tomber un à un les despotismes qui étaient ses seuls soutiens dans le monde politique. Elle semble ne leur survivre un peu que pour formuler obstinément quelques dernières protestations au nom du passé contre le progrès qui transforme et détruit les institutions qui s’en vont avec elle.

La vraie formule du progrès, c’est la grande parole prononcée il y a dix huit siècles : « Soyez parfaits comme votre père est parfait ! » Or comme l’homme ne saurait jamais égaler Dieu en perfection, ce précepte signifie qu’il doit se perfectionner toujours autant que sa nature le lui permet. Mais cette loi de perfectionnement regarde autant l’humanité que l’individu. Le progrès pour l’individu consiste dans le développement de ses facultés intellectuelles et morales ; et pour l’humanité il consiste dans le perfectionnement constant des institutions qui permettent à l’individu d’atteindre le but que la Providence lui a assigné. Voilà ce que la Papauté n’a jamais compris, et semble moins comprendre que jamais. Pour que l’homme ressemble à Dieu autant que sa nature imparfaite le lui permet, il faut qu’il progresse en tout ordre d’idées et en tout ordre de chose ; et ce sont précisément les institutions qui lui assurent ce progrès que la Papauté déteste et flétrit pour ne préconiser que celles qui l’ont toujours terni dans l’ornière de la routine et dans la peur de mieux faire que ceux qui l’ont précédé. Il n’y a pas une idée destinée à faire progresser l’humanité qui n’ait été flétrie à Rome du nom de nouveauté mot terrifiant qui a toujours donné la chair de poule à toute la sainte curie. Grégoire XVI détestait les nouveautés au point de ne vouloir pas entendre parler d’introduire les chemins de fer dans l’état pontifical, si dénué d’industrie, et où le commerce était aussi systématiquement entravé que l’agriculture. Et ceux qui détestaient ainsi tout progrès industriel, détestaient encore bien davantage tout progrès intellectuel.

Défense d’importer des livres !

Défense d’en publier sans l’imprimatur du censeur, toujours choisi parmi les plus rétrogrades ! Les Évêques eux-mêmes, pendant le Concile, ne peuvent faire imprimer leurs observations sur les changemems proposés à l’antique foi de l’Église !

Défense de recevoir les journaux étrangers !

Défense de voyager à l’étranger sans permission !

Défense d’envoyer ses enfants recevoir leur éducation dans un autre pays !

Défense de parler du gouvernement, même dans la famille, à moins qu’on ne le proclamât le meilleur de la terre !

Défense (dans les universités) d’étudier l’histoire dans d’autres livres que ceux autorisés par la Censure ; et l’on sait ce que la censure romaine faisait de l’histoire !

Défense à un chrétien de converser en public avec un juif !

Défense aux juifs d’être propriétaires, ou d’exercer une profession ou un métier, ou de cultiver la terre !

Défenses arbitraires d’exporter les grains ou les bestiaux ! Spéculations énormes des quatre frères Antonelli ! (le Cardinal compris) par suite de ces prohibitions !

Défense de vendre l’huile ailleurs qu’à l’Annone ! (grenier d’abondance.)

Défense de fabriquer nombre d’articles de consommation parceque quelques privilégiés en avaient le monopole !

Défenses aux corps municipaux de présenter des adresses au Pape pour lui exposer les besoins du pays !

Défense aux médecins de soigner les malades qui ne se confessaient pas dès le jour de leur maladie !

Enlèvement des enfants à leurs parents sous prétexte de religion.

Obligation pour les citoyens de montrer leur billet de communion aux desservants chaque fois qu’ils en étaient requis ! Donc des milliers de communions indignes pour éviter de voir afficher publiquement son nom, ou d’être soumis aux tracasseries de la police qui, par exemple, fermait chrétiennement les yeux sur la vente presque publique des faux billets de confession jusque dans les cafés !  !

Obligation de dénoncer ses propres parents à l’autorité s’ils manquaient souvent les offices, s’ils faisaient gras le vendredi, s’ils avaient un livre défendu, — lisez : qui touchât à la politique, car les livres obscènes circulaient beaucoup, — s’ils tenaient des discours séditieux, s’ils appartenaient à une société secrète !

Souveraineté de la police ! Arrestation sans mandat des citoyens sous les plus futiles prétextes ! Et ils pourrissaient en prison sans pouvoir connaître pourquoi ils y avaient été mis !

Et puis secret et ténèbres partout !

Secret de la procédure judiciaire !

Secret des noms des dénonciateurs et encouragement systématique de cette illustre classe !

Secret des noms des témoins !

L’accusé ne pouvant choisir son défenseur qui lui était imposé d’office !

Secret même des sentences judiciaires qui n’étaient presque jamais prononcées en public !

Mais par exemple point de secret des lettres ! Ce qui aurait dû être public restait secret, mais ce qui aurait dû rester secret, la correspondance privée, était constamment violé. Les Évêques de l’opposition, au Concile, étaient obligés de confier leurs lettres à l’abominable gouvernement italien qui, tout excommunié qu’il fût, prenait ces lettres à la frontière et les respectait ! C’étaient des Évêques, Mgr, qui n’osaient pas livrer leur correspondance aux irréprochables employés des saintes congrégations !  !

Enfin vénalité des Juges !

Mépris universel de la loi !

Désordre effroyable des finances !

Péculat à tous les degrés de la hiérarchie !

Soixante-six millions disparus en 7 ans sans que l’on pût découvrir où ils étaient allés !

La justice devenue un trafic et la délation un métier !

Droit d’asile ! Un malfaiteur s’accroche à la robe d’un moine et la police ne peut l’arrêter ! Il est inviolable aussi s’il réussit à se jeter dans le Tibre, ou dans une Église, ou dans un sanctuaire de Madone !

Les propos séditieux punis plus sévèrement que le vol ou l’assassinat !

Trois assassinats par jour commis dans les anciens états du Pape ! Population : 2,600,000. Moins de deux par jour en France, la même année. Population : 37,000,000 ! Voilà la moralité de cette population que l’on nous affirmait être si chrétiennement dirigée !

Toutes les libertés confisquées, mais tous les désordres tolérés !

La comptabilité nulle ! Lee taxes aussi mal réparties que possible !

La propriété se concentrant de jour en jour dans la main morte !

La captation testamentaire illimitée !

La contrebande organisée sur une échelle énorme et enlevant à la douane le tiers de son revenu !

Les lettres mettant plus de temps à se rendre à Bologne, (cinquante-cinq lieues) qu’à Paris ! (trois cent trente lieues.)

Brigandage universel ! Familles entières enlevées aux portes des grandes villes !

Les ministres vendant les honneurs et les charges publiques !

Les employés du gouvernement vendant ses intérêts !

Les Péculateurs gardant leurs profits illicites !

Les moines vendant les sacrements, les hommes leur honneur et les femmes leur beauté !

Promiscuité effroyable dans la population pauvre et mœurs plus que libres chez les riches ! Incroyables crudités de langage chez les femmes du meilleur monde !

Tous les vices couverts sous le manteau de la dévotion. Les maisons suspectes pleines de madones !

Mœurs du Clergé à l’avenant ! Sigisbés et courtisanes se disputant les princes de l’Église, et les moines se faisant pourvoyeurs de libertinage ! Le public voyant casser par la haute Cour de Turin le testament d’un Cardinal par lequel il donnait des sommes considérables aux couvents, laissant dans la misère la femme avec laquelle il avait vécu et les sept enfants qu’il avait eus d’elle ! La Cour adjuge la moitié de la fortune à cette femme !

Et chose très remarquable ! Tout en faisant fermer rigoureusement les cafés le dimanche, mesure dont je ne conteste pas l’à-propos, on laissait le bureau de la loterie papale ouvert même pendant les offices de l’Église ! Et, singularité inouïe, Alexandre VII, Clément xi et Benoit xiii avaient défendu la loterie sous peine d’excommunication ! Lesquels se sont trompés ? Ces trois papes ou leurs successeurs qui ont rétabli la loterie ?

Voilà, Mgr, où en était rendue la Papauté temporelle quand la Providence a décrété sa chute définitive. Car il faut bien que ses défenseurs en prennent leur parti. La Papauté ne serait pas tombée si la Providence n’avait de longue main préparé sa chute. Ils nous disent chaque jour que rien en ce monde n’arrive que par elle. Qu’ils acceptent donc la conséquence du principe qu’ils posent et qu’ils admettent que c’est elle qui a dû permettre la chute du pouvoir temporel puisqu’il est tombé. Et certes le tableau que je viens d’en faire et qui est strictement vrai dans tous ses détails, montre bien que jamais pouvoir en ce monde n’avait mérité davantage sa rétribution providentielle. Pour bien connaître le gouvernement des Papes, il faut lire les dépêches des ambassadeurs étrangers accrédités auprès du gouvernement papal à leurs cours respectives. Or, que ces Ambassadeurs fussent laïcs ou ecclésiastiques, leur témoignage est unanime sur la maladministration et la démoralisation universelles dans tous les départements de l’état.

« Tous les vices de toutes les espèces de gouvernement sans leurs avantages, réunis dans un seul gouvernement, a dit un grand écrivain moderne ! Certes ce n’est pas sans raison que la Providence a décrété sa chute.

On nous parle bien du rétablissement de la Papauté sous Pie VII et l’on en déduit le triomphe prochain de Pie ix ; mais qui donc a rétabli Pie VII sur son trône ? Les despotismes européens. Eh bien, regardez donc un peu autour de vous et comprenez ce que vous voyez — et nunc intelligite ! — Où sont donc les despotismes qui pourraient aujourd’hui refaire un Pape-Roi ? Pourquoi la Providence les a-t-elle tous laissés tomber ? Ne serait-ce pas peut-être pour assurer l’unification d’une grande nation toujours morcelée et nullifiée par l’ambition des Papes ? Ne serait-ce pas aussi peut être pour rendre impossible le rétablissement de la Papauté temporelle, dont le gouvernement était devenu pratiquement la négation de tous les préceptes de l’évangile et de toutes les notions de la justice, du devoir et du droit ? Peut-être Dieu ne voulait-il plus que son vicaire restât — avec l’Empereur de Russie — le seul despote du monde chrétien ! Despote paternel m’a t-on dit ! Oui ! les millions d’hommes qui ont pourri dans les prisons papales sons Léon xii Grégoire xvi et Pie ix, sans savoir bien souvent pourquoi ils y étaient ; et les 326 exécutés des États Romains en 1851. sont là pour prouver la clémence paternelle gouvernement ecclésiastique ! Non ! il est évident à qui ne ferme pas volontairement les yeux que le doigt de la Providence est dans cette chute bien plus que les desseins et les projets des hommes !

Mettre l’humanité à la discrétion d’un pareil pouvoir, n’était ce pas l’attacher à une borne ?

V. G. fait depuis longtemps des efforts surhumains pour consacrer ici l’idée de la suprématie ecclésiastique en tout ordre de choses. Eh bien, l’on peut hardiment prédire qu’elle va voir au premier jour tout cet échafaudage factice de prétentions surannées, inadmissibles et repoussées partout, crouler de lui-même sous le bon sens public. Ses amis de vingt ans l’ont désertée après avoir mis son influence à profit, et elle aura tout simplement montré une fois de plus combien le prêtre est incapable de mûrir une idée politique acceptable et pratique !  !

« Nous ne sommes pas faits pour gouverner les hommes, » disait l’un des plus illustres prêtres qui aient visité ce pays. Et cela va de soi puisque l’idée première de tout système clérical est l’incapacité présumée des sociétés de trouver le vrai, même en droit social et politique, sans le Pape. Et cependant ceux qui ont étudié l’histoire de la Papauté à la lumière des faits historiques et non pas seulement de leurs sympathies religieuses, ont pu se convaincre qu’en droit social et politique elle a toujours été à côté du vrai. Il n’y a que ceux qui n’ont lu que M. Veuillot et ses pareils qui ignorent cela !

Et ce qui le prouve, c’est qu’aujourd’hui encore sa théorie est que les Parlements, les municipalités et les urnes d’élection sont les « os décharnés d’Ézéchiel, » et que les universités ne sont que des « cadavres fétides. » Ces belles choses sont écrites tout au long dans la Civiltà Cattolica, rédigée sous les yeux du Pape par des Jésuites qui sont dans sa confidence intime. Et, depuis le commencement du siècle, la Papauté n’a-t-elle pas condamné toutes les constitutions découlant du principe de la souveraineté du peuple et consacrant la liberté de conscience et des cultes ? Donc il faut détruire les institutions populaires et tous les établissements d’éducation que le Clergé ne contrôle pas ! Il faut aussi recommencer la proscription contre les hérétiques et redemander la monarchie absolue, seule institution qui soit selon le cœur de la Papauté. Voilà le régime par excellence parceque le confesseur du Roi est souvent plus roi que lui puisqu’il le dirige ; et sous cet ordre de choses le Clergé fait magnifiquement ses affaires car il réussit d’habitude à s’affranchir des charges de l’état, (taxes générales et locales) et à les rejetter sur le peuple seul. Le peuple n’est-il pas fait pour le gouvernement ? C’est un prêtre qui nous le dit. Parlant avec Louis XVI, au moment de 89, il lui observe : « Sire, on commence à répandre des idées horribles. Il y a des gens qui osent prétendre que les sujets ne sont pas faits pour les gouvernements, mais que ce sont les gouvernements qui sont faits pour les sujets ! » Et si les sujets sont faits pour les gouvernements, ils le sont encore bien plus pour l’Église. De là l’immunité ecclésiastique dans tous les détails du temporel ; immunité des personnes, et immunité des biens. C’est une des prétentions les plus décidées de l’ultramontanisme que tous les biens du Clergé, de quelque nature qu’ils soient, sont exempts, de droit divin, de toute taxe ou charge publique quelconque, et ce sous peine d’excommunication ipso facto de tous les individus qui composent un gouvernement, parlement et municipalités compris ; le collecteur au même degré que le législateur !

La Civiltà nous apprend de plus que le Pape est juge souverain des lois civiles, parceque les deux autorités, spirituelle et temporelle, se réunissent en lui ! (Civiltà du 18 mars 1871). Donc si une loi empêche les catholiques de persécuter les protestants ; ou si elle abolit ces ordres mendiants qui sont de si parfaits modèles de fainéantise et souvent de vices plus graves ; ou si elle défend d’enlever les enfants aux parents sous prétexte de religion ; ou si elle prohibe la captation testamentaire, le Pape aura le pouvoir d’ordonner au gouvernement qui aura passé cette loi de la rappeler, et ce gouvernement devra s’empresser d’obéir !  !

S’imagine-t-on en vérité que la portion éclairée de la société laïque va accepter ces prétentions d’un autre âge, restes malheureux de traditions séculaires, respectables en leur temps, acceptées il y a six siècles, mais qui n’excitent plus aujourd’hui que le rire des gens sérieux ? S’imagine-t-on commander la confiance du public en exigeant pareilles impossibilités pratiques ? Mais ce qui étonne le plus, c’est que quand on ose encore essayer d’imposer cette vieille défroque des heureux temps de l’omnipotence cléricale, on ait la bonhomie de trouver étrange que les esprits éclairés s’éloignent de la Papauté. On n’a pas assez d’anathèmes pour ceux qui, au 19me siècle, repoussent les traditions, les idées et les institutions du 11me !  ! La suprême perfection sociale, pour la curie romaine, c’est l’inertie !

Chose étrange ! La curie romaine et les Jésuites, que l’on dit si habiles, n’ont pas seulement l’air de se douter que le monde a marché depuis sept siècles ! Ces antiques et vénérables personnages n’ont pas encore découvert que les laïcs ne sont plus ce qu’ils étaient quand on les tenait forcément dans l’ignorance ! Ils flétrissent la science moderne parcequ’elle a recherché et prouvé tous les faux dont le Clergé s’est servi pour ériger l’édifice de sa suprématie, et ils maudissent intelligemment le progrès qui a rendu les laïcs supérieurs aux ecclésiastiques en lumières, en connaissances exactes et en capacité pratique, ce qui leur permet de juger en pleine connaissance de cause leurs supérieurs d’autrefois.

Aussi quels efforts pour faire taire ceux auxquels des études sérieuses ont démontré le faux irrémédiable des prétentions ultramontaines ! Quel luxe de moyens pour préjuger contre eux les masses, et surtout la jeunesse, et pour contenir celle-ci dans l’obéissance aveugle et la soumission, abjecte quelquefois, de l’intelligence aux directeurs qu’on lui donne ! Si cette jeunesse allait s’aviser de penser par elle-même, de faire des études un peu fortes, de sortir du cercle imposé, de chercher le vrai ailleurs que dans nos livres, faits souvent pour la tromper, que deviendrait notre influence ? Il faut donc l’amener par des souplesses infinies, par les plus gracieuses mines, à ne penser que par nous, l’empêcher de se livrer à l’étude approfondie, d’examiner le pour et le contre ; lui procurer des billards, et même des Casinos avec buvette bien garnie pour l’amuser. Et si elle veut absolument lire, et bien on lui glissera adroitement le livre ultramontain, ou les brutales tirades de notre grand Veuillot, on les impudentes excentricités de notre fringant abbé Morel, et nous lui tiendrons sur les yeux l’impénétrable bandeau de l’esprit réactionnaire. Nous en ferons ainsi une pâte de statuaire facile à pétrir et à mouler. Il faut surtout bien lui persuader que, soumise au Clergé, elle marchera facilement dans la vie, pendant que studieuse et libérale, le succès lui sera rendu difficile, et peut être même impossible, hors des grands centres.

J’ai souvent été effrayé de voir l’hypocrisie si parfaitement accueillie, j’oserais dire si choyée au milieu de nous, et la sincérité si amèrement injuriée. Je gémis tous les jours de voir nombre de jeunes gens ne pas oser manifester leur pensée, ou parler en public contre toutes leurs convictions intimes, et cela parce qu’ils ont le tort de croire le Clergé assez puissant pour mettre à volonté leur avenir en péril. Et pourtant c’est bien sans contredit par l’indépendance de caractère et l’élévation des idées plutôt que par l’obséquiosité calculée que l’on peut obtenir non seulement une position honorable et respectée, mais surtout la bonne opinion de soi-même et la satisfaction d’un grand devoir accompli.

J’ai eu assez récemment dans mon propre bureau une conversation avec un jeune homme de talents remarquables qui était venu me demander mes derniers pamphlets. Je lui en manifestai quelque surprise, le croyant hostile à mes idées ; mais il m’assura qu’il les partageait au contraire entièrement. Après quelques observations échangées sur les désastreux résultats parmi nous de l’hostilité insensée du Clergé à tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’indépendance de caractère et au droit à l’étude, je lui fis, un peu pour le sonder, la remarque qu’après tout je jouais peut-être à qui-perd-gagne en combattant comme je le faisais l’absolutisme clérical dans un pays où tant de personnes m’approuvaient de tout cœur mais n’osaient pas me soutenir en public, et que je ferais peut-être aussi bien d’abandonner une lutte trop forte pour un homme isolé et de m’appliquer exclusivement à l’étude… « Ah, grand Dieu, me dit-il, n’allez pas faire cela ! Luttez au contraire sans fléchir ! Il faut bien que quelqu’un leur dise un peu leur fait, leur rappelle qu’il y a une opinion, et venge les droits de la pensée humaine ! Que deviendrions-nous si nous n’avions pas quelques hommes énergiques pour combattre l’esprit de domination universelle de ces gens là ? » — Mais, lui observai-je très sérieusement, comment se fait-il que vous me manifestiez ces sentiments ? Vous êtes un de ceux qui m’ont vertement attaqué parceque je combats les tendances absolutistes que je vois se produire de plus en plus au milieu de nous depuis que les Jésuites sont venus s’y établir. — « Ah, que voulez-vous, répondit-il un peu désorienté, tout le monde n’a pas votre indépendance d’esprit, et puis ceux même qui l’ont parmi les jeunes gens n’ont pas encore l’étude suffisante pour faire la lutte et surtout ne sont pas dans une position sociale assez affermie pour combattre ouvertement ce terrible pouvoir qui broie sans pitié tout ce qui n’est pas assez fort pour lui résister. Il nous faut bien, nous commençants dans la carrière de la vie, louvoyer un peu jusqu’à ce que nous ayions acquis une position un peu bien assise ; mais soyez tranquille, nous ne serons pas toujours jeunes ! Mais quant à vous, je vous en prie au nom de la jeunesse intelligente, continuez sans fléchir la grande lutte que vous faites, et soyez sûr qu’il n’y a que les imbéciles, parmi les jeunes gens, dont vous n’ayiez pas les sympathies. »

Voilà Mgr la société que le Clergé nous fait. Et sans admettre l’exactitude de la dernière observation que me faisait ce jeune homme, il n’en est pas moins vrai que voilà de singulières notions de sincérité à inculquer à la jeunesse. Mais tel est le système. « Si vous n’êtes pas ce qui nous convient, paraissez l’être, sinon l’ostracisme. Nous ameuterons vos familles contre vous et les femmes ne vous laisseront pas un moment de repos. » Eh bien, j’appelle cela, moi, Mgr, former les générations à subir, par lâcheté morale, toutes les espèces de despotisme. Faites donc des citoyens sous un pareil système ! Basez donc les libertés publiques sur l’hypocrisie générale, sur la peur d’agir comme l’on pense, sur la crainte de manifester ses honnêtes convictions parce qu’elles déplaisent à un ordre dominateur pour qui la liberté de penser est un crime et la liberté de l’étude une certitude de damnation !

Je sais bien que le système n’a pas au fond d’autre objet que de miner partout les libertés publiques en l’infiltrant graduellement dans tous les rouages sociaux ; et dans cette tactique le Clergé est sans contredit dans son rôle. Ce que je comprends moins c’est que si peu de personnes s’aperçoivent qu’avec ce système on ne façonne que des mannequins, on ne prépare que des sujets et non des citoyens ; on force les hommes à rester enfants toute leur vie, et, comme au collège, à ne jamais se prononcer sur rien sans d’abord regarder le professeur. C’est-à-dire que le peuple ne s’appartient plus, ce qui rend le Clergé maître de tout.

Ah oui, le Clergé ultramontain, ennemi né de toute espèce de liberté, le Clergé ultramontain sait où il va en faisant de l’hypocrisie imposée la clé de son système. Ce sont ceux qui le suivent qui ne savent pas où on les mène ! Il ne base sa force que sur l’abaissement des caractères ; il n’agrée que les intelligences qu’il a façonnées dans son moule, et quand elles sont devenues bien nulles, bien esclaves, il triomphe et se complaît dans son œuvre. Il n’y a qu’un malheur à ce beau système, c’est que quand il a besoin de caractère énergiques pour le défendre dans les temps de péril, il ne les trouve plus parcequ’ils les a nullifiés en leur défendant de penser en dehors de l’étroite sphère où il les a murés. Voilà pourquoi il est toujours sûr d’être battu dans les temps de crise, car il a toujours affaibli à l’avance la force morale de ses défenseurs. Et il est bien heureux, au fond, que son système d’abaissement universel porte ainsi en lui-même son antidote. Mais le peuple ne s’aperçoit pas assez que ce système appliqué à la jeunesse nullifie du même coup bien des hommes qui pourraient servir, leur pays en défendant énergiquement ses droits. Mais on leur a fait perdre jusqu’à la notion distincte du droit, et ils sont heureux de rester instruments. Au reste quels droits existent aux yeux de l’ultramontain qui regarde toutes les institutions démocratiques comme des « os décharnés » et des « cadavres fétides ? » Cet hommes n’a évidemment d’autre principe que le perindè ac cadaver. Avec cela on fait des moines, jamais des hommes ! On organise un couvent, jamais une nation.

Le jeune homme qui me disait ce je viens de rapporter s’imaginait qu’après avoir subi pendant quelques années, par prétendue nécessité de faire son chemin dans le monde, un joug odieux pour lui, il pourrait plus tard le secouer au besoin ; mais bien profonde est son erreur, car celui qui s’habitue au joug y reste le plus souvent attaché toute sa vie, et l’on ne brise pas à volonté les chaînes que l’on s’est forgées soi-même. Quand ce jeune homme voudra reprendre son indépendance, il se trouvera enveloppé dans un tel réseau de relations cléricales ou politiques, d’influences de famille, d’habitudes acquises et de liens difficiles à briser, qu’après deux ou trois efforts il abandonnera la lutte et restera esclave d’un système dont il aura vu le danger mais dont il n’aura pas eu l’énergie de s’affranchir à temps. En dernière analyse il dira toute sa vie le contraire de ce qu’il pense. Le Clergé l’en louera, mais pourra-t-il s’estimer lui-même ?

Un autre fait très remarquable aussi est venu à ma connaissance et montre à nu la tactique du Clergé et l’effet qu’elle produit. Un rédacteur de journal, d’un talent incontestable, après avoir longtemps hésité, au sortir du Collège et avant d’entrer dans le journalisme, entre ses convictions et son intérêt, finit par mettre celles-là au panier et conclut en faveur du camp clérical. Il devint, sans en croire un mot, l’un des plus ardents promoteurs de l’idée de la suprématie de droit divin du Clergé en tout ordre de choses. Son passé comme jeune homme était loin d’être éblouissant de sagesse, car Monsieur avait déjà une maîtresse avant d’entrer en philosophie. Mais on pardonne beaucoup dans l’Église à ceux dont on espère faire des instruments. Mon homme se mit donc à écrire des articles en fort bon style, pourfendant sans merci les hommes de conviction et dénichant de cent lieues la plus petite velléité libérale chez un confrère. Jamais on n’avait vu tant de zèle et d’amour du Pape. Notre zélé pratiquant des bons principes n’en donnait pas moins force coups de canif dans son contrat de mariage, contrat du reste où beaucoup de roman et de sacristie s’étaient mêlés, mais ceux qui l’avaient pris à leur service ne pouvaient clairement renoncer à si belle plume pour si mince cause, et on fermait les yeux avec le plus édifiant parti-pris. Et pardessus le marché, mon homme eut l’heureuse idée de ne pas manquer la religieuse escapade de la Gatineau ni l’orgie qui s’en suivit. Mais on avait besoin d’une plume, et l’on pardonnait tout. Ah ! si un libéral eût fait la dixième partie de cela, les chaires auraient croulé sous le poids des anathèmes !

Un jour qu’il se trouvait à New-York, où il était allé chaperonner le premier détachement de Zouaves qui sont allés protéger le pouvoir temporel, mon homme fit un petit dîner avec quelques amis. L’un d’eux, mon parent, lui dit après quelques verres consacrés à l’amitié : — Mais dis-moi donc, X… comment diable fais-tu pour écrire si bien des articles dont tu ne penses pas un mot ? Avec nous tu parles des prêtres comme Voltaire, et dans ton journal tu les encenses comme un vieux thuriféraire ! Vas-tu continuer longtemps ce jeu là, penser d’une manière et parler de l’autre ? « 

Et voici, Mgr, la réponse textuelle de ce rédacteur à bons principes, et si transporté d’amour pour le Pape. Et je demande même pardon à V. G. d’être obligé de copier l’expression que ce zélé défenseur de la religion s’est permise. Mais ce défenseur, qui l’a formé ?

— Que veux-tu, mon cher, ce n’est pas de sitôt que nous pourrons nous débarrasser, en Canada, de cette s… canaille de prêtres !  !

Voilà, Mgr le mot d’un homme qui a fait son chemin par le moyen du Clergé ! C’est un de ses élèves les plus choyés qui parle ainsi ! N’y aurait-il pas, par hazard, quelque vice grave dans une direction qui produit de pareils résultats ? Ces élèves, si moralement dirigés, pensent d’une manière et écrivent de l’autre pour faire leur cour ; insultent par hypocrisie de zèle ceux qu’ils savent être sincères et dont la vue seule souvent les fait rougir de leur propre duplicité ; mordent sans relâche tout ce qui n’est pas servile et abject comme eux ; et le Clergé, tout en n’ignorant nullement le fond de leur pensée ni les détails de leur conduite, se sert d’eux et leur dicte ce qu’ils doivent dire !  ! Où dénicher la morale et la conscience dans ces hypocrisies et ces connivences, Mgr ?

Et je retrouve partout le même système. Personne n’ignore la grande lutte qui avait lieu il n’y a pas très longtemps dans une « Union » célèbre pour la soustraire en partie à l’influence du Clergé. On se rappelle encore quelles ardentes discussions ont eu lieu ; combien on s’insurgeait d’un côté contre une direction mesquine, étroite et tracassière ; et combien on criait à l’insubordination de l’autre. Tout paraît marcher sur des roues aujourd’hui grâce à la capacité d’intrigue des uns et à la longue habitude de suivre des autres ; mais on entend encore bruire dans l’atmosphère les brûlantes épithètes adressées par ceux qui voulaient cesser de suivre à certain chapelain plus remarquable par le mouvement qu’il se donne dans nos rues que par sa discrétion et surtout sa franchise. On n’a pas encore oublié qu’il était un beau jour surpris en pleine séance changeant le sens d’une lettre qu’il communiquait à ceux auxquels il était chargé d’inspirer des sentiments de religion, mais non, apparemment, de donner des exemples de sincérité. Un pareil exemple suivi de réconciliation cordiale explique bien des choses. On n’a pas oublié non plus cette honnête tactique qui lui a valu les épithètes d’hypocrite et de fourbe de la part de membres se disant archi-catholiques. On n’a pas oublié non plus avec quel sans gêne le révérend chapelain a signifié à l’association que si l’on était récalcitrant, le collège des Jésuites reprendrait ses livres, (achetés en grande partie, s’il vous plaît, au moyen des souscriptions des membres et du public) et que les membres de l’association seraient les bienvenus à s’aller promener où bon leur semblerait, mais veufs de leur bibliothèque. On n’a pas oublié enfin les énergiques protestations qui se sont élevées au sein du corps contre cette loyale tentative de mettre la main sur une bibliothèque déjà importante, et quelles anti-chrétiennes apostrophes furent lancées en pleine salle au susdit chapelain quoiqu’on fût en plein centre catholique !  ! Et puis, singulière allure des choses humaines, on a vu le vent de la discorde cesser peu à peu de souffler, la grande tempête s’appaiser, les épithètes anti-évangéliques se changer soudainement en compliments affectueux, et maintenant nous voyons avec une profonde édification les anciens adversaires s’encenser réciproquement avec la plus ravissante cordialité chrétienne ! L’affaire de la lettre n’est plus qu’un innocent petit tour du bon père, et les formidables apostrophes qu’il a reçues un petit moment de vivacité pieuse qui ne tire pas à conséquence entre gens bourrés de bons principes.

Ces luttes, Mgr, nous ont montré, à nous membres de l’Institut si chrétiennement traités par V. G. et qui tout impies que l’on nous dise être, ne nous sommes jamais traités entre nous d’hypocrites et de fourbes pour l’excellente raison que nous ne connaissons personne dans l’Institut à qui ces expressions soient applicables ; ces luttes, dis-je, et ces vives querelles de ménage entre parfaits nous ont montré à quoi peut servir un chapelain intrigant et bien dressé. Mais je dois dire aussi qu’elles nous ont inspiré un petit préjugé contre cette catégorie de chapelains.

Dès que les membres de l’association en question ont voulu tant soit peu s’affirmer, se soustraire au contrôle obligé, et naviguer, très prudemment pourtant, au-delà du cercle tracé, le révérend chapelain a eu bien vite énergiquement mis le holà. Alors quelques colères ont éclaté, quelques payennes épithètes ont fait frissonner les orthodoxes voûtes ; quelques résistances se sont fait jour, le tout pour rentrer inopinément dans le calme plat sous la pression que l’on devine sans être sorcier, et les jeunes gens sont redevenus bons enfants bien dociles et bien sages. On a tranquillement repris l’agréable direction d’autrefois qui consiste à bien dépouiller cette jeunesse de toute indépendance de caractère et de tout esprit d’initiative, et à lui faire pastoralement parcourir les sentiers fleuris de l’obéissance passive ou peu s’en faut. On la dirige dans ses discussions et dans ses lectures de manière à lui inspirer une salutaire horreur de tout le droit moderne, de toute la fausse science de l’époque qui est dirigée par l’enfer au point de n’accepter que les faits démontrés sans se préoccuper de leur portée sur tel ou tel système, et enfin une hostilité décidée à tout véritable savoir historique. On lui défend toute étude et toute recherche qui sort du large champ d’idées que l’on reconnaît à M. le chapelain,[6] on lui recommande fortement les livres qui ont été écrits pour falsifier l’histoire et les faits, on la façonne ainsi paternellement au joug ecclésiastique, et quand on lui a bien appris comment penser d’une manière et agir de l’autre, on s’applaudit du bien que l’on a fait à la religion et à la patrie !  !

Voilà, Mgr, la direction dont nous ne voulons pas, à l’Institut. Et quand nous voyons une jeunesse dressée avec tant de sollicitude traiter son chapelain d’hypocrite et de fourbe, nous nous demandons avec effroi ce que nous, qui avons l’hypocrisie en horreur, serions forcés de lui dire !  ! Nous ne nous sentons nullement disposés d’ailleurs à servir d’instruments à un homme qui est lui-même l’instrument de ses supérieurs ; et nous croyons surtout que des hommes faits qui tiennent à déshonneur de déguiser leur pensée, peuvent se passer de chapelains qui ne lisent pas, en la communiquant, une lettre telle qu’elle est écrite.

On nous traite d’impies parce que nous voulons connaître par nous mêmes la vérité philosophique, scientifique et historique ; parce que nous tenons à voir les deux côtés des questions ; et nous, nous nous croyons tout aussi sensés, tout aussi sincères, et tout aussi chrétiens que nos calomniateurs en suivant à la lettre le fameux précepte de St. Paul : « Examinez bien tout, et prenez ce qui est bon. »

Et quand nous voyons les pasteurs se contredire dans leurs mandements ou dans leurs actes, on se mettre en contradiction avec eux-mêmes en parlant d’une manière et agissant d’une autre, que nous reste-t-il à faire sinon de suivre le précepte ci-dessus et de chercher par nous-mêmes ce qui est bon ?

Et enfin quand des théologiens étrangers, surpris ou affligés de ce qu’ils entendent, croient que nous chargeons le tableau quand nous leur faisons le simple récit de la manière d’agir de V. G. à notre égard ; quand nous les entendons nous dire : « Mais si les choses sont ainsi, c’est inconcevable ! » ou bien encore : « Mais c’est là une violation de devoir palpable et il n’est pas possible qu’un Évêque ait agi ainsi !… » quand nous les entendons affirmer comme théologiens que rien absolument ne s’oppose à ce qu’une association littéraire se tienne en dehors de la sphère religieuse et se compose de catholiques, de protestants, de juifs, etc., etc. — ce qui implique bien la nécessité que sa bibliothèque soit composée de manière à satisfaire les besoins de ses diverses catégories de membres ; il n’y a pas à sortir de là en dépit de tous les sophismes du monde — quand, dis-je, nous voyons et entendons ces choses et que nous les rapprochons des étranges exigences que l’on manifeste dans le seul diocèse de Montréal — car enfin je connais un Archevêque des provinces anglaises qui est membre d’une association littéraire qui contient des protestants et des catholiques et qui possède des livres à l’index, et cet Archevêque rirait bien si on lui apprenait la grave nouvelle que lui-même et ses confrères catholiques sont passibles de refus d’absolution à la vie et à la mort pour ces grands crimes ; — quand enfin nous voyons que malgré la raison, le bon sens, l’évidence et l’exemple de tous les centres intellectuels du monde, V. G. s’obstine à ne rien voir et à ne rien entendre parceque, comme me le disait un jour un prêtre sincère, l’opiniâtreté est chez elle comme une seconde religion ; ne nous est-il pas permis de penser que pourvu que l’influence hiérarchique reste dominante, les Évêques se préoccupent assez peu de voir la religion pleurer dans son coin sur les blessures qu’ils lui infligent par esprit de domination ? »

Et V. G. n’a pas même la ressource de dire que nous avons été condamnés par l’autorité compétente, car personne ne connaît mieux qu’Elle l’odieux tour de passe-passe dont les membres catholiques de l’Institut ont été victimes à Rome puisqu’il n’a été imaginé que pour Lui faire plaisir. Jamais la congrégation de l’Index n’a prononcé d’opinion dans leur appel sur la vrai question soumise, et qui était :

« Un catholique peut-il, sans être passible des censures ecclésiastiques, faire partie d’une association littéraire ayant des membres protestants et possédant des livres à l’index qui ne sont ni obscènes ni immoraux ? »

La prétendue décision dont on a fait tant de bruit ne contient pas un mot sur cette question ; donc elle n’est pas décidée quant à ceux qui l’ont posée. Et tant que la congrégation de l’index n’aura pas décidé cette question contre les appelants, ce sera toujours un mensonge aux faits et une duperie à l’adresse des ignorants que d’affirmer le fait de la condamnation des membres catholiques de l’Institut. On l’a fait avec la passion de l’esprit de parti, mais on eût fait le contraire si l’on eût été guidé par l’esprit de sincérité. Pour condamner les membres catholiques de l’Institut il fallait de toute nécessité que la congrégation de l’index leur dit : « Nous condamnons chez vous ce que nous n’osons condamner nulle part ailleurs. » Voilà pourquoi l’on n’a pas soufflé mot de la question ! Ah ! si l’Institut avait eu la bourse du Séminaire, les choses eussent peut-être tourné bien différemment !

Au reste, j’ai vu mieux que personne, par les colères qu’éprouvaient ceux des membres de l’Institut qui, poussés à bout par les obsessions de leurs femmes, ou de leurs mères, ou de leurs sœurs ; obsessions qui étaient commandées à celles-ci au confessionnal, et qui se résumaient presqu’à chaque heure, à la maison, dans ces observations aigres-douces que les femmes qui s’abandonnent aveuglément à la direction d’un confesseur intrigant savent glisser à propos de tout dans les conversations de la table ou de la veillée ; obsessions enfin qui, pour quelques uns d’entre eux devenaient des piqûres de chaque minute de la vie de famille et produisaient constamment des querelles et des refroidissements entre parents ; j’ai vu, dis-je, par les colères manifestées par ceux qui, étant ainsi le point de mire de la pression sacerdotale, hésitaient entre leur indépendance au dehors et la paix à la maison, j’ai vu quel odieux système V. G. a intronisé parmi nous.

Plusieurs ont du céder quoique convaincus en eux-mêmes de l’injustice de la tyrannie exercée sur eux par V. G. au moyen de femmes plus pieuses qu’éclairées ; mais quel était l’effet produit sur eux ?

« Oui je cède, pour ne pas être constamment en guerre à la maison, mais les… s’en souviendront un jour ! Mais voyez ma position ! Ma pauvre mère ne me laisse pas de paix. On l’a persuadée que je suis damné sans retour. Son confesseur va jusqu’à lui dire qu’il lui donne l’absolution avec terreur quand il la voit permettre à son fils de fréquenter l’Institut ! Il lui affirme craindre que ses communions ne soient quelque peu entachées puisqu’il y a un bien qu’elle peut faire, — me forcer de résigner — et qu’elle semble négliger. Cela met la pauvre femme au désespoir, et elle se croit presqu’aussi damnée que moi. Elle me fait des scènes de pleurs chaque fois qu’elle revient de confesse, et tout ce que son confesseur lui dit à mon sujet la rend profondément malheureuse ! J’ai d’un autre côté un vieil oncle que l’on a embéguiné il y a à peine un an et qui me jure par tous les saints du paradis qu’il ne me donnera jamais rien si je persiste à désobéir « à nos saints supérieurs. » Que feriez-vous à ma place ? Ma vie est une lutte de tous les instants contre des personnes que j’aime, mais que l’on a fanatisées au delà de toute expression, et chez lesquelles un sentiment de religion malentendue fait taire tout autre sentiment. »

Voilà ce que l’on m’a dit plus d’une fois, avec certaines variantes de situation. Et je conseillais naturellement à la victime d’un fanatisme plus arrogant qu’aveugle de laisser l’Institut puisqu’elle se trouvait dans un milieu si profondément bouleversé par la direction spirituelle. Et alors on me disait : « Ah ça, comptez toujours sur moi comme un de vos amis, et soyez sûr que quand vous aurez besoin de souscriptions, je ne resterai pas en arrière des autres. Je reste membre de cœur, rappelez-vous en bien. »

Voilà tout le résultat obtenu par V. G. On a sans doute cédé quelquefois sous une pression rendue puissante en fanatisant les familles, mais la colère reste au cœur de celui qui se trouve ainsi circonvenu et forcé de subir une volonté extérieure et despotique. Et en dernière analyse, c’était encore ici l’hypocrisie imposée par force majeure, les gens professant être ce qu’il n’étaient pas. Et c’est pour produire toutes ces violations de la sincérité et la franchise que V. G. commandait aux confesseurs d’agir sur les femmes pour dominer les hommes !  ! Si c’est là la religion bien entendue, il est certain que le christianisme a subsisté bien des siècles dans d’épaisses ténèbres ! Et si V. G. a raison, St. Pierre était dans une bien profonde erreur quand il réprouvait si nettement la contrainte forcée.

V. G. a fait entrer la guerre et la discorde dans plus d’une famille parfaitement unie auparavant. Mais qu’est-ce que la discorde dans les familles pour le prêtre dominateur qui veut gagner son point et établir la suprématie du sacerdoce ? Que lui fait l’hypocrisie imposée quand il paraît, aux yeux de la masse, avoir dompté une volonté ? V. G. a mis la guerre dans plusieurs familles parceque l’Institut possède des livres, à l’index sans doute, mais qui se trouvent dans toutes les bibliothèques du monde civilisé et dont les Évêques ne disent rien, c’est-à-dire dont ils n’excommunient pas les propriétaires. Serait-elle donc le seul Évêque sensé au monde ? le seul fidèle à son devoir ? le seul qui ne se tromperait pas ? Mais ne voyons nous pas V. G. se tromper gravement tous les jours ?

Quand des théologiens instruits m’ont dit, ou ont dit à plusieurs de mes amis : « Mais il y a d’excellents livres qui sont à l’index, » il n’est donc pas vrai d’affirmer que garder seulement chez soi un livre à l’index c’est se rendre passible de refus d’absolution à la mort. Quand V. G. a dit cela dans une lettre pastorale, et sans faire les distinctions qu’Elle savait être nécessaires, ou Elle se trompait gravement, ou Elle trompait ceux à qui Elle s’addressait comme pasteur des âmes. Si ce qu’Elle nous a dit était vrai, Beauregard et les autres assassins en faveur desquels on a fait tant de mise en scène religieuse sur leurs échafauds seraient donc des anges comparés à celui qui aurait chez lui les « Paroles d’un croyant, » ou le « Voyage en Orient, » ou le « Traité du mariage « de Pothier, ou les œuvres de Sismondi ! Ne serait-ce pas là plutôt, Mgr, de la morale à mettre à l’index ? Il me semble à moi en toute sincérité, qu’en bonne religion comme en bonne morale, il est hautement répréhensible de profiter du peu de lumières d’une population pour lui donner un pareil enseignement.

Quand un prêtre de cette ville disait aux assassins Desforges et Marie Crispin : « Souvenez-vous, mes enfants, que quand cette trappe tombera, c’est la porte du Ciel qui s’ouvrira pour vous ! » il n’a fait que scandaliser gravement les gens sensés et sincèrement religieux. La chose eût été très belle addressée à des martyrs de leur foi ou de leurs opinions, mais addressée à des coquins expiant en ce monde d’abominables crimes, elle a paru presque blasphématoire pour l’excellente raison que des actes extérieurs de religion ne sont pas une preuve que Dieu a déjà pardonné. Il a probablement lui aussi son mot à dire au criminel ; et aucun homme de bon sens ne peut croire que quelques prières tiennent lieu d’expiation et transportent tout à coup devant Dieu le criminel et l’infâme ! Le prêtre ne voit pas le fond du cœur et ne peut jamais savoir si l’expiation dans l’autre vie est devenue de surérogation. Il n’avait donc pas le droit de dire que la trappe de l’échafaud fût la porte du Ciel pour deux malfaiteurs confessés sans doute, mais que Dieu seul pouvait savoir être repentants.

Et pourtant, d’après l’étrange doctrine de V. G. sur la possession des livres à l’index, ce même prêtre aurait pu dire à un mourant possédant un de ces livres, même l’un des bons d’après les théologiens que l’esprit de parti ou de domination n’aveugle pas : « Pour vous, mon frère, qui n’avez ni volé ni assassiné, je ne vois guère d’autre perspective que l’enfer, car ayant chez vous un livre à l’index, je puis beaucoup moins vous donner l’absolution qu’aux assassins Desforges et Marie Crispin. Eux n’ont tué qu’un homme, mais vous avez un livre défendu ! ! ! » Singulière religion et singulière morale que celle-là, Mgr !

Au reste, ces grandioses cérémonies, en dépit des défenses du Rituel, à propos de l’exécution d’un assassin ; tout ce déploiement de zèle en faveur des criminels, quand on hésite si peu à maltraiter les honnêtes gens, ont souvent fait dire à bien des personnes du peuple : « Bah ! le meilleur moyen pour nous de mourir avec les grands honneurs, c’est d’assassiner un homme. » N’aurait-il pas autant valu ne pas créer cette impression, Mgr ?

Certes nous voilà loin de l’époque où l’on refusait la confession aux criminels ! C’était sans doute une abomination, mais combien a-t-il fallu de prescriptions énergiques de Conciles pour la faire cesser ? V. G. n’ignore pas non plus que le pape Nicolas v, au milieu du 15me siècle, refusa inflexiblement la confession à Etienne Porcaro et ses complices, qui la demandaient instamment, afin d’ajouter la torture morale à la torture physique ! Je ne veux certes pas justifier cette infamie, et bien mieux vaut sans doute l’excès dans l’autre sens ; mais le mieux ne serait-il pas de ne tomber dans aucun excès, soit de cruauté soit de zèle, et tout en remplissant un devoir envers un criminel mourant, de ne pas lui faire les splendides apothéoses que nous avons vues ? Ne vaut-il pas mieux ne faire que ce qui est juste et convenable ? Or il n’est pas convenable de promettre à haute voix le Ciel à un criminel en présence d’une foule quand c’est Dieu seul et non le prêtre qui peut le lui donner.

Mais que disait donc, à propos des livres à l’index, l’un des collègues de V. G. à quelqu’un qui lui demandait de poser des règles relativement à la possession ou à la lecture de ces livres ? « Mais elles existent les règles, répondit-il, et je n’y puis rien changer ni en faire de nouvelles. Il faut tout simplement savoir les appliquer avec un certain discernement. Si j’allais fouiller les rayons de toutes les bibliothèques de mon diocèse, je pourrais bien, en toute probabilité, trouver à reprendre ici ou là, mais en somme je ferais peut-être plus de mal que de bien. »

Voilà le grand mot, Mgr ! Voilà la grande chose requise dans toutes les situations. Il faut mettre en tout le discernement voulu. Et V. G. n’a malheureusement pas encore compris que le système de compression inexorable qu’Elle a adopté n’a fait que soulever des haines là où un peu de discernement eût créé des adhésions. Elle a eu le malheur d’agir au point de vue étroit du moine, et non au point de vue plus large de l’Évêque éclairé.

Au reste, ce qui vient de se passer à propos des noces d’or de V. G. nous donne parfaitement la clé de sa conduite à notre égard. Elle a si complètement manqué à toutes les convenances envers l’Archevêque d’abord, et aussi envers les autres Évêques et les prêtres invités à la cérémonie, qu’il n’est plus du tout surprenant pour nous qu’Elle ait si fortement violé à notre égard toutes les règles de la prudence, de la charité et de la justice. Elle semble croire quelquefois qu’il ne doit pas y avoir d’autre loi que sa volonté.

Systématiquement injuste envers nous dès l’origine ; violant à la fois tous les préceptes du devoir et de la charité pastorale ; ne revenant jamais d’une première impression ou d’une idée préconçue ; infligeant la censure acerbe aux uns pour posséder des livres à l’index, et laissant tranquilles les autres qui sont dans le même cas ; appliquant ces censures d’une manière tout-à-fait arbitraire et sans aucune monition ni procédure canonique ; — ce qui s’explique peut-être par l’observation que me faisait un prêtre étranger de très grand savoir ; que V. G. n’avait pas la première teinture du droit canonique ; — indulgente pour le vice confessé mais implacable pour l’honnêteté indépendante ; protégeant ou acceptant l’hypocrite à condition qu’il se montre très soumis d’esprit, et vilipendant sans merci dans ses mandements l’homme sincère qui résiste à des exigences évidemment exagérées ; les membres de l’Institut voyaient bien quel était le vrai mobile de V. G. à leur égard, mais la population ne pouvait croire à des motifs d’un ordre répréhensible chez Elle ; et elle attribuait ses sévérités outrées, et qui parfois lui semblaient peu intelligentes, à un véritable sentiment de devoir quoique peut-être un peu mal compris. Quelques-uns trouvaient bien aussi qu’Elle lançait un peu trop volontiers l’anathème, pensant sans doute avec Origène : « que le prêtre est placé dans le monde pour aimer et non pour maudire ; » et avec, le pape Benoit xiv : « que la main de l’Évêque ne doit jamais se lever que pour bénir. » Mais l’anathème est devenu si fréquent sous les derniers papes que l’on semble le regarder comme un moyen indispensable de gouvernement. Il représente aujourd’hui dans les grandes affaires l’ancienne férule du magister dans les petites. La masse ignorante qui ne juge que sur ce qu’on lui dit à l’église donnait donc le tort aux membres de l’Institut. Mais qu’avons nous vu dernièrement ?

Pour atténuer l’effet du dernier décret de Rome — que V. G. ne veut pas publier quoiqu’il soit sorti depuis six mois — et aussi pour agir fortement sur l’opinion au moment de la grande lutte qu’Elle allait entreprendre contre l’Archevêque et l’Université Laval, V. G. a préparé de longue main une grande démonstration dans laquelle le malencontreux décret serait noyé sous les flots d’encens qui Lui seraient prodigués. La démonstration réussissant, Elle aurait peut être un dernier moyen d’agir sur la Propagande pour faire modifier le décret qui lui cause tant de chagrin. Comme personne ne se pressait d’agir, l’Évêché prit lui-même l’initiative et les fidèles du Diocèse furent invités à célébrer la 50me année de prêtrise de V. G. Ils ont sans doute répondu grandement à l’appel, mais le fait restera toujours que ce n’est pas d’eux qu’est venue l’initiative, et que si le branle n’eût pas été donné par l’Évêché lui-même, la démonstration se fût réduite à d’assez minimes proportions.

Mais le branle une fois donné, V. G. fit habilement les choses. Des blancs d’adresse furent donc imprimés aux frais de l’Évêché et distribués partout ; puis une pression adroite fut exercée sur les individus dont on attendait du zèle ; sur les confréries, sur les corporations laïques où l’on comptait des amis. Les adresses vinrent donc de toutes parts et V. G. obtint un grand succès moral et surtout un énorme succès pécuniaire, chose qui réjouit toujours l’Église. Au reste tout cela est de bonne guerre et je n’ai ni la volonté ni le droit de blâmer ceux qui ont bien voulu souscrire largement pour bâtir en plein centre protestant une cathédrale catholique que l’on semble ainsi éloigner de parti pris du noyau de population qui fait la force de V. G. Quand une population ne comprend pas le mal qu’on lui fait, à elle la responsabilité de sa trop grande confiance en des hommes qui en abusent ! Je constate donc le plus grand succès de la vie de V. G.

Mais au point culminant de toute l’affaire, on a malheureusement trop forcé la note, et nous avons vu ce dont un prêtre est capable en fait de représailles longuement combinées quand il est en état d’hostilité décidée contre d’autres prêtres. Dans une occasion qui devait être toute de sympathie et de bon vouloir mutuel ; dans cette grande fête de famille où l’on devait au moins suspendre toute idée de rivalité ou de conflit, et remettre avec soin toute dissidence à un autre jour ; quelques notes terriblement discordantes sont venues frapper le public de stupeur. Après avoir vu inviter tant d’Évêques et de prêtres à venir joindre leurs félicitations à celles du Diocèse, le public était à cent lieues de prévoir l’injure qui leur serait offerte en pleine église Notre Dame. Il était loin de prévoir aussi qu’acceptant l’hospitalité dans l’Église du Séminaire en quelque sorte puisqu’elle lui doit l’existence, V. G. permettrait à tant d’observations de la plus flagrante hostilité contre ses membres de s’y faire jour sans la moindre observation de sa part.

Et ici, Mgr, on n’a pas la ressource ordinaire de dire qu’il n’y a que les impies qui aient fait semblant d’être froissés, car il y avait huit personnes sur dix dans l’énorme auditoire qui en ont été péniblement impressionnées ; et non pas seulement les laïcs, mais les Évêques et les prêtres aussi. Personne n’ignore que l’Archevêque a délibéré s’il se rendrait au dîner, et qu’il n’y est allé que pour éviter le scandale qui résulterait de son abstention ; montrant en cela bien plus de sens chrétien, lui l’insulté quoiqu’invité, que ceux qui manquaient ainsi à toutes les convenances sociales et hiérarchiques. Et il est incontestable que la majorité des Évêques et des prêtres qui étaient là ont apprécié les choses comme je les dis ici et sont restés confondus ou irrités de voir V. G. non seulement laisser dire, sans observations subséquentes, des choses désagréables à ses invités, mais leur en faire Elle même !

Ainsi, à la messe du dimanche, à l’Évêché, à laquelle l’Archevêque assistait, — et là il était bien immédiatement l’hôte de V. G. — qui choisit-on pour le sermon du jour ? Précisément un prêtre qu’il a renvoyé de son Diocèse pour de très légitimes raisons. Ce choix dans votre propre église, Mgr, peut-il être regardé comme n’ayant aucune signification quand on sait quelle lutte ardente V. G. a faite à l’Archevêque à Rome, et surtout quand on repasse dans son esprit les choses injurieuses qui ont été dites à l’Archevêque dans votre propre journal ? Voilà donc un homme renvoyé par l’Archevêque qui lui fait la leçon sous l’égide de V. G. dont il était l’hôte ! Certes, nous voilà loin de l’époque où V. G. s’écriait, dans une lettre pastorale que j’ai sous les yeux : (celle où il y a des choses que l’on ne doit pas communiquer aux fidèles) « À Notre Révérendissime Archevêque, rosée de la grâce et gloire éternelle !  ! Car il faut bien avouer que l’Archevêque actuel n’a reçu depuis deux ans dans le Nouveau-Monde, je ne dirai pas qu’une rosée de persifflage, mais des averses formidables et sans fin !

Puis qui choisit-on pour le sermon du grand jour ? Un autre prêtre, plus célèbre par son arrogance ultramontaine que par sa discrétion, renvoyé aussi de Québec par l’Archevêque précèdent pour ses insolentes attaques contre l’université, et les leçons qu’il lui adressait à lui-même en pleine cathédrale ; et auquel l’Archevêque actuel a dû refuser net sa réinstallation à Québec. Voilà encore l’homme que l’on choisit pour faire mille allusions désagréables que tout le public à comprises comme s’adressant à l’Archevêque, à d’autres Évêques, et aux prêtres de St. Sulpice !

Je vois que l’on proteste aujourd’hui avec la plus charmante bonhomie et une placidité d’expression ravissante, que l’on n’a… jamais… songé… à pareille chose : que l’on entretient le plus profond respect pour Sa Grâce, etc., mais le public sait parfaitement à quoi s’en tenir sur ces protestations après coup et les accepte exactement pour ce qu’elle valent.

Et ce n’est pas encore tout.

Si jamais homme en ce pays s’est permis un persifflage impudent vis-à-vis d’un supérieur ecclésiastique, c’est certainement M. le Chanoine Lamarche contre l’Archevêque actuel de Québec. C’était scandaleux pour ceux qui comprenaient, car on le calomniait et on le persifflait sous tous les dehors du plus grand respect. Eh bien c’est précisément ce prêtre, dont l’arrogance est passée en proverbe, et dont le manque de loyauté envers autrui a été si souvent prouvé, que V. G. choisit pour l’accoler au digne homme qui est son grand vicaire,[7] se rendre en leur compagnie au Séminaire, et se faire assister sur les marches du trône épiscopal ! Autant le choix de l’un devait être agréable à tout le monde, autant celui de l’autre était malheureux et significatif ; car, en le plaçant ainsi immédiatement près d’elle et en face de l’Archevêque dans la grande cérémonie, V. G. disait implicitement à celui-ci et aux prêtres de St. Sulpice qu’il a si gravement insultés de tant de manière : « Vous voyez cet homme ! Eh bien, c’est avec lui et non avec vous que je suis uni de cœur et de pensée ! C’est lui qui représente mes idées ! C’est lui qui, dans les leçons qu’il vous a faites, avait toutes mes sympathies. Et je le place ici près de moi comme mon bras droit dans la presse après l’avoir approuvé sous mon nom dans mon journal, afin que cet énorme auditoire comprenne bien qui je blâme et qui j’accepte. »

Si V. G. ne veut pas croire que la chose a été comprise ainsi par tout le monde, Évêques, prêtres et laïcs, Elle est encore plus aveuglée que je le pensais par la conviction que plusieurs de ses intimes lui attribuent, que ne faisant jamais rien d’important sans consulter le St. Esprit, Elle est habituellement guidée par lui. Voilà l’idée que les flatteurs de V. G. donnent au public de son humilité !

Ainsi donc sur dix Évêques présents, et sur plus de 400 prêtres, il se trouve que l’on a choisi pour les parties saillantes des cérémonies précisément les trois hommes qui devaient déplaire davantage à l’Archevêque, le principal invité de V. G. Et il y a des gens qui supposent le public assez obtus pour croire, par cela seul qu’on le lui dit, que le plus pur hazard a déterminé ces choix !

Parmi les laïcs, Mgr quand nous invitons quelqu’un à quelque fête de famille ou à quelque réunion d’amis, nous veillons avec le plus grand soin à ce qu’il ne lui arrive rien de désagréable, et nous regardons comme s’adressant à nous mêmes tout manque d’égards envers nos hôtes. Et quand malheureusement telle chose arrive, nous ne voyons rien de plus impérieusement obligatoire que d’en offrir avec empressement et regret nos excuses. Quant à celui qui se rend lui-même coupable d’inconvenance envers ses hôtes, j’évite de coucher ici les expressions qu’on lui applique. Je vois qu’il en est autrement dans le monde ecclésiastique, au moins dans celui du Diocèse de Montréal. Et ce sera toujours, Mgr, un sujet d’étonnement et de stupeur pour ceux qui ont la compréhension des convenances, que V. G. n’ait pas un instant songé à exprimer publiquement ou privément ses regrets à ceux à qui l’on a fait subir toutes ces avanies, et qui l’ont compris ainsi. Ce fait seul démontre que l’on avait un objet en vue. Mais ici encore, sans aucun doute, V. G. persistera à croire qu’Elle seule a raison et que tout le monde a tort.

Voici Mgr l’impression qu’ont reçu de tout ce qui s’est passé un nombre infini de personnes qui pourtant n’ont jamais été hostiles à l’Évêché, mais que l’évidence des faits domine.

« Il n’est pas admissible que le choix des trois prêtres désignés pour prédicateurs et assistant au trône ne soit que l’effet du hazard. Le hazard seul ne fait pas choisir ainsi précisément les hommes qu’il faut écarter. Il n’est pas non plus admissible que des sermons qui ont été tous deux fortement désagréables à une si grande portion des auditoires, même ecclésiastiques, soient aussi le pur effet du hazard. On peut faire croire ces choses aux imbéciles, mais non à ceux qui comprennent ce qu’ils voient. Il est donc évident que l’on avait quelque part l’intention de donner une leçon à plusieurs des invités. On peut sans doute nier cette intention, mais les paroles ne tiennent pas contre les faits. Était-ce là une occasion convenable de donner cette leçon ? Certainement non, car même quand on invite un adversaire, on doit le traiter comme ami tant qu’il est notre hôte, sinon l’on manque autant au bon sens qu’aux convenances. Et pourtant le fait de la leçon donnée aux invités existe, crève les yeux. On voulait donc les punir de quelque chose ; et c’est en organisant les détails de la grande fête que l’on a plus adroitement que chrétiennement préparé la punition. On a fait payer le plus cher que l’on a pu à l’Archevêque son rapport à Rome ; on a fait payer aux MM. de St. Sulpice la façon du décret de Rome, et on a bien clairement signifié aux Évêques présents que seul Mgr de Montréal avait fait tout son devoir. Ainsi cette grande fête qui devait unir tout le monde dans un commun esprit de sympathie et de bon vouloir réciproque, on lui a donné toute l’apparence d’un pieux guet-apens. »

Voilà Mgr, en toute franchise l’impression produite. Vos flatteurs ne vous le diront pas, mais moi, je vous dis ici la vérité toute une comme je reconnaîtrais avec plaisir le contraire s’il y avait lieu. Et cette impression générale, Mgr, est confirmée par les indiscrétions inévitables des amis zélés qui ne savent pas démêler ce qu’il ne faut pas répéter. Des intimes de l’Évêché ont dit à plusieurs personnes et à moi même — Que devait penser l’Archevêque quand un prêtre qu’il a renvoyé de son Diocèse lui définissait si bien le gallicanisme et lui montrait ce que l’Évêque de Montréal sait faire ? — Tiens, ai je dit, on l’a donc fait exprès pour l’insulter ? — Oh non, mais il est bon quelquefois de montrer aux gallicans le mauvais côté de leurs idées. — Alors, c’est pour leur dire leurs vérités que l’on a invité les susdits gallicans ? — Mais Mgr de Montréal ne pouvait faire autrement que d’exposer la vraie doctrine romaine dans une occasion aussi solennelle. Tant pis pour ceux qu’elle offusque. » Voilà pour une indiscrétion.

Mais voici venir un autre intime qui nous parle du grand nombre de malades qu’il y avait dans l’Église de N.-D. et du petit nombre des grands malades. Laissons les petits malades puisqu’il y en avait tant ; mais quels étaient donc les grands malades ? Nécessairement l’Archevêque, puis quelques Évêques, puis les prêtres de St. Sulpice, puis enfin les prêtres étrangers qui ont trouvé les remèdes amers. À qui l’expression « grands malades » peut elle s’appliquer sinon à cette portion des invités ? C’est encore un des intimes de l’Évêché qui parle ainsi : « Il ne fallait pas, dit-il, manquer cette occasion providentielle. » On a donc eu l’intention de ne pas la manquer. Le public a donc raison de dire que l’on voulait donner une leçon. Qui voulait la donner ? Était-ce seulement le père Braun ? N’y avait-il donc pas de bien plus hauts personnages que lui encore plus hostiles à l’Archevêque qu’il ne l’est ? Ceux qui nient toute intention de donner une leçon s’imaginent donc que nous ne voyons pas ce qui nous crève les yeux !

« On a donné le remède à haute dose, » dit un autre intime. Serait ce le hazard seul, le pur hazard, qui a administré cette dose ? Et à qui l’a t-on servie ? Certainement pas à V. G. Donc à ses invités ! Où est le moyen terme ? Il n’y en a pas. C’est à V. G. ou à l’Archevêque que les remèdes amers ont été offerts, que la haute dose a été donnée. On ment donc impudemment quand on dit que l’on n’a jamais songé à donner une leçon.

Maintenant après avoir bien souffleté les gens, on se retranche derrière la nécessité de développer la doctrine !

Cette hypocrisie appartient d’abord au Nouveau-Monde, le plus intime des intimes. Le public n’est pas dupe de tous ces pieux subterfuges, Mgr, surtout quand nous voyons la guerre recommencer immédiatement avec plus d’acharnement que jamais.

D’ailleurs le Nouveau-Monde n’a-t-il pas dit en toutes lettres qu’il fallait profiter de cette grande réunion de toutes les parties du Diocèse et du pays pour affirmer hautement les idées romaines ? N’a-t il pas aussi parlé de triomphe remporté ? Et remporté sur qui ? Nécessairement sur les gens qu’il nous a lui-même appris n’être pas assez romains. Et qui sont ces gens ? Sans doute ceux qui se sont défait de l’esprit romain. Et qui donc s’est défait de l’esprit romain ? Eh bien nous ne le savions pas, mais le Nouveau-Monde nous l’a bien clairement expliqué il y a deux ans. Ce n’est ni plus ni moins que l’Archevêque. J’ai conservé et collé l’intéressant passage dans mon calepin, car j’ai compris dès lors ce qui se préparait.

Avec cela tout s’explique à merveille. L’Archevêque s’est défait de l’esprit romain, ce qui explique pourquoi il a soumis un document gallican au dernier concile de Québec, fait abominable qui mérite bien une leçon, et un remède à haute dose à ce grand malade ! Puis il a fait un rapport à Rome où il n’a pas complètement approuvé V. G. en tout ; et puis il est venu ici recevoir le Pallium, chose qu’il aurait tout aussi bien pu faire chez lui… Voilà donc un homme auquel il était plus qu’à propos de dire carrément son fait. Invitons le donc à la fête, et pour bien lui défiler tout ce que nous avons sur le cœur, choisissons pour ce faire le prêtre même qui a dû déguerpir du Diocèse de Québec parceque là aussi, inspiré sans doute par le plus pur esprit romain, il faisait en pleine cathédrale la leçon à son Archevêque. Certes Mgr, le nombre des malades, et surtout des grands malades, semble devenir alarmant dans le Clergé. Et l’on viendra ensuite nous dire arrogamment que nous ne sommes pas assez respectueux envers des prêtres qui se traitent ainsi les uns les autres ! Non ! Mgr, il y a dans tout ce que nous avons vu une logique des faits que toutes les dénégations hypocrites du Nouveau-Monde ne sauraient détruire. La conviction a aujourd’hui succédé à la première impression créée et restera.

Et si vraiment, malgré des rapprochements si palpables et des faits si concluants ; si vraiment il n’y a eu aucune intention chez personne d’être désagréable à quelqu’un, eh bien franchement, il vaudrait presque mieux, pour les directeurs de la démonstration, admettre cette intention que de confesser par leurs dénégations la singulière incompétence que tant de gaucheries d’un si fort calibre démontrent visiblement.

Et je ne puis pas beaucoup me tromper dans l’appréciation que je fais ici puisque tous les prêtres étrangers au Diocèse et nombre de ceux qui lui appartiennent ont compris les choses comme je les constate, et en témoignent à qui veut les entendre leur indignation bien caractérisée et bien réfléchie.

Et les assistants n’ont pas davantage omis de remarquer quelle grande part incombait au Séminaire dans toute cette savante stratégie, et la singulière inconvenance de choisir sa propre église pour y tenir ses membres sur la sellette pendant plus d’une heure ; et cela si peu de temps après que le lourd auteur de la comédie infernale avait reçu les ordres de la main de V. G. qui sanctionnait ainsi solennellement aux yeux du public tout ce qu’avait tracé cette plume saturée de fiel et d’hypocrisie.

Quand les faits s’enchaînent si bien, Mgr, il n’y a pas moyen pour les hommes sensés de croire à la sincérité de ceux qui nient clairement l’évidence. Et quand une fois leur manque de sincérité est bien établi sur un point, les suppositions raisonnables et les doutes fondés peuvent aller fort loin.

Et le fait est, Mgr, que nous n’en sommes plus aux suppositions. De sourde qu’elle était, la guerre est devenue ouverte, acharnée. Il devient évident que pendant l’averse de compliments que les noces d’or faisaient pleuvoir, chacun se réservait in petto de ne perdre ni un coup de dent ni un coup de griffe quand les embrassades seraient finies. Il est clair aussi que tout en répondant affectueusement de bouche à l’adresse du Séminaire, V. G. pensait en elle-même : « Attendez, attendez, mes chers coopérateurs ! Je vous tiens en réserve un bon petit plat de ma façon ! » Et en effet, dès le dimanche qui a suivi la grande cérémonie et l’administration affectueuse des remèdes amers, V. G. en dépit du décret de Rome, voire même de la sainte obéissance, recommençait le feu avec plus de vigueur qu’auparavant. Les compliments sans fin, les étreintes de l’amitié et les encensements réciproques n’avaient signifié qu’une courte trêve, et la lutte se fait plus que jamais aujourd’hui unguibus et rostro.

Ces démonstrations amicales « dans le Seigneur, » pour se déchirer en toute conscience le lendemain ne se voient pas entre laïcs, Mgr ! Et il est parfaitement clair encore que pendant que l’Archevêque était ici son invité, V. G. et les Rév. Pères Jésuites arrangiez ensemble le grand plan de campagne relatif à l’université, mais pas un mot, pas un geste, n’en laissèrent rien soupçonner. On s’est contenté de la leçon aux gallicans et des hautes doses aux grands malades. Mais l’Archevêque n’était pas plutôt rendu à Québec que le Supérieur des Jésuites y arrivait sur ses talons ayant en poche ses pétitions et son projet d’université au moyen duquel on espère remettre à flot un établissement en péril.

Cette démarche a mis plus que jamais le feu au poudres ecclésiastiques, et nous ne voyons plus qu’un feu roulant d’articles tapageurs dans les journaux religieux, où personne ne dit la vérité si l’on en croit les deux camps ; puis un formidable chassé-croisé de lettres épiscopales, d’affirmations solennelles pastoralement accueillies de démentis aussi solennels ; et ce qui reste de plus clair pour le public dans tout ce grand conflit ecclésiastique, c’est que les princes de l’Église eux-mêmes ont fait pleurer la vérité, et surtout que l’esprit de parti entre ecclésiastiques rejette bien loin dans l’ombre l’esprit de parti entre laïcs !

Nous avons donc marché de surprise. Nous avons vu V. G. donner le démenti à l’Archevêque, puis s’autoriser du nom du Cardinal Barnabo, et voilà que tout à coup, comme le dernier coup de tonnerre d’un jour d’orage, le télégraphe, rapide comme la pensée, rapporte de Rome une réponse du même Cardinal, qui donne raison à l’Archevêque et tort à V. G. ?  ! Certes il faut bien admettre que si V. G. a joué serré à l’adresse de l’Archevêque en l’invitant à ses noces d’or, celui-ci le lui a rendu avec usure par son télégramme.

Et comme il fallait bien que le Nouveau Monde couronnât tout ce grave conflit par quelques grosse ineptie, voilà la sainte feuille qui vient finement nous informer qu’en s’y prenant d’une certaine manière, comme des initiés, on obtient ce que l’on veut à Rome. Le révérend M. Pelletier nous en avait déjà dit autant, il y a quinze jours, à propos des éloges décernés par la Civiltà Caltolica au Révd M. Paquet pour son pamphlet intitulé « le Libéralisme. » Ce Monsieur n’aurait, d’après son confrère, obtenu les susdits éloges qu’au moyen de certaines manœuvres… de certaines intrigues etc., etc., etc.

Serait-ce donc aussi par des manœuvres et des intrigues que l’on obtient à Rome la condamnation des absents ? V. G. doit en savoir quelque chose. Et ici une idée me frappe. Si au moyen d’intrigues adroitement ourdies, on peut si facilement faire louer à Rome ce qui est condamnable, pourquoi donc, avec un peu de savoir faire, n’y ferait on pas aussi condamner ce qui n’est pas condamnable ? L’un n’est clairement pas plus difficile que l’autre. Puisque les illustres membres des saintes congrégations ne savent pas toujours ce qu’il faut louer, comment serait-on tenu de croire qu’ils savent toujours d’une manière certaine ce qu’il faut blâmer ? Quoi, ils loueraient si facilement par surprise et ne condamneraient jamais de la même manière ! Et ce sont des prêtres qui nous suggèrent ce point de vue !

Ah, je m’explique aujourd’hui bien mieux que jamais pourquoi des théologiens instruits n’ont pu m’indiquer ce que j’avais pu dire de pervers dans celui de mes pamphlets auquel, on a fait les honneurs de l’index ; et aussi pourquoi V. G. elle même n’a pas osé me l’indiquer non plus quand je le lui ai demandé. La congrégation de l’index lui aura peut-être rendu un service au lieu de rendre un arrêt, au contraire des anciens Juges français qui avaient d’autres traditions et pensaient qu’une cour doit rendre des arrêts et non des services. Au reste, d’après le système que nous dévoilent et nous expliquent le Nouveau Monde et le Révd. M. Pelletier, on comprend à peu près comment V. G. a pu procéder. Elle n’aura eu qu’à dire à la Ste. Congrégation : « Tenez, il faut me condamner ce pamphlet afin de dépopulariser l’importun qui se permet de disséquer mes paroles et mes actes. Il est important d’ailleurs de donner une leçon à nos libéraux canadiens. » On sait quel magique effet produit à Rome, le mot « libéral, » et le discours a été mis à l’index comme contenant des principes pernicieux, mais sans en indiquer un seul, ce qui est infiniment plus commode. Qui sait d’ailleurs si l’on n’a pas été surpris comme pour les éloges décernés au Révd. M. Paquet, d’après le Révd. M. Pelletier, on comme pour la réponse à l’Archevêque d’après le prêtre du Nouveau Monde ? Et pourquoi la même chose n’aurait-elle pas eu lieu pour mon pamphlet ?

Ne pouvant obtenir une décision affirmant que les propriétaires d’une bibliothèque publique étaient passibles des censures ecclésiastiques pour le seul fait qu’elle contient des livres à l’index, — car c’est un fait démontré par le décret même que V. G. n’a pu obtenir cela ; — Elle aura, toujours d’après le système développé par mes deux autorités, dit à la sainte congrégation : « Ah ça, puisque vous ne voulez pas confirmer mes censures contre les propriétaires de bibliothèques publiques, donnez moi toujours une condamnation quelconque contre l’Institut qui sauve ma dignité aux yeux des aveugles de mon Diocèse. D’abord c’est un nid de libéraux que cet Institut, voyez ce qui s’y dit. » Et V. G. tendit mon pauvre discours sur la tolérance où j’ai commis l’irrémissible crime de prêcher un peu la modération et la charité aux ecclésiastiques, ce qui équivaut presque, à leurs yeux, à supposer une imperfection à Dieu lui-même. La sainte congrégation trouva donc la chrétienne combinaison que voici :

« Ce discours sur la tolérance n’a rien d’anti-catholique, mais il n’est pas assez ultramontain. Et puis l’auteur donne quelque peu à entendre que nous pourrions bien être « des violents et non des pasteurs, » comme disait notre ancien St. Grégoire le grand, qu’il nous faudra peut être mettre aussi à l’index, si l’on se met à citer les portrait anticipés, mais si ressemblants, qu’il a faits de nous. L’auteur semble d’ailleurs insinuer qu’au moyen de leur conscience et de leur raison, les hommes peuvent arriver au vrai, chose que nous ne pouvons tolérer puisque ce serait admettre que l’on peut se passer de nous. Nous allons donc le condamner mais sans indiquer où est le mal. C’est un moyen toujours infaillible de faire supposer les livres pires qu’ils ne sont par les aveugles. Puis, comme le discours a été prononcé devant l’Institut, affirmons comme si c’était prouvé, que les principes qu’il émet forment l’enseignement de l’Institut et que conséquemment l’Institut a des principes pernicieux. Quant à la question des livres, n’en disons mot. Il faut bien faire ce petit plaisir à notre bon Évêque de Montréal. »

Voilà le modus operandi de toute la manœuvre relative à l’Institut que l’on peut très raisonnablement inférer des adroites explications de nos deux prêtres. Et l’on a vu cette odieuse violation des plus simples règles de la justice : rendre tout un corps responsable des paroles de l’un de ses membres, paroles où l’on n’indique pourtant pas ce qui est répréhensible ! Et l’on a vu de plus le scandale que voici : déclarer ce corps coupable d’enseigner des principes pernicieux sans l’entendre, et sur la seule affirmation de l’accusateur ! Si on lui avait communiqué l’accusation, il aurait informé le juge qu’il n’avait aucune espèce d’enseignement quelconque, et l’on n’aurait pas pu le condamner, ce qui eût gâté tout l’effet. En ne lui en parlant pas, la condamnation allait de soi. Et l’on a vu encore cet autre scandale : rendre un décret sur une accusation portée en l’absence et hors la connaissance des intéressés ; et rester muet comme la tombe sur la question soumise par les intéressés eux-mêmes !  !

Voilà ce que l’on peut obtenir à Rome en employant les moyens voulus. D’après le Nouveau Monde lui-même, tout dépend de la manière de poser la question. L’Archevêque l’ayant posée d’une certaine manière, l’Évêque de Montréal pouvait avoir tort ; mais si l’Évêque de Montréal eût posé la question à sa manière à lui, oh alors, c’est l’Archevêque qui aurait eu sur les doigts ! Ne voilà t-il pas une intelligente manière de faire apprécier la sagesse des saintes congrégations romaines ? Il devient dès lors évident que je n’avais pas suffisamment étudié la manière de poser une question à Rome.

J’avais tout bêtement cru que la justice et la conscience étaient les seules raisons déterminantes des actes de la sainte curie, et voici deux prêtres qui viennent m’informer que pour obtenir d’elle un éloge ou une condamnation il suffit de savoir arranger sa question. Avec de l’adresse, suivant l’un de ces prêtres, le Révd. M. Paquet s’est fait élever aux nues quand il aurait dû être condamné ; et avec de l’adresse encore, suivant l’autre, l’Archevêque a fait condamner V. G. qui ne le méritait pas ! Qu’est ce donc alors qui nous empêche de croire que c’est tout simplement avec de l’adresse aussi que V. G. a obtenu le décret contre l’Institut ? Ce décret est la vraie quintessence de l’injustice puisqu’on y condamne des absents non informés qu’on va les juger. La conscience n’a donc rien eu à voir dans sa rédaction. Il faut donc de toute nécessité retomber sur l’adresse de l’accusateur et la complicité du juge !

Au reste je dois dire ici que nous avions très bien prévu ce qui nous est arrivé. Quand la question d’aller à Rome s’est présentée, plusieurs d’entre nous en ont contesté l’utilité, disant qu’il était complètement illusoire d’espérer d’y obtenir justice ; que les ecclésiastiques avaient quelque fois chance d’y être écoutés contre leurs supérieurs, mais les laïcs à peu près jamais ; que V. G. en disant seulement qu’Elle avait affaire à des libéraux, rendrait sa cause bonne quelle qu’elle fût, et la nôtre mauvaise quelque plausible que fussent nos raisons. À cela plusieurs répondirent qu’ils ne voyaient dans ces graves objections qu’une raison de plus en faveur d’un appel, et que si tel était l’état des choses à Rome, si les saintes congrégations n’offraient aucune garantie de justice impartiale, si un Évêque devait y être soutenu à l’encontre non seulement de la justice et de la raison, mais encore de la pratique consacrée dans tous les pays catholiques éclairés, autant valait savoir de suite à quoi s’en tenir et montrer d’une manière tangible, pratique, les prodigieux vices de la justice romaine, si souvent décrits par tant d’écrivains catholiques éminents. Nous décidâmes donc en faveur de l’appel, non pas avec l’espoir sérieux d’obtenir justice, mais avec l’intention bien arrêtée de convaincre le public qu’il était inutile de l’espérer. Et jamais prévision ne s’est plus complètement réalisée. On a tranquillement mis la question en appel de côté, on ne l’a jamais décidée, et l’on a rendu un décret qui porte sur une question nouvelle, une accusation différente, dont les intéressés n’ont jamais eu la moindre notification, et qui a été décidée contre eux sans qu’ils aient pu se défendre et combattre leur accusateur ! Il valait certes la peine d’aller à Rome pour prouver sans dénégation possible qu’il ne s’y agit jamais de justice mais d’influence hiérarchique et de tactique de parti. Et V. G. a eu le courage de venir affirmer ici que l’appel était décidé contre nous quand le décret lui-même faisait foi que la question référée avait été écartée au lieu d’être jugée ! Les hommes instruits comprennent cela parfaitement et nous donnent raison. Ceux qui nous donnent le tort sont les ignorants, ou les hypocrites, ou ceux qui n’examinent jamais les choses par eux-mêmes, ou ceux qui nous blâment par pur parti pris et sans rien comprendre à la question ; ou enfin ceux qui ne veulent pas étudier la question parce qu’ils la comprendraient trop.

Tout dépend donc, à Rome, de la manière de poser la question. C’est sans doute par la seule manière de poser la question que les 326 exécutés des états du Pape en 1850 et 51 ont vu décider de leur vie ou de leur mort. On a posé la question en ne leur permettant pas de choisir, ou même en certain cas d’avoir un avocat, ni de connaître les témoins à charge, ni de les transquestionner, et le résultat a été tel qu’on pouvait le prévoir. S’ils avaient eux-mêmes posé la question, ils n’auraient pas été pendus ; mais on l’a posée pour eux de la manière voulue pour les pendre, et naturellement ils ont été pendus. Et que Votre Grandeur ne dise pas que je fais ici du sophisme ou du persifflage à plaisir, car les cas de Locatelli, et de Monti et Tognetti, sont là pour montrer comment la justice romaine procède. Mgr Sagretti, président du tribunal qui a condamné Locatelli, va lui-même informer le Pape qu’il y a beaucoup de doute sur l’identité du condamné à cause de l’obscurité au moment de la bagarre et conclut à sa grâce. Le Pape, si bon, nous dit-on, refuse malgré le doute !  ! et Locatelli est pendu ! Cette impitoyable manière de régler une question découle sensiblement de la manière dont on a l’habitude de les poser. Devant la justice romaine on est toujours présumé coupable. Il n’y a que la mauvaise et faillible justice laïque qui présume l’innocence de l’accusé.

Monti et Tognetti ne voient pas les témoins qui déposent contre eux et ne connaissent pas même leur noms. Ils se défendent dans le vide, les dépositions ne portant que des numéros. Donc pas de transquestion, donc pas de défense qui mérite ce nom ! Et conséquemment moquerie de toute justice ! Ne pouvant éclaircir une question ainsi posée, ils sont pendus !  ! Simple manière romaine de poser la question !

De même on condamne l’Institut sans l’informer qu’il est accusé ! Voilà sans contredit la plus sûre de toutes les manières de poser une question contre quelqu’un : le principal intéressé n’en a seulement pas connaissance ! Cela vaut encore bien mieux que les témoins inconnus à l’accusé. Aussi je comprends mieux que jamais à présent la condamnation. Et je dois ici offrir mes plus sincères remercîments aux deux prêtres qui ont pris la peine de nous expliquer avec tant de complaisance : 1o Comment on peut se faire louer soi même à Rome ; 2o Comment on peut y faire condamner les autres sans qu’ils en aient connaissance ! Il s’agit seulement que connaître le bon moyen. Avis donc aux condamnés passés et futurs !

Je serais réellement très curieux, Mgr, de savoir quel ennemi de Rome, quel libre-penseur, quel impie même, a jamais mis autant d’hostilité que ces deux prêtres ont mis de gaucherie à dévoiler dans un milieu comme celui-ci les vices inhérents à la justice romaine ? Pour nuire à leurs adversaires, prêtres aussi, et sans songer un moment à la portée réelle de coups qui n’étaient destinés qu’à produire un effet tout local et tout personnel, ils sont venus impitoyablement nous montrer tout le système de la curie romaine dans sa triste nudité.

Prodigieuse inadvertance ? On nous informe un jour combien on est heureux de voir porter une affaire devant l’infaillible tribunal de Rome — était-il bien infaillible dans les cas de Locatelli, Monti et Tognetti, avec la procédure que nous connaissons ? — et voilà que dans un autre No on nous dit : « Ah bah ! l’Archevêque n’a obtenu ce télégramme qu’en posant la question comme il lui a plu. » Et un autre prêtre nous dit aussi : « Ah bah ! l’on sait comment s’obtiennent à Rome les approbations comme celle que le Révérend M. Paquet a extorquée ! » Et puis l’on se plaît à nous décrire avec une complaisance infinie les bons tours que l’on peut jouer aux membres des saintes congrégations pour leur arracher subrepticement une approbation qui aurait dû être un blâme !  ! C’est tel arrangement de mots, telle manœuvre, telle intrigue, qui a trompé le bon cardinal, ou le saint consulteur, ou les madrés rédacteurs Jésuites de la Civiltà ! Mais on obtient donc ce que l’on veut à Rome avec de l’intrigue ! Voilà certes de très singuliers certificats d’infaillibilité ! Mais comment donc des prêtres peuvent-ils parler sur ce ton des hommes qui, dans une capacité ou une autre, tiennent de si près à ce tribunal infaillible, et l’aident par leur travail à former ses décisions ? Ils seraient payés pour montrer que pratiquement il ne l’est pas qu’ils ne pourraient mieux faire !

Et puis pourquoi nous parler sans cesse de l’infaillible tribunal de Rome dans les questions de pur litige d’Évêque à Évêque, ou de laïcs à l’ecclésiastiques ? Ce n’est certainement pas le Pape qui juge toutes ces questions car vingt papes ne suffiraient pas à les examiner. Il n’y a pas le quart des affaires qui se jugent à Rome qui obtiennent une approbation du Pape accompagnée d’examen personnel des pièces. Le pape ne lit pas la dixième partie des rapports des saintes congrégations pour l’excellente raison qu’il faut une certaine somme de temps pour lire un certain nombre d’écrits. Et comment le Pape examinerait-il personnellement ce qui se décide dans les vingt-quatre congrégations ou ministères qui se partagent les affaires de la catholicité ? Seraient-ce les saintes congrégations qui jugent infailliblement ? Personne ne l’a jamais prétendu. Sur quoi donc le Pape, s’il s’en mêle personnellement du tout, jugera t-il les questions pendantes par exemple entre V. G. et le Séminaire, ou entre l’Archevêque et V. G. ? Il ne peut évidemment le faire que sur les rapports de ses délégués, membres des divers ministères appelés, parce qu’on est à Rome, les saintes congrégations. Car tout ce qui touche au Pape est saint, et la population ignorante et fanatisée de Rome dit encore à l’heure qu’il est : « le saint cuisinier ; » et elle va même jusqu’à dire « les saintes écuries, » « les saints carrosses, » ou « les saints chevaux, » quand elle voit passer les équipages du Pape. Va sans dire que nous sommes ici plus modérés que cela en fait de distribution de titres ecclésiastiques.

Toutes les questions litigieuses se décident donc par les délégués du Pape, et je ne sache pas que le Pape, que tout catholique instruit sait ne pas être infaillible sur les questions de fait — et presque toute question litigieuse se réduit à une question de fait ; il ne s’agit nullement de doctrine dans les guerres multipliées que V. G. semble s’être suscitées à plaisir — je ne sache pas, dis-je, que le Pape puisse communiquer l’infaillibilité qu’il ne possède pas. Le pape jugerait-il lui même une question litigieuse sur un rapport de congrégation, ce rapport peut être fautif par un vice de procédure, par l’oubli involontaire ou non d’une pièce ou d’une circonstance importante ; par un renseignement erroné, par un faux témoignage même, car les témoins à Rome blessent quelquefois la vérité comme les témoins de nos cours. Comment donc une décision du Pape lui même qui serait basée sur un rapport erroné sur le fait par exemple, pourrait-elle être infaillible ? C’est donc tout simplement une tromperie des journaux religieux à l’adresse du public que de parler d’infaillibilité à propos de procès en Cour de Rome, car ces journaux, ou ceux qui parlent comme eux, ou ceux qui les inspirent, savent parfaitement qu’en fait de litiges et de procès les choses se passent à Rome exactement comme partout ailleurs. Les affaires sont étudiées, examinées de la même manière qu’ailleurs, jugées là comme ailleurs par des hommes comme nous, ayant les mêmes petites faiblesses, les mêmes idées préconçues, les mêmes préjugés, les mêmes passions que nous venons de voir se produire ici entre prêtres et Évêques, et surtout agissant sous un mode de procédure absurde dont les vices sont évidents et constatés de tout temps par les amis même de la Cour de Rome, et dont les justices laïques sont presque toutes affranchies aujourd’hui.

Tous les jours les membres de la curie diffèrent entre eux d’opinion et se livrent à des luttes personnelles bien autrement vives que nos Évêques. Faut-il rappeler les vives querelles et les échanges d’injures qui ont eu lieu entre Mgr de Mérode et le Cardinal Antonelli ? Faut-il rappeler les sanglantes insultes adressées en plus d’une occasion par certains cardinaux nobles au Cardinal Antonelli qui ne l’est pas ? Faut-il rappeler encore les antagonismes terribles qui ont quelquefois surgi entre les Cardinaux Zelanti et les Cardinaux modérés ? Faut-il rappeler les opinions sévères exprimées au dernier Concile par quelques Évêques sur l’incompétence de la curie, et encore sur les abus de l’Index ? Ce n’est pas chez les impies que je vais chercher mes exemples.

Toutes ces assertions d’infaillibilité sur les questions de purs litiges personnels ne prouvent donc que le manque complet de sincérité ou l’ignorance de ceux qui les expriment. Mais elles n’ont la plupart du temps pour objet que de faire refléter sur soi-même un faible rayon de l’infaillibilité centrale ; car chaque ecclésiastique, si j’en crois l’un de mes prêtres professeurs de pratique romaine, a sa modeste prétention personnelle à une certaine dose d’infaillibilité. Que nous dit-il en effet, des prêtres du Séminaire de Québec ? « La chose du monde dont on était le plus fortement convaincu, c’est qu’il importait grandement au principe d’autorité et à l’honneur de l’Église que l’on fût considéré comme infaillible et comme le foyer d’où rayonnait toute vérité. » C’est un prêtre, Mgr, qui nous apprend cela. Si j’eusse dit, moi, exactement la même chose, c’eût été de l’hostilité, de la calomnie, le comble de l’impudence !  ! Il est bien heureux en vérité, que quelquefois l’esprit de parti emporte les ecclésiastiques jusqu’à leur faire exprimer les vérités sur lesquelles il est si sévèrement défendu aux laïcs d’arrêter leur esprit une seule minute. C’est toujours un crime à un laïc de dire qu’un prêtre se trompe, et encore cent fois plus un Évêque. Quand les ecclésiastiques sont tous d’accord, la fonction du laïc semble se réduire, dans leur esprit, à leur faire des saints et des soumissions. Bénissons donc la Providence de ce qu’elle permet quelquefois au malin de souffler un vent de discorde sur le Clergé, car ce n’est que quand la querelle surgit entre ses membres que la vérité sur leurs petites passions se fait jour, et que nous obtenons des portraits pris sur nature par les initiés eux-mêmes. Et c’est un sensible plaisir pour les laïcs que de voir les ecclésiastiques les laisser loin derrière eux dans leurs appréciations réciproques de leurs petits défauts. Et l’un de mes deux prêtres m’en fournit encore un très frappant exemple.

Les laïcs croyaient depuis longtemps l’Université Laval un établissement irréprochable sous le rapport de l’enseignement chrétien, et à la hauteur des besoins de l’époque pour la partie scientifique. Eh bien voici un prêtre qui vient nous informer que tout au contraire : « l’université Laval est un établissement dangereux ; que son enseignement est funeste à la jeunesse, qu’il sépare la science de la religion et qu’il est de mauvaise qualité ; que cette institution, fondée et dirigée par des prêtres, est complètement dévoyée, fourvoyée ; qu’elle n’est catholique que de nom ; que c’est là surtout que l’on fait de la science sans Dieu ; qu’elle procède en véritable université athée en mettant la religion tout à fait de côté dans son enseignement »… Puis ailleurs ou nous dit que le Séminaire de Québec est à la fois « janséniste, gallican, libéral, et victime de l’ignorance la plus déplorable ; qu’il dévore l’hérésie dans la lecture des écrits des Montalembert, des Falloux, des Dupanloup, etc. » tous grands impies, c’est connu !

Mais grand Dieu, Mgr si j’avais insinué seulement le quart de ce que je viens de citer, que n’aurait pas dit V. G. qui m’a si charitablement traité de blasphémateur sans pouvoir montrer même le commencement d’une inconvenance ! Comment se fait-il que ce soient les journaux patronnés par V. G. qui attaquent avec cette exagération une institution que V. G. elle-même affirmait naguère à son Diocèse être si précieuse à la religion ? Est-ce donc que tout est permis entre ecclésiastiques qui se querellent ? Et allons-nous voir V. G. pousser l’esprit de parti jusqu’à ne rien dire à ce prêtre qui calomnie ses collègues quand Elle a été si acerbe envers moi quand je n’avais dit que l’exacte vérité sans injurier personne ? Car il n’y a pas de milieu : si ce prêtre dit aujourd’hui la vérité, Votre Grandeur a trompé son diocèse quand Elle recommandait une institution qui n’a de catholique que le nom ! En vérité Mgr, on nous fait l’effet aujourd’hui de se déchirer avec d’autant plus de détermination qu’on s’encensait davantage avant la querelle.

Nous comprenons maintenant ce que valent les éloges en style de collège et en phrases convenues que se donnent réciproquement les ecclésiastiques en toute occasion. Il est plus clair que le jour que bien souvent ces éloges se donnent à des hommes que l’on sait ne pas les mériter puisque du moment qu’une querelle surgit, les fautes cachées avec tant de soin se dévoilent impitoyablement. En vérité, Mgr, tout ce que nous voyons depuis un certain temps pourrait nous faire croire que les ecclésiastiques ne sont sincères que par colère ou par rancune !

Mais continuons de prendre acte des informations que mon prêtre me procure. Il nous informe que l’on a obtenu (il y a trois ans) deux circulaires d’Évêques contre des écrits irréprochables ! Ah ! j’ai donc des compagnons ! Et ces compagnons, je les trouve dans le Clergé ! Et c’est un prêtre qui me procure cette consolation ! Je l’en remercie de tout cœur, mais cela s’obtient donc quelquefois ! Et si j’en crois un autre prêtre, cela s’obtient même ailleurs qu’ici. Disant un jour un peu plus de vérité qu’on ne l’eût voulu, ce prêtre affirmait à un auditoire nombreux : « qu’il était quelquefois très difficile, pour ne pas dire impossible, de découvrir pourquoi certains livres étaient mis à l’index. » Je m’en doutais bien un peu depuis que j’y ai été mis moi même sans avoir jamais pu savoir pourquoi. Et quand on a étudié la marche de l’index depuis Paul IV, on comprend parfaitement le but véritable de son réorganisateur. Le renseignement que m’avait donné ce prêtre m’avait donc fait un certain plaisir ; mais aussi il a pu comprendre depuis ce que l’on gagne à dévoiler certains mystères aux yeux profanes.

Voilà donc deux circulaires d’Évêques condamnant des écrits irréprochables. Aussi un Évêque d’Italie, membre de l’Index, lui a t-il, toujours d’après mon informateur prêtre, sérieusement fait la leçon. Ce membre de l’index écrit donc ici, parait-il : « L’insensée dernière circulaire de l’Archevêque de Québec, qui lance plus de foudres qu’un Jupiter Olympien, m’a fait véritablement horreur… »

Ah ! mais il y a donc des circulaires d’Archevêques ou d’Évêques qui peuvent être insensées au point de faire horreur ! Et c’est un Évêque d’Italie[8] qui nous l’assure ! Si un laïc nous disait pareille chose, nous devrions repousser l’assertion avec horreur. Mais c’est un Évêque, membre d’une sainte congrégation ! Dire qu’il ne sait ce qu’il dit serait une autre horreur ! Nous voilà donc placés entre deux horreurs ! Laquelle allons-nous choisir ?

Ah ! Mgr, quelles remarquables différences nous observons quelquefois entre les rapports entre ecclésiastiques en présence des fidèles ou derrière le rideau ! Devant les laïcs on épuise consciencieusement toutes les formules de l’éloge, et même de la flatterie ; mais quand on se sait bien seuls, derrière des portes bien fermées, ou quand on s’écrit en confidence, quels coups de dents formidables ! Sans la guerre sainte dont nous sommes les témoins attentifs au-delà de toute expression, jamais pareil mot n’eût vu le jour et il serait à jamais resté enfoui dans les profondeurs de la discrétion ecclésiastique, si absolue tant que la discorde ne souffle pas sur le lutrin. Celui qui a répété ce mot pour l’information de notre public vient d’ailleurs de convenir qu’il a eu un très grand tort de le citer.

Mais puisque la circulaire de l’Archevêque défunt a fait tant d’horreur à un Évêque italien, malgré son habitude de toutes les formes de l’anathème, pourquoi donc certaines Annonces où l’on nous parlait faussement du « monstre affreux du rationalisme levant sa tête hideuse et répandant son venin infect avec répétition des blasphèmes déjà sortis d’une chaire de pestilence… » pourquoi donc, dis-je, ces Annonces épiscopales si chargés de colère et d’insulte, et d’où la mansuétude pastorale est si rigoureusement bannie, ne nous auraient-elles pas fait un peu horreur aussi ? Qu’on nous montre donc un seul laïc sérieux, honorable et instruit, écrivant dans un style aussi saturé d’injure et de passion que ces deux seules lignes de style épiscopal ![9] Ah ! Mgr, au temps où les Évêques avaient une crosse de bois, ils n’écrivaient pas ainsi ! Et de quoi s’agissait-il donc dans cette chrétienne Annonce ? J’avais osé parler tolérance et modération, devoir et charité, à des hommes qui semblent croire que la religion consiste à flétrir et damner les quatre cinquièmes du genre humain ; et encore les deux tiers du dernier cinquième qui se compose de chrétiens ; et encore, sous la doctrine du petit nombre des élus, plus des trois quarts de ce dernier tiers ; c’est-à-dire que sur environ 1,300,000,000 d’hommes qui forment la population du globe, 1,275,000,000 seraient inflexiblement jetés en pâture à la griffe de Satan !  ! Combien de temps encore les hommes feront-ils ainsi Dieu à leur triste image ?

Voilà donc les aménités pastorales que V. G. m’adressait pour avoir osé parler un peu raison aux hommes auxquels le grand St. Grégoire conseillait si fortement ne pas être des « violents mais des pasteurs. » Mais comme V. G. s’est montré tendre, indulgente, paternelle, envers les calomniateurs de St. Sulpice et de l’Université !  ! Ici au moins c’est l’ultramontanisme local qui calomnie des prêtres et des Évêques, et a dit d’eux ce que ses adversaires si chrétiennement qualifiés d’impies n’en eussent jamais dit ! Voilà sans doute pourquoi V. G. a admis l’un aux ordres sacrés et a cru devoir assurer l’autre de toute son affection et de son encouragement ! Ils n’ont pas à craindre, eux, les vrais calomniateurs, qu’on leur reproche publiquement des blasphèmes ! V. G. ne dira pas un mot de la perversité de leurs écrits, ni du venin de leur attaques contre ses chers coopérateurs !  ! Épousant la cause de V. G., ces calomniateurs prêtres d’autres prêtres peuvent dire tout ce qui leur plaît sous l’égide des bénédictions et des flatteries des noces d’or ! Et il y a aussi quelques petits calomniateurs laïcs, auxquels V., G. recommandait naguère de parler haut comme. M. Veuillot, qui se sont malheureusement trompé d’adresse ; et au lieu de pourfendre les impies, ils se sont mis finement à abimer les prêtres !  ! La méprise est de forte taille, il faut bien le dire, et Votre Grandeur aurait peut-être dû songer, avant de donner ce conseil, que les piètres imitateurs d’ici n’avaient ni le verbe éclatant, ni la phrase arrogante, ni l’allure cassante. ni la tournure brutale, ni surtout le talent considérable — mais talent de tréteaux — qui ont valu à M. Veuillot l’intéressant sobriquet de M. de Fout en gueule.

Depuis trois mois donc, nous voyons avec épouvante un vent de tempête ébranler tout notre édifice hiérarchique. Ce n’est rien moins que tout le camp ultramontain local qui s’est mis à l’œuvre pour démolir l’Archevêque, démolir l’Université Laval, démolir les Séminaires, morigéner le pouvoir civil, signifier à l’élément laïc qu’il doit céder la place au Clergé comme pouvoir social, et ne laisser debout en Bas Canada, que les deux Évêques, (sur sept en tout) qu’il nous informe être selon le cœur de Dieu. Je n’ose en vérité me demander selon le cœur de qui sont les cinq autres.

Toute cette grande œuvre de réprimande acerbe, de redressement arrogant, de correction très peu fraternelle, de réédification sociale, etc., etc., s’est faite dans le journal sur lequel V. G. a autorité, d’après l’un des derniers éditoriaux. Il y a près de trois mois que cela dure comme guerre actuelle, — sans compter la préparation de longue main du public à tout ce brouhaha ecclésiastique qui dure depuis près de deux ans — et qu’on nous montre sous l’approbation tacite mais parfaitement comprise de V. G., et dans ses derniers temps sous son approbation explicite : 1o que l’orgueil, la désobéissance, l’arrogance et l’hypocrisie sont les caractères distinctifs du Séminaire de Montréal ; 2o que l’orgueil, l’intrigue et l’ignorance caractérisent plus particulièrement le Séminaire de Québec ; 3o Que l’esprit anti-catholique, la science sans Dieu, et une certaine manière d’agir ressemblant à l’athéisme comme une goutte d’eau à une autre goutte d’eau caractérisent tout particulièrement l’Université Laval !  !

Grand Dieu ! Mgr, si nous avions supplié le Clergé de nous démontrer par des raisonnements et des faits qu’il était grand temps pour nous de songer à créer l’enseignement supérieur laïc, qu’aurait-il donc pu dire autre chose ? Puisque l’enseignement scientifique est faible au point où nous le voyons, et l’enseignement religieux nul ou dangereux dans notre plus grande institution ecclésiastique, il est bien évident que le Clergé ne peut plus réclamer le droit d’être le corps enseignant par excellence. Ce sont des prêtres qui viennent nous informer qu’à l’Université Laval on développe de mauvais germes chez les jeunes gens, et qu’ils font fausse route par suite des principes qu’on leur inculque. Or depuis vingt ans que cela se fait, nous n’avons entendu que des éloges de l’Université Laval par les Évêques et par V. G. elle même. Et un prêtre qu’Elle ne désavoue pas vient nous apprendre que depuis plusieurs années V. G. ne veut pas d’une branche de l’Université Laval à Montréal parcequ’on ne veut pas lui laisser le contrôle absolu d’un enseignement qu’Elle juge mauvais et dangereux ! Quand donc alors V. G. était-elle sincère ? Est-ce quand Elle nous disait que cette université était une institution précieuse à la religion, ou quand Elle ne veut pas entendre parler de laisser s’implanter parmi nous cette précieuse institution ?

Car enfin, Mgr, c’est une pénible chose pour des laïcs que d’en être rendus à se demander à chaque instant si un ecclésiastique qui leur parle pense vraiment ce qu’il dit ! Nous avons bien quelquefois et en toute connaissance de cause traité d’hypocrites quelques valets laïcs du Clergé, mais nous n’avions jamais mis en doute la bonne foi de ses membres en règle générale. Et voilà qu’aujourd’hui un prêtre non désavoué par V. G. vient nous faire le plus complet tableau suivant lui des pantomimes hypocrites des Messieurs de St. Sulpice ! Ces Messieurs, paraît-il, auraient un talent hors ligne à « simuler le juste souffrant la persécution par amour de la justice. » Ils savent prendre, quand l’occasion le requiert, un air béat, un ton triste et bénin, joignent les mains avec ferveur, et lèvent les yeux au ciel comme ces martyrs pour dire ces simples mots : « Ah ! si nous n’étions pas si riches, on nous laisserait bien en paix ! »

Eh bien, nous ne savions rien de tout cela, et c’est un prêtre qui nous l’apprend ! Un laïc pouvait être récusable, mais un prêtre l’est-il en pareille matière, surtout quand il écrit dans le propre journal de son Évêque pour mettre ainsi ses confrères sur le même plan que Tartuffe ? Et c’est la même chose au Séminaire de Québec. On y est complètement sous l’empire de l’orgueil, le plus capital des péchés capitaux ; et l’orgueil se double toujours d’hypocrisie, dans l’opinion de mon professeur d’exégèse cléricale. Ce qui le prouve « c’est que l’on veut y être cru infaillible. » En effet si ce n’est pas là une hypocrisie, je me demande ce qui le sera. Car si nous possédons ainsi des infaillibles dans chaque recoin de chaque pays catholique, Dieu n’aurait donc pas seulement fait l’homme à son image, mais il l’aurait fait semblable à lui, qui n’est infaillible que parce qu’il est Dieu !  ! Ah ! Mgr quand nous suivons d’un peu près certains de ses ministres, nous comprenons bien l’impiété de la prétention !  !

J’en étais là Mgr, quand on m’a remis ce matin (11 Déc.) la lettre de V. G. publiée dans le Nouveau Monde du 9. Tiens ! me suis je dit, est-ce que mon prêtre serait désavoué ? Mais j’ai vu qu’il n’en était rien, et que cette lettre était le digne couronnement de tout de qui l’a précédé. Parlons en donc un peu.

Depuis près de quinze ans, Mgr, que nous sommes en lutte, V. G. pour détruire toute liberté de penser et toute expression d’opinion indépendante dans notre société, et nous pour revendiquer les droits imprescriptibles de la raison humaine, celui entre autres d’examiner bien tout, comme le conseille St. Paul ; un certain échange d’idées a nécessairement eu lieu. V. G. a reprouvé notre bibliothèque comme impie et dangereuse à la jeunesse ; mais quand nous en sommes venus à la discussion directe des prétentions respectives, Elle a exigé que nous éliminassions absolument de ses rayons tout livre à l’index quelconque, mêmes les économistes nommément, et jusqu’à Pothier par induction puisqu’il est aussi à l’index. La loi exige que les étudiants en droit étudient Pothier, mais l’ultramontanisme le défend, et les jeunes gens bien dressés se trouvent d’abord entre les deux comme l’âne entre deux bottes de foin, ne sachant à quel botte mordre. Mais comme on ne peut guère être notaire ou avocat sans avoir étudié Pothier, ils finissent malgré le confesseur et l’index, par mordre à la botte laïque.

De cette insoutenable prétention de V. G. il nous a bien fallu inférer qu’Elle s’armait simplement de prétextes pour cacher un but qu’Elle ne voulait pas explicitement définir, car on n’émet clairement une prétention aussi risible que quand on ne veut pas avouer franchement le but auquel on tend. Notre inférence nous a paru encore beaucoup plus plausible quand V. G. qui avait fait tant de bruit pour quelques livres à l’index que nous avions, a refusé de nous les indiquer après avoir gardé notre catalogue six mois. Comment croire à la sincérité d’un homme qui parle si haut de poison pour les âmes et puis refuse de montrer où il est ? Comment croire aussi non seulement à la sincérité, mais à la conscience d’un Évêque qui maintient ses censures après avoir refusé d’indiquer le mal dont il se plaint ? Il y a en tout, Mgr, une logique et un bon sens dont les Évêques ne peuvent pas s’affranchir plus que les autres hommes.

Et enfin quand V. G. brisa les négociations sur le prodigieux prétexte qu’Elle seule pouvant être juge des lectures des membres de l’Institut, si Elle consentait à laisser les livres à l’index, même séquestrés, ce serait le comité de l’Institut qui se trouverait de fait le juge de ces lectures, le vrai but de V. G. ne sautait-il pas aux yeux ? Cela pouvait-il signifier autre chose que : « Si vous n’acceptez pas un de mes chapelains bien dressés pour contrôler vos lectures et éliminer avec soin de chez vous tout ce qui n’est pas ultramontain, il ne saurait y avoir de paix entre nous. »

Or nous voyons aujourd’hui plus que jamais combien le don d’un chapelain est chose peu enviable pour des hommes qui ne tiennent aucunement à servir de mannequins au Clergé pour faire queue derrière tel ou tel Évêque quand le malin a semé la tempête.

Dans toute cette lutte, Mgr, les hommes qui voient d’un peu loin et ne veulent pas vendre leur libre-arbitre pour être paternellement proclamés bons enfants ; les hommes sérieux qui jugent un évêque sur ses actes et non sur les phrases de convention qu’il adresse à la foule, voyaient clairement que V. G. laissait sa passion personnelle se substituer aux plus simples notions de justice envers autrui. Nous la voyions prendre mille moyens détournés pour nous forcer de dissoudre l’Institut. Par une suite de refus vaguement motivés et de tracasseries de tout genre, Elle espérait nous voir, de guerre lasse, lui abandonner le contrôle complet de l’association. Ce n’est pas de la religion, cela, Mgr, c’est de la domination cléricale. Ce n’est pas de la sincérité, c’est de la tactique. V. G. ne nous a presque jamais adressé une parole sincère, puis Elle s’est répandue en injures contre des hommes qui ne les méritaient pas. Elle nous a traités d’hypocrites parceque nous avons tenté un rapprochement, puis de rebelles parceque nous avons repoussé des exigences que pas un Évêque éclairé n’exprime ! Elle a même osé écrire, (par son secrétaire) à l’un de nous, qu’il restait rebelle malgré son appel à Rome, prétention où il était impossible de voir la moindre bonne foi ; et elle est venue couronner le tout en nous informant gravement comme Évêque qu’il n’y avait pas d’absolution à la mort pour les catholiques qui gardaient chez eux un livre à l’index !  ! Le Pape, en pareil cas dit précisément le contraire et excepte toujours l’article de la mort. Mais V. G. visait à produire un effet et Elle a poussé la passion jusqu’à essayer de faire croire qu’un homme qui a chez lui un livre à l’index est tellement pire qu’un assassin qu’il n’y a pas d’espoir de pardon pour lui !  ! Cela encore est de la tactique, mais ce n’est pas exactement de la religion ni de la sincérité. On n’a pas le droit de créer ainsi des crimes à plaisir et simplement pour déconsidérer des hommes honorables qui ont quelqu’objection à se voir traiter en enfants, et qui entendent des théologiens et même des Évêques blâmer ou regretter les exagérations religieuses de V. G.

Il y a donc longtemps, Mgr, que nous observons dans plusieurs détails de la conduite de V. G. envers nous un manque évident de sincérité ; que nous la voyons substituer à la franchise obligée du pasteur, la tactique peu loyale du partisan. Si nous étions les seuls à lui faire ce reproche, on pourrait sans doute l’attribuer à un esprit d’antagonisme étroit créé par nos longues luttes, mais nous voyons depuis quelques années, et le public a vu comme nous, bien des hommes que leur position met plus que nous à l’abri du soupçon d’hostilité obstinée, arriver, au sujet de V. G, à la même conclusion que nous. Et ces hommes ne se trouvent pas seulement parmi les laïcs, mais en grand nombre parmi les ecclésiastiques, et même parmi les Évêques. Le public se demande aussi comment un homme dont la sincérité seule aurait inspiré tous les actes, pourrait ainsi se trouver en lutte acharnée de tous côtés.

Nous savons très peu de chose encore des détails de la lutte de V. G. avec le Séminaire de St. Sulpice à Rome ; mais tout en admettant les torts que le Séminaire s’est donnés vis-à-vis de votre prédécesseur, on n’ignore pas non plus dans le public que le Séminaire à plusieurs fois démontré à Rome certaines fausses représentations de faits auxquelles V. G. a eu recours. Certaines choses qu’elle a dites à Rome contre le Séminaire, comme ce qu’Elle y a dit de l’Institut, ressemblaient singulièrement à ce que l’on appelle la calomnie. Et nous voyons tout dernièrement son supérieur hiérarchique, l’Archevêque, obligé de lui rappeler avec quelle mauvaise grâce Elle se soumet à ses supérieurs, à quels singuliers faux-fuyants Elle a recours pour éluder les décrets qui la condamnent, et combien elle met peu de franchise et de loyauté à reconnaître devant le public qu’Elle a été désapprouvée à Rome. Mais tout cela n’empêche pas V. G. de publier des lettres où Elle parle d’obéissance comme si Elle la pratiquait. Elle y invite les autres ; ses paroles sur ce chapitre sont pleines d’onction, mais si on laisse les paroles pour ne s’attacher qu’aux faits, — seul moyen sûr de juger pertinemment un homme — on voit que ses actes contredisent beaucoup trop ses paroles. V. G. ne parle jamais de Rome sans l’appeler le tribunal infaillible, qu’il s’agisse ou non de doctrine ; et voilà un Archevêque obligé de constater chez Elle et le manque de soumission et le manque de sincérité vis-à-vis de ce tribunal.[10] Nous ne sommes donc pas les seuls à trouver quelquefois V. G. gravement en défaut comme Pasteur des âmes. Et il n’est guère admissible que ce soit l’hostilité anti-religieuse que l’on nous attribue faussement, qui anime aussi des prêtres et des Évêques.

Bien des gens ont enfin ouvert les yeux depuis trois mois, Mgr ; car V. G. n’a pu réussir à préjuger contre des prêtres et des Évêques tous ceux qu’Elle avait trop facilement réussi à préjuger contre nous. Aujourd’hui on commence à voir, et à dire, que sa manière de traiter ces prêtres et ces Évêques peut fort bien indiquer aussi un manque de clairvoyance, de sagesse et de charité vis-à-vis de l’Institut ; que ses erreurs assez souvent répétées sur le chapitre de la sincérité peuvent très bien faire présumer aussi d’un manque de sincérité et de justice à notre égard ; que la passion qu’Elle laisse percer contre le Séminaire et contre l’Archevêque par ce qu’Elle permet à ses journaux de dire d’eux permet de supposer aussi de la passion contre nous ; que sa fertilité d’intrigue dans la récente question de l’université peut faire juger assez pertinemment des moyens qu’Elle a pu employer contre nous à Rome où elle se trouvait à l’abri de toute surveillance de notre part ; et enfin que le fait seul qu’Elle a réussi à se mettre en guerre ardente avec tout le monde permet de croire que celle qu’elle nous a faite sans trêve ni merci était peut-être plutôt un simple effet de caractère que l’accomplissement d’un devoir consciencieux et réfléchi. Ah ! Mgr le faux finit toujours par retomber sur ses auteurs de tout le poids de l’exagération qu’ils ont mise à l’imposer comme chose juste à un public façonné à ne rien examiner. Et l’on comprend aujourd’hui mieux que jamais la nécessité qui existe pour tout homme sensé d’examiner bien tout. Il est plus qu’évident qu’habituer les gens à ne rien examiner parceque c’est un ecclésiastique qui agit, c’est les habituer à ne pas agir sensément.

Ah ! Mgr, comme vous voilà vengés ! Quel crime V. G. ne nous a-t-elle pas fait de soumettre à l’opinion publique nos dissidences et nos luttes avec elle ! Et voilà que nous la voyons aujourd’hui obligée de venir soumettre à cette même opinion publique ses propres luttes contre l’Archevêque et l’université Laval, et plaider elle-même sa cause devant ce même tribunal auquel nous étions des impies d’en appeler ! Quelle meilleure preuve que le faux finit toujours par se déjuger lui-même !

Eh bien, Mgr, la conclusion à laquelle nous en sommes venus depuis longtemps, que V. G. est loin d’être toujours parfaitement sincère à l’égard de ceux qui résistent à ses volontés, conclusion que le public a hésité pendant bien longtemps d’admettre comme juste ; cette conclusion est aujourd’hui acceptée par presque tous ceux qui ont lu l’étrange lettre dont je parlais tout à l’heure et que V. G. a adressée au Nouveau Monde le 9 du courant. Si quelqu’un doutait encore que V. G. pût recourir à des moyens adroits pour agir sur l’opinion, ce doute n’est réellement plus permis après cette singulière maladresse.

Quoi ! c’est après avoir laissé le Nouveau Monde insulter depuis deux ans l’Archevêque de toutes manières qu’Elle s’en vient officieusement l’inviter à le respecter ! C’est quand il ne reste plus rien d’insultant à dire que V. G. s’en vient pastoralement recommander une polémique plus décente ! C’est quand tous les coups sont portés que V. G. se met avec empressement à prier Dieu de donner à tous sa divine sagesse ! Quel dommage, Mgr que V. G. n’ait songé à prier qu’après la dernière et centième insulte ! N’eût-il pas été un peu plus chrétien, surtout pour un Évêque, de commencer à prier dès la première ? Ah ! nous comprenons, Mgr et nous comprenons trop ! Personne ne se laisse prendre à cette tardive exhortation, à cette recommandation après coup, à ce charitable conseil de modération qui a attendu pour se produire que tout le fiel fût bien épuisé ! Si V. G. a édifié un certain nombre d’aveugles, Elle a beaucoup amusé ceux qui voient clair.

V. G. s’est aperçue que l’on manquait de sagesse… Et le public, lui, Mgr, s’est aperçu que V. G. avait mis un temps prodigieux à s’en apercevoir. Et chose remarquable, V. G. ne paraît pas même s’être doutée que cette petite tactique crèverait les yeux de tous ! Ah ! Mgr c’est un peu trop compter sur la niaiserie des autres ! La comédie est trop transparente. Ce n’est plus la comédie infernale, c’est la comédie maladroite !

Et à l’appui de ce que je dis ici, Mgr, viennent les articles du Franc-Parleur, que V. G. elle-même invitait naguère à parler haut comme M. Veuillot. Pourquoi pas un avis au Franc-Parleur aussi ? V. G. suppose-t-elle le public assez obtus pour ne pas voir que l’on met aujourd’hui dans le Franc-Parleur ce que l’on n’ose plus dire dans le Nouveau Monde ? Ah, de grâce, Mgr, veuillez au moins nous concéder le bon-sens ordinaire.

Comment croire que les propres valets de plume de V. G. soient bien intimement persuadés de sa parfaite sincérité dans son petit avis au Nouveau-Monde quand ce journal ne s’excuse même pas après cet avis, mais confirme ses insultes tout en se proclamant sincèrement fils de l’obéissance !  ! et quand le Franc-Parleur vient immédiatement renchérir sur lui ? Mais voyez donc, Mgr, comme la fleur des pois de l’ultramontanisme s’en vient brutalement démolir l’épiscopat local et découvrir irrespectueusement les pieds d’argile des idoles ! Qui donc vient nous faire apprécier « la lourde phraséologie de la Grandeur de St. Hyacinthe, qui se tourne gauchement de droite à gauche et prend un air pompeux et gourmé !… » Qui donc nous peint respectueusement l’Évêque d’Ottawa « qui nage si bien entre deux eaux, vrai loose fish du Haut-Canada, très-habile à louvoyer adroitement et à ménager la chèvre et le chou, » chose toute naturelle, du reste, puisqu’il vit dans le voisinage immédiat « du renard rusé et du loup traître et sournois, » dont il semble prendre des leçons ! Et c’est un prêtre qui nous parle ainsi de ceux pour qui on exige des laïcs un respect sans bornes !  !

Nous ne sommes donc pas de si grands criminels quand nous osons penser que tous les Évêques ne sont pas des génies, et que tous les princes de l’Église ne sont pas des saints ! Quelle singularité ecclésiastique ! C’est une abomination à nous de dire tranquillement ces choses pour expliquer des fautes palpables, quelquefois grossières ; et c’est une vertu chez le prêtre inspiré par l’esprit de parti et surtout de rancune, de parler ainsi des Évêques ! En vérité, Mgr il semble évident que Dieu a décidé de perdre quelqu’un.

Mais arrivons à l’Archevêque. C’est à lui que la plus grosse mitraille ultramontaine est réservée. « Supériorité arrogante, autocratie impérieuse et arbitraire, froid dédain mal déguisé pour toute autre supériorité, odieuse et basse jalousie de toute autre grandeur que la sienne, crainte malsaine de descendre de cette hauteur !  ! »

Comment V. G. trouve-t-elle cette riposte de l’un des fils d’obéissance à sa paternelle exhortation ? Rappelé par V. G. au respect du à l’Archevêque, voilà comme le saint libelliste répond à l’appel, et V. G. espère que Dieu lui infusera sa sagesse ! Je crains bien, Mgr que le bon Dieu lui-même n’ait trouvé l’entreprise désespérée, car les folies ont continué de plus belle. Tout cela n’est-il pas plein d’édification ? Mais continuons. Je suis heureux d’apprendre de la bouche même d’un prêtre écrivant sous les encouragements de V. G. ce que peuvent valoir intrinsèquement ses collègues.

« Le gros canon de la Citadelle (l’Archevêque) a donc fait une décharge et donné son humble opinion. Piteuse figure que fait là cette pauvre humilité ! Mais comment croire que l’on puisse tromper les autres si effrontément ? On va donc repousser cette opinion (de l’Archevêque) avec horreur, et lui appliquer le Vadè retro… » Il n’y manque que Satanas, Mgr mais on invite le lecteur à suppléer ! Comment se fait-il que V. G. ne trouve aucun venin infect dans ce persifflage, pas même la tête hideuse de la calomnie ? Évidemment, Mgr la sagesse de Dieu n’est pas ici ! Le souhait de V. G. n’a clairement pas été exaucé !

Et un peu plus loin, un autre prêtre nous informe, en tout respect sans doute pour l’Archevêque, que « sa ruse a extorqué un mot du Cardinal Barnabo » ; qu’il y avait malhonnêteté évidente à poser ainsi une interrogation, qu’on voulait tromper le public, et que tous ces procédés sentent trop la fourberie grecque… » Mais grand Dieu ! Mgr Voltaire lui-même n’a jamais mieux dit que ces deux prêtres sur les hauts dignitaires ecclésiastiques !  ! Et au moins il le disait avec esprit !  !

Autrefois les Augures riaient bien, mais ils ne se déchiraient pas ainsi !

Au reste, il y a longtemps que je sais, et j’en vois la preuve aujourd’hui, que quand on veut faire déchirer un prêtre comme un laïc ne le saurait faire, il faut s’adresser à un de ses confrères. Jamais encore en ce pays laïc n’a dit des prêtres ce que ceux-ci disent aujourd’hui les uns des autres ! Mais que résulte-t-il de tout cela ? Car enfin il y a une conclusion pratique à tirer de tant de dures vérités échangées entre ecclésiastiques ? Ou ces ecclésiastiques sont calomniateurs ou ils disent la vérité. Dans le premier cas que penser des subalternes ? Dans le second que penser des Évêques ? Voilà clairement la grande guerre dont nous sommes témoins réduite à sa plus simple expression.

V. G. permet à ses « fils de l’obéissance » de montrer comment l’Archevêque est fourbe comme un grec, (ce n’est certes pas moi qui le dis) comment les Messieurs de St. Sulpice sont d’habiles hypocrites, et les prêtres du Séminaire de Québec d’ignorants orgueilleux ! ! Ces graves révélations nous portent naturellement à examiner si les fautes sont exclusivement là et les vertus exclusivement ici. Or, après examen, nous trouvons que ceux que l’on nous fait si noirs ne sont pas du tout pires que ceux que l’on nous fait si saints. Nous trouvons que chez les uns comme chez les autres il y a du bon, de même que chez les uns comme chez les autres il y a parfois exagération et esprit de parti. Nous trouvons encore sans chercher bien longtemps que chez les ecclésiastiques comme chez les laïcs il surgit mille rivalités, mille petites passions qui défigurent la vérité et font trop souvent pleurer la justice ; et nous voyons surtout les ecclésiastiques beaucoup plus obstinés dans leurs torts que les laïcs !  ! « Nous ne nous rétractons jamais, » disait naguère l’un de vous. Autant valait dire : « La sincérité et la justice sont pour nous, prêtres, lettres-mortes ! » Serait-ce là le vrai criterium de la sincérité ecclésiastique ? Alors, Mgr Dieu nous garde de cette espèce de sincérité ! Il n’existe pas au monde un laïc sensé qui dirait pareille chose. S’en trouvât-il un, il serait immédiatement honni comme faux-frère. Mais le prêtre qui a dit ce mot sans nom devra être respecté à l’égal de Dieu, suivant l’intelligent système de l’excellent M. Hubert Lebon qui nous affirme les mains jointes que le prêtre catholique est l’égal de Dieu !  ! Voilà de tout point un horrible blasphème, mais V. G. ferme les yeux et laisse circuler ici ce livre honteux. Pas de blasphème avec V. G. pour celui qui divinise le prêtre. C’est moi au contraire qui ai blasphémé en disant qu’il est un homme comme un autre ! Mais aussi V. G. n’a jamais, que je sache, demandé à Dieu de m’inspirer sa sagesse !  !

Si, au retour de V. G. de ce voyage à Rome où elle a obtenu, sur fausses représentations, une condamnation de l’Institut comme corps, (et ces fausses représentations, Elle les a publiées tout au long ici) nous avions dit qu’Elle avait agi avec fourberie à l’égard de l’Institut, quels cris eût excité le reproche ! Et pourtant quelle plus grande impossibilité y a-t-il donc à ce que V. G. tombe dans cette faute que l’Archevêque ? Or c’est un prêtre qui vient aujourd’hui nous parler de la fourberie grecque de celui-ci ! Et V. G. ne lui inflige aucun blâme ! Elle se contente de prier Dieu de lui infuser sa sagesse ! Certes, Mgr, le choix du personnage pour une si grande grâce ne me paraît pas particulièrement heureux. Mais il est donc possible suivant Elle que l’Archevêque soit un fourbe, puisqu’elle parle avec tant de bienveillance de celui qui l’insulte ainsi ! Quelles prodigieuses injures V. G. ne m’a-t-elle pas adressées quand je n’avais pas dit la centième partie de cela ! Quelles colères contre moi pour avoir osé parler raison et modération, et protesté contre un fanatisme arrogant ! Mais quelle tendresse pour ses fils d’obéissance qui se moquent ouvertement de ce qu’elle dit !

Mais si l’Archevêque est fourbe, un autre Évêque peut l’être aussi ! Et quand V. G. a fait à Rome de fausses représentations contre nous, il nous était difficile de regarder cela comme de la sincérité. Et puis, Mgr, puisqu’il faut tout dire, l’Archevêque a donné dans son diocèse des preuves de sincérité, de droiture pastorale, de justice impartiale vis-à-vis des prêtres exagérés ou étourdis, que V. G. n’a jamais données dans le sien. Donc quand les deux Évêques sont en présence, la présomption est en faveur de l’Archevêque. Toute cette discussion de personnes, Mgr, est loin de me causer le moindre plaisir ; il est toujours pénible de disséquer ainsi des hommes de cette haute position hiérarchique ; mais les droits de la vérité priment tout, même les susceptibilités épiscopales. Et au fond, V. G. ne recueille aujourd’hui que ce qu’Elle a semé. Sa tactique inintelligente d’écrasement, de calomnie contre des citoyens honorables, retombe sur elle-même avec d’autant plus de force qu’elle a été plus aveugle. La justice reprend toujours ses droits parceque l’injustice se compromet toujours. Le fanatisme a toujours une période de succès, mais il finit par se démasquer lui-même. Mais nous étions loin de prévoir, et encore plus loin d’espérer, que ce serait le Clergé qui deviendrait éventuellement le meilleur témoin contre lui-même. Nous étions loin de prévoir que les passions ecclésiastiques se surexciteraient au point de faire comprendre aux esprits calmes, par les exagérations d’hostilité qui se produisent au sein du corps, à quelles injustices il peut se porter envers les laïcs quand ceux-ci veulent exercer leur jugement et combattre ses propensions à l’absolutisme. Quel droit a-t-il donc à notre obéissance aveugle quand ses membres les plus élevées se reprochent avec tant d’aigreur les mauvaises passions qui les animent ? Est-ce donc là une garantie de sagesse ou de charité vis-à-vis de nous ?

Non ! Mgr ! il reste aujourd’hui pleinement démontré par ce qui se passe sous nos yeux, que s’il y a incontestablement de grandes vertus et de grands dévouements dans le sacerdoce, il y a aussi beaucoup trop de prétentions à la domination morale comme à la domination sociale et politique. On veut tout diriger, tout contrôler. Même dans son domaine naturel le laïc ne mérite l’éloge que s’il se fait bien petit, bien docile devant le prêtre. On peut donc dire que s’il y a dans le Clergé de grands mérites individuels, il y a aussi de bien graves torts collectifs. Sous prétexte d’infaillibilité doctrinale, on veut être regardé comme infaillible en tout. Et les plus vertueux dans le Clergé ne sont pas toujours exempts de l’esprit de domination en dehors de la sphère religieuse. Qu’est-ce donc des autres, de ceux par exemple qui n’entrent dans l’état ecclésiastique que parcequ’ils y trouvent la vie et la considération assurées ? Et ceux-là aujourd’hui, Mgr, en forment une portion très notable sinon la majorité. Quel est donc l’inspirateur de tout cet abus des choses saintes que nous observons journellement, sinon l’esprit de domination de ceux auxquels il est si strictement défendu ?… « Il n’en sera pas ainsi parmi vous. »

On nous répète bien quelquefois le mot célèbre In dubiis libertas,[11] mais dans la pratique on restreint tellement le cercle des choses libres que le mot devient réellement lettre-morte. Et ce qui est encore bien plus lettre-morte en pratique aux yeux du Clergé, c’est la dernière partie de la règle : In omnibus charitas[12], car les sermons violents, les attaques personnelles en chaire, les articles de journaux religieux dont la charité, et même la bonne foi, n’approchent jamais ; certaines Annonces épiscopales au ton acerbe et violent ; certaines exigences purement locales et qui font lever les épaules ailleurs ; toutes ces choses sont là pour nous montrer quel peu de cas font « les violents, » dans le Clergé, des règles qui leur sont données pour tenir leurs passions en bride.

Ah ! Mgr ! que de dégringolades depuis trois mois dans l’opinion ! Que de réputations ecclésiastiques sur le carreau ! Qu’est donc devenu le Noli tangere christos meos[13] Quoi ! ce sont les oints eux-mêmes, et cela sous les regards des impies, qui se portent les plus terribles coups et se reprochent mutuellement l’orgueil, l’hypocrisie, l’arrogance, l’intrigue, la fourberie, et se comparent chrétiennement au poisson qui nage entre deux eaux, au renard rusé et au loup traître et sournois ! Il ne nous reste qu’à dire Amen ! Naguère encore c’étaient les impies que l’un représentait comme des loups cherchant à dévorer les brebis. Aujourd’hui ce sont les pasteurs, au dire d’autres pasteurs, qui sont devenus des loups ! Et il va sans dire que c’est toujours l’ultramontanisme local qui veut tout écraser autour de lui !

Et puis quelle remarquable coïncidence, Mgr ! C’est immédiatement à la suite de la grande averse de flatteries que l’on a offertes à V. G. pendant ses noces d’or ; à la suite de ces nombreuses adresses célébrant à l’envi ses transcendantes qualités intellectuelles ou son éminente sainteté, que nous la voyons permettre aux journaux qu’Elle contrôle entièrement et absolument, de nous montrer, par ce qu’ils disent des autres Évêques, ce que nous devons réellement penser de ces pompeux éloges. Toute cette grande mise en scène des noces d’or a abouti à quoi ? À nous faire décrire minutieusement par les écrivains approuvés ou encouragés par V. G. comment plusieurs de nos Évêques sont inspirés par l’orgueil, la fourberie, etc., et comment quatre d’entre eux se sont entendus pour venir faire du Clap-Trap (sic) devant le peuple et jeter de la poudre de perlimpinpin aux yeux de notre bon public !  ! (Je copie Verbatim) Certes, Mgr, voilà une fonction épiscopale dont nous n’avions pas encore entendu parler jusqu’à ce que cet édifiant catholique nous en eût rendu un compte qu’il affirme en son âme et conscience être pris sur nature ! Mais grand Dieu ! Mgr, si les Évêques distribuent de la poudre de perlimpinpin sur un sujet, pourquoi pas sur un autre ? Une fois la porte ouverte par les intimes eux-mêmes, où donc allons-nous nous arrêter ? Cela donne le vertige, Mgr !  !

Mais si un Archevêque et trois Évêques s’entendent ainsi pour jeter de cette célèbre poudre aux yeux de notre bon public, n’est-il pas absolument possible que V. G. en jette aussi sa petite part quand Elle permet sans jamais mot dire que ses flatteurs ne parlent d’Elle qu’en l’appelant : « Notre Saint Évêque ? » Ante mortem ne laudes hominem quem quam,[14] nous dit l’Ecclésiastique, si ma mémoire est fidèle. Les flatteurs de V. G. ne pourraient-ils pas un peu méditer ce passage ?

J’avais toujours cru d’ailleurs que les vrais saints n’aimaient pas à s’entendre qualifier ainsi tous les matins. Je croyais que plus on était saint, moins on aimait à se l’entendre dire, mais je puis être très mauvais juge en ces matières. Et il est absolument possible aussi que les saints du jour soient en progrès sur les saints des siècles passés. Car, si mes souvenirs me servent bien, j’ai entendu lire autrefois certaines vies de saints où je voyais que tous leurs sentiments d’humilité se révoltaient à s’entendre qualifier ainsi ; et l’un d’eux répondait sévèrement à un flatteur  : « Comment sais tu si je suis digne d’amour ou de haine ? » Et c’est, je crois, St. Philippe de Néri, homme de grande valeur personnelle, qui disait à l’un de ses prêtres : « Comment osez-vous appeler saint un homme qui peut faillir demain, aujourd’hui, à toute heure de sa vie ? Si le juste pèche sept fois par jour, où donc sont les saints parmi les hommes ? » Voilà deux belles paroles, Mgr vraies comme Dieu lui-même. Pourquoi donc faut-il que ce soit moi qui les rappelle à un public qui semble n’en avoir jamais entendu parler ?

« Les Scribes et les Pharisiens aiment… que les hommes les appellent Rabbi on Docteur. Mais vous, ne désirez pas être appelés Rabbi parceque vous n’avez qu’un seul maître et que vous êtes tous frères. N’appelez aucune personne sur la terre votre père parceque vous n’avez qu’un père qui est dans les cieux. Et qu’on ne vous appelle pas maître parceque vous n’avez qu’un maître qui est le Christ. » (Math. xxiii-6-10) « Pourquoi m’appelez-vous bon, personne n’est bon si ce n’est Dieu seul. » (Marc. X-18. Qu’aurait dit le maître, Mgr, si les apôtres avaient permis qu’on les appelât saints ?

Non ! Mgr, il est regrettable que V. G. ne voie pas que ces petits moyens, suggérés par l’esprit de flatterie, et qui sans doute agissent en un certain sens sur la foule, agissent en sens précisément inverse sur les esprits sensés. Essayer de rendre les hommes meilleurs est un devoir, mais chercher à se faire croire meilleur qu’eux est un défaut. Ce n’est pas là servir Dieu, Mgr, mais se servir de Dieu pour des fins bien humaines et bien personnelles !  !

Je ne dirai que peu de chose ici, Mgr du sermon, au moins indiscret sons les circonstances, du Révd. P. Braun. Il n’a sans doute fait qu’exprimer les idées romaines sur la sujétion entière du pouvoir civil à tout ce qu’il peut plaire au Pape de lui ordonner, fut ce la confiscation des biens des enfants des hérétiques, disposition qui est encore en pleine vigueur dans le droit canon. Il a naturellement fallu renoncer à l’appliquer depuis que l’humanité est sortie de cette époque tant regrettée où l’on brûlait les pères pour prendre ce qu’ils laisseraient aux fils, mais on a dû voir, par l’ébahissement universel que les doctrines développées par le P. Braun ont causé dans notre société, combien ces doctrines révoltent la conscience publique. Quel est le gouvernement au monde qui va en faire sa règle de conduite ?

On ne s’arrêtera pas, je le sais, devant l’unanime réprobation qui a accueilli ces prétentions du XIme siècle ; le Clergé ne s’arrête jamais que par les catastrophes qu’il produit dans le corps social par cette soif inextinguible de contrôler tout qu’il manifeste en toute occasion. Mais est ce que V. G. et ceux qui partagent ses idées ne verrez pas enfin l’inutilité de tout le mal que l’on s’est donné pour amener peu à peu la population à accepter les yeux fermés tout ce qu’il plaît au Clergé de lui dire ? Voilà déjà vingt ans que par la chaire et la presse on affirme la subordination entière du pouvoir civil au pouvoir spirituel, et la suprématie absolue du Pape sur le temporel. Voilà vingt ans que l’on nous prêche la soumission sans réserve de l’esprit à tout ce qui nous peut venir des « saintes congrégations romaines : » et après tant de travail et de peine, tant de dépense de logique et de sophismes, le jour où l’on ose enfin exposer d’autorité ces principes dans leur simple nudité, de suite il s’élève un cri général de réprobation contre l’ambition opiniâtre du Clergé et contre la folie de ceux qui espèrent encore faire accepter ces prétentions surannées !

Personne naturellement ne veut entendre parler de cette belle « alliance de l’Église et de l’État » qui signifie tout simplement que l’État sera le domestique de l’Église — chose qu’on lui assure en tout bien tout honneur être la plus haute gloire qu’il puisse se donner — et son domestique au point non seulement de toujours reconnaître qu’elle ne saurait se tromper même dans les choses temporelles — sur les mœurs — mais aussi de lui faciliter, quand cela lui fera plaisir, même la captation testamentaire ! Béni sera l’état qui l’aidera à dépouiller les familles, excommunié sera l’état qui passera des lois pour l’en empêcher ! En termes vulgaires, I, cela s’appelle tout simplement « tenir l’échelle ; » et m’est avis qu’il est absolument possible de trouver à l’état une occupation plus honorable que celle-là. En vérité il n’y a que la plus prodigieuse incompétence comme publiciste et comme légiste qui explique l’expression naïve de pareilles doctrines. Au reste l’incompétence du prédicateur dans le domaine de la philosophie du droit saute aux yeux dans les deux phrases suivantes :

« Dieu n’est plus regardé aujourd’hui comme la source du droit et de la justice, mais c’est l’état, c’est le nombre, c’est la majorité qui prétend être la source et le principe du droit et de la justice… La force, la majorité ne font-elles pas le droit aux yeux de la sagesse moderne ? »

Celui qui parle ainsi Mgr démontre seulement ceci : qu’il n’a jamais ouvert un livre sérieux et qui fasse autorité sur la philosophie du droit ou sur le droit public. Si je voulais définir les effets de la théologie comme système de morale, pourrais-je loyalement m’autoriser des seules opinions de ces théologiens pervers ou ineptes qui permettent certaines abominables immoralités que tous leurs confrères honnêtes réprouvent ? Le père Braun avait-il plus le droit d’arguer des seules prétentions des fous et de laisser complètement les sages de côté ? Au reste il n’a fait là que tomber dans la faute invariable que commet depuis des siècles l’école à laquelle il appartient : défigurer systématiquement, audacieusement, la pensée de l’adversaire pour mieux l’écharper sur ce qu’il n’a jamais dit.

Si le Prédicateur était vraiment sincère en parlant ainsi, cela prouve tout simplement que comme publiciste il est à peu près de la même force que les jeunes gens qu’il enseigne au Collège des Jésuites. Au reste il est souvent bien difficile à un homme d’étude de lire sans impatience, et absolument impossible de lire sans pitié, les élucubrations ecclésiastiques que l’on nous sert chaque matin sur le droit public, car elles montrent toutes chez leurs auteurs une absence complète d’études suivies sur cette branche de la science politique. Ce n’est le plus souvent ni du droit ni de la théologie, mais du pur bavardage de collège, de la rhétorique cléricale destinée à persuader l’élément laïc qu’il n’est rien dans le monde comme puissance morale, et qu’il est tenu de s’effacer sans murmure devant l’élément ecclésiastique, seul possesseur de la clé du temple de la vérité. On réclame avec l’arrogance dont nous sommes témoins le droit exclusif d’enseigner les autres, et tout ce que l’on écrit sur certains sujets montre que l’on est parfaitement étranger aux premiers rudiments des sciences que l’on prétend exposer d’autorité. Le fait est, comme je l’ai dit plus haut, que toutes les prétentions ultramontaines sur la subordination complète de l’État à l’Église, remontent aux fausses décrétales et en découlent. Or personne n’ignore aujourd’hui que c’était là un pur recueil de déception et de mensonge que l’on est forcé aujourd’hui, même dans le camp ultramontain, de rejeter en bloc malgré les efforts désespérés que l’on a faits pendant trois siècles pour pallier la fraude et lui conserver quelque prestige, mais que l’on tient encore énormément à appliquer en détail. Ou renie l’œuvre, mais on ne s’en sert pas moins autant que l’on peut sans le dire. Et pourtant le Pape Pie VI a été obligé d’admettre la fraude en 1789, près de deux siècles après quelle eût été démontrée ; mais nous n’en voyons pas moins à tout instant surgir quelque tige obstinée du sol clérical.

Eh bien, je croyais le Clergé plus avancé qu’il ne l’est dans son œuvre néfaste de courber insensiblement l’opinion publique sous sa férule. L’indignation chez les uns, et le rire chez les autres, qui ont accueilli les idées exprimées par le père Braun montrent parfaitement à qui veut voir que les choses contre nature et qui offensent le bon sens public ne peuvent jamais prendre racine nulle part sous quelque grand nom qu’elle s’abritent. Il suffit que ces exagérations se manifestent pour provoquer de suite le protêt énergique de la conscience publique. Nous sommes moins ultramontanisés que je le croyais.

Le sermon du père Braun a produit dans notre société précisément le même effet que le célèbre discours du général des Jésuites Laynez au Concile de Trente. Son effort désespéré, appuyé de toutes les colères des Évêques italiens, pour faire accepter par les pères du Concile le principe de l’omnipotence du Pape, ne fit qu’ouvrir les yeux des autres Évêques sur les desseins de l’ultramontanisme, et faillit misérablement. On connaît les énergiques protestations qu’il provoqua chez les Évêques de France et d’Espagne, et l’attitude déterminée qu’ils prirent contre les prétentions ultramontaines.

Nous voyons la même chose se produire parmi nous à propos des doctrines romaines sur le temporel. La conscience publique s’est émue et l’esprit d’envahissement clérical est devenu moins à craindre par le fait seul qu’il a voulu s’affirmer hautement. Le terrain préparé avec tant de sollicitude a rejeté la semence que l’on voulait y faire germer. Il y a vingt ans que l’on prépare sourdement ce grand coup de théâtre, et cela pour arriver au plus parfait fiasco que l’on ait encore vu en ce pays.

Cela prouve, Mgr, que quelques efforts que l’on fasse pour inculquer l’idée de la suprématie du prêtre sur le temporel, cette idée sera toujours repoussée avec énergie par les sociétés qui tiennent à rester libres. La suprématie du prêtre signifiant toujours et partout l’esclavage de la pensée, elle signifie par là même le servage politique. Encore une fois qu’était devenue la nationalité italienne sous le régime papal ? Qu’est devenue l’intelligence romaine sous la censure papale ? Pourquoi le domaine de l’esprit était-il devenu un désert comme la campagne de Rome ? Stérilité partout !

L’humanité, Mgr, repousse de plus en plus énergiquement ces entraves à son progrès, et son mot d’ordre est aujourd’hui :

Respect au sacerdoce vraiment humble, éclairé, charitable et chrétien, mais résistance énergique, et guerre s’il le faut, au sacerdoce dominateur ! !

Revendication des droits de la raison humaine !

Guerre à tous les despotismes !

Suprématie du corps social !  !

Souveraineté du peuple, et établissement définitif de la liberté !

Malheur à qui ne comprend pas !

J’ai l’honneur d’être,
Monseigneur,
De Votre Grandeur,
Le serviteur très obéissant et très
humble,
L. A. Dessaulles.

13 Février 1873.


P. S. — Ce mémoire était sous pli quand l’homme particulièrement estimable dont la mort a créé un vide si pénible à l’Évêché et dans la famille, est devenu dangereusement malade. J’ai donc du différer son envoi, et ce retard forcé m’avait même fait songer à le supprimer pour le moment.

Mais la recrudescence de folie que nous voyons le Nouveau Monde et son acolyte manifester si crûment sur le chapitre de leurs prétentions à la suprématie cléricale universelle ; la guerre sans merci qu’ils continuent de faire à tout ce qui, de près ou de loin, se rattache à l’idée libérale en politique ; — idée qui pourtant ne se résume que dans le droit qu’ont les peuples de surveiller et contrôler les gouvernements qui tiennent d’eux leurs pouvoirs, et je ne puis sincèrement pas voir ce que cette idée peut comporter de si damnable ; — l’intolérance aveugle qu’ils montrent envers tous ceux qui osent parler modération et donner des conseils sensés — témoin M. le grand vicaire Raymond que ces feuilles d’hypocrisie, de mensonge et de discorde remercient de ses longs services en lui donnant avec une si remarquable grossièreté de formes un brevet d’hostilité et de désobéissance au Pape ; — et puis les prodigieux efforts que font toutes nos feuilles cléricales pour bien inculquer dans notre population l’idée que la Législature est catholiquement tenue d’exécuter les moindres désirs des Évêques ; et surtout la dernière et étrange mesure que V. G. vient d’adopter à l’égard des paroissiens de Beauharnois qui ne paient pas de dîmes ; tous ces faits enfin qui démontrent aux plus aveugles que le Clergé tend réellement à nullifier les institutions, braver les lois, contrôler les esprits en tout ordre de choses, dominer arbitrairement les consciences et tout régir dans l’état ; tous ces faits, dis-je, m’ont convaincu que ce serait déserter la cause de la liberté et de la souveraineté nationale que de supprimer au plus fort de la lutte un écrit destiné à protester contre l’esprit non seulement dominateur, mais subversif de notre ordre social et politique, dont le Clergé fait preuve depuis quelques années.

Je dis subversif parceque la prétention de l’ultramontanisme est que le Syllabus doit être le seul guide et la seule règle de conduite des gouvernements, ce qui conduit directement à une refonte complète des institutions dans le sens clérical. C’est donc vraiment une révolution que le Clergé veut préparer et organiser sous prétexte de religion. On veut rendre le Pape maître de tout dans la sphère sociale comme on vient de le faire dans la sphère religieuse en se mettant en contradiction formelle avec toute l’ancienne constitution de l’Église. Et ceux qui comprennent ces tendances subversives des prétendus amis de l’ordre seraient bien coupables s’ils se taisaient quand les autres parlent si haut. Se taire en pareille circonstance impliquerait connivence, ou lâcheté, ou inaptitude à saisir le vrai but des ennemis de toute liberté. Et l’idée absolutiste devient trop audacieuse au milieu de nous pour que les hommes qui n’ont pas abjuré leur conscience et fait table rase de leurs principes devant ceux dont la conscience et les principes se résument uniquement dans l’idée de l’omnipotence papale, ne protestent pas contre ce débordement d’ambition ecclésiastique qui est peut-être le plus grand scandale de notre époque.

Sans doute il y a bien des siècles que ce scandale existe ; mais on aurait cru qu’avec le progrès des lumières, cette funeste ambition aurait peu à peu fait place à une appréciation plus sensée de la position que doit occuper le Clergé dans les sociétés. Or nous voyons au contraire que ce parti remuant et dominateur qui répond à la dénomination d’ultramontanisme est plus que jamais entiché de l’idée, ou plutôt du rêve, du triomphe universel de la théocratie romaine, même depuis que la perte définitive du pouvoir temporel en a fait disparaître le côté le plus odieux. Ce parti a été pendant plusieurs siècles retenu dans certaines bornes par les Églises nationales et surtout par cette illustre église de France qui voulait soumettre le Pape aux canons, réclamait l’indépendance du pouvoir civil, protestait contre les excommunications pour causes temporelles, proposait le retour aux libertés et à la discipline de la primitive Église comme seul moyen d’arrêter le développement de l’autocratie papale, et cherchait au moins à concilier la foi et la raison.

Il est triste, à l’époque où nous sommes, de voir les doctrines contre lesquelles protestait St. Louis encore proposées comme vérités de salut ; car ou ces doctrines sont fausses ou l’on n’aurait pas dû mettre ce roi honnête homme au nombre des saints. C’est vraiment à St. Louis que remonte l’idée gallicane de la non-omnipotence du Pape ; c’est lui qui l’a formulée dans sa pragmatique sanction, dont quelques faussaires de nos jours ont osé contester l’authenticité parce que si vraiment le gallicanisme est une hérésie, St. Louis était hérétique puisqu’il est allé beaucoup plus loin qu’aucun de ses successeurs dans sa résistance énergique à Grégoire ix. C’est St. Louis qui a rappelé à ce Pape que le pouvoir civil en France était complètement indépendant du chef de l’Église. Comment pourrions nous être damnés aujourd’hui pour soutenir une doctrine qui n’a pas empêché St. Louis d’être reçu à bras ouverts dans le Ciel ? On devrait en vérité un peu plus songer au passé, à certains détails de l’histoire ecclésiastique qui montrent si bien les folies absolutistes de notre temps ; à l’isolement pendant des siècles de l’ultramontanisme en Europe, confiné qu’il était à la seule Italie, et je pourrais même dire au seul domaine des Papes ; aux solennelles protestations à diverses époques de tous les gouvernements et de tous les Clergés nationaux contre ses principes, ses intrigues, ses contradictions suivant les hommes et les circonstances, ses audacieuses usurpations et ses intolérables abus dans toute la catholicité — abus si éloquemment constatés dans les cent griefs de la nation germanique — avant d’envoyer les gens en enfer aussi libéralement qu’on le fait aujourd’hui.

Il n’y a que peu d’années qu’un Archevêque de Paris, mort victime de son devoir,[15] disait hautement : « La doctrine ultramontaine, si elle venait à triompher dans le monde religieux, ferait sortir du catholicisme les peuples qui lui appartiennent, et empêcherait d’y entrer ceux qui ne lui appartiennent pas. » Je pourrais citer de pareilles opinions par vingtaines, émises par les plus illustres Évêques ; mais passons là-dessus puisque l’ultramontanisme a enfin triomphé il y a deux ans. Mais aussi que voyons-nous ? Précisément ce qui a été prédit par l’Archevêque dont je parle. On a définitivement éloigné ceux qui sont hors de l’Église, et nous voyons en sortir un nombre considérable de ceux qui lui appartenaient, dont une proportion très notable de prêtres. Les hommes sages et éclairés du dernier concile l’avaient aussi prédit, mais dans son aveuglement séculaire, la Curie romaine a passé outre. Tous les gouvernement avaient aussi notifié la Curie des mesures et de l’attitude que son opiniâtreté les forcerait de prendre, mais rien n’a pu l’arrêter dans ses projets de domination temporelle. Et qu’en est-il résulté ? Tous les gouvernements des pays catholiques ont dû briser avec l’ultramontanisme, de fait sinon dans tous les cas de parole ; et si quelques-uns d’entre eux ont un peu adouci leur action, c’était par pure considération personnelle pour un vieillard hautement respectable par son caractère et ses malheurs, mais qui, mal conseillé par les hommes aveuglés qui l’entourent, n’a subi que des désappointements amers et des défaites multipliées pour avoir voulu arrêter l’humanité sur la large route de progrès que la Providence lui a tracée.

Les flatteurs et les intéressés, ici et ailleurs, nous parlent sans cesse des victoires de Pie ix, mais les gens sensés ne voient là qu’un pur abus des mots, et surtout une fausse représentation pleinement préméditée. Des déclarations renouvellées de mois en mois mais repoussées partout, ne constituent certainement pas des victoires. Et d’ailleurs, de quoi le Pape se plaint-il donc dans chacune de ses allocutions ? C’est que ceux qu’il appelle « les méchants, » « les inspirés de l’enfer, » l’emportent partout. Or c’est nécessairement celui qui se plaint sur ce ton qui subit les défaites. On a sans doute la commode ressource de prédire qu’il se relèvera plus fort que jamais ; mais ceux même qui se permettent ces prédictions savent bien qu’elles n’ont d’effet que sur la foule ignorante et façonnée de longue main à ne lire que les productions ultramontaines.

L’aveuglement semble donc devenu irrémédiable, et il est évident à qui veut voir que l’on est pleinement résolu à ce qu’il ne reste rien debout dans le monde devant le parti clérical. Lois et codes, institutions et parlements, souverainetés nationales et libre arbitre individuel, tout doit subir l’idée ultramontaine et céder le pas aux représentants de celui qui leur a si formellement défendu la domination en tout ordre d’idées. Aux disciples qui voulaient faire punir une ville rebelle à leur prédication, il dit tout simplement : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. » Il leur refusait donc le droit de dominer les consciences individuelles. Comment donc se fait il qu’aucune parole du maître n’a été aussi méprisée et persistamment violée par ceux qui prétendent appliquer sa doctrine ?

Et quand l’apôtre St. Jacques disait : « La loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, » exprimait-il mieux, oui ou non, le vrai esprit chrétien que le Pape actuel, qui écrivait le 15 juillet 1860 : « que c’est une autorité usurpatrice qui ose proclamer que Dieu a fait l’homme libre de ses opinions religieuses. » Si les Disciples ne connaissaient pas l’esprit auquel ils appartenaient en voulant punir des gens rebelles à leur prédication, et si la loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, pouvons-nous réellement regarder cette parole du Pape comme l’expression de la vérité ? C’est donc tout simplement une idée ultramontaine, mais ce n’est pas une idée chrétienne.

Car enfin, d’une personne à une autre, d’une intelligence à une autre, il ne saurait y avoir d’autre rapport possible que la parole et la discussion. Pour faire accepter une vérité, il ne faut pas seulement affirmer, mais il faut examiner, discuter et convaincre. Et le seul résultat possible de notre entretien, vous m’affirmant une opinion et moi l’examinant, c’est la conclusion : « Je suis convaincu » ou « je ne le suis pas. » Si je ne le suis pas, comme « la loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, » vous n’avez pas le droit de m’imposer une opinion dont, dans ma conscience — cette lumière intérieure que Dieu m’a donnée — je ne puis voir la rectitude. La violence pourra sans doute me faire taire, mais produira-t-elle jamais l’adhésion de l’esprit ? Certainement non. On n’atteint pas l’esprit en torturant le corps et celui-là reste libre malgré les chaînes dont on charge celui-ci. Voilà ce qui montre que l’Église ne saurait être autre chose que la société libre et universelle des esprits ; et d’un esprit à une autre on ne conçoit pas la coercition. Voilà ce que l’ultramontanisme ne veut pas reconnaître, mais ses prétentions viendront éternellement se briser devant la grande leçon donnée il y a dix-huit siècles : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. » Cette parole condamne l’intolérance ; il ne l’a donc jamais comprise, ou il l’a méprisée, ce qui est bien autrement grave.

Or s’il n’y a pas à sortir de l’idée de la liberté de l’esprit même dans la sphère religieuse, que sera-ce dans la sphère purement temporelle ? C’est là surtout que les doctrines ultramontaines sont fausses à tous les points de vue. Leurs partisans en sont arrivés à nier la liberté de l’individu même dans le domaine purement social et politique ! À quel esprit appartiennent-ils donc ? Ils ont osé dire que le catholique ne devait pas se former d’opinion politique sans consulter le prêtre, et de là ils ont poussé leur merveilleuse logique jusqu’à soutenir que le Parlement ne devait pas même discuter un projet de loi qui lui serait soumis par les Évêques, mais le passer respectueusement tel que présenté !  ! Autant vaut déclarer de suite les Évêques infaillibles et omnipotents, et faire de la Législature l’instrument passif du pouvoir ecclésiastique. Et ces extravagances ultramontaines s’expriment journellement dans tous les organes du plus terrible despotisme qui ait jamais pesé sur le monde ! Et profondément impie est celui qui ne se soumet pas d’esprit et de cœur à ces audacieux empiétements sur la raison et la conscience publiques !  !

Puisque l’on s’obstine à ne pas voir le précipice vers lequel on marche les yeux tout ouverts, les avertissements venant de tous côtés — car enfin il n’y a pas un gouvernement ni un homme de quelqu’indépendance au monde qui ne repoussent l’idée ultramontaine ; — puisque l’on semble aveuglé par le mutisme, nécessairement temporaire, que l’on a produit dans une population confiante mais qui ne s’en éveillera pas moins elle aussi quand les folies auront atteint leur point culminant, je crois plus que jamais nécessaire de maintenir énergiquement vis-à-vis de ses ennemis naturels l’idée de la suprématie primordiale du corps politique sur toute autre autorité. Dès le neuvième siècle, l’empereur Charles le Chauve rappelait au Pape Adrien ii que « les Rois n’étaient pas les lieutenants des Évêques ; » et comme les nations peuvent encore beaucoup moins l’être, il faut bien quelquefois rappeler aux Évêques qui veulent escamoter à leur profit la souveraineté d’un peuple, que ce n’est certainement pas au dix-neuvième siècle que l’on obtiendra une suprématie qui était contestée même à la pire époque du moyen-âge.

L’ultramontanisme veut que ce soit le Pape, conseillé par un entourage qui, depuis des siècles, se montre absolument étranger aux plus simples notions de la philosophie du droit, qui soit l’arbitre suprême des principes et des opinions des hommes ! Et ceux qui ont étudié l’histoire ecclésiastique pour y voir clair et non pour se laisser tromper ou tromper les autres ; ceux qui ont étudié le droit canon et surtout médité sur ces innombrables bulles où les Papes ont proclamé tant de principes faux à tous les points de vue et particulièrement faux en morale ; ceux-là dis-je sont loin d’être disposés à voir chez eux la source inspirée du juste et du vrai. Et comme je ne puis faire une pareille assertion, qui peut paraître horrible à ceux qui ne savent rien, mais qui est si vraie pour ceux qui ont fait les recherches voulues, sans l’étayer de quelques faits tangibles, je me permettrai quelques citations et quelques exemples.

Quand un Pape donnait les biens d’un excommunié au premier occupant et le déclarait propriété légitime de celui qui s’en emparerait, il se trompait certainement car il faisait ou autorisait une chose immorale : Biens d’autrui, etc.[16].

Quand un pape permettait de réduire les excommuniés en esclavage, il se trompait certainement, car c’était chose plus immorale encore, la personne étant bien autrement sacrée que la propriété.[17]

Quand un pape déchargeait les catholiques de l’obligation de payer leurs dettes aux hérétiques ou excommuniés, il se trompait certainement, car c’était autoriser le vol.[18]

Quand un pape déclarait qu’il ne faut pas garder la foi envers les hérétiques, il se trompait certainement car tous les hommes sont obligés d’être justes envers autrui.[19]

Quand un pape déclarait l’hérésie un crime digne de la mort, il se trompait certainement, puisqu’il violait « l’esprit auquel il appartenait. »[20]

Quand un Pape déclarait exempt de tout péché le meurtrier d’un hérétique, il se trompait certainement puisque c’était autoriser l’assassinai.[21]

Quand un Pape imposait le massacre des hérétiques comme devoir de conscience, il se trompait certainement, car « l’esprit auquel il appartenait » lui défendait ce crime.[22]

Quand un Pape ordonnait de dépouiller de leurs biens les enfants des hérétiques, — enfants nécessairement innocents du prétendu crime de leur père — il se trompait certainement puisqu’on ne peut en aucun cas punir l’innocent pour le coupable.[23]

Quand un Pape déclarait les enfants d’un père hérétique infâmes de droit, il se trompait certainement, puisque c’était violer toutes les notions de la justice.[24]

Quand un Pape déclarait les habitants d’une ville à toujours incapables de posséder, d’hériter, de tester, ou d’être témoins en justice, il se trompait certainement puisqu’il violait le droit naturel.[25]

Quand un Pape déclarait milles toutes les décisions d’un juge qui aurait protégé un hérétique, il se trompait certainement puisqu’il punissait des innocents pour un crime imaginaire commis par un autre.[26]

Quand un Pape déclarait nuls de plein droit tous les actes d’un notaire qui aurait reçu et caché un hérétique dans sa maison, il se trompait certainement, car il ruinait des familles innocentes pour le crime purement imaginaire d’un tiers.[27]

Quand un Pape excommuniait et déclarait infâmes les descendants d’un homme même coupable jusqu’à la septième génération, il commettait certainement une abomination.[28]

Et quand il s’agissait des descendants innocents d’un père innocent aussi, l’abomination n’était plus qualifiable dans les langues humaines.

Quand un pape ordonnait d’enlever les enfants à leurs parents sous prétexte de religion, il se trompait certainement, car la famille existe en dehors de l’Église et lui est antérieure.[29]

Quand un Pape commandait aux catholiques de piller les denrées de ceux qui approvisionnaient une ville, il se trompait certainement, car il n’avait pas le droit de commander le vol.[30]

Quand un Pape autorisait les inquisiteurs à mettre en jugement leurs victimes sans leur communiquer les noms des témoins qui déposaient contre eux et encourageait ainsi la délation secrète et la calomnie, il se trompait certainement.[31]

Quand un Pape a défendu aux juges de rendre justice aux excommuniés, il se trompait certainement, car rien absolument ne peut autoriser la violation de la justice envers qui que ce soit.[32]

Quand un Pape déclarait un prêtre meurtrier exempt de droit divin de toute juridiction civile, et n’imposait à ce prêtre que des peines purement canoniques, c’est-à-dire une moquerie de punition, il se trompait certainement.[33]

Quand un Pape excommuniait un gouvernement pour le seul fait d’avoir puni un prêtre meurtrier, il se trompait certainement :

Et quand il interdisait toute une ville et excommuniait ses habitants pour la faute purement imaginaire de ses magistrats ou administrateurs, qui n’avaient fait que leur devoir en punissant ce prêtre meurtrier, il se trompait certainement.[34]

Quand un Pape déclarait perverses et anathématisait les garanties légitimes qu’un peuple exigeait contre la tyrannie d’un homme ou d’un système, il se trompait certainement.[35]

Quand un Pape excommuniait tous les gouvernements qui imposeraient une taxe quelconque sur les biens ecclésiastiques, même ceux appartenant personnellement aux ecclésiastiques, il se trompait certainement.[36]

Quand un Pape excommuniait les gouvernements qui imposeraient de nouvelles taxes sur leurs administrés sans l’autorisation de la Cour de Rome, il se trompait certainement.[37]

Quand un Pape excommuniait les gouvernement qui ne chasseraient pas de leurs terres les hérétiques, il se trompait certainement.[38]

Quand un Pape relevait de leurs serments les princes qui avaient juré d’observer une constitution, il se trompait certainement, car rien n’autorise à violer une promesse légitime en elle-même et librement donnée. Mais les Papes, d’après l’avis des canonistes, se sont toujours regardés comme au-dessus du droit.[39]

Quand un Pape déclarait que la crainte d’une excommunication injuste était une raison légitime de violer ou ne pas remplir un devoir, il se trompait certainement.[40]

Quand un Pape déclarait pur concubinage les mariages faits en dehors du cérémonial de l’Église, il se trompait certainement, car le mariage est de droit naturel et non seulement de droit ecclésiastique ; et il est difficile d’admettre que les neuf-dixièmes du genre humain vivent dans le concubinage et que les seuls enfants catholiques soient légitimes !

Enfin, quand le Pape actuel déclare en 1864 le principe de la séparation de l’Église et de l’état une erreur damnable, et qu’en 1848 il faisait assurer par son Nonce au grand Concile de Berne que « l’Église ne refuserait pas, quand le moment serait venu, de reconnaître le grand principe de sa séparation d’avec l’état, et qu’elle n’hésiterait pas à inscrire sur sa bannière cette expression éminente et suprême de la liberté ; il est certainement permis de se demander quand le Pape s’est trompé ; en 48 ou en 64 ? car il n’a pas pu se contredire et avoir raison dans les deux cas !

Je n’ai cité, Mgr, qu’une petite partie des choses immorales, ou fausses en droit et en raison, que les Papes ont commandées ou permises. Et si les ecclésiastiques étudiaient un peu mieux leur propre histoire, ils cesseraient peut-être d’affirmer avec l’arrogance qu’ils y mettent, que ce n’est qu’à Rome que l’on peut trouver la définition certaine du vrai. Il n’y a certainement rien de vrai en justice et en morale, dans les prodigieuses prescriptions ou définitions que je viens de citer, et il ne m’eût pas été difficile de quintupler la liste. Cela montre tout simplement qu’il est impossible que les hommes ne se trompent pas, et que souvent plus ils se prétendent exempts d’erreur plus ils s’y embourbent.

Si les partisans de l’ultramontanisme étaient un peu moins audacieux dans leurs affirmations ; s’ils montraient un peu plus de respect pour la vérité historique ; s’ils n’affirmaient pas avec tant de parti pris l’exemption absolue des erreurs et des faiblesses humaines qui caractérise suivant eux la seule Cour de Rome, on pourrait peut-être s’abstenir de rétablir les faits et de constater la vérité, si souvent défigurés par eux. Mais quand on a fait une étude spéciale de l’histoire en étudiant consciencieusement le pour et le contre, au lieu de ne regarder jamais, comme le font en règle générale les ultramontains, qu’une seule face des questions débattues ; on se sent forcé par conviction comme par devoir de venger les droits de la vérité historique et de la rectitude morale.

Je sais bien que l’ultramontanisme, ennemi de la raison comme de la conscience indépendante, défend à ses adeptes de lire les ouvrages où l’on démontre ses fautes, ses erreurs, ses fausses représentations et bien souvent ses supercheries. Mais je sais aussi qu’il existe dans toutes les sociétés un certain nombre d’esprits sérieux qui veulent connaître le vrai et ne se soumettent pas ineptement à la défense de le chercher.

Il serait vraiment trop commode d’émettre suivant les circonstances les doctrines les plus fausses, de violer habituellement les préceptes que l’on prêche, de multiplier ses fautes comme à plaisir ; de proclamer comme vérité absolue des prétentions qui révoltent la conscience ; de présenter comme méritoire ce qui est crime et félonie, et de défendre comme criminel ce qui est juste et légitime en soi ; et puis de se soustraire au contrôle de l’opinion par une simple défense à ceux qui ont intérêt à connaître la vérité de lire les ouvrages où elle est exposée et constatée. Or ce système qui serait déclaré honteux chez les laïcs est représenté comme éminemment salutaire chez les ecclésiastiques ! Où est la sincérité dans cette prétention ? Comment ce qui serait répréhensible chez nous serait-il louable chez vous ?

Il est hors de doute pour celui qui en a étudié le fonctionnement, que l’Index a beaucoup plus servi à voiler les fautes du Clergé en empêchant les laïcs d’en lire les récits, qu’à protéger l’idée religieuse elle-même. On était bien plus criminel, du dixième au quinzième siècle, en résistant au prêtre qu’en violant les préceptes les plus essentiels de la morale. Il y a eu un temps où le meurtre de son père se rachetait par une amende de dix-sept livres, pendant que le fait d’enterrer clandestinement un excommunié en terre bénite ne pouvait s’effacer qu’en payant trente-six livres ! Voilà la morale pratique que le Clergé a maintenue pendant plusieurs siècles, et que constatent les taxes de la chancellerie apostolique. Le plus odieux des crimes était moins puni que la simple violation d’une ordonnance ecclésiastique ! Et quand on refusait la sépulture chrétienne à ceux qui n’avaient pas fait un legs à l’Église — qui possédait plus de la moitié du sol et n’en refusait pas moins de contribuer aux charges publiques — on conçoit fort bien que les fidèles ne trouvassent pas cette raison suffisante, pour être exclus d’un cimetière, et prissent, dans leur foi naïve, des mesures pour y placer leurs parents ou amis arbitrairement jetés à la voirie.

Voilà Mgr pourquoi j’ai parlé. Il est bon que le contre soit quelquefois mis en regard du pour, surtout quand on voit ceux qui ne veulent pas que le contre soit connu, adopter une si grande variété de moyens pour le tenir caché.

J’en viens maintenant à la dernière mesure que V. G. a cru devoir prendre à l’égard des paroissiens de Beauharnois qui ne paient pas dîmes parcequ’ils n’ont pas de terres. Cette mesure, Mgr, est de la plus haute gravité car elle constitue tout simplement un nouveau pas fait par V. G. dans la voie du défi qu’Elle a jeté depuis longtemps déjà à la suprématie de la loi civile en Canada.

Ceci peut paraître étrange à ceux qui ne se rendent pas toujours clairement compte de ce qu’ils voient ; qui ne saisissent pas de suite la portée de certains actes ; à ceux surtout qui ont la naïveté de croire que le Clergé n’agit jamais qu’en vue du bien absolu de la religion et sans aucune arrière pensée d’influence hiérarchique.

Ici on a le tort de ne juger le Clergé que sur ses paroles, jamais sur ses actes. Au lieu d’interpréter les paroles par les actes, c’est-à-dire de voir si les actes démontrent la sincérité des paroles, on ne fait au contraire que chercher à expliquer ou justifier les actes par les paroles. Comment supposer, quand un Évêque parle avec tant d’onction, qu’il songe à faire ce qu’il ne dit pas ? Aussi les actes ont beau démentir les paroles, on ne s’arrête qu’à celles-ci comme si ceux-là n’en démontraient pas l’inanité ! Aussi le Clergé abuse-t-il largement de la carte blanche qu’on lui donne en quelque sorte d’agir comme il l’entend, de mettre la loi de côté, de ne tenir aucun compte des droits d’autrui, pourvu seulement qu’il veuille bien de temps à autre se donner la peine de protester de ses intentions toujours désintéressées et irréprochables. Avec de bonnes paroles, il fait accepter quelquefois les choses les plus odieuses, depuis le refus arrogant et arbitraire de sépulture jusqu’à la captation testamentaire la moins déguisée. Et quelque démenti que ses actes donnent à ses protestations, impie est celui qui maintient que la preuve de l’intention est dans l’acte et non dans une phrase sentimentale adroitement tournée.

Depuis 1864 où le Syllabus est venu pénétrer le Clergé de l’idée de sa prééminence absolue sur les peuples et les gouvernements, les hommes qui observent ce qui se passe ont vu V. G. adopter une allure beaucoup plus décidée vis-à-vis de la loi civile, et chaque année a vu surgir une prétention nouvelle et une tactique correspondante. V. G. préparait ainsi insensiblement le terrain pour l’éventualité d’une lutte avec le pouvoir civil, éventualité à peu près inévitable puisque l’Église veut désormais réduire l’État au rôle de pouvoir subordonné. L’objet principal du Syllabus était de faire des gouvernements les instruments dociles, aveugles même, du pouvoir ecclésiastique. Et en effet, le Pape s’affirmant infaillible sur les questions de mœurs, il ne reste clairement au pouvoir civil qu’à plier le genou et obéir sans conteste. C’est précisément ce qu’exigeait la bulle Unam sanctam quand elle affirmait que le glaive temporel doit être employé ad nutum sacerdotis (au premier signe du prêtre). Le prêtre, lui, appelle cela, « le droit divin ; » et les gens sensés, eux, appellent cela la suprême expression de l’orgueil ecclésiastique.

Et quand je parle d’orgueil ecclésiastique, j’ose croire que l’expression n’est pas entièrement déplacée, et encore moins inexacte, car à part les nombreuses citations que j’ai déjà faites démontrant à qui ne ferme pas absolument les yeux, que l’objet principal de l’ultramontanisme a toujours été de faire du Pape un Dieu sur terre, d’après l’expression d’un Évêque plein de vie au moment où je parle ; je me permettrai d’en faire encore quelques unes qui prouveront que depuis le Pape jusqu’au dernier clerc, on se regardait comme au-dessus de l’espèce humaine. Innocent iii d’ailleurs l’a dit du Pape : « moins que Dieu, mais plus que l’homme ! »

Un de vos canonistes les plus autorisés, Julianus, n’a-t il pas dit que le Pape a à peu près la même puissance que Dieu ? Votre Trionfo n’a-t-il pas dit que le Pape avait droit aux mêmes honneurs que les Saints et les Anges ? Et il est plus qu’un ange d’après le Pape Innocent IV. « Quoi ! disait-il à l’Empereur Frédéric, celui qui jugera un jour les anges dans le Ciel ne pourrait juger les choses de ce monde ! » Est-ce là l’humilité chrétienne ? St. Grégoire le grand parlait-il ainsi ? Et puis n’est-il pas quelque peu étrange en doctrine de parler de juger les anges que l’on nous assure être impeccables ? Sur quoi donc le Pape espérait-il les juger ?

Et quand Grégoire VII fit sa fameuse comparaison des dignités papale et royale, comparant celle-là au soleil et celle-ci à la lune, ne s’est il pas trouvé un canoniste italien pour montrer par un calcul mathématique en règle, que le Pape était 1744 fois plus grand que l’Empereur ? Mais un canoniste français trouva son confrère du Sud beaucoup trop modeste dans son calcul ; et il en fit un autre démontrant que la grandeur du Pape équivalait à 6645 fois celle de l’Empereur. Et un mauvais plaisant de l’époque vint à son tour démontrer encore une légère erreur chez ce dernier, et prouva irrésistiblement par de nouveaux calculs qu’il s’était trompé de près d’un huitième dans son estimation. Et l’Évêque Alvare Pélage ne disait-il pas que l’autorité du Pape est sans nombre, sans poids et sans mesure ? N’est-ce pas lui qui a dit le premier que le Pape était un Dieu sur terre ? Et Zenzolius n’a-t-il pas appelé le Pape : « Notre Seigneur Dieu le Pape !  ! » Mais on a eu honte du blasphème, et l’on a retranché le mot Dieu dans la dernière édition de l’ouvrage de ce flatteur ecclésiastique.

Enfin ce n’était pas seulement le Pape que l’on mettait au-dessus de l’humanité. Le plus infime des clercs devait être aussi regardé comme bien au-dessus du plus puissant laïc. Dès le neuvième siècle quelques conciles provinciaux avaient ordonné que quand un laïc à cheval rencontrerait un clerc à pied, celui-là descendrait de cheval pour saluer celui-ci. On avait aussi décrété que les grands de l’État ne devaient pas s’asseoir devant les Évêques. Ce n’est pas là précisément de l’humilité. Deux siècles plus tard St. Pierre Damien disait qu’un séculier, quelque pieux qu’il fût, ne saurait être comparé à un moine même imparfait, puisque l’or, bien qu’altéré, est plus précieux que l’airain pur. Un autre docteur du douzième siècle comparaît non seulement le Pape à Dieu, mais les clercs aussi. « Dieu est un fondement, les clercs sont des fondements ; Dieu est la montagne, les clercs sont des montagnes, » etc., etc., etc.

Enfin quand on voulut exterminer les Vaudois, que « l’on reconnaissait à leur vie exemplaire ; » que St. Bernard lui-même avait déclarés « mener une vie pure et honnête ; » et que plus tard encore le cardinal Sadolet représenta comme irréprochables de vie et de mœurs et valant beaucoup mieux que leur détracteurs ; ne s’est-il pas trouvé un défenseur de l’Église, Pilichdorff, pour prétendre, s’appuyant sur les fausses décrétales, que « le plus corrompu des hommes, s’il est clerc, est plus digne que le plus saint des laïcs ? » Donc la vie honnête des Vaudois ne leur servait de rien.

Est-ce là de l’orgueil, Mgr, oui ou non ! et de l’immoralité par dessus le marché. Voilà comme l’ultramontanisme a de tout temps édifié, éclairé et moralisé le monde ! Un clerc criminel vaut mieux qu’un laïc irréprochable !  !

Je reviens à mon sujet.

Il est plusieurs prétentions auxquelles l’Église a renoncé peu à peu, non pas explicitement par des déclarations précises, mais implicitement en laissant faire. Ainsi le seul bon sens public a forcé le Clergé de cesser de défendre aux tuteurs de placer à intérêt les fonds de leurs pupilles. Depuis dix-sept siècles on en faisait un péché mortel, et on refusait l’absolution aux tuteurs qui obéissaient à la loi, bien autrement sage sur cette question, que toutes les prescriptions ecclésiastiques, toujours en retard de cinq à dix siècles dans la marche de l’humanité. Voilà un autre point important où, par pure ignorance des lois qui régissent l’économie sociale, les Papes maintenaient comme vérité de salut ce qui était certainement erreur, et ils ont imposé cette erreur au monde pendant dix-sept siècles puisque ce n’est qu’en 1830, sous Pie VIII, qu’ils ont enfin prononcé le non esse inquietandos. Le prêt à intérêt est donc enfin permis, après avoir été si inflexiblement flétri, malgré la célèbre parabole où Jésus loue deux serviteurs fidèles qui avaient doublé, en les faisant profiter, les sommes que leur maître leur avait laissées, et blâme si sévèrement le troisième pour avoir enfoui son talent au lieu de le mettre entre les mains des changeurs[41] Jésus-Christ louait donc ce que l’Église déclarait digne de l’enfer même chez le tuteur qui obéissait à la loi, et celle-ci déclarait digne de louange ce que Jésus-Christ flétrissait : ne pas mettre l’argent de son maître, (ou de son pupille) entre les mains des changeurs pour le faire profiter.

Mais il y a plusieurs questions sur lesquelles l’Église n’a pas encore voulu entendre raison. Cela viendra pourtant aussi certainement que sa tardive adhésion à la doctrine du prêt à intérêt, mais ça n’est pas encore venu ; et en attendant, on maintient diverses prétentions qu’il faudra abandonner plus tard, avec la même opiniâtreté que l’on a défendu le prêt à intérêt comme chose contraire à la morale et à la religion, pour finir par avouer, en prononçant enfin le Non esse inquietandos, que l’on s’était trompé.

Il y a donc encore la question du mariage des mineurs contre le consentement de leurs parents. La nature et la loi donne au père le droit de contrôler son enfant jusqu’à sa majorité, mais l’Église prétend que son pouvoir prime celui du père. Partout les gouvernements, les législateurs, les tribunaux et les légistes, le droit coutumier comme le droit écrit, ont repoussé ses prétentions ; mais est ce qu’il peut se trouver une parcelle de raison chez les laïcs qui n’admettent pas toutes les prétentions ecclésiastiques ? Aussi quand les tribunaux du pays ont condamné des Évêques qui avaient usurpé l’autorité du père de famille et consacré des mariages clandestins, le Clergé a crié comme s’il était tyrannisé quand c’était lui pourtant, et lui seul, qui assumait le rôle d’usurpateur. On crie bien fort ici contre les ministres protestants qui marient secrètement des enfants mineurs ; mais cela se faisait tous les jours à Rome sous le régime papal ; et si l’on a tort dans un cas, je ne vois guère comment on pouvait avoir raison dans l’autre. Au reste c’est encore là une de ces questions sur lesquelles l’Église finira par céder à la raison générale, comme elle l’a fait sur tant d’autres quand elle a eu affaire à des hommes indépendants et ayant conscience de leur droit.

Il y avait aussi la question du mariage entre oncle et nièce, et entre beau-frère et belle-sœur ; sur laquelle le Clergé de ce pays n’avait cédé que de loin en loin et avec beaucoup de difficulté même en imposant des sommes considérables pour accorder les dispenses. Mais, chose excessivement remarquable, depuis que notre code a déclaré ces mariages illégaux, V. G. s’est mise à marier avec beaucoup moins de difficulté les parents de cette catégorie. Et pourquoi ? Tout simplement parceque la loi civile le défend. La prétention du Clergé étant que le pouvoir civil n’a aucun droit quelconque de créer des empêchements de mariage, et que ce droit appartient à l’Église seule ; du moment que la loi a refusé sa sanction à ces mariages, il fallait bien que l’Église se mît en conflit avec elle. Avant que la loi civile les défendît, l’Église empêchait ces mariages autant qu’elle le pouvait ; mais du moment que la loi s’est mise à ne pas les reconnaître, alors, V. G. représentant l’Église, s’est mise à les permettre, et cela sans autre but que de signifier pratiquement à l’état qu’il n’avait pas le droit de créer des empêchements de mariage. Ainsi, si le pouvoir civil veut empêcher les oncles et nièces, ou les beaux-frères et belles-sœurs de se marier ensemble, il n’a pas, d’après les prétentions ecclésiastiques, le droit de passer une loi à cet effet, mais il faut qu’il demande humblement à l’église de vouloir bien déclarer ce degré de parenté empêchement dirimant. Si l’Église consent, tout est bien ; mais si elle refuse, l’état ira se promener ou fléchira le genou. Et si l’Église veut autoriser les mariages clandestins, l’état sera bien osé s’il y trouve à redire puisque cela ne le regarde pas le moins du monde. Au premier signe du prêtre, l’état doit disparaître, d’après le pape Boniface VIII, et doit être orgueilleux d’obéir, d’après le Rév. P. Braun. Et si les mariages clandestins jettent le trouble dans les familles et causent des procès et des haines, l’état n’en devra pas moins penser que l’Église n’a pas pu se tromper.

Autrefois l’Église prohibait les mariages jusqu’au septième degré de parenté, prohibition qui lui a valu d’énormes revenus, d’abord parceque, dans des populations peu nombreuses, ce degré de parenté devenait excessivement commun ; et ensuite parce que, quand les conjoints découvraient qu’ils étaient parents même au septième degré, il fallait se séparer, puis obtenir l’absolution de la coulpe moyennant pécune, puis se remarier une seconde fois, toujours moyennant pécune. Mais devant la clameur universelle l’Église a fini par réduire la prohibition au quatrième degré ; mais en défendant d’une manière à peu près absolue les mariages entre oncle et nièce et entre beau-frère et belle sœur. On les tolérait seulement dans les grandes familles, pour conserver les biens dans les souches, et surtout parceque d’ordinaire elles payaient bien. Mais ici le pouvoir civil s’étant mêlé de défendre ces mariages, il devenait nécessaire de lui faire comprendre que non seulement l’église doit être un état dans l’état, mais que c’est réellement l’État qui est dans l’Église. On nous l’a dit sur tous les tons, implicitement et explicitement, il y a quelques mois, et V. G. s’est mise à le démontrer de la manière la plus pratique possible en mariant ceux dont la loi civile ne reconnaît pas l’union. Les enfants provenant de ces mariages n’auront peut-être pas d’état civil, ne pourront peut-être pas hériter ; le trouble sera par suite dans la famille et dans la société, mais qu’est-ce que cela fait au Clergé pourvu qu’il maintienne sa domination et son prestige ?

Et pourtant là aussi on finira par prononcer le Non esse inquietandos, et alors ce qui aura été péché deviendra indifférent et même quelquefois vertu. C’est bien une vertu aujourd’hui pour un tuteur que de bien administrer la fortune de son pupille et de placer ses fonds à intérêt, et il n’y a pas trente ans c’était un péché mortel ! Et c’est bien certainement à la plus haute raison laïque qu’il a fallu céder après avoir mille fois affirmé que l’on ne pouvait céder sans offenser Dieu. Le Nom possumus a duré cinq siècles sur cette question, et où est il aujourd’hui ?

Il en sera certainement ainsi des questions de mariage sur lesquelles on prétend ne pouvoir céder sans péché. Quand la raison laïque aura généralement compris les questions de mariage comme elle en est venue à comprendre celle du prêt à intérêt, elle dira à l’Église : « C’est assez ! Place au plus éclairé. » Et l’on entendra une immense clameur dans le monde sur la perversité humaine ; puis l’Église cédera peu à peu et trouvera comme par le passé moyen de déclarer que ce qui était péché ne l’est plus. Il y a cinquante questions sur lesquelles la raison laïque a fait peu à peu reculer l’Église, et il en reste au moins autant à régler de la même manière entre les deux grandes rivales, celle-là remportant toujours à la longue la victoire sur celle-ci. Et il n’en saurait être autrement puisqu’il faut de toute nécessité, dans l’ordre de la Providence, que le passé cède la place à l’avenir ; que la raison d’un siècle soit corrigée par la raison du siècle suivant ; puisque le progrès veut que ce qui est vérité aujourd’hui devienne erreur demain par suite de la plus grand somme de lumière que la marche du temps fait incessamment jaillir sur l’humanité ; puisqu’enfin Dieu ayant fait du progrès la loi fondamentale des sociétés humaines, il est impossible que l’Église elle-même ne subisse pas cette loi tout en protestant contre en toute occasion.

La même chose arrivera relativement à la dernière mesure prise par V. G. à l’égard des paroissiens de Beauharnois. Laissons de côté la question des régîtres de paroisses, sur laquelle V. G. paraît n’être pas encore fixée sur la manière la plus sûre de maintenir le défi qu’elle a porté depuis longtemps à l’autorité civile. Mieux vaut là dessus attendre la publication des documents qui sont encore secrets pour le public.[42] Mais quant à la mesure de Beauharnois, je la regarde comme de la plus haute gravité parce qu’elle constitue une tentative évidemment inconstitutionnelle mais très sérieuse, de taxer le peuple du pays sans l’agrément de la Législature. Il est impossible que V. G. n’ait pas un peu envisagé ce point de vue de la question, mais comme les prétentions ultramontaines sont que tout ce que l’Église veut est nécessairement légitime même à l’encontre des lois, et que toute opposition du pouvoir civil à ce que décide l’Église même en matière temporelle est illégitime en soi, cette considération de taxer le peuple sans le consentement de la Législature ne pouvait avoir grand effet sur Elle. D’ailleurs V. G. n’est occupée depuis longtemps qu’à étudier sa stratégie et à prendre ses positions devant le pouvoir civil pour la grande lutte qu’Elle prépare pour faire consacrer ici le principe de la suprématie du Pape sur notre ordre social et politique ; et quand Elle croira avoir suffisamment fortifié ses positions, et se jugera suffisamment appuyée sur une opinion faussée par l’affirmation incessante et opiniâtre des prétentions ultramontaines, Elle viendra dire au pouvoir civil qu’il doit reculer sous peine de l’excommunication ipso facto de ceux qui le composent. Va sans dire qu’ici comme sur les autres questions, il reste toujours hors de doute que l’Église sera battue, mais elle ne le sera pas sans lutte, car elle ne cède que ce qu’elle ne peut absolument pas garder.

Par cette dernière mesure, V G. a réellement ouvert le feu sur le principe de la suprématie du pouvoir civil. Elle exige des redevances en argent sous peine d’excommunication (refus des sacrements et de la sépulture ecclésiastique.) A-t-elle songé que c’était là, aux yeux des laïcs instruits, faire revenir les plus mauvais jours du moyen-âge ? Je n’en sais rien, mais il est difficile de ne pas voir là le projet bien arrêté de créer des revenus au Clergé sous la menace des peines ecclésiastiques, ce qui est de fait le déclarer complètement indépendant du pouvoir civil dans la sphère purement civile.

Le Clergé deviendrait donc par là un état dans l’état, prêt à défier celui-ci selon les circonstances !

Ce n’était pas assez d’avoir un système qui permet au Clergé de braver l’opinion tout en le laissant à la merci de l’Évêque par suite de l’absolutisme introduit dans la pratique ecclésiastique moderne, pratique qui permet à celui-ci de le manipuler à son gré d’après les besoins du moment ; ce n’était pas assez d’avoir un système qui permet aux Évêques de se moquer des plaintes ou des désirs légitimes de paroissiens qui souvent sont maltraités ou scandalisés par des curés arrogants ou immoraux — on connaît le résultat à peu près invariable des enquêtes ecclésiastiques quelle que soit l’évidence des preuves contre de grands coupables, que l’on déclare toujours innocents, quitte à les faire disparaître plus tard sous un prétexte quelconque — il fallait encore créer au Clergé une nouvelle source de revenus en disant à la loi civile : « Nous pouvons parfaitement nous passer de vous puisque nous avons l’excommunication pour dompter les résistances. Ainsi chaque fois que nous voudrons suppléer au revenu que vous nous avez créé, nous menacerons nos ouailles de refus de sépulture ecclésiastique, et vous verrez comme elles paieront. »

Je doute qu’il y ait beaucoup de gouvernements catholiques au monde qui permissent au Clergé d’enfler sa bourse au moyen de la coercition religieuse, car ce sont les gouvernements qui, au sortir du moyen-âge, ont dû intervenir pour brider la rapacité du Clergé ; et je doute fort qu’au dix-neuvième siècle ils lui lâchent les rênes. Nul doute que le moyen adopté par V. G. pour forcer la main aux non-propriétaires de terres ne soit très puissant dans une société où l’on se croit « enterré comme un chien » si sa dépouille mortelle ne repose pas dans un cimetière béni ; mais d’un autre côté, quand il y aura cent coupables (au point de vue purement ecclésiastique, s’entend) dans une paroisse, il sera assez difficile de les exclure tous. Alors surgira nécessairement « la question des cimetières, » institution communale de sa nature, et non cléricale. Là encore l’Église reculera nécessairement devant la raison publique quand celle-ci aura acquis la perception nette de ses droits.

Au reste je doute fort que V. G. aille bien loin avec une mesure aussi inconsidérée, car si le pouvoir civil permet au Clergé de se créer ainsi des revenus au moyen de la férule religieuse, la porte s’ouvre de suite aux plus criants abus. L’Église prétend avoir le droit non-seulement de prélever les fonds dont elle a besoin et qu’elle distribue à droite et à gauche, à l’étranger comme à l’intérieur, et bien souvent pour des fins temporelles plutôt que pour des fins spirituelles ; mais elle prétend aussi avoir le droit de les prélever par tel mode qu’il lui plait et sans aucune espèce de compte à rendre au pouvoir laïc. Cette prétention, V. G. essaie maintenant de la consacrer ici dans la pratique. Or c’est l’application que faisait autrefois l’Église de cette prétention inadmissible — taxer les fidèles sans leur consentement — qui a conduit aux plus effroyables abus. Sans citer ici l’Angleterre, pressurée et mangée de toutes manières par les Légats et les Évêques Italiens que les papes lui ont imposés du douzième au quinzième siècle, V. G. n’ignore pas que St. Louis lui-même fut obligé à diverses reprises de faire saisir les sommes considérables que les Papes prélevaient en France en dépit du pouvoir civil, soit pour entretenir le luxe effréné de leur Cour, soit pour défrayer les dépenses des guerres injustes, et quelquefois même abominables dans leurs moyens comme dans leur but, qu’ils ne cessaient de susciter. St. Louis faisait donc saisir, en dépit des excommunications ipso facto, les deniers prélevés sans sa permission que l’on acheminait sous escorte vers Rome ; et il informait en même temps le Pape qu’il ne pouvait tolérer que l’on appauvrît le Royaume pour satisfaire la cupidité des ecclésiastiques ! St. Louis serait donc un gallican obstiné, donc hérétique, d’après le prêtre du Nouveau Monde, et n’aurait jamais dû passer la porte du Ciel. Au reste je ne désespère pas de voir la sainte feuille nous le dire un jour et administrer une rebuffade à St. Pierre pour avoir laissé entrer ce gallican !  ! Il n’y avait pas un gouvernement en Europe, à cette époque, qui n’eût à se prémunir contre l’avidité du fisc romain, et St. Louis était à la tête de ceux qui résistaient aux Papes ! On peut donc croire qu’ils se trompent quelquefois, et qu’on peut leur résister sans être digne de l’enfer puisque St. Louis est en paradis.

De ce que ces abus ne pourraient plus revenir aujourd’hui avec la même intensité de misères pour ceux qui en souffraient, il n’en est pas moins à propos, quand on en voit surgir un, de le signaler de suite afin de ne pas trop le laisser grandir, car on sait que quand l’Église tient quelque chose, elle ne lâche pas facilement prise. Si l’on commence à permettre au Clergé de sortir du système volontaire pour se créer les suppléments de revenus dont il dit avoir besoin, et cela sans se donner jamais la peine de le prouver aux intéressés, vu sans doute que les laïcs doivent obéir au prêtre à son premier signe et sans oser jamais scruter son intention ni réfléchir sur son ordre, il ne s’écoulera pas vingt ans avant que les plus graves abus ne se fassent jour. Il ne serait pourtant que de simple convenance, quand un besoin est si grand qu’il faut exiger des contributions sous peine de refus de sépulture, que l’on voulût bien au moins condescendre à expliquer la nature et les raisons du besoin où l’on se trouve. Mais on a si bien façonné les laïcs à ne rien examiner, que l’on ne se donne même plus la peine de leur expliquer pourquoi on prend dans leur poche. On exige toujours et l’on ne rend jamais compte de rien.

Si le Clergé n’a pas assez du vingt sixième de la production totale du pays en céréales, que lui faut-il donc ? Est-ce que quatre cent ou quatre cent cinquante célibataires ne sauraient vivre sur une portion de production qui représente plus de $600,000 de revenu annuel, ce qui assure à chaque curé en moyenne plus de $1,300 ? Admettons qu’il ne soient pas très régulièrement payés et déduisons un tiers ; il reste encore aux curés en moyenne plus de deux cents louis de revenu. On me dira que quelques-uns ont trop et les autres pas assez. Pourquoi alors le Clergé ne fait-il pas les compensations voulues ? Quant à nous, nous ne pouvons clairement juger cette question que sur les moyennes.

Maintenant si les dîmes ne suffisent réellement pas à l’entretien du Clergé, rien ne l’empêche d’y renoncer et de s’adresser à l’État, et celui-ci verra alors ce qu’il y aura à faire. Je sais que rien n’irrite un ultramontain comme de lui dire : « Adressez-vous à l’État, » puisque sa prétention est que l’État doit se trouver orgueilleux de faire tout ce que veut l’Église ; mais de cette intelligente théorie à ce qui est possible en pratique, il y a loin. Et ce n’est clairement pas au Clergé qu’il appartient de déterminer seul et sans le concours de la Législature le quantum de son revenu et son mode de perception ; car il ne saurait être juge dans sa propre cause. On sait trop bien ce qui arrive quand il l’est.

Et malgré toutes les affirmations ultramontaines, il ne peut évidemment posséder que sur autorisation de l’État puisqu’il faut de toute nécessité que ses rapports avec les individus soient définis par la loi et que ses transactions d’affaires donnant lieu à litige ressortent des tribunaux. Les ignorants ont beau dire que l’Église doit pouvoir acquérir et posséder en dehors de toute intervention de l’État ; du moment que l’on en vient au fonctionnement pratique, à la délimitation des droits, au partage des biens de succession qui pourront échoir en partie au Clergé, au mode d’imposition et de perception de ses revenus temporels, aux charges publiques dont ses propriétés devront être grevées, et surtout à la grande question de la main-morte, c’est-à-dire de l’accaparement constant des biens par un corps qui acquiert toujours et ne se dessaisit jamais, il faut nécessairement que quelqu’un décide et des droits du Clergé et de leur application pratique en regard des autres droits ! Ces ignorants prétendront-ils qu’au Clergé seul appartient le réglement de ces questions ? Mais alors il serait juge et partie dans tout ce qui le concerne. Où sont les gens de bon sens qui consentiront à lui permettre d’entraver à volonté tout le système légal et toute l’administration d’un pays ? L’Église dira tant qu’elle voudra que l’État lui est soumis, où est le gouvernement qui acceptera cette doctrine ; et surtout où est le peuple qui supportera seulement deux heures un gouvernement assez aplati pour l’accepter ? Non ! Toutes ces prétentions ultramontaines, inadmissibles en droit, sont encore bien plus inapplicables en fait. Et il n’y a réellement que la plus merveilleuse incompétence en droit public et administratif qui puisse avoir la naïveté de les exprimer à l’heure qu’il est.

Pas un des ignorants dont je parle ne semble songer un instant que l’État peut fort bien exister sans l’Église puisqu’il y a onze cent millions d’hommes qui ne lui appartiennent pas ; pendant que l’Église ne saurait exister une heure sans l’état qui est l’organisation régulière de la société. Où serait la garantie des droits réciproques et de l’ordre public s’il n’y avait pas d’État mais seulement une Église ?

Mais, dit l’Église, l’État doit m’être soumis parceque mon pouvoir est d’une nature supérieure au sien. Ceci est une pure confusion d’idées puisque le spirituel et le temporel sont deux ordres de choses essentiellement distincts. Dans le domaine spirituel l’État n’a pas compétence ; mais dans le domaine temporel, l’Église n’a pas compétence non plus puisque ne possédant pas, par la nature de son institution, la puissance coercitive, elle ne saurait commander les actes de la vie civile ni punir la violation de la loi. Ceci est essentiellement la part du pouvoir civil. Je sais bien que l’on vient de décider que l’Église possède un pouvoir coercitif, mais comment peut-elle l’exercer ? Seulement par l’interposition du bras séculier ! Elle ne l’exerce donc pas directement, mais seulement par intermédiaire. Le pouvoir coercitif ne lui appartient donc pas par la nature de son institution, mais seulement par implication et sur ce faux point de vue que le spirituel commande au temporel. Or c’est à cette prétention même qu’à été adressée la grande parole : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez. »

Et puis si l’État est soumis à l’Église, celle-ci sera donc juge en dernier ressort dans toutes les questions qui surgiront entre elle et l’État, ou par l’État, entre elle et les particuliers ; donc toujours juge en sa propre cause. Ce serait donc le règne de l’arbitraire, et de l’arbitraire de la pire espèce puisqu’elle ne reconnait aucune responsabilité en ce monde. Or l’Église a trop montré, à toutes les époques de son histoire, combien il est dangereux de ne pas la tenir en bride pour qu’après tant d’amères expériences de son esprit d’accaparement et de domination, l’État puisse consentir à se faire son instrument. Et puis enfin il y a trop de questions sur lesquelles la raison générale a forcé l’Église de modifier ses prétentions et d’avouer son incompétence, pour qu’on lui permette de décider toujours souverainement de ce qui est juste et vrai dans la sphère temporelle. Ici la raison laïque se montre trop supérieure à la raison ecclésiastique pour qu’elle puisse accepter sa direction absolue.

Non ! il faut que l’Église en prenne son parti. Le vrai souverain, c’est la nation. Le gouvernement n’est que le délégué de la nation et l’expression de sa volonté. Et l’Église doit se soumettre aux puissances établies dans tout ce qui touche au domaine temporel. L’Église ne peut régir que ce qui est purement et essentiellement d’une nature spirituelle, et pour ceux-là seulement qui reconnaissent librement son autorité. Hors de là elle n’a aucune compétence quelconque. Et plus on criera contre ces principes plus on démontrera la nécessité de passer des lois qui tiennent les ecclésiastiques en échec et les soumettent au droit commun. Ils ne sont pas prêtres avant d’être hommes, ils sont au contraire hommes avant d’être prêtres. Sans doute ils veulent toujours se mettre au-dessus des lois, mais il faut leur faire comprendre que c’est la loi qui est souveraine et qu’ils lui doivent obéissance.

Je n’ignore pas que l’on nous parle sans cesse de la liberté de l’Église, liberté qui doit primer tout. On dit cela à ceux qui n’ayant rien lu ne savent pas ce que l’Église entend par sa liberté. Mais ceux qui ont un peu suivi son histoire savent que la liberté de l’Église signifie toujours qu’elle seule sera libre et qu’aucun autre droit ne restera debout devant le sien. La liberté de l’Église consiste pratiquement à prohiber toute autre liberté que la sienne. Que l’Église soit libre comme elle l’entend, et la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté même de la parole au Parlement et au Barreau seront détruites. À Rome on n’avait pas même la liberté de la parole en conversation privée ; et si quelqu’un était entendu, par un espion, blâmer le système administratif, on le logeait en prison sans seulement lui dire pourquoi ! Que l’Église soit libre comme elle l’entend et la liberté du Législateur et celle du Juge seront détruites, car celui-là ne pourra voter les lois, ni celui-ci les appliquer, sans donner en tout et partout le pas sur la loi civile au droit canon, cette prodigieuse compilation de principes faux et de contradictions étonnantes. Sans doute le droit canon contient aussi de très belles dispositions, mais trop souvent l’esprit arriéré de la Curie Romaine y a faussé toutes les notions du droit, et on ne pourrait l’appliquer aujourd’hui comme règle de la vie politique et sociale, sans bouleverser le monde, parcequ’il est resté saturé en quelque sorte de l’esprit des fausses décrétales, la plus impudente fraude et le plus honteux mensonge dont l’histoire fasse mention, et où pourtant un si grand nombre de Papes sont allés puiser tout leur arsenal de prétentions insoutenables. Que l’Église soit libre comme elle l’entend, et l’on devra fermer tous les établissements d’éducation où son esprit étroit et exclusif n’aura pu pénétrer ; et l’on verra enlever les jeunes enfants aux parents sous divers prétextes ; et on la verra accaparer en moins d’un siècle une portion notable de la fortune publique, c’est-à-dire qu’elle sera devenue comme autrefois maîtresse d’une grande partie du sol et rejettera les charges publiques sur le peuple seul, s’en déclarant exempte de droit divin !  ! On la verra aussi pratiquer la captation testamentaire sur la plus large échelle, comme dans tous les pays où elle ne subissait aucun contrôle, et rien ne pourra l’arrêter. Et le seul résultat possible de sa liberté comme elle l’entend sera de paralyser comme à Rome sous le pouvoir temporel, non seulement l’agriculture, l’industrie et le commerce, mais même l’intelligence publique par la censure aveugle et opiniâtre des idées et des livres. N’importe quel peuple, si avancé qu’il soit, ne peut éviter, avec ce système, de tomber dans une période donnée, dans l’ignorance et la pauvreté. Sous le système de la liberté de l’Église comme l’entend l’ultramontanisme, on n’a jamais vu que décadence et infériorité ! Et la chose est toute naturelle puisque les Ecclésiastiques ne sont pas faits pour gouverner les hommes ! La nature même de leurs études et surtout de leur vocation s’y oppose. Comment peuvent-il d’un côté affirmer qu’il doivent rester étrangers au monde, et de l’autre prétendre le gouverner, c’est-à-dire être dedans et dehors tout à la fois ? Voilà leur logique quand ils sortent du sanctuaire. Ce n’est pas de la religion cela, ce sont des richesses et des domaines. C’est de la domination et non du devoir ! C’est de l’orgueil et non de la charité ! C’est, suivant la belle expression de St. Bernard, « dominer les brebis et non combattre les loups ! »

Les idées manifestées aujourd’hui sur cette question de la suprématie temporelle du Clergé eussent paru monstrueuses aux premiers siècles. On les eût certainement honnies à l’époque par exemple ou Origène écrivait :

« Celui qui est appelé à l’épiscopat est appelé non au commandement (des hommes) mais au service de l’Église. Voilà ce que la parole de Dieu nous enseigne. Et nous, méprisant les instructions de Jésus, nous surpassons quelquefois le faste des mauvais princes payens. On voit en plusieurs églises ceux qui conduisent le peuple de Dieu user de menaces dures et ne garder aucune égalité avec les meilleurs disciples de Jésus. Dieu veut que les crimes soient punis, mais par les juges séculiers et non par les Évêques. Un Évêque pèche contre Dieu si, au lieu de servir ses frères comme étant serviteurs du même maître, il les traite lui-même en maître ! Les scandales dans l’Église viennent des mauvais pasteurs qui ne cherchent que la vaine gloire et le profit temporel. Que celui qui gouverne une Église soit tout occupé des soins spirituels et point du tout du temporel. »

St. Augustin disait de son côté : « Nous ne devons point souhaiter ce que Jésus Christ a méprisé. »

Et le pape St. Gélase est aussi très explicite sur ce point : « Je veux croire qu’avant la venue de J. C. quelques uns aient été en figure rois et prêtres en même temps, comme Melchisedech, ce que le démon a imité, en sorte que les Empereurs Romains prenaient aussi le nom de Souverain Pontife. Mais quand on est venu à celui qui était véritablement Pontife et Roi tout ensemble, l’Empereur n’a plus pris le nom de Pontife et le Pontife ne s’est plus attribué la dignité royale… Dieu connaissant la faillibilité humaine et voulant sauver les siens par l’humilité, a séparé les fonctions de l’une et de l’autre puissance. »

Voilà donc un Pape, Mgr, qui nous apprend que l’union des deux puissances est une imitation du démon ! Grégoire VII, s’appuyant sur les fausses décrétales, nous dit précisément le contraire. Lequel devons-nous croire des deux Papes ; celui qui exprimait l’esprit de l’Évangile, ou celui qui imposait une doctrine uniquement basée sur des pièces fausses ? Lequel des deux exprimait la discipline primitive de l’Église ?

Voici qui va décider. St. Bernard, né six ans après la mort de Grégoire VII, et qui arrivait dans un monde tout saturé en quelque sorte des erreurs de ce pape sur la domination temporelle du Clergé, rétablit la vraie doctrine dans ses représentations à Eugène III. « Je vois bien, dit-il, que les apôtres ont été présentés pour être jugés, mais je ne vois pas qu’ils se soient assis comme juges. C’est pour juger les péchés et non les affaires temporelles que vous avez reçu les clés du Royaume des Cieux. Les choses terrestres ont leurs juges qui sont les rois et les princes de la terre. Pourquoi entreprenez-vous sur le partage d’autrui ?… Vos devoirs sont un ministère et non une domination. Les Apôtres vous ont laissé le soin des Églises, mais non pas de l’or et de l’argent. Si vous en avez, ce n’est pas comme leur successeur, mais à quelqu’autre titre. Nous ne voyons pas que St. Pierre ait jamais paru en public couvert d’or et de pierreries, monté sur un cheval blanc, environné de soldats et d’officiers marchant à grand fracas… » Et ailleurs : « Dites-moi, Pontifes, que fait l’or dans le frein de vos chevaux ? En vain me tairais-je ! La voix des pauvres crie contre vous. Ceux qui sont nus crient : Ceux qui ont faim crient : L’or de vos freins ne nous empêcherait-il pas de mourir de faim ? »

Le débat sur ces graves questions, Mgr, est sans doute loin d’être clos, mais il est parfaitement certain que sur le principe de l’indépendance du pouvoir civil, la raison ecclésiastique devra à la longue céder le pas à la raison laïque, plus éclairée et plus compétente quoiqu’en disent les orgueilleux qui nous doivent l’exemple de l’humilité ; et quoiqu’on disent aussi « les violents » qui scandalisent les peuples en « désirant ce que Jésus-Christ a méprisé. »

Ces principes posés et ces exemples admis, car je ne suppose pas que V. G. les récuse, aucun homme sensé ne peut voir sans alarme un Évêque avoir recours à la coercition religieuse et aux menaces de peines ecclésiastiques pour créer au Clergé des suppléments de revenu ; car c’est là une violation des institutions du pays et une déclaration formelle d’indépendance vis-à-vis de l’état. C’est conséquemment créer de fait un état dans l’état ; c’est donc en définitive diviser la maison contre elle-même et préparer sa ruine. Ici encore on oublie un peu trop les principes que l’on nous prêche et les textes que l’on nous cite.

Ou V. G. devra renoncer d’elle même à son intempestive mesure, — qui au fond ne semble démontrer qu’une chose, savoir : que l’Église craint de ne pouvoir subsister sans coercition et par le seul bon vouloir et l’affection de ses enfants — ou il faudra que l’état intervienne prochainement pour l’annuler soit par législation directe, soit en déférant aux tribunaux cet empiètement si grave sur le principe, fondamental sous notre constitution ; que personne ne peut être taxé que de son consentement, c’est-à-dire sans l’autorisation de la puissance civile qui est l’expression de tous les consentements individuels.

Je regarderais cette mesure comme une simple erreur de jugement si elle n’était pas évidemment une espèce de prise de possession du droit que le Clergé s’attribue de se passer du pouvoir civil même dans le domaine civil. Et l’imposition d’une taxe sur les personnes même pour le soutien du Clergé est un acte essentiellement civil. La mesure de V. G. n’est donc qu’un simple fait de stratégie cléricale, le placement d’un jalon, d’une borne, pour limiter le terrain de l’état et agrandir celui de l’Église. V. G. s’est créé là une petite citadelle d’où ses fidèles de l’ultramontanisme crieront à la tyrannie avec l’aménité de langage qu’on leur connait quand l’état voudra se protéger contre ce flagrant empiètement sur ses droits et sur ceux de ses administrés.

Je pense d’ailleurs qu’il est temps d’informer V. G. que si elle croit que les pénibles efforts de logique que des hommes très neufs sur ces matières font depuis quatre ans pour faire accepter ici le principe de l’indépendance absolue de l’Église vis-à-vis du pouvoir civil dans les choses qui touchent au temporel, ont modifié l’opinion publique dans le sens clérical, Elle est dans une profonde erreur. Ce n’est pas avec des écrits de ce genre que l’on porte la conviction chez les hommes sérieux. Ce n’est pas en défigurant tous les faits de l’histoire, ou en faussant systématiquement leur signification ; ce n’est pas en contestant carrément tous les principes du droit que l’on peut faire accepter des prétentions que les gens repoussent d’instinct en attendant qu’ils se fassent une conviction raisonnée de leur fausseté en droit et en raison. Tous ces articles du Nouveau Monde, où la déraison le dispute à l’incompétence, et où la persistance dans l’affirmation tient lieu de savoir et de connaissances pratiques, sont comme autant de coups d’épée dans l’eau quant à leur effet sur la population. Les hommes réfléchis s’amusent de tant de logique perdue pour prouver irrésistiblement que l’impraticable marchera tout seul et que l’absurde est la raison même. Mais ces folies n’en sont pas moins utiles en ce sens qu’elles donnent la mesure de leurs auteurs et permettent de bien juger de leurs principes et de leurs tendances. Ce n’est que quand les charlatans ne disent rien que l’on est exposé à les prendre au sérieux.

Du moment qu’ils ouvrent la bouche, ils sont toisés. Qui sait même s’il ne nous faudra pas les remercier de nous avoir naïvement débité leur bagage philosophique, car en vérité ils ne pouvaient rendre un plus grand service à ceux qui leur supposaient une certaine valeur intellectuelle, et qui, d’après leurs cris et leurs injures, pouvaient croire à la possibilité d’une application pratique de leurs doctrines.

Non ! Mgr les choses ne peuvent bien aller dans un pays que quand chacun est à sa place : le Clergé à l’autel et l’état aux affaires. Et dès que le Clergé veut laisser l’autel pour se mettre aux affaires et contrôler l’État, chose qui lui était si rigoureusement interdite autrefois, l’inquiétude surgit et le trouble se manifeste dans les esprits.

La domination temporelle ne lui a pas été donnée.

« Mon royaume n’est pas de ce monde. » « Rendez à César ce qui est à César. » « Qui m’a établi pour juger vos différends ? » « Les rois des nations les gouvernent avec empire, il n’en sera pas ainsi parmi vous. »

« Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne s’embarrasse pas des affaires séculières. » (2me Paul à Thimothée, ii, 3, 4.)

Ni les Évêques ni les prêtres ne doivent se charger du soin des affaires temporelles sous peine d’être rejetés des ordres. (6me Canon apostolique.)

Pourquoi le Clergé se met-il constamment en contradiction avec tous les principes et tous les textes ? Il n’y a pas une de ses prétentions à la domination temporelle qui ne soit formellement condamnée par l’Évangile et toute la discipline des premiers siècles. Pourquoi jeter toujours ainsi le défi à sa propre règle ? Pourquoi sembler prendre à tache de démontrer aux laïcs que le Clergé fait trop volontiers fi de cette règle quand l’ambition de la hiérarchie est en jeu ? Pourquoi créer sans cesse l’impression que l’application des règles dépend uniquement des passions du Clergé, et que tout en les prêchant aux autres il sait fort bien s’en affranchir au besoin ? Sur nombre de questions le Clergé met de côté l’esprit pour s’en tenir à la lettre ; mais sur celle de la domination temporelle il viole entièrement et absolument et la lettre et l’esprit !  !

Je ne saurais terminer sans faire une courte allusion à l’édifiante lettre de Mgr de Birtha au Rév. M. Cazeau, en date du 15 Mars 1870, et publiée dans le Franc Parleur de Samedi dernier.[43] Je viens justement de la lire, et j’y vois une nouvelle preuve de la manière dont les prêtres se traitent entre eux hors de la vue des laïcs. Ces moqueries amères, cet antagonisme hautain, ce persiflage impitoyable d’ecclésiastique à ecclésiastique, nous montrent non-seulement ce qu’ils pensent au fond les uns des autres, mais avec combien de réserve nous devons accepter tous ces pompeux éloges, tous ces compliments réciproques en apparence si profondément sentis, que s’adressent si volontiers en public ceux qui se mordent ainsi jusqu’au sang derrière les grilles de leurs maisons. Ce bon peuple est toujours ravi de voir comme on s’aime dans le Seigneur en sa présence ; mais s’il passait derrière les impénétrables grilles et s’il voyait « les violents » à l’œuvre entre eux, comme il tomberait de haut, grand Dieu !

On veut que nous respections le prêtre à l’égal de Dieu — celui qui vous méprise me méprise, etc., etc., — et où trouve-t-on les plus remarquables exemples de mépris du prêtre ? Chez les prêtres eux-mêmes ! Depuis trois mois nous les voyons tirer à mitraille les uns sur les autres et le champ de bataille est couvert de réputations mortes ou blessées. Les hommes les plus éminents du Clergé ont été cruellement insultés ; les caractères les plus irréprochables ont été déloyalement assaillis ; de jeunes prêtres ont jeté la moquerie et le persifflage à la figure d’autres prêtres vieillis sous le harnais, et cela parcequ’ils avaient eu le tort, absolument satanique, de parler prudence et modération aux fous ; et toutes ces violences morales se sont faites au nom de celui qui est venu dire : Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! Ah, Mgr, l’ultramontanisme semble être la paix en religion comme l’Empire était la paix en politique ! !

Franchement je ne vois plus qu’un moyen de ramener le calme au sein au sacerdoce. Ce serait la création d’une commission laïque qui mettrait tranquillement les saintes parties dos à dos.

Je prie encore une fois Votre Grandeur de me croire

Son bien obéissant serviteur,
L. A. Dessaulles.
  1. Si les ecclésiastiques étaient jugés par les tribunaux laïcs comme les tribunaux ecclésiastiques jugent les laïcs, et comme les membres catholiques de l’Institut ont été jugés à Rome, ce serait un tollé général dans le Clergé contre l’infamie de pareils procédés. Si un prêtre apprenait sa condamnation par un tribunal civil avant d’avoir été notifié qu’il fût accusé, c’est-à-dire se voyait condamné sur une dénonciation secrète, il dirait de toute nécessité que cette justice est infâme, ou plutôt que ce n’est pas une justice mais une conspiration, et il aurait raison. Mais quand ce sont les ecclésiastiques qui ont recours à la dénonciation secrète et à la procédure secrète, c’est être impie que de s’en plaindre ! Le fait est que la vraie notion de la justice semble ne pas exister chez le prêtre, faussée qu’elle est habituellement par l’idée de tout temps affirmée par les Papes que l’hérétique, ou l’adversaire du Clergé, n’a pas droit à la justice ordinaire entre les hommes. Le pape Innocent III disait qu’il ne fallait pas garder la foi envers les hérétiques ; et le pape Pie v qu’être miséricordieux envers un hérétique c’était faire une injustice à Dieu.
  2. Qui nous donnera de revoir l’Église comme elle était dans les temps anciens.
  3. La dernière élection du comté de Québec nous a montré une fois de plus le Clergé sous le jour le plus odieux possible : car à l’arrogance de son opposition envers le candidat libéral, à la honte des insultes brutales et personnelles qui lui ont été adressées en chaire, les curés du Comté, à une ou deux exceptions près, ont joint l’hypocrisie et la fausse représentation préméditée des faits. Et chose remarquable, ils ont agi avec ensemble ; ils se sont entendus pour signer des protestation et des circulaires où l’odieux des affirmations fausses le dispute à l’hypocrisie de la rédaction.

    Tout le monde n’a pas compris de suite l’objet de la protestation que ces Messieurs ont fait circuler avant l’élection. Plusieurs personnes se sont dit, et j’étais un de ceux-là : « Ah voilà quelque chose de bien ! » mais dès la semaine suivante il nous a fallu dire : « Mais c’était donc un acte impudent de tactique hypocrite !  ! Ces curés n’ont donc écrit que pour tromper !  ! » Et cela s’est trouvé vrai !  ! Qu’ont gagné les curés du Comté de Québec à se vouer ainsi au mépris de tous les hommes sérieux du pays ; à s’être ainsi affichés comme exemple honteux à éviter plus tard et à flétrir pour toujours ?

    Leur protestation contre la corruption a donc été une hypocrisie puisqu’ils ont soutenu le seul parti qui a fait la corruption ; et leur circulaire subséquente, dans laquelle ils ont osé dire que le parti conservateur s’abstenait d’exercer la corruption, était donc une fausseté qui saute aux yeux aujourd’hui, dont personne ne doute, dont tous les gens qui ont lu les écrits, puis connu les actes, sont fortement scandalisés ! Tous ces prêtres du Comté de Québec qui n’ont parlé que pour déguiser leur pensée et tromper le public seront nécessairement

    cloués au pilori de l’histoire pour leur duplicité ! Cela fait-il du bien au Clergé ?

    Mais il y a quelque chose de plus grave que l’écart des subalternes et leur mépris audacieux de toutes les règles de la franchise et de la bonne foi ; c’est l’intervention directe et active de l’administrateur du Diocèse ! Quoi ! l’Archevêque approuve la circulaire de l’Évêque de Rimouski et l’indique au Clergé comme règle à suivre dans les élections, et son propre grand vicaire profite de son absence pour se moquer du document épiscopal ! De quel grâce M. le grand vicaire reprochera-t-il dorénavant aux diocésains de Québec de ne pas tenir compte des instructions de l’Archevêque ? Quoi ! dès que celui-ci est absent, son propre grand vicaire se rit de ses prescriptions ! Mais c’est précisément là l’acte du bambin de collège qui fait une équipée parceque le maître d’étude a été appelé un instant à la porte !

    Un prêtre de grande valeur personnelle me disait il y a plusieurs années : « Nous restons toujours enfants par quelque côté. » Exemple : ce grand vicaire d’un âge raisonnablement mûr pourtant, qui fait des siennes quand son supérieur est à Rome.

    L’élection de Québec de 1873 restera l’une des taches, l’une des hontes du Clergé du pays, car il y a eu entente chez cinq sur six des curés du comté pour tromper les électeurs et donner le change au public éloigné. Le Clergé du Comté aura aussi produit ce beau résultat dans le pays de jeter un louche grave sur le chef du Diocèse qui se joint à un autre Évêque pour affirmer que certains actes sont absolument interdits aux curés, et qui ne punira peut-être pas les coupables comme ils le méritent, son propre grand vicaire et administrateur étant l’un d’entre eux.

    Ce que j’ai dit un peu plus haut, que l’on est venu, par cette circulaire de l’Évêque de Rimouski au secours du parti conservateur, tout en ayant laissé de tout temps dormir la vraie doctrine quand le parti libéral en eût profité, est-il donc complètement vrai ? Voilà des actes publics et officiels du Clergé du comté de Québec, approuvés par l’Administrateur, qui sont pour nous une preuve que l’on n’applique les vrais principes que pour le profit et avantage d’un seul parti politique. Serait-il donc impossible d’attendre du clergé l’impartialité ordinaire ? Quoi ! voilà un homme qui s’est montré toujours grave, sage et sensé, compromis par son propre représentant ! Et l’on n’entendra peut-être jamais dire que ce représentant aura reçu la leçon qu’il mérite ! Le système serait-il donc désespérément mauvais puisque les plus fermes et les plus sages y succombent à la tâche ?

    Je citerai ici un petit fait peu important en apparence, mais qui montre parfaitement ce que devient dans le Clergé le sens ordinaire de la justice.

    Dans une des paroisses de ces magnifiques environs de Québec qui forment l’un des plus splendides panoramas du monde, paroisse dont on aperçoit le clocher de tous les points de Québec, existe un couvent de religieuses destiné à l’éducation des jeunes filles. Comme la prière de l’innocence monte au Ciel sur les ailes des anges, on a fait prier les petites élèves pour la victoire de la bonne cause. Toutes ces petites filles de six à dix ans se rendaient parfaitement compte, naturellement, de la néces-sitésite d’une neuvaine à la Ste. Vierge pour éloigner du Parlement un impie comme M. Fabre et y faire entrer un glorieux soutien des bons principes, un puissant protecteur du trône et de l’autel comme M. Caron. Les prières de ces enfants ont donc monté pendant neuf jours comme un parfum agréable au Seigneur. Quand la neuvaine fut finie, on trouva qu’il serait à propos de la faire suivre de l’effet pratique. Les Sœurs s’informèrent donc un jour des enfants à quel parti appartenaient leurs parents. Il fallait connaître les fruits de la neuvaine. À celles qui répondaient. Papa est pour M. Caron ; on répondait affectueusement : « C’est bien mon enfant. » Mais à celles qui étaient forcées de dire, au sortir d’une neuvaine qui avait laissé le père endurci dans sa politique impie : « Papa est pour M. Fabre, » on disait de ce ton pincé que ces dames savent prendre au besoin : « Passez à la queue, mademoiselle ! »

    Bien des gens ne verront là qu’un fait de suprême ridicule ; moi j’y vois toute autre chose.

    Je savais depuis longtemps que dans certains collèges, on discrédite systématiquement aux yeux de leurs enfants les pères libéraux. Certains professeurs se font un plaisir d’humilier les élèves devant leurs confrères en se permettant les plus inconvenantes remarques sur les parents qui veulent maintenir leur droit à leur libre arbitre. Mais qui aurait pu croire que l’on pût porter la passion politique jusqu’à humilier des petites filles aux yeux d’une communauté à cause des opinions politiques de leurs pères ? Ici, l’ineptie le dispute au ridicule !

    Les commandements de Dieu prescrivent le respect des parents ; et voilà comme le Clergé les observe quand sa passion est en jeu ! Un simple vicaire ou un simple professeur de collège se croient en droit de blesser les sentiments des enfants en leur parlant de leur père sur le ton du mépris. Et le soir, ils récitent en pesant bien chaque mot, je suppose : « Père et mère honoreras, etc. »

    Un prêtre dont j’ai déjà parlé ailleurs — celui qui donnait pour pénitence à un père de famille de demander pardon à ses enfants, quand ils seraient réunis à la table à diner, du scandale qu’il leur avait donné en votant pour un libéral — avait dit à l’un des fils même de ce citoyen qui lui avait demandé s’il irait voter avec lui : « N’écoute pas ton père, il te perdra » et cela à propos d’une opinion politique ! Et ce père est l’un des hommes les plus particulièrement respectables que j’aie connus ! Ce prêtre commettait-il une infamie, oui ou non ? Voudra-t-on bien répondre honnêtement à la question au lieu de m’insulter ?

    Voilà donc ce qu’on a fait dans un couvent : On a fait passer à la queue les petites filles des parents libéraux. Les y a-t-on laissées ? Je ne puis le supposer ? Il n’y avait probablement là qu’une petite scène spirituelle organisée pour faire honte aux pères dans la personne de leurs filles ! Quel accroissement d’influence cette lumineuse idée a du donner à la religion !  !

    L’élection du comté de Québec nous a montré une fois de plus ce que c’est que l’obéissance ecclésiastique. L’Archevêque part, et le branle-bas politique s’en suit chez ceux auxquels il est absolument interdit ! Il reste donc acquis que tant que le Clergé ne se sentira pas sous le coup de lois sévères appliquées par des hommes énergiques, il abusera de la religion et se moquera de ce que les Évêques lui disent être son devoir.

  4. Cette décision est restée non avenue, et une décision différente est intervenue depuis, donnée par un autre juge.
  5. Le fait est que quand un citoyen est attaqué en chaire par un curé, et désigné de manière à être reconnu par l’auditoire, il pourrait fort bien se lever dans son banc et inviter tranquillement le prêtre à respecter le lieu saint. Cela s’est déjà fait, et si on le faisait plus souvent le Clergé serait bientôt mis à la raison. Beaucoup de curés ne sont si arrogants dans leurs sermons que parce qu’ils comptent sur le manque d’énergie des gens.
  6. Ce chapelain a été envoyé ailleurs il y a trois mois.
  7. M. le grand-vicaire Truteau est mort quelques mois après.
  8. L’Évêque d’Aquila (Nouveau Monde du 11 Janvier 1873.)
  9. Dues à la plume de Sa Grandeur et à mon adresse.
  10. Voir la note A à la fin du volume.
  11. Liberté dans les choses douteuses.
  12. En toutes choses la charité.
  13. Ne touchez pas à mes oints.
  14. Ne louez personne avant sa mort.
  15. Mgr Affre.
  16. Innocent iii. Décrétales : Chapitres Vergentis et Absolutos.

    Innocent IV, excommunication de Frédéric ii. Le même, Constitution Cùm Adversùs. Clément IV, Excom. des partisans de Conradin. Il déclare leurs biens de bonne prise. Alexandre III contre les hérétiques en général. Clément v contre les Vénitiens. Sixte IV, Excom des Florentins. Il confisque en vertu de cette excommunication les capitaux de la Banque de Florence à Rome. Le Roi de Naples en fait autant, sur la bulle du Pape. Décret de Gratien. Cause 23. Quest. 5. Paul iii, Bulle contre Henri VIII.

  17. Alexandre III et le 3ème Concile de Latran contre les hérétiques. Grégoire XI, Excom. des Florentins. Sixte IV contre les mêmes.
  18. Innocent III contre les Albigeois. Il libère aussi les croisés centre les Albigeois des dettes qu’ils ont pu contracter. Clément v contre les Vénitiens. Le 4ème Concile de Latran décrète que personne ne sera tenu de comparaître en justice à la demande d’un hérétique, mais que lui devra comparaître à la demande de tout le monde. Fagnani, dans ses commentaires sur les décrétales affirme que le débiteur d’un hérétique ne doit rien lui payer, quand même il l’aurait promis avec serment.
  19. Grégoire VII, Décrétales. Part II, caus. 15. Innocent III contre les Albigeois. Urbain VI, Bulle de 1382. Le Concile de Constance contre Jean Hus.
  20. Innocent III, Lettres 7, 8, 18, 19, et il dit dans sa lettre 11ème : « On punit les voleurs ; peut-on les comparer aux hérétiques ? » « L’extermination des hérétiques est le premier devoir des princes. » Lettre du même au Roi de Hongrie.

    « Le premier venu peut donner la mort à un hérétique. » Directoire des Inquisiteurs, approuvé à Rome.

    Innocent IX, Constitution 26. Cum fratres.. Constitut. 31. Magnis et Crebris… Clément IV, Constitution 9. Ad Extirpanda.. Le Pape Léon x condamne en 1520 la proposition qu’il est contre la volonté du St. Esprit que les hérétiques soient brûlés.

  21. Urbain II écrit à l’Évêque de Lucques : « Nous ne croyons pas qu’ils soient homicides ceux qui brûlant du zèle de leur mère l’église catholique contre les excommuniés en ont tué quelques uns. » On lit au corps de droit canon. (Décret, livre 5, titre 7, ch. 13.) « Les catholiques qui revêtus du signe de la croix se livrent avec ardeur à l’extermination des hérétiques, jouiront de tous les privilèges accordés aux croisés en terre sainte. » Et l’on trouve dans les décrétales, (Part. II, ch. 15, Nec is qui « Lorsqu’on massacre l’impie, la grâce de J. C. se répand sur la terre, et c’est faire œuvre pie que de détruire l’homme abominable. Aussi Décret de Gratien, Caus. 23, Quest. 5. Décret de l’Inquisition d’Espagne qui condamne à mort d’un seul coup tous les habitants des Pays-Bas comme hérétiques ; c’est-à-dire près de 3,000,000 d’hommes déclarés hors la loi.(Cité par Motley.)
  22. Innocent III. Lettre au Roi de Hongrie. Décret de Gratien citant l’acte de Mathathias tuant un juif.
  23. Innocent iii montre que les enfants sont souvent punis pour les crimes des parents. Et le Canoniste Farinacius explique que le seul lot en ce monde des enfants des hérétiques est la misère et les privations ; et que si on leur laisse la vie, c’est par pure indulgence. Aussi : Décrétales de Grégoire ix, liv. 5, titre 7. Et le Canoniste Fagnani explique aussi que l’on ne doit rien laisser aux enfants des hérétiques sous prétexte de pitié, même s’ils sont devenus catholiques. On fait seulement grâce à ceux qui auront dénoncé leurs parents !  !
  24. Bulle d’Eugène IV contre les Colonna. Il déclare leur postérité infâme à perpétuité. Urbain V excommunie les enfants à naître de Barnabas Visconti. Urbain VI excommunie les enfants du Roi de Naples jusqu’à la quatrième génération. Grégoire xi excommunie jusqu’à la septième génération.
  25. Clément V. Excommunication des Vénitiens. Grégoire xi et Sixte IV contre les Florentins.
  26. Innocent iii et le 4éme Concile de Latran contre les hérétiques. Grégoire ix contre les mêmes.
  27. Idem. Idem.
  28. Voir note 2.
  29. Diverses bulles des Papes. Affaire Mortara. Néanmoins Pie VI avait défendu l’enlèvement des enfants à leurs parents ; mais l’ancienne pratique a prévalu.
  30. Bulle d’excommunication des pères du Concile de Bâle par Eugène IV. Le Pape y ordonne aux catholiques de piller les denrées de ceux qui viennent approvisionner la ville.
  31. Alexandre IV écrit aux dominicains d’agir sommairement et sans le bruit embarrassant des avocats et des formes judiciaires. Innocent IV avait déjà autorisé les Inquisiteurs à ne pas communiquer aux accusés les noms des témoins qui déposaient contre eux. Tout légiste qui eût voulu défendre un accusé d’hérésie devant l’Inquisition eût été immédiatement destitué, excommunié et frappé d’infamie.
  32. Grégoire ix. Bulle contre les pauvres de Lyon.
  33. Bulles Clericis laïcos, In cana Domini, Supernæ dispositionis. Bulle Quia sieut, d’Urbain VI ; Ad réprimandas, de Martin V.
  34. Sixte IV et le gouvernement de Florence. Paul V et la République de Venise.
  35. Innocent III et la grande charte, Août 1215 Grégoire IX et St. Louis ; Février 1236. St. Louis dit au Pape qu’il n’a rien à voir dans le gouvernement du royaume de France. Clément XI et l’Empereur Joseph I, 1707. Clément XIII et le Duc de Parme, 1768. L’Impératrice Marie-Thérèse, fervente catholique, inscrit la lecture de la bulle In Cana Domini dans ses états. Pie VI et Joseph II, 1784. Pie VI et l’assemblée constituante, 1790. Léon XII et Louis XVIII, 1818 Grégoire XVI et l’encyclique Mirari Vos… Pie IX et la Bavière, 1848. — Le même et la Toscane, même année. Il réprouve le régime parlementaire. Le même et la Nouvelle Grenade, 1852 ; Allocution Acerbissimun. Le même et le Piémont en 1855 ; Allocution Cum Sæpi. Le même et le Mexique en 1850. Allocution Numquam Fore. Le même et l’allocution Jamdudum Cernimus, en 1861. Le même et l’encyclique Quanta Cura et le Syllabus, en 1864. Le même et la Constitution de l’Autriche, 22 Juin 1868. Le même et la bulle Aposlolicæ Sedis du 18 Octobre 1869.
  36. Bulle Clericis laïcos de Boniface VIII, qui excommunie les gouvernements qui imposeront quelqu’espèce de taxe que ce soit sur les personnes ou les biens ecclésiastiques, et aussi les ecclésiastiques qui la paieraient.
  37. Bulle In Cæna Domini.
  38. Alexandre iii et le 3ème Concile de Latran. Innocent iii et le 4ème Concile de Latran. Grégoire ix. Innocent IV. Les Conciles de Tonlouse et de Narbonne.
  39. Innocent III relève Jean sans Terre de son serment de maintenir la charte. Une bulle d’Alexandre IV de 1261, relève Henri III d’Angleterre du serment qu’il avait prêté aux barons. Urbain IV, en 1264, casse les provisions d’Orford que Henri III avait consenties. Clément v autorise Édouard 1er à violer son serment de maintenir les libertés du royaume. Clément VI accorde à Jean de France et à son épouse le droit de se faire relever par leur confesseur des serments qu’ils avaient pu faire ou de ceux qu’ils pourraient faire à l’avenir, moyennant quelque pratique de piété. Ferdinand v se fait relever par le Pape du serment qu’il avait prêté aux Cortez d’Aragon de reformer l’Inquisition. Innocent III décide que les serments contre l’intérêt de l’Église sont des parjures. Paul IV relève Henri II de son serment envers Charles-Quint.
  40. La proposition que « la crainte d’une excommunication injuste n’est pas une raison suffisante pour violer un devoir, » se trouve condamnée en même temps que plusieurs autres, extraites de l’Augustinus de Jansénius et du livre de Quesnel. Et en dépit de plusieurs dispositions du droit canon, ça été la pratique, pendant plusieurs siècles, d’exiger la soumission implicite à l’excommunication injuste. On trouva la belle idée d’une excommunication valide quoiqu’injuste, et il fallait toujours s’en faire relever, moyennant finance bien entendu. Quelques papes comme Célestin III en 1193, et Innocent III en 1207 ont même accordé comme haute faveur le privilège de ne pouvoir être excommunié que pour de justes raisons. Voilà comme le sacerdoce comprend et applique la justice. Il change en simple privilège le plus sacré des droits, celui de ne pas être condamné sans cause.
  41. Les banquiers du temps.
  42. Comme j’ai pu depuis me procurer quelques uns de ces documents, je croîs devoir les soumettre au public. On les trouvera à la note B, à la fin du volume. [15 Mai 73]
  43. 8 Février 73.