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La Guerre des États-Unis et du Mexique

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La Guerre des États-Unis et du Mexique
Revue des Deux Mondes, période initialetome 19 (p. 385-431).

LA


GUERRE DES ETATS-UNIS


ET DU MEXIQUE.




La lutte inégale qui depuis plus d’une année se continue entre le Mexique et les États-Unis peut être envisagée sous deux faces distinctes, selon que l’attention se porte sur les conséquences et l’issue probable de la guerre, ou sur les épisodes, les tableaux étranges qu’elle déroule à nos yeux. Quand on a pu observer de près les deux nations belligérantes, quand on a vécu en quelque sorte dans leur intimité, il est difficile de ne pas tenir compte de ce double aspect des événemens : d’un côté, l’impression produite par le simple récit des faits se complète et se fortifie par les souvenirs ; de l’autre, le rôle de plus en plus considérable que les États-Unis sont appelés à jouer dans les destinées du Nouveau-Monde ouvre à l’esprit une vaste perspective. On se transporte en idée au milieu des deux armées, on les voit en présence, l’une rachetant par une énergie à toute épreuve le désavantage d’une organisation vicieuse, l’autre décimée par les discordes civiles et livrée au plus affreux dénuement, fléau du pays en temps de paix, appui insuffisant en temps de guerre. Ce contraste même, qui d’avance indique l’issue de la lutte, ramène la pensée sur les intérêts de l’Europe, plus engagés qu’on ne parait le croire dans les questions débattues entre les deux armées. Déjà l’Angleterre s’en est émue : dans la puissance envahissante et victorieuse qui grandit de l’autre côté de l’Atlantique, elle voit de plus en plus une rivale redoutable qui la presse chaque jour davantage ; elle n’oublie pas qu’au maintien de la république mexicaine est liée une question d’un intérêt plus direct pour les principaux états de l’ancien continent : le maintien de leur propre influence dans cette partie du Nouveau-Monde, la seule capable de rendre à l’Europe en métaux précieux la valeur tout entière des importations qu’elle en reçoit[1]. La France jusqu’à ce jour n’a point paru partager ces inquiétudes, elle s’est médiocrement préoccupée des progrès de l’Amérique du Nord. Le récit des événemens qui se sont passés au Mexique depuis un an montrera si nous avons tort ou raison dans notre indifférence.

Les causes de la guerre actuelle entre le Mexique et les États-Unis sont généralement connues. Si nous revenons sur les faits qui ont précédé et préparé la rupture armée des deux pays, ce sera pour bien établir que le différend soulevé à l’occasion des limites du Texas n’autorisait en aucune façon les Américains à envahir, outre le territoire contesté, les plus riches provinces du Mexique. Au point de vue du droit, l’agression, dans la forme qu’elle a prise du moins, n’est donc pas justifiable. Il importe de constater aussi que la diplomatie européenne n’a pas déployé dans cette première période de la crise toute l’activité, toute la perspicacité convenables. Il y a vingt ans déjà, on le sait, que l’Amérique du Nord fomente les dissensions intestines qui ont fait déchoir le Mexique à ce point de faiblesse où nous le voyons aujourd’hui. Il suffit de rappeler la première déclaration d’indépendance du Texas appuyée par quatre-vingt-dix signataires, dont quatre-vingt-huit, selon le témoignage d’un historien américain lui-même, le docteur Channing, étaient citoyens des États-Unis. Les autres phases de l’indépendance texienne ne sont pas moins notoires et n’accusent pas moins l’imprévoyance de l’Europe. En reconnaissant la nouvelle république, l’Europe crut favoriser le noble élan d’un peuple affranchi vers la liberté ; elle crut aussi servir les intérêts de la race africaine, car on était persuadé que le Texas allait abolir le commerce des esclaves. En réalité, la diplomatie anglaise et française n’avait fait que prêter les mains à l’agrandissement de l’Amérique du Nord et ouvrir à l’esclavage un état -de plus.

Plus tard, lorsque l’annexion du Texas aux États-Unis devint un casus belli entre le Mexique et l’Union, on voulut éviter ce conflit : les ministres d’Angleterre et de France négocièrent ; mais déjà le moment où la diplomatie européenne pouvait intervenir utilement était passé. Ce fut par les conseils de cette diplomatie que le président du Texas, Anson Jones, s’efforça de donner au différend une conclusion pacifique. Il fit proposer au gouvernement mexicain les préliminaires d’un arrangement à l’amiable, dont la condition principale eût été pour le Mexique la reconnaissance du Texas, pour le Texas la promesse de ne s’annexer dans aucun temps aux États-Unis. Cette proposition, présentée par l’entremise des ministres anglais et français, eut pour résultat le message adressé au congrès mexicain par M. Cuevas, le 21 avril 1845. Autorisé par le congrès à entrer en arrangement avec le Texas, le gouvernement mexicain déclara qu’il acceptait les offres, du président Anson Jones, mais que les négociations seraient nulles et non avenues si la convention populaire du nouvel état consentait à l’annexion. C’est précisément ce qui arriva, malgré les efforts du président texien. Le congrès du Texas décida à l’unanimité l’incorporation aux États-Unis, et la convention populaire réunie le 21 juillet de la même année ratifia le décret du congrès. L’Amérique du Nord s’était augmentée d’un nouvel état. Quant au Mexique, son rôle était tracé d’avance : il ne pouvait que protester vainement contre un fait accompli.

Au moment même où l’Union arrivait ainsi à ses fins, une crise salutaire semblait devoir rendre un peu de calme à la société mexicaine. Un homme éclairé, un des héros de l’indépendance, le général Paredes, venait d’être nommé président. Il s’était fait le protecteur avoué d’un parti qui voit dans l’établissement d’une monarchie au Mexique un dernier gage d’ordre et de sécurité pour le pays. Malheureusement tout semblait conjuré contre le gouvernement de Paredes, et les intentions mêmes du général affermirent l’Union américaine, ennemie déclarée du système monarchique, dans ses projets d’agression. Désormais n’avait-elle pas un prétexte pour colorer ces projets et leur donner un faux semblant de désintéressement ? Le Mexique s’étant résigné à subir ce qu’il ne pouvait empêcher, il ne restait plus, pour vider entièrement la question du Texas, qu’à fixer les nouvelles limites territoriales des deux pays. La fixation de ces limites avait laissé un point en litige. C’est sur cette difficulté que les États-Unis se rejetèrent dans leur impatience de provoquer la guerre. Le point contesté était le territoire situé entre le Rio-Nueces et le Rio-Bravo del Norte ; le gouvernement de Washington trancha la question : il donna à une petite armée de quatre mille Texiens et Américains l’ordre de se tenir prête à occuper ce territoire dès que l’annexion du Texas serait proclamée. Un corps de troupes mexicaines prit position en même temps dans l’état de Tamaulipas, celui que l’invasion menaçait. La question échappait donc aux Négociateurs ; elle était transportée dans les camps.


I.

Au commencement du mois de mars 1846, l’armée américaine était campée près de la baie de Corpus-Christi, sur la rive gauche du Rio de las Nueces et à deux pas du territoire contesté. On n’attendait que le moment où l’annexion du Texas serait officiellement connue pour envahir l’état de Tamaulipas. Les Mexicains étaient campés à Matamoros, ville qui, par l’importance de sa position géographique, devait être le premier point convoité par les États-Unis. Située sur le bord du Rio-Bravo del Norte, un des seuls fleuves navigables du Mexique, à onze lieues de la mer et à trois cent cinquante de Mexico, Matamoros n’était, avant 1829, qu’une bourgade sans importance, visitée seulement de temps à autre par de petits navires contrebandiers. Ouverte en 1829 au commerce étranger, la ville de Matamoros prit un développement rapide. A l’époque où l’ambition envahissante des Américains ne s’était pas encore révélée, le général Teran avait eu l’idée d’y établir une colonie de Galiciens qui se seraient partagé le territoire compris entre le Rio-Nueces et le Bravo. C’eût été une barrière infranchissable élevée devant les États-Unis, et on commit une faute grave en ne donnant pas suite à ce projet ; des colons venus des États-Unis remplacèrent, sur le territoire voisin de Matamoros, la population galicienne qu’y voulait établir le général Teran.

L’armée d’occupation des Américains était forte de trois mille hommes d’infanterie, d’environ quatre cents cavaliers et artilleurs à cheval desservant dix-huit pièces de canon de 6 ou de 8, et de six cents settlers conduisant trois cents chariots. Ces divers corps étaient placés sous les ordres du général Taylor. Commandés par des citoyens de l’Union, ils étaient composés d’un ramassis d’aventuriers français, anglais, allemands et polonais. Au milieu de ces hommes indisciplinés et les dominant tous apparaissait la figure étrange du settler américain, ce dompteur par excellence de la nature sauvage, la coignée sur l’épaule et la carabine à la main, toujours disposé à abattre un arbre ou un ennemi, et qui semble appelé par une loi providentielle à peupler, à parcourir en tous sens le continent américain. Les roues des chariots des settlers ont sillonné tous les déserts qui s’étendent entre les frontières nord du Mexique, des États-Unis, et les bords du Missouri et de l’Océan Pacifique. Ce serait une histoire curieuse à faire que celle des migrations périodiques de ces infatigables marcheurs qui semblent regarder le monde comme leur domaine, et qui, à travers des plaines sans fin, au milieu de cent peuplades sauvages, poussent toujours devant eux, tant que le terrain ne leur manque pas, de longues files de chariots, derrière lesquels ils combattent comme les anciens Cimbres. Aux heures de halte, des villes improvisées s’élèvent comme par enchantement du sein des déserts. Le soir surtout, ces cités nomades présentent un singulier spectacle. Derrière les chariots, dont les roues et les timons entrelacés avec des chaînes de fer forment une enceinte impénétrable, règne une activité bruyante qui rappelle le mouvement de nos grandes villes. Les forges s’allument, les enclumes retentissent ; tailleurs, cuisiniers, forgerons, tous sont à l’œuvre, tandis que les chasseurs s’aventurent au loin et reviennent égayer le souper du récit de leur chasse, de leurs aventures, et rarement l’assombrir, même en annonçant l’attaque prochaine d’un parti d’Indiens en campagne.

À ce moment critique où les hostilités allaient s’ouvrir, le camp du général Taylor était loin de présenter une physionomie aussi animée. Les aventuriers réunis sous ses ordres ne faisaient plus leur service qu’avec une visible répugnance. Aux griefs que les soldats croyaient avoir contre leurs chefs vinrent s’ajouter bientôt les maladies causées par les brusques variations de la température. Brûlant le jour et glacial la nuit, le ciel dans cette partie du Mexique exerçait sur des troupes déjà démoralisées une influence de plus en plus meurtrière. Les tentes de toile n’étaient contre les intempéries de la saison qu’un bien faible abri. A peine les soldats trouvaient-ils dans ces plaines stériles assez de bois pour préparer leurs alimens, encore moins en pouvaient-ils ramasser en quantité suffisante pour réchauffer leurs membres engourdis. Le tiers des troupes se trouvait hors des cadres ; les officiers même n’échappaient pas à la rigueur du climat, et un fléau plus redoutable encore était venu fondre sur l’armée américaine. Une horde immonde de spéculateurs de bas étage l’avait suivie jusqu’à Corpus-Christi, prête à piller les traînards de l’arrière-garde on les soldats égarés loin du camp. Un grand nombre de débits de liqueurs fortes s’étaient établis de tous côtés. Tous les proscrits, les voleurs, les assassins des États-Unis paraissaient avoir élu domicile sous les baraques de toile ou de planches élevées comme un second camp près du premier. Chaque nuit était troublée par des orgies sauvages, par des rixes sanglantes, dans lesquelles ces vagabonds montraient leur habileté à manier le poignard et le pistolet. Souvent des soldats américains, invités par ces misérables à partager leurs excès, se laissaient attirer dans leurs repaires ; enivrés au moyen de breuvages soporifiques, ils étaient dépouillés, quelquefois même assassinés par leurs hôtes, et on retrouvait leurs cadavres au milieu des champs ou noyés dans les lagunes voisines. Tout semblait conjuré contre l’armée du général Taylor.

On savait au camp mexicain, par les rapports de quelques transfuges, la position difficile de cette armée : était-on mieux préparé à la lutte ? Au lieu des robustes et taciturnes enfans du Kentucky, armés du rifle à long canon, inséparable compagnon de leur vie aventureuse ; au lieu des gigantesques chasseurs virginiens, qui ne manquent jamais au milieu des plus chaudes mêlées l’adversaire qu’ils ont visé, on ne rencontrait dans le camp mexicain que des soldats chétifs, tels que la presse avait pu les grouper. La plupart de ces soldats, indiens, blancs ou métis, étaient petits, maigres, mal vêtus ; pourtant ils savaient au besoin, sans souliers et sans nourriture, supporter des marches énormes ; ils savaient traîner pendant plusieurs jours leurs membres mutilés sans se plaindre. Vantard et parleur, le soldat mexicain se bat intrépidement à l’arme blanche, mais détourne la tête en déchargeant son fusil, qu’il est toujours prêt à vendre. Entre les deux cavaleries ennemies, même contraste. Mettez à pied le ranchero, et d’un cavalier redoutable par les prodigieuses ressources qu’il sait tirer de son cheval, vous ne ferez qu’un inutile fantassin. Que le cavalier américain descende, au contraire, du cheval colossal sur lequel il est péniblement guindé, il devient, en touchant la terre, un excellent soldat. Un trait commun toutefois aux deux armées, c’était le nombre prodigieux des officiers. Il y avait autant de majors du côté des Américains qu’il y avait de colonels dans le camp mexicain. La plupart étaient dépourvus de l’instruction nécessaire et ne savaient tirer qu’un médiocre parti des élémens de résistance ou de force qu’ils avaient entre les mains.

La ville de Matamoros, la première position que devaient attaquer les Américains, était commandée par le général don Francisco de Mejia. L’attitude de l’ennemi, encore immobile derrière ses retranchemens de Corpus-Christi, excitait dans la population de Matamoros comme dans l’armée de Mejia une curiosité mêlée d’inquiétude. On avait reçu déjà, nous l’avons dit, quelques renseignemens sur la situation précaire des troupes américaines. Un point restait à éclaircir : on voulait connaître le chiffre exact de l’armée ennemie. Homme d’action, d’une capacité reconnue ; et tout disposé à ne pas marchander la vie de ses soldats, non plus que la sienne, pour repousser l’invasion, le général Méjia mit ses batteurs d’estrade en campagne. On connaît la sagacité d’exploration particulière à la race américaine. Parmi ces batteurs d’estrade, un lieutenant des auxiliaires de la baie d’Espiritu-Santo acquit bientôt une sorte de célébrité. C’était un de ces hommes dont la bravoure égale l’astuce. Le lieutenant don Ramon Falcon ne tarda pas à se faire craindre dans le camp américain, où on lui attribua une ubiquité merveilleuse et des exploits dignes des héros d’Homère. Il est certain que le lieutenant Falcon faisait de son mieux, et le général Mejia fut bientôt parfaitement éclairé, non-seulement sur les dispositions, mais sur les forces réelles de l’ennemi.

Ce fut sous l’impression favorable des renseignemens dus à ses batteurs d’estrade que le général Mejia écrivit au gouvernement de son pays des rapports empreints d’une singulière confiance dans la supériorité militaire des Mexicains. Il ne put s’empêcher de traiter avec un certain dédain des cavaliers qui n’avaient jamais su se former en rang, et qui, pour manier leurs chevaux, se trouvaient dans la nécessité de renoncer à leurs armes. Les journaux de Mexico ne manquèrent pas non plus de s’égayer aux dépens de la cavalerie américaine ; ils flattaient ainsi l’orgueil national, car, pour le Mexicain comme pour l’Arabe, la première qualité d’un homme est d’être bon cavalier. On le voit, les deux armées, au moment d’entrer en lutte, étaient animées de dispositions bien différentes. Le général Mejia croyait n’avoir affaire qu’à des ennemis peu redoutables. Le général Taylor s’était rendu compte de toutes les difficultés de sa position ; il les acceptait, il les subissait sans impatience comme sans faiblesse.

Les derniers jours du mois de mars étaient arrivés au milieu de cette attente si diversement supportée des deux parts. Les Américains commençaient à pousser de nombreuses reconnaissances sur le territoire mexicain. Leur intention de se déplacer et de donner ainsi le signal des hostilités sérieuses était enfin évidente. Bientôt on sut d’une manière plus certaine qu’ils se proposaient de franchir le 22 mars une petite rivière, appelée Arroyo-Colorado, pour s’avancer sur la rive gauche du Rio-Bravo, dans l’état de Tamaulipas. Cette nouvelle fut transmise au général Mejia par le lieutenant Falcon, qui, à l’appui d’une si précieuse révélation, remit entre les mains de son chef deux dragons américains tout montés et tout équipés, faits prisonniers dans sa dernière reconnaissance.

La nouvelle apportée par le lieutenant se vérifia avec une parfaite exactitude. L’armée ennemie s’avança d’abord jusque sur la rive gauche du Rio-Bravo del Norte, et par conséquent sur le territoire même de l’état de Tamaulipas. On sait déjà que Matamoros, capitale de l’état, est située à l’embouchure et sur la rive droite du même fleuve, à onze lieues de la mer. L’armée américaine s’était partagée en deux corps. Le 22 mars 1846, la plus petite de ces deux divisions, sous les ordres du général Taylor, alla camper sur le bord de la mer, près d’un promontoire nommé le fronton de Santa-Isabel. Cette nouvelle position lui permettait de communiquer avec une escadre composée de quatre bateaux à vapeur et de sept bâtimens, qui stationnaient à l’embouchure du Rio-Bravo. S’il restait encore au général américain quelque illusion au sujet des sympathies qu’il croyait rencontrer dans la population mexicaine, sympathies que repousse, quoi qu’on puisse dire en Europe, la différence des deux races, cette illusion dut se dissiper complètement, car il ne campa qu’au milieu des débris encore fumans des maisons et des cabanes abandonnées par les habitans.

Le second corps, sous les ordres du général Worth, alla se poster près de Matamoros, devant un des points guéables du Rio-Bravo nommé le Paso-Real. Cette division se composait de 300 cavaliers et de 2,800 hommes d’infanterie, avec 18 pièces de canon et les chariots des settlers chargés de provisions de bouche et de munitions de guerre. L’invasion était flagrante ; cependant le général Taylor crut devoir protester encore de ses intentions pacifiques et écrivit au général Mejia une lettre datée, avec une visible affectation, du camp près Matamoros (Texas)[2] ; cette lettre officielle réclamait du général mexicain la remise des deux prisonniers faits par Falcon ainsi que de plusieurs déserteurs qui avaient passé à l’ennemi. Le général Worth chercha, comme le général Taylor, à déguiser l’invasion, à la présenter comme un mouvement pacifique. Peu d’instans après avoir établi son camp sur le territoire mexicain et presque dans les faubourgs de Matamoros, il fit arborer par un de ses officiers un pavillon blanc de parlementaire. Ce pavillon à la main, l’officier galopa long-temps sur le bord du fleuve avec force démonstrations amicales, et appelant affectueusement le général Mejia par son nom. Le général se retira pour ne pas être vu. Cependant, les signaux continuant sans interruption, Mejia crut pouvoir dépêcher un colonel et deux capitaines. Dans cette entrevue, on insista pour que le général lui-même se prêtât à une conférence avec Worth ; mais le général Mejia répondit qu’il ne se présenterait qu’à la condition de conférer avec le général en chef Taylor. Ce fut le général don Romulo Diaz de la Vega qu’il dépêcha à la rencontre de Worth. Le choix de cet officier supérieur comme négociateur était excellent. Par un certain fonds d’honneur chevaleresque, don Romulo de la Vega était fait pour s’entendre avec Worth, dont les manières courtoises et l’esprit cultivé contrastaient singulièrement avec la rudesse du général Taylor. L’entrevue cependant n’aboutit qu’à préciser et non à modifier la situation. Il fut constaté que le général Taylor avait occupé la rive gauche du Rio-Bravo par ordre du gouvernement des États-Unis. Cette occupation devait se prolonger jusqu’au jour où la question des limites serait résolue ; elle était d’ailleurs toute pacifique, et, loin de troubler la paix entre les deux nations, les généraux américains désiraient continuer à cultiver des relations d’amitié qu’ils étaient loin de regarder comme rompues. Le général Vega répondit que l’occupation par l’armée américaine d’une grande partie du territoire mexicain de Tamaulipas devait être et était en effet considérée comme une déclaration de guerre, et qu’on ne pouvait établir aucune espèce de discussion tant que le pavillon étoilé flotterait sur le territoire de la république. Worth insista, il essaya encore de persuader au général Vega que le mouvement des troupes américaines ne devait en aucune façon être réputé comme une démonstration hostile ; mais Vega notifia d’une façon péremptoire que si l’armée qui occupait la rive opposée ne laissait pas le territoire libre, on regarderait la guerre comme déclarée, et que le général Taylor demeurerait responsable des conséquences de l’invasion. Là-dessus l’entrevue se termina. La ferme attitude du parlementaire mexicain fut entièrement approuvée par le général Mejia. Le commandant de Matamoros alla même jusqu’à refuser de recevoir la communication écrite qu’un parlementaire apporta pour lui quelques instans après ; il était bien convaincu en effet que cette communication ne faisait que reproduire les assurances données de vive voix au général Vega.

Cependant la conférence de Worth et de Vega n’avait pas été tout-à-fait inutile pour le général Mejia. En dépêchant Vega à la rencontre de Worth, Mejia avait espéré donner à la division d’Ampudia le temps d’arriver ; il se promettait alors d’écraser Taylor, livré à ses propres ressources, — Taylor, écrivait le général mexicain dans ses lettres officielles, plus méprisable que le dernier tailleur[3]. La plupart des renforts attendus par Mejia arrivèrent bientôt en effet. Le corps d’armée de Tampico, la division du général Pedro Ampudia, déjà tristement célèbre par le rôle qu’il avait joué dans les massacres de Tabasco, vinrent se joindre à lui. Toute l’armée mexicaine allait sous peu de jours se trouver réunie en face de l’ennemi. Le commandement en chef des troupes fut donné au général Mariano Arista, ancien compagnon d’armes du général Santa-Anna. Certes, si la valeur personnelle, la bravoure du soldat, devaient tenir lieu, dans un général en chef, de toute autre vertu, le commandement n’eût pu être confié à des mains plus dignes que celles de cet officier, intrépide cavalier, soldat infatigable ; malheureusement quelques soupçons planaient sur le patriotisme d’Arista. Tel est le triste sort de la république mexicaine, qu’elle renferme dans son sein tous les germes de dissolution.

Pendant qu’aux troupes commandées par Arista s’ajoutaient chaque jour de nouveaux renforts, de nombreuses désertions affaiblissaient, au contraire, l’armée américaine. La position de cette armée au campement de Santa-Isabel était plus précaire encore qu’à Corpus-Christi. Une moitié des forces de Taylor se trouvait occupée à maintenir l’autre et à tirer sur les déserteurs qui traversaient le fleuve à la nage pour se joindre à l’armée ennemie. Des deux côtés, il devenait impossible de persister dans un système d’inaction, lorsqu’on apprit dans les derniers jours d’avril que, le chargé d’affaires des États-Unis à Mexico, M. Slidell, ayant demandé et reçu ses passeports, la guerre commencée de fait par le mouvement de Worth et de Taylor sur Matamoros était enfin officiellement déclarée.

II.

Les premières dispositions prises par Arista indiquaient un habile tacticien. D’après ses ordres, le général Torrejon, traversant le Rio-Bravo à la tête de 1,200 chevaux et de 400 fantassins, s’était jeté entre le quartier-général des Américains et la pointe de Santa-Isabel. Le passage du fleuve s’était opéré sans coup férir. Peu de jours après, les hostilités s’ouvrirent par une escarmouche insignifiante, mais où les Mexicains eurent l’avantage. Dans cette escarmouche, le lieutenant Falcon donna une nouvelle preuve de courage et d’adresse. Déguisé en marchand ambulant, il s’introduisit dans le camp américain et apprit là que les dragons de Taylor devaient pousser une reconnaissance du côté des positions de Torrejon. Le hardi batteur d’estrade s’empressa de donner cette nouvelle au général Torrejon, qui lui confia un détachement avec la mission de surprendre et de capturer les éclaireurs ennemis. Les rancheros conduits par Falcon eurent aisément raison des Américains. Quoique montés sur d’excellens chevaux, les maladroits cavaliers yankee se débandèrent et furent bientôt culbutés. Quarante-cinq hommes et deux officiers restèrent prisonniers des Mexicains. On donna la chasse aux autres dragons, qui périrent tous taillés en pièces ou noyés dans le fleuve. Il n’en fallut pas davantage pour exalter la confiance du soldat mexicain. « Plût à Dieu, écrivait alors le général Canales, que toute cette canaille fût à cheval ! A cheval, ce sont des hommes perdus. A dire vrai, ils ne savent pas se défendre, ils s’accrochent à la crinière des chevaux pour galoper, et nous autres, bien que très mal montés, nous savons leur couper la retraite et les empoigner. »

Cette affaire est la dernière où l’on voie figurer le lieutenant Falcon. A partir de ce moment, le souvenir de ce brave officier ne fut plus rappelé que dans une lettre adressée par Taylor à Ampudia, et où le général américain rendait Falcon responsable de la disparition d’un officier supérieur de son armée, le colonel Cross. Cette fois, du moins, on accusait Falcon à tort. Une lettre d’un habitant de Matamoros au général Bustamante, annexée aux bulletins de l’armée, constata qu’un paysan mexicain avait poignardé le colonel Cross dans un accès de jalousie conjugale.

Un résultat plus important que ce fait d’armes, c’était le passage du Rio-Bravo opéré par Torrejon, c’était la position prise par ce général entre le camp américain et la pointe de Santa-Isabel. Les Mexicains avaient, par ce mouvement hardi, coupé la ligne de communication des Américains avec la mer ; ils les avaient privés des secours de leur escadre. Si, comme on l’espérait, les généraux Arista et Torrejon eussent attaqué simultanément l’ennemi sur les deux rives du Rio-Bravo, les Américains, isolés comme ils l’étaient et cernés par des troupes supérieures en nombre, se seraient trouvés dans une position critique d’où probablement ils ne seraient pas sortis à leur honneur.

Le plan du général Arista semblait donc tracé d’avance, et l’état déplorable de son pays ne lui permettait pas de reculer devant une opération décisive. Le trésor public était vide, et, pour établir une sorte d’équilibre entre les dépenses et les recettes, le président Paredes venait de rendre un décret en date du 7 mai, portant que toutes soldes, paies journalières, pensions ou gratifications à la charge du trésor public, seraient réduites d’un quart ; il n’exceptait de cette mesure que les officiers, soldats ou employés militaires en activité de service. Le décret de Paredes était dicté par une nécessité impérieuse, car le blocus du golfe par l’escadre américaine diminuait ou, pour mieux dire, anéantissait presque les seuls revenus de l’état. Un fléau intérieur était venu d’ailleurs se joindre à l’invasion. L’état de Yucatan se séparait de Mexico ; le général Alvarez allumait une guerre sociale, une guerre de castes dans l’état d’Acapulco et en désarmait les ports, dont il vendait les canons aux Américains. Les Indiens bravos (sauvages), rompant leur trêve, sortaient en masses de leurs déserts. L’état de Zacatécas avait été envahi par des hordes furieuses qui étaient venues enlever des chevelures jusque sur la grande place de sa capitale. Celui de Sonora était à feu et à sang. Les Apaches avaient envahi le village d’Oputo, où ils avaient massacré cent trente-deux personnes. De là ils s’étaient avancés jusqu’au préside le plus voisin de la frontière qu’ils avaient tenu assiégé pendant cinq jours. Il est bon d’ajouter que ces mêmes Apaches, qui jusqu’alors n’avaient fait usage que d’arcs, de flèches et de macanas (casse-tête), étaient uniformément vêtus de casaques de drap bleu à paremens rouges, avec des coiffures militaires, et pour la première fois armés de carabines. Ce fait rappelait trop clairement les invasions indiennes qui avaient assailli les premiers colons mexicains du Texas ; il démontrait que, cette fois comme alors, ces bandes sauvages servaient d’avant-garde formidable aux colons des États-Unis. Enfin, tandis que les tribus indiennes des déserts de l’ouest attaquaient l’état de Sonora sur ses frontières, les nations indiennes de l’intérieur, excitées par le parti des Gandaras, une des deux familles qui s’y disputent la préséance, commettaient au cœur même de cet état mille atrocités. Les Hiaquis tenaient garnison à Guaymas même, les Pimas à Uris, les Opatas à Hermosillo. Les bois étaient remplis de fugitifs qui cherchaient à se soustraire aux poursuites des Indiens et aux proscriptions des Gandaras. Tous les maux semblaient assaillir le Mexique à la fois.

Une telle situation faisait un devoir, nous le répétons, au général Arista de compléter bientôt par un mouvement décisif l’effet de la première manœuvre exécutée si heureusement par Torrejon. L’armée américaine, inférieure en nombre et composée d’élémens hétérogènes, pouvait être facilement écrasée. Cependant, depuis le passage du Rio-Bravo jusqu’au 1er mai, plusieurs jours s’écoulèrent marqués tantôt par des engagemens insignifians, tantôt par une inaction complète. Un général connu au Mexique par ses prétentions ridicules, don Jose-Maria Tornel, sollicitait et obtenait pour le commandant Quintero, atteint d’un coup de sabre dans l’une de ces escarmouches, l’autorisation de porter à son bras blessé un écu d’azur orné d’une pompeuse inscription. Ces niaiseries fournissaient aux journalistes mexicains des thèmes qu’ils amplifiaient avec leur jactance habituelle. Enfin une fausse ou perfide manœuvre du général Arista vint aggraver le mal produit par le temps perdu.

Le 30 avril, dans la nuit, Arista fit passer le fleuve à la première brigade d’infanterie, commandée par le général Ampudia, et le 1er mai, à midi, il le traversa lui-même à la tête de la seconde brigade. Les deux corps d’armée avaient franchi le Rio-Bravo à Longoreño, à trois lieues à peine en aval de Matamoros. Cette opération entraîna le déplacement des généraux Torrejon et Canales, qui durent (et l’on ne sait comment expliquer cet ordre d’Arista) se porter au gué de San-Rafaël pour protéger le passage d’Arista et d’Ampudia. Ainsi fut perdu tout l’avantage d’une position qui isolait l’ennemi de son quartier-général. Les Américains allaient pouvoir de nouveau communiquer librement avec la pointe de Santa-Isabel ; ils allaient tirer de leur escadre les vivres dont ils manquaient, rappeler leurs réserves et reprendre possession de leur artillerie.

Après huit jours passés, du côté des Américains en préparatifs facilités par la maladresse de leurs adversaires, du côté des Mexicains en manceuvres insignifiantes[4], la division de Taylor et l’armée mexicaine se mirent en mouvement et se trouvèrent enfin en présence, non loin de la plaine de Palo-Alto, le 7 mai 1846. La division de Taylor était composée de 2,500 soldats environ et de deux cents chariots ; Arista avait avec lui 3,461 hommes. Le général américain, installé dans un endroit que les Mexicains avaient abandonné la veille, appuya aussitôt sa droite sur une levée de terrain assez épaisse et sur une resaca (étang) ; sa gauche et son arrière-garde étaient protégées par un bois à la lisière duquel les chariots des settlers, entrelacés et enchaînés, formaient un retranchement impénétrable. Ayant fait ensuite avancer une colonne au centre et placer son artillerie à l’avant-garde, Taylor se prépara à combattre. L’armée mexicaine était étendue devant lui en une longue ligne sans profondeur, sans réserve, et qui formait comme la corde du segment de cercle tracé par les troupes américaines. Une partie de la journée avait été consacrée à prendre ces dispositions. Déjà il était deux heures. Le moment était venu où, dans les pays du sud, la nature s’affaisse sous le vent brûlant, dont les rafales traversent l’atmosphère comme des flèches de feu. Un moment de silence solennel succéda à la confusion des premières manœuvres. On pouvait, au milieu de ce calme momentané, entendre le souffle du vent dans les grandes herbes qui couvraient la plaine et le murmure des bois qui abritaient la ligne des chariots américains.

Le général Arista n’attendait plus, pour engager l’action, que l’arrivée d’un régiment d’infanterie qu’on devait lui envoyer de Matamaros. Dès qu’il vit reluire au soleil les baïonnettes de ce régiment, il donna le signal, et un coup de canon, parti du centre de l’armée mexicaine, annonça que le combat commençait. Les Américains dirigèrent aussitôt toutes leurs batteries contre le renfort dont l’arrivée venait de mettre un terme aux hésitations d’Arista, et ce ne fut qu’après avoir semé la plaine de morts que ce malheureux régiment put entrer en ligne à la gauche de l’armée mexicaine. Le feu commencé contre lui se tourna dès-lors contre l’aile gauche tout entière. Les soldats mexicains, dont ce feu meurtrier éclaircissait les rangs, restaient à leur poste, immobiles et formés en ligne, sans pouvoir seulement décharger leurs armes sur un ennemi placé hors de leur portée. Tandis que la droite s’agitait vainement pour faire taire les batteries américaines, la gauche ne bougeait pas au milieu des morts qui s’entassaient. Les cris répétés de : Viva Mexico ! viva la independencia ! se mêlaient, pendant les courts silences de l’artillerie, aux roulemens des tambours et aux fanfares de plus en plus affaiblies des clairons. Les Américains, voyant qu’il suffisait d’un dernier coup pour avoir raison d’un ennemi déjà vaincu pour ainsi dire par le désavantage de sa position, eurent recours à une ruse de guerre qu’ils ont apprise des Indiens, et qui leur est familière. Vers quatre heures, c’est-à-dire deux heures après le commencement de l’action, une épaisse fumée couvrit toute la gauche de Taylor. Des barils de goudron, à l’aide desquels les Américains avaient mis le feu aux herbes desséchées qui couvraient la plaine, produisaient cette fumée, assez épaisse pour dérober complètement leur manœuvre. On aurait pu croire que les Américains avaient battu en retraite, si le rideau noirâtre n’avait été troué, à intervalles égaux, par le feu des canons. Enfin, la fumée s’affaissa et laissa voir une batterie avancée, dont les boulets vinrent de nouveau décimer les soldats mexicains, qui, toujours paralysés dans leurs mouvemens, mouraient sans reculer, comme ils savent parfois mourir. Une autre partie de l’armée américaine avait profité de la fumée pour s’embusquer dans les bois et déborder ainsi la gauche mexicaine. Averti de cet incident, Arista transmit au général Torrejon l’ordre de déloger l’ennemi du bois. C’était une tâche presque impossible. Le général en chef oubliait qu’une vaste lagune, où peu de jours avant la bataille l’armée mexicaine s’était approvisionnée d’eau, protégeait ce bois et le rendait presque imprenable. Le général Torrejon entreprit néanmoins d’obéir ; mais les abords noyés de la resaca, un second lac de feu formé par le goudron enflammé qui se répandait de tous côtés, opposèrent un obstacle invincible aux soldats, qui, enfoncés jusqu’à la ceinture dans un marais fangeux, se trouvèrent encore arrêtés par un bataillon et deux pièces de campagne postées sur le bord opposé de l’étang. Le général Torrejon renonça à exécuter les ordres d’Arista, qui insistait pour qu’on chargeât, nonobstant les difficultés du terrain. L’artillerie transportée dans le bois par les Américains put commencer à battre d’enfilade toute la ligne mexicaine, et mit ainsi le désordre à son comble. Au dire d’un officier témoin de cette sanglante affaire, les boulets américains arrivaient jusqu’aux ambulances, situées à quinze cents vares[5] du champ de bataille, et vinrent emporter le bras droit d’un malheureux blessé dont on amputait le bras gauche.

Il fallait cependant sortir de cette position critique. Le général don Romulo de la Vega, placé à l’aile gauche, fit demander les ordres d’Arista, qui se trouvait à la droite. La réponse du général en chef, mal comprise, entraîna de nouveaux et funestes délais. Ce ne fut que vers cinq heures que les guidons mexicains vinrent marquer une autre ligne de bataille à l’armée, qui s’avança dans un nouvel ordre. Par une étrange fatalité, il arriva en ce moment à la droite ce qui était arrivé à la gauche quelques heures auparavant. Comme la gauche, la droite voyait diminuer ses rangs et demandait le combat à grands cris. Arista la fit avertir de se préparer à l’attaque. Les troupes mexicaines, encore pleines d’enthousiasme, croisèrent la baïonnette, attendant le signal de la charge. On avait cru que ce signal suivrait l’avertissement du général, et cependant l’ordre ne venait pas. Deux fois la volonté d’Arista, expressément formulée, retint les troupes au moment où elles allaient se mettre en marche. Dès-lors la situation devint intolérable ; le désordre se mit dans les rangs des soldats mexicains, désespérés de mourir sans utilité, sans gloire, sans vengeance. Les cris de trahison volèrent de bouche en bouche, et un mouvement rétrograde s’opéra. Il fallut que le général en chef se mît à la tête de l’aile droite pour exécuter la charge. A ce seul moment, Arista retrouva cette intrépidité qui le faisait compter parmi les plus brillans officiers du Mexique ; mais il était trop tard, et l’attaque, mal combinée, fut mal soutenue par des soldats découragés. Les Américains, jugeant inutile de prolonger le combat, se replièrent lentement sur leur enceinte de chariots, derrière lesquels ils dirigèrent quelques décharges qui terminèrent l’action. On sait avec quelle rapidité la nuit tombe sous les tropiques. L’obscurité était devenue complète, et les soldats mexicains, ralliés à la faveur des ténèbres, campèrent cette nuit même sur le champ de bataille qui leur avait été si fatal. Renfermé dans sa tente, Arista, au lieu de prendre les mesures nécessaires pour réparer cet échec, se répandit en invectives contre ses troupes, il alla même jusqu’à provoquer ses officiers ; mais, à travers les explosions de cette colère sans dignité, on pouvait deviner que le général était mécontent de lui-même plus encore que de ceux qui l’entouraient.

Bien que l’armée mexicaine eût beaucoup souffert, cependant rien n’était désespéré ; mais le malheur voulut que le découragement pénétrât dans ses rangs. Les soldats se plaignaient hautement d’avoir été sacrifiés et vendus, la défiance se joignit au découragement, et ce fut avec la certitude d’être de nouveau battus qu’ils engagèrent l’action le lendemain. A dire vrai, cette nouvelle bataille ne fut guère qu’une longue retraite. Les désordres et les fautes de la veille se reproduisirent, et l’armée mexicaine, contrainte de repasser le Rio-Bravo, vint se jeter en désordre dans Matamoros, laissant le drapeau américain, objet naguère de tant de haines, de tant de menaces, flotter librement sur la rive gauche du fleuve.

Jusqu’à ces deux combats, une certaine logique avait encore présidé aux mouvemens des troupes mexicaines ; il y avait eu de grandes fautes commises, mais on pouvait les attribuer au trouble apporté dans l’esprit des chefs par le sentiment d’une grave responsabilité. On devait croire qu’avertis par ces échecs, les généraux retrouveraient, en présence d’un péril croissant, la vigueur, la fermeté, qui avaient manqué à leurs premiers efforts. Tout au contraire, au lieu de chercher, en combinant mieux leurs opérations, à relever la fortune du pays, ils parurent frappés dès ce moment d’un esprit de démence. Ce n’est plus une guerre sérieuse que nous allons avoir à raconter.

Le 10 mai, la place de Matamoros avait encore 4,000 hommes de garnison (sans compter les blessés, qui, au nombre de plus de 500, encombraient les hôpitaux) ; la cavalerie, aux ordres du général Canales, qui, par suite des dispositions d’Arista, n’avait pris part à aucune des deux actions précédentes, présentait encore un effectif de 1,000 hommes. Au lieu de profiter de ces élémens de force qu’avaient épargnés les derniers désastres, un conseil de guerre, réuni en apparence pour en régler l’emploi, fit savoir à la division de Matamoros qu’il n’y avait que les rations de vivres nécessaires jusqu’au 14 du mois, que les munitions étaient insuffisantes pour une défense de plus de trois heures, que le temps et l’argent manquaient pour fortifier la place, que, la démoralisation étant générale, on ne pouvait compter sérieusement sur aucun des corps de l’armée, et qu’enfin la division était destinée à mourir de faim ou sous les coups de l’ennemi. Après avoir ainsi sonné l’alarme, on commença à traiter de l’échange des prisonniers. Quant aux blessés, Taylor avait offert de les rendre sans compensation. Ces derniers, au nombre de soixante-dix, devaient se trouver à Matamoros à six heures du matin. Taylor tint sa promesse, et cependant, le croira-t-on ? ces malheureux restèrent sur la rive droite du Rio-Bravo sans secours, sans soins, exposés onze heures de suite aux averses torrentielles des pluies tropicales, avant qu’on pût les installer dans les hôpitaux ; encore plusieurs passèrent-ils toute la nuit et la journée du lendemain transportés d’hôpital en hôpital. Cette même journée et la suivante furent consacrées d’un commun accord par les deux parties belligérantes à de paisibles négociations. Les pourparlers se succédaient sur les deux rives du fleuve comme entre de bons voisins réunis pour causer de leurs affaires. En réalité, la retraite des Mexicains était résolue, et il ne restait plus qu’à sauver les apparences.

Le 17, à sept heures du matin, un second conseil de guerre s’assembla. Le général en chef Arista prit la parole, et, après avoir insisté encore sur l’état lamentable de la place, il conclut en disant qu’il désirait connaître le sentiment de ses officiers, bien que les lois militaires le laissassent libre de suivre ou de rejeter les avis des officiers-généraux réunis en conseil. Le colonel Uraga, jeune officier plein de courage et que la calomnie n’épargna pas malgré sa brillante conduite, parla le premier comme le plus jeune. Il fut d’avis de tenir bon jusqu’à la fin ; les généraux Morlet, Jauregui, Garcia et Torrejon se rangèrent de cette opinion ; mais Requena et Ampudia furent d’avis de demander une suspension d’armes à l’ennemi, et terminèrent en disant que la place n’était pas tenable. Le général Ampudia proposa en outre d’envoyer au camp américain le commandant d’artillerie Requena porteur de propositions de trêve comme l’officier le plus capable de remplir une mission si délicate. Le général en chef approuva la motion, et ajourna toute décision jusqu’au retour de l’envoyé. Requena partit donc avec des instructions que sur sa demande on voulut bien lui donner par écrit. On demandait au général Taylor un armistice d’un mois. Requena, parti à onze heures, était de retour à midi avec une réponse négative ; le général américain lui avait déclaré en outre qu’il passerait le Rio-Bravo dans l’après-midi même.

Ce refus était prévu ; en demandant l’armistice, le général Arista avait voulu seulement faire en apparence un dernier effort avant de se décider à la retraite. A la tombée de la nuit, bien que l’ennemi n’eût pas encore bougé, le mouvement rétrograde commença. A neuf heures, la place était évacuée, et, le 18 au matin, la division en marche comptait déjà mille hommes de moins, les uns morts, les autres en fuite. Quant aux soldats restés fidèles au drapeau, les plus tristes privations les attendaient. Les épaules chargées de sacs et de chaudières, ces malheureux, dévorés par un soleil ardent, sans eau, sans vivres, continuèrent leur marche, poussant devant eux les bœufs et les mules en nombre insuffisant pour le service du train. Il faut renoncer à décrire les particularités de cette désastreuse retraite, déterminée par une panique inqualifiable. C’était un pêle-mêle d’hommes et de chevaux que la fatigue avait brisés, une marche sans ordre, des campemens sans règle, un intervertissement général de toutes les lois de la discipline. Les cavaliers qui formaient l’avant-garde troublaient sous les pieds de leurs chevaux le peu d’eau qu’on trouvait sur le chemin, et que le soleil corrompait déjà au moment où l’arrière-garde s’y précipitait. Bientôt les cavaliers furent à pied et les chemins furent semés de cadavres. Un ramassis de femmes, de bas-officiers, de domestiques qui marchaient à l’avant-garde, ne se contentaient pas de laisser le soldat sans eau ; ils accaparaient tous les vivres qu’on pouvait trouver pour les revendre ensuite à des prix exorbitans. Chaque jour, chaque heure voyait des soldats tomber frappés d’apoplexie sous l’influence de l’excessive chaleur ou brisés par les fatigues de la route. Enfin, douze jours après l’évacuation, cette division de plus de 5,000 hommes au départ arrivait à Linares et à Monterey, réduite à 2,638. C’était le 29 mai, et le 4 juin suivant le général Arista, donnant sa démission, demandait à passer devant un conseil de guerre.

L’occupation de Matamoros fut suivie bientôt de l’entrée des Américains à Reinosa et à Camargo. Trois états déjà se trouvaient envahis celui de Tamaulipas, de Cohahuila et de Nuevo-Leon ; ils avaient déjà été désignés par les Yankee sous le nom de république de Rio-Grande. Fidèles à leur système de temporisation, les généraux de l’Union essayaient encore de donner le change aux populations conquises ; ils se posaient en libérateurs plutôt qu’en conquérans ; la propagande suivait l’invasion, et un journal, publié dans les deux langues anglaise et espagnole, fut destiné à démontrer que de l’entrée des Américains au Mexique allait dater pour les contrées envahies une ère de merveilleuse prospérité sous le régime auquel les États-Unis devaient leur puissance et leur grandeur. En attendant, les Indiens sauvages poussaient de nouveau du fond des déserts leurs invasions partielles dans l’état même de Cohahuila et dans celui de Chihuahua. La coïncidence de leurs mouvemens avec ceux de l’armée américaine ne laissait que trop suspecter la bonne foi des sauveurs du Mexique. Aussi les essais de propagande américaine n’avaient-ils encore que médiocrement réussi, quand une révolution qui éclata à Mexico vint servir plus efficacement les projets de l’Union en donnant l’anarchie pour auxiliaire à ses soldats.

Les tendances monarchiques du président Paredes étaient généralement connues. La partie éclairée de la nation, celle qui voulait réellement le bonheur du pays, appuyait ces tendances, car elle voyait dans une monarchie le seul moyen de fermer les plaies toujours vives que vingt-cinq ans de révolutions avaient ouvertes et entretenues dans le corps social au Mexique. Plus que jamais, d’ailleurs, on sentait le besoin de fortifier le gouvernement, menacé de nouveau par des ambitions subalternes. Inattaquable dans les déserts du sud, le général Alvarez s’était d’abord posé comme le seul champion de la cause démocratique. Des hordes de bandits, dans les environs d’Acapulco, avaient commis au nom des principes proclamés par Alvarez des horreurs sans exemple encore, même au Mexique[6]. L’état de Jalisco suivit bientôt le triste exemple que lui donnait celui d’Acapulco. Une poignée de factieux se prononça dans les premiers jours de juillet contre Paredes. Confondant le clergé et les monarchistes dans une égale haine, les prononcés s’emparèrent violemment des églises et des couvens, dans lesquels ils tinrent garnison. Les couvens de femmes même ne furent pas respectés. Dans celui de Santa-Teresa, pris par escalade, on eut le singulier spectacle d’une orgie militaire sur les terrasses et d’une scène de désolation au rez-de-chaussée. Bientôt les prisonniers firent à leur tour retentir les cachots de protestations républicaines et patriotiques. A Guadalajara, capitale de l’état de Jalisco, des officiers complaisans délivrèrent les détenus, on alla même jusqu’à les enrôler ; mais, une fois que ces misérables eurent des armes, ils désertèrent, et ce fut un fléau de plus pour les habitans que ces bandes d’assassins déchaînés sur les grandes routes.

L’armée de réserve prête à marcher de Mexico contre les Américains, sous les ordres de Paredes, se trouvait impuissante à réprimer ces excès, scandaleux. D’ailleurs, pour avoir raison de l’anarchie au dedans, il était nécessaire de repousser d’abord l’ennemi extérieur. Paredes quitta donc Mexico à la tête de sa division, pour aller prendre le commandement des troupes réunies à San-Luis, Linares, Saltillo et Monterey. Sa présence à Mexico avait jusqu’alors contenu les dispositions hostiles du parti démocratique ; mais à peine était-il à quelques lieues de Mexico, que les factieux s’empressèrent de mettre à profit son absence. Paredes lui-même, abandonné par ses soldats, dut prendre le chemin de l’exil, au lieu de marcher à l’ennemi. Le 4 août, le général don Mariano Salas, commandant les troupes restées à Mexico, se prononça contre Paredes et fit officiellement au gouvernement des sommations qui portaient en substance : 1° qu’on élirait un nouveau congrès d’après les règlemens électoraux de 1824 (la première constitution mexicaine), et que le régime monarchique si odieux à la nation disparaîtrait à jamais du programme politique ; 2° que tous les citoyens fidèles à leur pays, y compris les exilés, seraient appelés de nouveau à venir offrir leurs services dans la crise actuelle, et que le benemerito général Santa-Anna serait reconnu comme le chef de l’armée destinée à combattre l’invasion. Ce nouveau plan, présenté en des termes où la courtoisie s’alliait à la menace, n’obtint d’abord que des réponses évasives. Salas, impatienté, fixa à deux heures la solution de la question ; la réponse du gouvernement n’ayant pas été rendue à l’heure dite, le général prononcé disposait tout pour une attaque, quand deux parlementaires se présentèrent aux insurgés, demandant qu’une commission fût nommée de part et d’autre pour discuter les points en litige. La discussion fut fixée à cinq heures ; la commission des prononcés fut seule exacte au rendez-vous. Après une heure d’attente, elle reçut une nouvelle communication du gouvernement, qui promettait de réunir à sept heures un conseil de guerre chargé de statuer sur les sommations de Salas. Celui-ci était à bout de patience. A la tête de deux colonnes composées d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, il s’avança sans rencontrer d’obstacle jusqu’au palais qu’il cerna. Ce mouvement arracha au gouvernement une nouvelle promesse : la commission qu’il avait nommée devait se rendre à neuf heures du soir dans une maison de la rue des Plateros. Ce délai fut accepté, et cette fois la commission choisie par le vice-président Bravo devança d’une heure le moment fixé. Une longue discussion s’éleva entre les envoyés des deux partis ; elle dura jusqu’à une heure et demie du matin. On finit par convenir qu’une garde d’honneur serait accordée au vice-président Bravo, que ni lui ni les siens ne seraient inquiétés, que le gouvernement déposerait ses fonctions, et que les troupes cantonnées dans le palais demeureraient aux ordres du général Salas, chargé de l’autorité suprême jusqu’au retour de Santa-Anna. La révolution était consommée. Dans la nuit du 5 au 6, Salas occupa le palais, et au point du jour, le tocsin sonnant à toute volée, les fanfares et les fusées annoncèrent aux habitans de la capitale mexicaine qu’ils avaient encore une fois changé de maîtres. Le gouvernement de Paredes avait duré sept mois.

III.

Le 5 août, une dépêche de Vera-Cruz annonça l’arrivée prochaine du général Santa-Anna, et le jour suivant, à midi, le héros de Tampico mit en effet pied à terre sur la jetée au milieu des cris d’allégresse, des salves d’artillerie et des fanfares. Le Mexique semblait avoir secoué sa torpeur à la vue du général qui avait seul le secret de galvaniser ce corps inerte, et dont cependant l’insatiable ambition avait si lourdement pesé sur la république depuis vingt ans.

Bien qu’il faille tenir compte de la grandeur factice que prête à Santa-Anna l’insignifiance des hommes qui l’entourent, on ne peut méconnaître en lui des qualités qui, même en Europe, se concilient rarement avec un rôle secondaire. A une promptitude de décision admirable, Santa-Anna joint une audace à toute épreuve. De plus, connaissant à fond le caractère de ses compatriotes, il sait les faire en quelque sorte mouvoir au gré de son ambition, et joue constamment avec eux le jeu le plus téméraire. Véritable Protée politique, il a attaché son nom à toutes les révolutions du Mexique, dont il a été tour à tour l’auteur ou le prétexte. Victorieux après une défaite, vaincu après une victoire, tantôt avide de bruit et de puissance, tantôt rassasié de pouvoir ou de renommée, renversant ceux qu’il a élevés, élevant ceux qu’il a renversés, s’il n’est pas l’homme des grandes résolutions, Santa-Anna est par excellence celui des résolutions subites. Organiser, affermir le pouvoir au Mexique, ce n’est point là sa tâche ; fasciner, éblouir ses concitoyens, c’est là ce qu’il sait à merveille, et c’est à quoi il vise peut-être avant tout.

A l’époque où Santa-Anna reparaissait en libérateur dans ce pays qu’il avait quitté comme un banni, les traits principaux de son caractère s’étaient modifiés quelque peu sous l’influence des années. Ce n’était plus le jeune et bouillant officier passant avec une imperturbable audace des chances du jeu à celles des combats ; ce n’était plus le guerrillero aventureux qui traversait toute la république les armes à la main, accompagné partout du colonel Arista, jeune alors et téméraire comme lui ; adoptant toute espèce de déguisement, envahissant même un couvent à la tête de soldats vêtus en dominicains. L’exil avait calmé cette folle ardeur, et aux rêves brillans de la jeunesse avaient succédé pour Santa-Anna les sombres calculs de l’ambition.

Avant de continuer sa route vers Mexico, Santa-Anna passa quelques jours souffrant à sa campagne de Lencero, dans l’état de Vera-Cruz, dont, soit dit en passant, ses propriétés couvrent la plus grande partie. Le 15 septembre seulement, le général fut reçu à Mexico. C’était la veille des fêtes de l’indépendance mexicaine qu’avec son tact habituel il avait choisie pour faire sa rentrée dans la capitale ; le retour du libérateur coïncidait ainsi avec l’anniversaire d’une révolution glorieuse, où il avait joué un des premiers rôles. Jamais monarque ne fut reçu avec plus de pompe que l’homme qui, par un retour de fortune si commun dans le plus capricieux des gouvernemens, rentrait en triomphateur dans une capitale d’où on avait fait, dix-huit mois auparavant, disparaître jusqu’à sa statue.

Depuis le matin, une foule immense encombrait à plus d’une lieue de Mexico le chemin que Santa-Anna devait suivre. Arrivé à une petite distance de la ville, le général monta dans le carrosse qui l’attendait ; il s’y assit à côté du docteur Fartas, ministre des finances, l’homme populaire du moment. Ce carrosse était précédé de trois chars magnifiquement ornés et montés par un groupe allégorique de jeunes enfans représentant l’union de l’armée et du peuple au sein de la liberté sous le même système fédéral, beau rêve toujours caressé et toujours déçu. Entre ces chars et la voiture triomphale marchait à pied une commission de l’illustrissime ayuntamiento, qui représentait sans allégorie le pouvoir municipal toujours écrasé entre le peuple et l’armée ; puis venait une foule immense, chamarrée comme toute foule mexicaine, et étincelante de tout l’éclat que peuvent emprunter aux rayons du soleil l’or, la soie et des haillons multicolores. Cet immense cortége de cavaliers et de voitures s’avança lentement vers Mexico, dont les dômes, couronnés de curieux, laissaient échapper de leurs ouvertures le son des cloches ébranlées à toute volée, mêlé aux salves d’artillerie, aux sifflemens des fusées, qui faisaient piaffer les chevaux et électrisaient la multitude. Une foule plus compacte encore attendait le libérateur aux portes du palais, et ce fut à peine si, au milieu de cette population enivrée, le général parvint à mettre pied à terre : il fallut tous les efforts de ses amis pour éviter qu’il ne fût littéralement enseveli dans son triomphe. Hommes, femmes, soldats, tous voulaient le toucher, l’étreindre, lui prendre la main, arriver seulement jusqu’à lui. Certes, si l’exilé de la Havane méritait les imputations qu’on ne lui a pas épargnées depuis, cette allégresse de tout un peuple dut éveiller en lui une douloureuse émotion. Santa-Anna tournait vers la foule son front pâli par la maladie, et qui semblait porter encore la trace des angoisses de l’exil, et ses regards si expressifs, ses gestes si nobles, parlaient éloquemment pour lui à défaut de cette voix sonore dont les accens avaient tant de fois provoqué l’enthousiasme. Quand il fut arrivé au palais, dans le salon de réception, le général Salas, chargé jusqu’alors de l’autorité suprême, se leva du ’siège présidentiel, s’avança pour le recevoir et lui offrir le fauteuil qu’il avait quitté ; mais Santa-Anna le refusa en disant que d’aucune façon ce siége n’était le sien, et il en prit un autre pour établir la distinction faite entre le général chef suprême de la nation et le général des armées mexicaines. Puis, après avoir répondu, avec cette facilité d’élocution qui le caractérise, aux harangues du général Salas et de tous les pouvoirs religieux et judiciaires, le libérateur se dirigea vers la cathédrale, où de nouveaux honneurs l’attendaient encore, et se retira enfin dans son palais de Tacubaya. La journée se termina par des illuminations et par des réjouissances où se montrèrent une fois de plus cette insouciance, ce goût du plaisir, particuliers au peuple des tropiques. Qu’aurait fait de plus pour un roi cette multitude, qui, sous le régime républicain, garde encore des instincts monarchiques ?

Le premier moment d’effervescence passé, le général en chef des armées mexicaines, tout entier aux soins de sa santé et aux plans de son ambition, sembla rentrer dans l’inaction la plus complète. On comprend toutefois que cette inaction ne pouvait durer. Le poids des affaires était un lourd fardeau pour le général Salas, qui n’avait pas la force nécessaire pour le porter dignement. Quoique le gouvernement de Washington eût encore une fois parlé de la paix, le Mexique avait refusé d’ouvrir les négociations avant l’entrée en session du nouveau congrès, fixée au 6 décembre 1846. Pendant ce temps, l’invasion faisait des progrès qui, lents encore, n’en étaient pas moins redoutables. Le général don Pedro Ampudia, qui avait remplacé Arista dans le commandement de l’armée des frontières, écrivait que les Américains, laissant garnison à Camargo, s’avançaient au nombre de 6,000 vers Monterey. Le Nouveau-Mexique avait été envahi par 3,000 hommes, et le gouverneur Armijo s’était vu forcé de se retirer à Paso del Norte ; le port de San-Blas était bloqué, la Californie attaquée. Un décret du général Salas appela aux armes tous les Mexicains de seize à cinquante ans, et fixa à 30,000 hommes le contingent des divers états. Une milice nationale, composée du rebut de la population, se forma à Mexico même, en conséquence d’un autre décret, qui introduisait ainsi au cœur de la capitale un ennemi bien plus à craindre que l’ennemi extérieur. Restait à se procurer l’argent nécessaire pour entrer en campagne. Les offres patriotiques faites par les citoyens des divers états étaient plus pompeuses qu’efficaces. Tous les regards commencèrent donc à se tourner de nouveau vers Tacubaya, où Santa-Anna ; toujours malade, continuait de rester inactif en apparence, quand on apprit qu’il venait d’emprunter sur ses biens personnels l’argent nécessaire à la mise en campagne de la brigade de réserve retenue à Mexico. Cette brigade se trouva ainsi prête à partir. Dans un élan d’enthousiasme, le journal du gouvernement opposa cette noble conduite du général à la tiédeur des autres citoyens riches, et leur conseilla sous une forme toute bienveillante de s’exécuter comme Santa-Anna, de peur que le peuple souverain, justement irrité de cet égoïsme, n’allât s’emparer de leurs coffres-forts pour les porter aux soldats défenseurs de la patrie. Il n’était pas prudent de dédaigner un pareil avis. Le clergé consentit à donner sur ses biens une hypothèque de 2 millions de piastres ; le haut commerce et les riches propriétaires offrirent un prêt de 500,000 piastres, et s’engagèrent à fournir une somme égale dans le délai de quinze jours d’abord, puis de mois en mois.

Enfin, le 28 septembre, Santa-Anna, après être allé entendre une messe solennelle dans l’église de la Vierge de Guadalupe et avoir imploré la protection spéciale de la patrone du Mexique, se dirigea, à la tête de deux corps d’infanterie et de huit pièces de canon, vers San-Luis Potosi, où il allait enfin jeter le masque de modestie qu’il avait cru devoir garder jusqu’alors,


IV.

Huit jours avant le départ de Santa-Anna, l’armée des États-Unis, forte de 6,000 hommes, occupait militairement les abords de Monterey. Capitale de l’état de Nuevo-Leon, cette ville est une des plus pittoresques du Mexique ; l’état même de Nuevo-Leon n’est pour ainsi dire qu’un vaste jardin. Monterey est bâtie dans une vallée assez étroite, au pied des dernières montagnes de la Sierra Madre, à deux cent quarante lieues environ de Mexico, à cent lieues de Matamoros. Deux cerros très élevés dominent la ville : l’un, qui ressemble à une selle, a été nommé la Silla ; l’autre, qui a la forme d’une mitre, s’appelle la Mitra. Les trois endroits qu’on visite de préférence à Monterey sont un petit lac nommé Ojo de Agua, que de beaux arbres couvrent d’un dôme impénétrable ; le pont de la Purisima, jeté au-dessus d’une rivière formée par le trop plein du lac, et qui unit l’ancienne partie de la ville à la partie moderne ; enfin le bois de Santo-Domingo, vaste couvert à l’ombre duquel une armée tout entière peut s’abriter. Si Monterey n’était pas exposée aux incursions des Indiens, qui dans l’hiver viennent ravager les environs, nul doute que, grace à la richesse de son territoire, cette ville n’eût pris un accroissement beaucoup plus rapide.

La garnison de Monterey, au moment où les Américains vinrent assiéger cette place, se composait d’environ 4,000 hommes. On attendait de jour en jour l’arrivée de la 4e brigade, aux ordres du général Ponce de Leon, qui s’avançait à marches forcées. Deux partis de cavalerie auxiliaire battaient la campagne, et ne laissaient pas de causer quelques dommages à l’ennemi. Le soldat mexicain était plein d’ardeur, et son enthousiasme s’était communiqué aux habitans de la ville. On cite même à ce propos un trait singulier. Une jeune femme, appelée doña Jesus Dosomantes, se présenta à cheval au général Ampudia, vêtue d’un uniforme de capitaine ; elle demanda à être reçue dans l’armée. En vain le colonel Uraga, à qui Ampudia l’adressa, lui représenta les dangers et les privations qui l’attendaient : la jeune femme fut sourde à toutes les exhortations, et demanda comme une faveur le poste le plus exposé. On la vit, sous son costume de capitaine, parcourir toute la ligne mexicaine, et chacun admira tant de bravoure unie à tant de jeunesse et de beauté. Malheureusement les mêmes bulletins qui constatent l’enrôlement de la jeune héroïne restent muets sur la part qu’elle prit dans la suite aux événemens de la guerre. Il ne fuit donné qu’un moment au Mexique de croire qu’il avait sa Jeanne d’Arc.

La citadelle de Monterey et le cerro la Mitra, appelé aussi cerro del Obispado viejo, commandent la ville. Des redoutes avaient été établies sur le cerro del Obispado, sur l’hacienda de la Teneria et sur le rincon del Diablo (coin du Diable), qui dominent la plaine. Le 19 septembre, au matin, la vallée de Monterey présentait un aspect pittoresque. L’armée américaine, forte de sept mille hommes, avait pris position dans le bois de Santo-Domingo, à une lieue et demie de la ville ; on pouvait pressentir une attaque prochaine. Trois cents chariots de settlers environ formaient à l’avant de la forêt un retranchement redoutable. Le vent agitait à la lisière du bois les toiles blanches dont ces chariots, uniformément peints en bleu, étaient en partie couverts. Ce retranchement et des troupes de mules, au nombre de quatorze ou quinze cents, parquées près des chariots, indiquaient seuls la présence de l’ennemi. Sur quelques drapeaux qui ornaient le front de bandière, on pouvait lire cette fière devise : Jusqu’au palais de Montezuma ! Des télégraphes, établis sur les hauteurs de la citadelle et du cerro del Obispado viejo, se transmettaient à chaque instant des signaux d’alarmes. Du reste, tout était encore silencieux dans la plaine.

Peu à peu la scène s’anima. Des guerrilleros, qu’à leur pittoresque costume, à la légèreté de leurs chevaux, aux cris qu’ils poussaient en agitant leurs lazos, on reconnaissait pour mexicains, galopèrent jusqu’à la lisière du bois de Santo-Domingo, ou s’éparpillèrent dans la plaine, provoquant un ennemi encore invisible. C’étaient les corps de cavalerie auxiliaire de l’armée d’Ampudia, corps aussi ardens qu’indisciplinés. La cavalerie régulière restait dans ses quartiers à Monterey. L’ennemi aurait paru complètement sourd aux provocations, si de temps à autre une détonation n’eût répondu aux cris de défi. Presque toujours alors des cavaliers mexicains désarçonnés roulaient dans le sable, car le tirailleur américain, avec sa merveilleuse sûreté de coup d’œil, ne choisit jamais en vain ses victimes. Enfin des ingénieurs sortirent du bois, escortés par un détachement de dragons. Pour la première fois, depuis la matinée, le canon gronda : c’était celui de la citadelle. Les boulets commencèrent à labourer la plaine ; les guerrilleros s’élancèrent de nouveau. Un engagement partiel eut lieu entre les cavaliers mexicains et les dragons américains. Au bout de quelques minutes, cinq prisonniers, garrottés sur leurs chevaux à l’aide des lazos, furent traînés en triomphe dans Monterey.

Cette escarmouche, suivie de quelques autres combats insignifians, marqua seule la journée du 19. Protégés par l’épaisseur du bois, les Américains n’avaient pas laissé reconnaître aux éclaireurs mexicains quelles pouvaient être leurs forces, et leur artillerie était également restée masquée. Le jour suivant fut encore employé par eux en préparatifs d’attaque. Cependant les diverses reconnaissances qu’ils poussèrent semblaient impliquer l’intention de commencer les opérations par le cerro del Obispado, et de couper les communications entre ce cerro, la ville et la citadelle. Pour en venir là, il fallait avant tout débusquer les Mexicains du pont de la Purisima et des redoutes de l’hacienda de la Teneria et du rincon del Diablo, défendues par des corps de vétérans. Le 21, en effet, l’attaque commença par ces trois points. Malgré la supériorité du nombre, les Américains furent repoussés avec perte. Cette triple tentative leur coûta, en morts et en blessés, plus de mille hommes. Découragés par une si chaude réception, les soldats de l’Union regagnèrent les bois qui les avaient jusqu’alors protégés. La fortune souriait encore aux Mexicains.

La nuit se passa sans que les Américains cherchassent à prendre une revanche. Le découragement commençait à se glisser dans le camp de Taylor ; les volontaires texiens rappelaient que leur engagement était arrivé à son terme, et parlaient de déposer les armes. Une attaque des assiégés eût achevé de porter le trouble dans une armée ainsi déconcertée, et le général en chef Ampudia eut une inspiration heureuse en faisant sortir, cette nuit même, six cents cavaliers chargés de tenir en haleine l’arrière-garde ennemie. Malheureusement le général Romero, qui commandait ce détachement, ne put, ou, pour mieux dire, ne voulut pas accomplir comme il le devait cette mission importante. L’ennemi traversa donc la nuit sans encombre et put se tenir prêt pour l’attaque du lendemain.

Le 22 septembre au matin, Taylor tourna le pont et les redoutes qu’il avait en vain attaqués la veille, et dirigea ses colonnes d’attaque contre le cerro del Obispado, dont la possession pouvait le mettre en état de battre la citadelle à armes égales. Accueilli par un feu meurtrier, il fut obligé de se retirer de nouveau ; bientôt, se renforçant d’une brigade de troupes régulières, il revint à la charge : cette fois la chance tourna de son côté. Deux pièces de canon et un obus en mauvais état, qui défendaient le cerro, vinrent à crever. Cet accident détermina parmi les artilleurs mexicains un mouvement d’indécision dont les assaillans profitèrent, et, au moment où le général Ampudia envoyait deux autres pièces pour remplacer celles qui avaient éclaté, les Mexicains, culbutés par une charge vigoureuse, venaient d’abandonner la hauteur. A ce moment aussi, le général Romero, parti pendant la nuit pour attaquer les postes américains, parvenait à gagner, avec ses six cents cavaliers, un point élevé appelé le Topo-Chiquito. Voyant ses compatriotes lâcher pied, il hésita ; puis, d’après ses propres expressions[7], croyant la ville perdue, il resta devant l’ennemi en simple spectateur, et prêt à prendre, au cas où la place serait emportée, le chemin de Saltillo[8]. La journée du 22 se termina par ce premier succès des Américains.

Le 23, une artillerie supérieure à celle de la citadelle garnissait le cerro del Obispado. Bientôt battue en brèche, la citadelle cessa ses feux ; les redoutes de la Teneria et du rincon del Diablo étaient trop éloignées pour être désormais à craindre, et Taylor dirigea l’attaque contre la ville même. Depuis le matin, Monterey n’avait pour ainsi dire plus de chefs. Le général de cavalerie Romero restait, ainsi qu’on l’a vu, spectateur indifférent du combat sur la hauteur du Topo. Ampudia, le général en chef, et le commandant de l’artillerie Requena, saisis d’une incroyable terreur panique, s’étaient retirés dans les caveaux funéraires de la cathédrale de Monterey, laissant les soldats livrés à eux-mêmes. Cependant une résistance vigoureuse accueillit l’armée américaine à son entrée dans la ville. Les rues, les terrasses des maisons et des couvens devinrent autant de places qu’il fallut forcer. Le triomphe des Américains devenait à chaque pas plus difficile, et d’autant plus dangereux qu’ils s’avançaient davantage au cœur de la place, quand un parlementaire, envoyé par Ampudia, se présenta au général Taylor. Il ne pouvait arriver plus à propos ; aussi les offres d’Ampudia furent-elles agréées après quelques minutes de discussion. Un armistice de deux mois demandé par Ampudia fut accepté ; il fut stipulé de plus que la garnison sortirait avec tous les honneurs de la guerre. Taylor eût accordé peut-être plus encore s’il l’eût fallu. Dans les deux pays, on se méprit également sur la portée de ce dénoûment imprévu. Ampudia proclama, avec une superbe arrogance, que les annales militaires du Mexique comptaient une page glorieuse de plus, et à Mexico on crut Ampudia sur parole. Le général Taylor, de son côté, se garda bien d’avouer que la prudence lui avait interdit de profiter plus largement de sa victoire, en présence du découragement trop visible de son armée. Aussi la fougueuse démocratie américaine, sans tenir compte à Taylor d’avoir transformé en victoire une défaite presque certaine, lui enjoignit-elle bientôt de rompre la trêve convenue.

Maîtres de Monterey, les Américains n’étaient rien moins que tranquilles ; cette conquête leur avait coûté environ deux mille hommes, parmi lesquels plusieurs officiers supérieurs, entre autres, le général Butler du Kentucky. La partie éclairée de l’armée réclamait vivement une suspension d’hostilités. Les volontaires texiens, au nombre de mille environ, avaient rendu leurs armes et regagné leur pays, non sans avoir commis de ces attentats au droit des gens ou à la propriété que n’excuse jamais la conquête. À ces attentats, la population vagabonde qui errait dans les solitudes traversées par les volontaires avait répondu par de nombreuses et sanglantes représailles. La nouvelle des actes commis par les Texiens et des vengeances que ces actes avaient provoquées causa dans l’armée américaine une triste impression. Une vague inquiétude pesait, en quelque sorte, sur les vainqueurs, qui n’étaient pas sans s’apercevoir que la sympathie sur laquelle ils avaient compté leur manquait complètement. Une armée française aurait pu se gagner, jusqu’à un certain point, la population à force de gaieté, d’urbanité et de douceur ; mais les Américains, orgueilleux, insolens et taciturnes, froissaient en toute occasion les habitudes courtoises de l’esprit mexicain. La situation de l’armée du général Taylor, même après son nouveau triomphe, restait, on le voit, périlleuse et difficile. L’échec essuyé par une escadre américaine le 15 octobre 1846 n’était pas fait pour relever le moral des troupes. Le 15 octobre, vers cinq heures du matin, une escadre composée de trois navires de guerre à vapeur, de cinq autres bâtimens à voile, s’approcha de la barre d’Alvarado, petite ville à seize lieues de Vera-Cruz, avec l’intention évidente de forcer la barre et d’opérer un débarquement ; mais la manœuvre fut mal conduite, et le feu bien dirigé d’un petit fort qui défend Alvarado ne permit aux bâtimens américains ni de descendre à terre ni même de forcer la barre. Après de vaines tentatives renouvelées pendant plus de douze heures, l’escadre fut forcée de regagner assez précipitamment le mouillage de San-Anton Lizardo. C’était là un échec bien humiliant pour un peuple qui avait affecté de rabaisser, comme un exploit facile, la prise de Saint-Jean-d’Uléa par une escadre française.

Si l’occupation de Monterey ne valait pas aux Américains tous les avantages qu’ils pouvaient en attendre, il faut avouer cependant que le drapeau de l’Union, depuis l’ouverture des hostilités, avait fait bien du chemin. Immédiatement après la prise de Monterey, les Américains s’étaient emparés sans coup férir de Tampico. Ils avaient en même temps pénétré dans la Californie. Ces deux points étaient comme les deux limites extrêmes de l’invasion, qui s’étend aujourd’hui de l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique. Dans les points intermédiaires, à Saltillo, à Chihuahua, à Durango, l’armée d’invasion régnait en maîtresse absolue, et en agissait sans façon avec les vaincus, payant ici le prix de ses déprédations en traites à vue sur Santa-Anna, ailleurs ne payant pas, ce qui était toujours une insulte de moins, là infligeant la peine du fouet à tous les nationaux qui vendraient de l’eau-de-vie aux soldats. Par Tampico, par la Californie, par le Nouveau-Mexique, les Américains, qui utilisaient à leur profit le blocus des côtes, introduisaient sur le territoire envahi un grand nombre de marchandises. Ce qu’on aura plus de peine à croire, c’est que les chefs de la nation mexicaine secondaient les opérations commerciales des négocians de l’Union. Santa-Anna donnait toutes les passes nécessaires à l’introduction des marchandises américaines, et le gouverneur du Nouveau-Mexique, le général Armijo, accompagnait lui-même à la célèbre foire de Saint-Jean vingt-sept chariots américains. Ainsi les marchands d’une nation ennemie étaient protégés, escortés par ceux-là même dont ils avaient violé le littoral.

Cependant l’armistice touchait à sa fin. Santa-Anna était arrivé à San-Luis Potosi. Après avoir fait lire à ses troupes, aux sons de la musique militaire et au bruit des cloches, la déclaration de Taylor portant que le 13 novembre il reprendrait les hostilités, le généralissime mexicain était retombé dans l’apathie, qui chez lui succède souvent à une fiévreuse activité. Opposant une sérénité impassible aux accusations de trahison qu’on dirigeait contre lui, il partageait tout son temps entre les fêtes, les réjouissances publiques et les combats de coqs, dont il a toujours été un amateur effréné. Néanmoins ces distractions ne l’absorbaient qu’en apparence. A la suite de quelques troubles qui avaient éclaté à Mexico, Santa-Anna avait fait publier par le gouverneur de San-Luis Potosi un décret portant qu’il était le chef unique de la république, qu’à lui seul appartenait le droit de nommer ou de révoquer le président intérimaire, qui n’obéirait qu’à ses ordres ; que tout autre chef porté au pouvoir par une révolution quelconque ne serait pas reconnu. Ce décret avait été adopté par les états de Zacatécas, de Guanajuato, de Yucatan, de Mexico et de Puebla ; il investissait Santa-Anna d’une véritable dictature. Une fois ce résultat obtenu, Santa-Anna rentra de nouveau dans l’inaction. Profitant de cette trêve qui leur était tacitement accordée, les Américains avaient partout réparé leurs pertes et fortifié leurs positions. Ce n’est qu’en février 4847 que le, général se décida enfin à calmer les inquiétudes du pays en menant son armée au combat.


V.

Quittant son quartier-général de San-Luis Potosi, Santa-Anna se porta sur Saltillo, alors occupé par le corps d’armée placé sous les ordres du général Taylor, qui de son côté s’avança à sa rencontre. Le vétéran américain avait assis son camp dans un endroit nommé Agua-Nueva, à quelques milles de Saltillo. Un mince filet d’eau saumâtre, précieux dans un pays si desséché, quelques habitations éparses, avaient motivé le choix de cet emplacement. Taylor ne comptait pas cependant attendre l’ennemi dans le camp d’Agua-Nueva. L’accès trop facile de cette position, ouverte de toutes parts, eût exposé son armée à soutenir l’attaque de Santa-Anna dans des conditions désavantageuses. Aux premières nouvelles de l’approche des Mexicains, Taylor leva son camp et alla l’établir dans la petite plaine d’Angostura, près d’une hacienda appelée Buena-Vista. Santa-Anna s’avançait après une longue et pénible marche à travers le désert du Cédral, pendant laquelle il avait eu à souffrir la soif et la faim. Fatalement forcé de marcher à l’ennemi sous peine de voir se débander son armée si laborieusement réunie, si coûteusement équipée, Santa-Anna, comptant du reste sur sa supériorité numérique et sur sa bonne étoile, se résolut à attaquer les Américains.

Taylor avait pris position entre deux montagnes qui dominent la plaine d’Angostura. Une étroite vallée traversée par une route sépare ces deux hauteurs. L’armée américaine avait à sa droite un profond ravin, à sa gauche la base d’une montagne. Une forte batterie défendait l’accès de la route qui longeait le ravin. Enfin devant le front américain s’étendait un terrain rocailleux, entrecoupé de ravines. Protégé ainsi de tous côtés, le nouveau campement de Taylor était presque inexpugnable. Un corps de cavalerie d’Arkansas et du Kentucky, une brigade de volontaires de l’Illinois et d’Indiana, les riflemen du Mississipi et les rôdeurs texiens composaient l’armée américaine, forte d’à peu près 7,000 hommes.

L’armée mexicaine fut signalée par les sentinelles avancées le 21 février au matin, et bientôt on la vit couvrir les collines qui bordaient la plaine du côté opposé au camp américain. Vues de loin, ces troupes, tourmentées par la faim et la soif, présentaient encore un assez brillant aspect. Les banderoles rouges des lanciers mexicains flottaient au vent, et la tenue presque fastueuse des cavaliers de Santa-Anna contrastait avec les uniformes usés et souillés des volontaires américains. Colonne par colonne, escadron par escadron, les Mexicains ne tardèrent pas à former une masse compacte devant l’ennemi, qui salua leur arrivée par des cris sauvages. La cavalerie et l’infanterie légère des Américains se replièrent d’abord sur le corps d’armée, tandis que les artilleurs mexicains, galopant dans la plaine, cherchaient un endroit convenable pour y établir leurs pièces. Malheureusement les inégalités du terrain ne les favorisaient pas, et ce ne fut que tardivement, dans l’après-midi du 21 février, qu’ils purent ouvrir leur feu. Les Américains dédaignèrent d’y répondre.

Santa-Anna s’était facilement rendu compte des avantages de la position de Taylor. Il ne fallait pas songer à attaquer la droite de l’armée américaine, défendue, comme nous l’avons dit, par un profond ravin ; on pouvait gravir la montagne qui servait d’abri à l’aile gauche, et entamer de ce côté la ligne ennemie. Deux mille cavaliers envoyés pas Santa-Anna réussirent, après de longs et pénibles efforts, à tourner la montagne, et à se jeter sur les derrières de l’armée de Taylor ; mais l’artillerie américaine, maîtresse de la route assez unie qui coupait la vallée, put facilement rétrograder et repousser cette attaque. Pendant que la cavalerie mexicaine se trouvait chaudement reçue, un détachement, distrait de la droite de l’armée américaine, vint attaquer les agresseurs eux-mêmes par derrière et leur couper la retraite. Taylor jugea ces deux mille hommes perdus, et soit humanité, soit prudence, il leur envoya un parlementaire pour les sommer de se rendre ; mais l’officier mexicain à qui ce parlementaire, le lieutenant Cristendon du Kentucky, s’adressa, prétendit ne pas comprendre l’objet du message, et insista pour mener l’envoyé américain au camp de Santa-Anna. Le lieutenant y consentit, se laissa bander les yeux, et fut conduit au camp mexicain. Quand on fut arrivé sous la tente de Santa-Anna, on leva le bandeau, et l’officier se trouva en face du général entouré d’un brillant état-major. Santa-Anna commença par blâmer l’officier qui avait amené le parlementaire d’avoir pris d’inutiles précautions. Montrant de la main l’armée nombreuse qu’il commandait, il demanda à l’Américain si le général qui se voyait à la tête de semblables troupes avait quelque chose à cacher. L’officier s’inclina avec toute la raideur américaine, et fit part de son message. Santa-Anna joua l’étonnement, fronça le sourcil, leva les yeux au ciel, et s’écria qu’il y avait folie au général Taylor, non-seulement de faire à deux mille Mexicains la proposition de se rendre, mais de prétendre lui-même prolonger une inutile résistance. « Taylor ne se rend jamais, » répondit emphatiquement le Kentuckien, et, saluant le général, il vint rendre compte à Taylor du résultat de sa mission. On devine que les deux mille cavaliers tenus en échec avaient su mettre à profit le temps consacré à ces pourparlers ; ils s’étaient dispersés à la faveur de cette courte trêve, et les Américains furent dispensés de mettre leur courage à l’épreuve. Cet incident termina la journée.

Le lendemain matin, avant que le combat recommençât, un parlementaire, mais un Mexicain cette fois, gagna les lignes américaines, et demanda à être introduit près du général en chef. On le mena devant un homme à cheveux gris, à la figure sillonnée de rides profondes, accroupi plutôt que monté sur un cheval blanc. Cet homme, vêtu d’un frac brun usé, devenu historique dans les campagnes de la Floride et du Texas, était le général Taylor, surnommé Old rough and ready[9] par les Américains. Brusquement sommé d’expliquer le motif de sa venue, l’officier mexicain répondit, en termes d’une courtoisie étudiée, que son excellence le général Santa-Anna l’envoyait demander au général américain ce qu’il comptait faire. « J’attends qu’il se rende, » répondit rudement Taylor sans changer d’attitude. Les deux généraux étaient quittes en fait de sommations, et tous deux se préparèrent pour le combat. Ce ne fut cependant qu’à trois heures de l’après-midi que les escarmouches recommencèrent, car Santa-Anna hésitait, on le conçoit, à attaquer un ennemi si bien protégé par sa position. Aussi toute la journée se passa-t-elle en manœuvres insignifiantes et en canonnades plus bruyantes que meurtrières.

Le 23, la plaine d’Angostura, cette espèce de désert coupé de ravins et hérissé de nopals épineux, présentait, sous un ciel bas et pluvieux, un aspect plus triste encore que de coutume. D’épais nuages s’amoncelaient au sommet des mornes, et ne tardèrent pas à se fondre en pluie. Aussitôt cette brillante armée mexicaine se précipita vers les filets d’eau fangeuse qui serpentaient dans les rides du terrain. On oublia un moment l’ennemi pour ne songer qu’à étancher une soif dévorante. A dix heures du matin, le combat recommença, et ce fut cette fois avec un véritable acharnement. La pluie tombait toujours à flots pressés, et rendait plus dangereux encore pour les hommes et les chevaux le terrain, déjà si inégal. Une partie de l’armée américaine quitta sa position pour s’avancer au-devant des Mexicains, dont les munitions de mauvaise qualité étaient devenues presque inutiles sous l’eau qui tombait L’infanterie mexicaine s’ébranla à son tour, et donna, la baïonnette au bout du fusil. Elle réussit à mettre en déroute la brigade d’Indiana, qui avait déjà hésité à marcher. D’un autre côté, la cavalerie de Santa-Anna chargeait les riflemen du Mississipi en poussant ces cris d’attaque familiers aux combattans des deux nations. Les Américains répondirent à ces cris par de sauvages hourrahs. Les riflemen mirent un genou en terre au premier rang, une détonation couvrit leurs hourrahs, et autant de cavaliers mexicains tombèrent qu’il y avait de riflemen en ligne. On lutta ensuite corps à corps, et la plaine fut bientôt jonchée de cadavres.

Posté à l’endroit où la veille il avait reçu le parlementaire mexicain, toujours indolemment courbé sur le dos de son cheval blanc qu’on distinguait de si loin, le vétéran américain Taylor suivait, la lunette à la main, les diverses phases de la bataille. Il vit le général Woll, à qui il avait confié le détail des opérations, s’avancer à son tour avec le gros de l’armée contre les Mexicains ; c’était au moment où ses riflemen et les cavaliers de Santa-Anna étaient aux prises. Il vit le corps d’armée de Woll hésiter, chanceler, puis se retirer. Comme Taylor donnait à des troupes fraîches l’ordre d’aller soutenir Woll, une balle traversa son habit brun. Par une coïncidence bizarre, Santa-Anna tombait de son côté sur le champ de bataille. Une explosion de mitraille avait tué son cheval sous lui. Ni l’un ni l’autre des deux généraux ne fut blessé. Les troupes fraîches envoyées par Taylor chargèrent impétueusement les troupes de Santa-Anna, harassées de fatigue, exténuées de soif et de faim depuis quarante heures. Ce mouvement acheva la déroute des Mexicains. L’armée de Santa-Anna battit en retraite, laissant sur le champ de bataille un nombre de morts considérable. De tous côtés, les officiers mexicains tombaient frappés par les inévitables balles des tirailleurs américains. La pluie de plus en plus abondante fit descendre bientôt un véritable nuage entre les combattans. Il était à peine trois heures, et la nuit semblait proche. Les Américains renoncèrent à poursuivre l’ennemi, et la plaine abandonnée laissa voir une couche serrée de cadavres baignés par l’eau pluviale, des blessés qui, dans l’angoisse de l’agonie, se traînaient péniblement vers les torrens débordés, et l’armée américaine de nouveau retranchée dans sa position inexpugnable.

La journée avait été meurtrière pour les deux armées. Les Américains avaient perdu plus de 2,000 hommes, parmi lesquels un nombre considérable d’officiers ; les Mexicains en avaient perdu le double. Cependant, si on considère que le corps de réserve aux ordres du général Vasquez n’avait pu rejoindre le gros de l’armée, et que la détresse avait forcé Santa-Anna à livrer le combat dans un endroit défavorable, avec des munitions détériorées par l’humidité, on reconnaîtra que l’issue d’un combat livré à chances si inégales pouvait ne pas être interprété dans un sens trop décourageant pour la valeur mexicaine. L’une et l’autre armée campèrent aux alentours du champ de bataille. On remarqua, en faisant le dénombrement des morts, que la plupart des Mexicains avaient été tués par des armes à feu, la plupart des Américains par la lance ou la baïonnette. La lance mexicaine, la carabine des settlers, avaient toutes deux vaillamment rempli leur office. Il arriva d’ailleurs après cette bataille ce qui était arrivé déjà après les actions principales de cette guerre étrange. Aucun des deux pays ne voulut accepter le rôle de battu. A Mexico, on chanta un Te Deum d’actions de grace, tandis qu’à New-York les bulletins de la victoire de Buena-Vista, et surtout la fière réponse du lieutenant kentuckien Taylor never surrenders (Taylor ne se rend jamais), recevaient une publicité éclatante.

« Nous avons combattu quarante heures avec faim et soif, écrivait Santa-Anna dans une dépêche datée du champ de bataille. Ce qu’il nous faut, c’est de l’eau, de l’eau surtout. » Un conseil de guerre tenu le 25 sous la tente de Santa-Anna décida qu’on battrait en retraite sur Agua-Nueva, où cette armée exténuée devait trouver, pour se refaire, un filet d’eau saumâtre. Quant à Santa-Anna, il rentrait à San-Luis Potosi le 8 mars suivant, au bruit des cloches et salué par les acclamations d’une foule enthousiaste.

Pendant que Santa-Anna revenait en triomphateur à San-Luis Potosi, un nouveau soulèvement avait lieu à Mexico, Le gouvernement démocratique, personnifié dans le vice-président Gomez Farias, avait trop long-temps pesé sur la nation. Quelques régimens de la garde nationale, sous les ordres du général Matias Peña y Barragan, résolurent de renverser le vice-président. Ces régimens, composés de propriétaires, commencèrent par s’emparer de toutes les églises où ils purent placer une garnison suffisante. L’autre portion de la milice restée fidèle à Gomez Farias, et celle-là ne se composait que de la classe des leperos, ennemis naturels de toute propriété, s’empara à son tour de toutes les églises restées disponibles, du palais et de la citadelle. La guerre civile menaçait de s’éterniser. Pendant vingt-neuf jours, des soldats déchaînés firent une guerre d’extermination aux habitans qui paraissaient à leurs balcons comme aux passans inoffensifs que les besoins de la vie ou la curiosité poussaient dans la rue. Aucun des deux partis ne gagnait cependant un pouce de terrain, car aucun des deux partis n’osait risquer une attaque sérieuse. La présence de Santa-Anna pouvait seule mettre un terme à ces massacres quotidiens : on n’en voulait qu’à Gomez Farias. Santa-Anna revint donc prendre la présidence, et la tranquillité se rétablit à peu près. Malheureusement ces tentatives avortées avaient mis de nouveau en présence les prolétaires et la classe riche. La populace du Mexique se sentait en appétit de meurtres et de pillages. L’ordre public ne fut rétabli qu’en apparence, et des assassinats partiels succédèrent aux massacres organisés.


VI.

La défaite de Buena-Vista et le réveil de la guerre civile étaient deux coups terribles pour la république. Un nouvel échec vint bientôt la pousser encore plus près de sa ruine. Les Américains débarquèrent à l’île des Sacrificios, près de Vera-Cruz, au nombre de 12,000 hommes, dans les premiers jours du mois de mars 1847.

Vera-Cruz n’offre aux vaisseaux pour tout abri qu’une rade foraine mal protégée d’un côté par la plage qui s’arrondit en fer à cheval, de l’autre par l’île des Sacrificios, l’île Verte, et plus loin par la pointe de San-Anton Lizardo. A une distance à peu près égale de l’île des Sacrificios, de la baie et de la ville, c’est-à-dire à trois quarts de lieue de ces divers points, s’élève l’imposant château de San-Juan d’Ulùa. En dépit du ciel bleu qui la domine, de la mer azurée qui baigne ses murs, Vera-Cruz, bâtie sur une plage basse et sablonneuse, présente un aspect d’ordinaire assez lugubre. Le regard, attiré par la rade sillonnée de nombreuses guadañas[10] aux voiles blanches, se détourne avec tristesse de la ville, sur laquelle plane sans cesse la mortelle influence du vomito, représentée par des essaims de vautours noirs, hôtes habituels des rues désertes de Vera-Cruz. Le 9 mars 1847 au matin, un seul bâtiment était à l’ancre dans la rade : c’était un paquebot à vapeur anglais ; dans le lointain, près de l’île des Sacrifices, la mâture et le gréement de quelques navires tranchaient sur le fond bleu du ciel. C’étaient les deux bricks français le Pylade et le Mercure, les navires espagnols Luisa Fernanda et Nervoin, et le brick anglais Daring, spectateurs de la lutte qui allait s’engager. Plus loin encore, on devinait plutôt qu’on ne voyait les mâts serrés des navires américains mouillés à San-Anton Lizardo, et qui n’attendaient qu’un signal pour entrer en lice.

Vers le milieu du jour, la scène changea : le tambour se fit entendre dans la ville et dans le château, les terrasses et les plates-formes se couvrirent d’une foule agitée ; le bateau à vapeur anglais se préparait à lever l’ancre ; sur le pont du paquebot, d’élégans touristes, des femmes surtout, l’ombrelle et la lorgnette à la main, attendaient avec impatience le combat, qui leur promettait un de ces spectacles exceptionnels si recherchés par la nation anglaise. Les mâts éloignés des navires américains se couvraient de toile et s’avançaient lentement, sous la brise du matin, dans la direction de l’île des Sacrifices. A deux heures, l’escadre de débarquement jetait l’ancre près de cette île. Sept bâtimens de guerre, frégates, bricks à vapeur et à voiles, sur deux desquels étaient arborés les drapeaux du général Scott et du général Worth, commandant les troupes de débarquement, composaient l’escadre de siège. Le mouillage n’était pas encore terminé, quand un coup de canon, parti du vaisseau amiral le Massachussett, donna le signal de l’attaque. Une nombreuse flottille d’embarcations couvrit bientôt la mer. En ce moment, le steamer anglais alla rejoindre, près de l’île des Sacrifices, les bâtimens anglais, français et espagnols, condamnés à rester spectateurs de l’action. Une demi-heure s’était à peine passée, et déjà le drapeau américain flottait sur une hauteur voisine du rivage, entouré d’un régiment qui rendait les honneurs militaires au pavillon étoilé. Deux autres collines venaient d’être pavoisées comme la première, quand la nuit vint interrompre le débarquement. Le lendemain, le littoral de Vera Cruz se couvrit encore de soldats que transportaient incessamment les embarcations des navires à l’ancre. A neuf heures, un parti de cavalerie mexicaine, protégé par les canons de la ville, battait la plaine autour des collines occupées par les Américains, et les équipages des vaisseaux mouillés en rade purent voir bientôt ce parti, coupé dans ses communications, disparaître au loin sans pouvoir rentrer dans la ville.

Le 13, l’investissement de Vera-Cruz était complet. L’aile droite américaine s’était établie sur le côté sud, l’aile gauche sur le côté nord, à environ douze cents mètres des murs de la ville, si on doit appeler mur une simple muraille d’octroi à moitié enterrée, dans beaucoup d’endroits, sous le sable amoncelé par les vents du nord. Le général Scott commandait l’une des ailes, le général Worth commandait l’autre, et le commodore Perry l’escadre d’opérations.

Le 15, tout était préparé pour ouvrir le feu sur la ville et le château, quand un vent du nord s’éleva avec assez d’impétuosité pour retarder le commencement des hostilités. Les troupes américaines eurent, pendant trois jours, beaucoup à souffrir. Le vent du nord soulevait sur la plage des tourbillons d’un sable fin qui aveuglait les soldats. Ce ne fut que le 18, dans l’après-midi, que le vent s’apaisa, et que la tranchée fut ouverte la nuit à la lueur des torches. Le 19 au matin, les batteries de terre commencèrent la canonnade. Presque en même temps, les steamers Spitfire, Vixen, les schooners Bonita, Petrel, Reefer, Tampico, Falcon, sous les ordres du capitaine Tatnall, vinrent s’embosser près de la ville, et à un quart de mille du château de San-Juan d’Ulùa. Ainsi postés, ces bâtimens lancèrent toute la journée un feu de bombes assez actif contre Vera-Cruz et San-Juan d’Ulùa ; puis, à la nuit tombante, ils reprirent la position qu’ils avaient au matin. Le lendemain, la canonnade fut comme la veille nourrie à la fois par les batteries de terre et par l’escadre. Les hostilités continuèrent ainsi jusqu’au 22, sans que les canons du fort, mal servis et mal pointés, pussent endommager beaucoup la flottille américaine. Vera-Cruz, au contraire, souffrait beaucoup du bombardement ; la ville se trouvait prise, pour ainsi dire, entre deux feux. Le général Morales, gouverneur de la ville et du fort, menaçait les habitans et la garnison de faire tirer sur eux par la forteresse, au cas où ils prêteraient l’oreille aux sommations de l’ennemi. La ville de Vera-Cruz continuait donc à mériter d’assez mauvaise grace l’épithète d’héroïque que la nation lui avait jadis décernée.

Cependant, le 22, à deux heures, un officier américain, le capitaine Johnson, s’avança en parlementaire, un drapeau blanc à la main et suivi d’un trompette. Arrivé près de la muraille d’enceinte, il déploya son drapeau, et des officiers mexicains vinrent à sa rencontre. Le parlementaire américain remit à l’officier de service une lettre pour le gouverneur. En attendant le retour de cet officier, le capitaine Johnson étendit son drapeau sur le sable, il s’assit dessus, et invita les officiers ennemis à en faire autant. Une causerie amicale s’engagea, pendant laquelle le parlementaire essaya de pressentir l’accueil que réservait le général Morales à la lettre dont il était porteur. Un aveu confidentiel fait par un des officiers mexicains lui laissa peu d’espoir ; le général Morales n’avait, au dire de l’officier, que le plus vif désir de voir les Américains pendus jusqu’au dernier. Quelques minutes après, le capitaine Johnson recevait la réponse du gouverneur : celui-ci refusait, en effet, toute espèce de proposition d’arrangement et promettait de tenir bon tant qu’il lui resterait une cartouche et un soldat pour pointer un canon.

Le brave général Morales aurait tenu promesse, mais un mystérieux événement ne lui permit pas de réaliser son projet de résistance héroïque. Pendant quatre longs jours encore, du 22 au 26, le canon américain ouvrit de larges brèches dans la muraille d’enceinte et balaya les rues ; les bombes et les obus amoncelèrent les ruines dans Vera-Cruz. Le 26, le bruit de la mort du général Morales se répandit[11], le général Landero le remplaça et fit parvenir des propositions de paix aux commandans américains. Le 27, les bases d’un arrangement furent posées ; le 29, Vera-Cruz ouvrit ses portes, le fort se rendit, et quatre mille hommes, qui composaient les deux garnisons, mirent bas les armes en présence de l’armée ennemie. Une immense acclamation partie de la flotte et de l’armée américaine accueillit le pavillon étoilé qui alla triomphalement remplacer le drapeau tricolore mexicain. Pour les Américains en effet la prise de Vera-Cruz était comme l’investiture des états envahis : c’était la consécration du droit de la force. On pouvait dire que dès ce moment de nouvelles étoiles venaient d’être ajoutées au pavillon de l’Union. Ainsi sous les yeux de l’Europe, représentée par ses vaisseaux, commençait à s’accomplir ce toast ambitieux que porte chaque jour le démocrate américain, ivre de grog, et d’orgueil national : May the stars bespangling our flag, se increase, that there may bu ne room any longer for stripes[12] !

VII.

La prise de Vera-Cruz marque le commencement d’une nouvelle période dans la guerre étrange dont nous venons de retracer les principaux incidens. Déjà, dans trois actions capitales, à Palo-Alto, à Monterey, à Buena-Vista, les Mexicains avaient éprouvé des échecs trop significatifs pour que l’issue de la guerre restât désormais douteuse. Cependant ce n’était pas assez d’avoir pu occuper militairement les plus riches provinces du Mexique, ce n’était pas assez d’avoir remporté des victoires éclatantes : il fallait diriger les opérations vers un but précis, resserrer le plus possible le cercle formé autour du gouvernement mexicain. Rien, en effet, ne serait fini, tant qu’il resterait à ce gouvernement une voie pour s’échapper, une place pour se débattre. Il fallait donc marcher sur Mexico ; il fallait porter la terreur dans la capitale de la république pour arracher aux chefs d’un état placé près de sa ruine les concessions qui devaient terminer la guerre. Tandis que dans les provinces déjà occupées on continuait d’appliquer le système suivi par Taylor, en menant de front les opérations militaires et la colonisation, une nouvelle tactique allait être essayée dans la partie du Mexique comprise entre Vera-Cruz et Mexico. Il y avait là, non point une entreprise de colonisation à préparer, mais une courte et décisive campagne à faire. Il s’agissait d’arriver le plus promptement possible à Mexico. C’était au général Scott qu’appartenait le soin de diriger cette nouvelle série d’opérations. La campagne qu’il a commencée n’est pas terminée encore ; déjà cependant il est permis d’en présager l’issue. Le récit du combat où une dernière fois l’armée de Santa-Anna et l’armée américaine se sont trouvées en présence va le prouver.

A peine entrés à Vera-Cruz, les Américains durent se mettre en mesure de continuer la marche périlleuse dont cette ville marquait la première étape. Vera-Cruz est une conquête qu’il est impossible de garder long-temps. Bien qu’habituellement le vòmito ou fièvre jaune ne sévisse qu’au commencement de la saison des pluies, c’est-à-dire en juin, il suffit de la présence d’un grand nombre d’étrangers pour hâter l’apparition du fléau. Or, vingt mille hommes campaient tant dans les églises de Vera-Cruz qu’autour de la ville. Ces soldats avaient passé brusquement des fatigues du siège à une vie presque inactive. Ils mangeaient, buvaient avec excès, et de longues promenades datas les rues de la cité conquise remplissaient les heures qu’ils ne donnaient pas aux plaisirs de la table. On comprend que bientôt les hôpitaux furent encombrés de malades. Les bulletins sanitaires avaient, il est vrai, caché le nom du fléau ; mais les ravages qu’il causait le faisaient assez reconnaître. Aussi l’armée américaine reçut-elle avec la plus vive satisfaction l’ordre d’aller chercher sur la route de Mexico un ennemi moins dangereux que la fièvre jaune. C’est le 16 avril dernier que cet ordre lui fut donné ; dix-huit jours s’étaient écoulés depuis la prise de Vera-Cruz.

A mesure qu’on s’éloigne de Vera-Cruz, à mesure qu’on s’élève au-dessus du niveau de la mer, on sent peu à peu la fraîche atmosphère des climats tempérés succéder aux ardeurs d’un ciel presque aussi brûlant que celui de l’Afrique. Le voyageur qui gravit de ce côté le versant du plateau mexicain est à chaque pas arrêté par les aspects variés d’une nature imposante et magnifique. Ces paysages si enchanteurs pour le touriste cachent aussi, il faut bien le dire, plus d’un défilé menaçant pour une armée en marche. Les Américains savaient qu’un de ces défilés réputé très dangereux, le Puente-National, avait été abandonné par l’ennemi. Les Mexicains avaient concentré tous leurs moyens de défense sur un passage plus périlleux encore, le Cerro-Gordo (la grande montagne). Ce passage, plus éloigné de Vera-Cruz que le Puente-Nacional, est à douze lieues de cette ville, entre Plan del Rio[13] et la venta de Lencero[14]. C’est sur ce point qu’allait se jouer une dernière fois la fortune du pays. La route gigantesque qu’ont ouverte les Espagnols de Vera-Cruz à Mexico traverse en cet endroit une gorge profonde. A gauche, elle longe deux montagnes hautes chacune de quatre cents pieds et séparées par un précipice ; à droite, elle est resserrée par trois autres montagnes de hauteur à peu près égale et qui dessinent comme un triangle sur le chemin. Celle des trois qui empiète le plus sur la route et qui est aussi la plus élevée se nomme le Cerro-Gordo. Ces hauteurs, tant à gauche qu’à droite, sont presque à pic, et on ne pourrait les gravir, si une végétation luxuriante n’en facilitait les abords. Il est impossible d’éviter ce défilé en tournant l’un ou l’autre groupe de cerros. D’un côté coule une rivière encaissée par d’autres montagnes ; de l’autre s’étendent de profonds précipices. L’armée américaine qui se dirigeait vers Mexico était donc forcée de s’engager dans cette gorge formidable, et c’est là que Santa-Anna résolut de l’attendre.

Le général avait de nouveau quitté Mexico, où sa présence autant que l’impression produite par les événemens de Vera-Cruz avaient mis fin aux luttes civiles. Il avait réuni sous son commandement toutes les forces militaires de la république, et semblait décidé à vaincre ou à succomber héroïquement sur les hauteurs de Cerro-Gordo. Les dispositions prises pour fortifier ces nouvelles Thermopyles faisaient honneur à son intelligence. Le Cerro-Gordo et les deux montagnes entre lesquelles il s’élève étaient couronnés de redoutes défendues par des canons. Sur les hauteurs qui font face aux trois cerros, Santa-Anna avait établi son quartier-général. Ce quartier, que l’escarpement des collines rendait presque imprenable, était protégé en outre par une palissade de troncs d’arbres. Derrière cette solide muraille, qui mettait l’infanterie mexicaine à l’abri des riflemen américains, on pouvait en toute sécurité nourrir un feu meurtrier contre les assaillans. Enfin, sur la route même, on avait ouvert une large tranchée qui interceptait le passage ; cinq pièces de canon et deux mille hommes, commandés par le général don Romulo Diaz de la Vega, défendaient cette tranchée. En un mot, douze mille hommes, postés tant sur les hauteurs que sur la route, attendaient là un nombre à peu près égal d’Américains. Cette fois les Mexicains ne pourraient plus invoquer le désavantage de la position comme une excuse à leur défaite. Des souvenirs faits pour enflammer leur courage s’attachaient d’ailleurs à ce cerro, près duquel Santa-Anna, jeune encore, avait mis en déroute un corps nombreux d’Espagnols et inauguré en quelque sorte sa carrière militaire. Sur les lieux déjà témoins d’une de ses victoires, Santa-Anna retrouvait tout son prestige aux yeux du soldat ; les Mexicains se rappelaient les premiers triomphes de leur général, ils oubliaient ses défaites récentes, ils oubliaient même que, par un choix de triste augure, Santa-Anna venait d’appeler Ampudia, l’homme qui avait signé la capitulation de Monterey, à remplir près de lui les fonctions de commandant en second.

Le 17 avril, dans l’après-midi, l’avant-garde américaine, sous les ordres du général Twiggs, arriva à l’entrée du redoutable défilé. L’arrière-garde, commandée par le général Scott, et qui n’était séparée de la tête de l’armée que par quelques heures de marche, fit diligence pour la rejoindre. Après avoir fait exécuter quelques reconnaissances, les généraux américains furent convaincus de l’inutilité de toute tentative pour tourner les cerros. Il fallait donc à tout prix emporter les positions mexicaines ; mais laquelle prendre d’abord ? Attaquer le camp établi sur la gauche de la route, c’était s’exposer à une destruction totale ; se tourner vers la droite, c’était s’offrir au feu du Cerro Gordo. Le général Scott prit un moyen terme ; il ordonna à ses troupes d’appuyer sur la gauche, sans attaquer le camp mexicain, et de façon à échapper au feu du cerro. Cette manœuvre fut dénoncée aux Mexicains par un déserteur américain, et le général Vega se mit en mesure de la déjouer. Le général Scott, voyant l’attitude que prenait Vega, comprit qu’il était nécessaire d’occuper un des cerros pour faciliter les mouvemens de son armée ; il lança la division du général Twiggs contre celle des hauteurs contiguës au Cerro-Gordo qui lui parut la moins bien défendue. Le colonel Harney, surnommé par ses compatriotes le Bayard américain, fut chargé de cette opération. A la tête d’un corps de riflemen, d’un détachement d’infanterie et d’artillerie, Harney ne tarda pas à atteindre le sommet du cerro ; mais, une fois là, le plus difficile restait à faire : il fallait emporter cette position sous le feu croisé des deux hauteurs voisines. Cet avantage fut chèrement acheté. Un canon de gros calibre qu’on parvint à hisser sur le cerro vers minuit permit enfin aux soldats de Harney de répondre à l’artillerie qui les décimait, et les Mexicains renoncèrent à disputer plus long-temps la position qui venait de leur être arrachée. Bientôt un silence complet succéda au bruit de la canonnade. Les Américains en avaient assez fait pour ce jour-là. Les deux armées passèrent la nuit dans une égale inaction.

Le lendemain 18, le général Twiggs reçut l’ordre d’abandonner la position que Harney avait emportée la veille pour attaquer une colline d’un accès plus difficile encore, celle même qui avait donné son nom au passage, le Cerro-Gordo. La tâche d’occuper le dernier des trois cerros qui s’élevaient à la droite de la route fut confiée au général Worth. Le général Shields eut pour mission d’emporter la tranchée défendue par don Romulo de la Vega. Enfin le général Pillow, commandant la quatrième brigade américaine, devait chasser l’ennemi des autres collines qu’il occupait. Le plan de la bataille comprenait ainsi quatre opérations qui devaient être exécutées simultanément.

C’était au général Twiggs, un des vétérans de l’armée américaine, qu’avait été dévolue la plus périlleuse de ces quatre opérations, l’attaque du Cerro-Gordo. Si la pente du cerro, très rapide et tapissée d’épaisses broussailles, n’avait pas été à l’abri du feu des canons, il eût fallu s’attendre, en la gravissant, à une destruction complète. Cependant, à défaut du canon, la mousqueterie pouvait faire de grands ravages dans les rangs des Américains. La nature du terrain inégal et crevassé secondait merveilleusement les efforts des tirailleurs ennemis. Le colonel Harney fut encore chargé de conduire les Américains au feu, et ce fut à leur tête que, sans blessure aucune, malgré sa taille gigantesque, il arriva sur le plateau. Une résistance vigoureuse accueillit Harney et les soldats qu’il avait entraînés par son exemple. Les canonniers mexicains se firent tuer sur les pièces qu’ils n’avaient pas eu le temps de décharger. On se battit comme à l’abordage, c’est-à-dire le couteau et le sabre en main. Officiers et soldats luttaient pêle-mêle et tombaient confondus. Le général mexicain Vasquez fut tué, un grand nombre de ses soldats moururent comme lui à leur poste ; le reste se lança sur un des talus les moins rapides du cerro, et battit en retraite du côté de la route. Les Américains, maîtres des batteries ennemies dont les pièces étaient bourrées jusqu’à la gueule avec cette brutalité de charge particulière aux Mexicains, tournèrent ces canons contre les fuyards, et bientôt le glacis fut jonché de morts.

Les trois autres opérations confiées à Worth, à Shields, à Pillow, ne furent pas toutes conduites avec le même bonheur. Le général Worth, après avoir franchi à la tête de sa brigade les obstacles de terrain qui protégeaient la gauche de l’ennemi, somma de se rendre les défenseurs de la redoute élevée sur la hauteur voisine du Cerro-Gordo. Cette sommation coïncidant avec l’occupation de ce dernier cerro par Twiggs, le général Pinzon jugea prudent d’obtempérer à l’injonction de Worth. — Le général Shields, chargé d’emporter la batterie de Vega, fut accueilli par un feu meurtrier, et tomba lui-même à la tête de sa division. Sans la prise du Cerro-Gordo, qui décida Vega et les siens à déposer les armes, la perte des Américains eût été beaucoup plus considérable. — Enfin la brigade du général Pillow fut plus maltraitée encore que celle de Shields. Une batterie mexicaine, subitement démasquée, emporta presque tout un régiment. Après avoir battu en retraite, Pillow allait tenter une nouvelle attaque, quand le succès des trois autres opérations vint le dispenser de ce périlleux effort. Les Mexicains, vaincus sur tous les autres points, mirent bas les armes devant Pillow, comme devant Shields, Worth et Twiggs. Dès-lors la bataille était terminée, une victoire complète ouvrait aux Américains la route de Mexico.

Outre ce résultat capital, la journée du Cerro-Gordo livrait au général Scott six mille prisonniers, parmi lesquels les meilleurs officiers de l’armée mexicaine, une trentaine de pièces de canon de la fonderie royale de Séville, une somme de 22,000 piastres (910,000 francs) trouvée dans les bagages de Santa-Anna. Quant à Santa-Anna lui-même, on s’étonnera que nous n’ayons pas eu à le nommer dans le récit de cette chaude affaire. Il faut bien dire que Santa-Anna avait quitté le champ de bataille dès le commencement de l’action. Quant à Ampudia, son lieutenant, dès que la prise du Cerro-Gordo fut connue, on le vit s’élancer sur un vigoureux coureur dans la direction de Jalapa avec une telle rapidité, qu’il perdit son chapeau emporté par le vent. On se jeta, mais trop tard, à la poursuite de Santa-Anna. Les six mille prisonniers mexicains étaient un embarras plutôt qu’un avantage pour le général Scott. Ils furent relâchés sur parole, à l’exception du général Vega, qui sollicita comme une faveur la permission de rester prisonnier des Américains. Il se rappelait sans doute la disparition mystérieuse du général Morales après la défense de Vera-Cruz, et trouvait sa vie plus en sûreté sous la tente du général Scott que dans les murs de Mexico.

A partir de cette bataille, il faut renoncer à donner un aperçu détaillé d’opérations dont le dénoûment est trop prévu ; il faut se borner à préciser la position nouvelle faite par cette victoire au pays envahi comme à l’armée conquérante. Après la journée du Cerro-Gordo, la seule guerre encore possible entre les États-Unis et le Mexique est la guerre de guerrillas. Désormais il n’y a plus, pour ainsi dire, deux armées aux prises : il y a d’une part des troupes victorieuses qui s’avancent de ville en ville sans rencontrer sur leur route aucun obstacle sérieux[15] ; il y a de l’autre, un grand pays en dissolution, un gouvernement sans stabilité, sans influence, un général dont quelques brillans souvenirs faisaient toute la force, et qui a perdu ce dernier prestige.

Une nationalité qui s’éteint, un peuple qui succombe dans la défense de ses libertés, c’est toujours un douloureux spectacle. Certes, la nation mexicaine n’a pas montré, en présence du danger, les vertus auxquelles on reconnaît les grands peuples ; n’a-t-elle pour cela aucun droit à notre sympathie ? C’est aux chefs de cette nation surtout qu’il faut demander compte de la triste issue de la guerre. Placés à la tête d’une société qui attendait son salut d’une direction ferme et intelligente, qu’ont-ils fait des élémens de force qui leur étaient confiés ? Cinq généraux mexicains ont tenu entre leurs mains le sort de leur pays : Arista, dès le début de la guerre, à Matamoros, à Palo-Alto et à la Resaca ; Requena et Ampudia, à Monterey ; Santa-Anna, à Angostura et au Cerro-Gordo ; Morales, à Vera-Cruz. La disparition mystérieuse de ce dernier, son attitude pendant toute la durée du siège de VeraCruz, écartent de lui toute idée de lâcheté ou de trahison. La conduite équivoque d’Ampudia et de Requena à Matamoros, leur pusillanimité à Monterey, ne laissent rien à ajouter sur ces deux officiers. Restent donc Arista et Santa-Anna. Sur l’un et l’autre de ces généraux planent les soupçons les plus graves, qu’il n’est pas permis de passer sous silence, si on doit les accueillir avec réserve. Que penser, en effet, de la courte campagne dirigée par Arista, campagne si tristement signalée par le passage du gué de San-Rafaël, si tristement finie par les journées de Palo-Alto et de la Resaca ? Comment expliquer aussi l’inaction prolongée de Santa-Anna, ces échecs successifs qui accusent en lui la plus déplorable ignorance des lois de la stratégie ? La trahison aurait-elle eu pour le Mexique des conséquences plus désastreuses que celles-ci : en moins de deux mois (du 23 février au 18 avril 1847), trente mille hommes tués ou dispersés, le chemin de la capitale ouvert et aplani devant les envahisseurs ! Qu’il faille s’en prendre de ces immenses revers à l’impéritie ou à d’incroyables machinations, on ne peut méconnaître ici l’intervention d’un mauvais génie qui dissipe en des opérations sans but, en des luttes stériles, toutes les richesses, toutes les forces vives du pays. Comment formuler toutefois un jugement sur un homme dont la vie n’est qu’une suite de contradictions et d’inexplicables caprices ? Devant le peuple qui accuse de trahison le vaincu d’Angostura et de Cerro-Gordo, devant le congrès qui s’obstine à voir en lui le sauveur de la république, devant l’armée toujours dispersée sous lui, toujours fascinée par un prestige que rien ne justifie, on comprend que l’opinion hésite ; on se refuse également à formuler une accusation accablante et à s’attendrir sur une gloire déchue. Triste alternative pour une nation malheureuse, qui n’a jusqu’ici trouvé parmi ses enfans ni un bras assez fidèle ou assez fort pour l’étayer, ni au dehors une voix pour la plaindre !

Les Américains ne sont plus qu’à quelques lieues de Mexico. Tout sera-t-il fini avec le traité qu’ils dicteront au gouvernement qui siége aujourd’hui dans la capitale de la république ? Si même, comme on n’en peut douter, les provinces convoitées par l’Union américaine tombent entre les mains des Yankee, la période d’installation ne sera-t-elle pas pour eux, aussi sanglante, aussi désastreuse que la période de conquête ? Quoi qu’il en soit, les avantages entrevus par l’Union sont assez grands pour lui faire supporter patiemment de nouveaux sacrifices. Le vaste territoire qu’elle aura payé d’un peu d’or et de sang sera tôt ou tard incorporé à cette puissante république, qui tient aujourd’hui dans ses mains les destinées d’une partie du Nouveau-Monde. Sans nous égarer dans d’inutiles hypothèses sur les phases nouvelles où peut entrer la lutte engagée entre les États-Unis et le Mexique, nous ne nous attacherons qu’aux faits qui ressortent avec évidence de ce récit. Les projets des Américains, tels qu’ils se révèlent par leur plan de campagne, menacent-ils les intérêts de l’Europe ? Y a-t-il encore dans la nation mexicaine des élémens d’ordre et de stabilité dont on puisse profiter pour faire obstacle à ces projets ? Telle est la double question à laquelle la marche des faits conduit naturellement.

Il ne faut ni diminuer, ni exagérer les prétentions que les Américains soutiennent en ce moment les armes à la main. Ne voir dans la guerre actuelle que la conséquence du différend sur les limites du Texas, ce serait assigner un horizon bien étroit à l’ambition américaine ; supposer, aux États-Unis l’intention de conquérir tout le Mexique, ce serait élargir outre mesure, nous le croyons, le cercle où s’agite maintenant cette ambition. A notre avis, il ne s’agit aujourd’hui pour les Américains ni de résoudre une question de droit, ce qui n’eût entraîné à la rigueur que l’occupation du territoire en litige, ni de terminer une conquête qui leur serait présentement plus onéreuse qu’utile. Dans l’immense proie que la fortune de la guerre a déjà pour ainsi dire jetée entre leurs mains, ils ont d’avance marqué et limité leur part. S’ils arborent sur leur drapeau cette devise superbe : Jusqu’au palais de Montézuma, ce n’est que pour donner le change sur leurs véritables projets par une audacieuse promenade militaire. La guerre s’est divisée pour l’Union américaine en deux opérations : — occupation d’un immense croissant appuyé à l’est sur Tampico, à l’ouest sur Monterey et le port de San-Francisco de Californie (le plus beau port du monde connu), et embrassant dans son parcours 24 degrés de longitude ; — marche sur Mexico destinée à obtenir pour cette occupation accomplie de fait la consécration d’un traité. Si l’on se rappelle l’attitude des généraux américains durant la première période de la guerre, on ne gardera aucun doute sur cette double intention des vainqueurs du Mexique. Le général Taylor se posait en libérateur et en colonisateur plus encore qu’en chef d’armée. On cherchait par les insinuations de la presse à propager dans les populations des sympathies, des principes favorables à la cause de l’Union américaine. On éparpillait les troupes de l’armée d’occupation, on habituait par six mois de temporisation les habitans du pays envahi à la vue d’une armée étrangère, et, si l’on désobéissait ainsi aux préceptes les plus élémentaires de la stratégie, on suivait avec une fidélité rigoureuse les principes de toute bonne colonisation. Cette première partie de la guerre, pendant laquelle l’attitude des armées de l’Union parut une énigme à l’Europe, était plus importante en réalité pour l’ambition américaine que la campagne de Mexico.

Les provinces où les armées des États-Unis ont si prudemment frayé la voie à leurs colons se sont trouvées aussitôt peuplées que conquises. Il faut d’avance accepter comme un fait accompli l’installation des Américains dans l’état de Chihuahua, si riche en mines de cuivre ; dans l’état de Sonora, que recommandent ses nombreux placeras et ses mines d’or ; dans les Californies, et, par suite, dans les districts miniers de Zacatécas, de Durango, de Bolanos, source inépuisable de ces métaux précieux qui donnent à l’Europe le mouvement et la vie. Maîtresse absolue de ces mines, l’Amérique tiendra donc entre ses mains les rênes du crédit européen ; l’Amérique en confisquera tous les revenus à son profit, et remplacera par des richesses métalliques le papier-monnaie, auquel l’Europe pourrait bien alors être réduite. L’annexion du Texas n’a été que le prélude de cette gigantesque conquête, sur la portée de laquelle on s’est trop long-temps mépris. L’Angleterre seule lest alarmée sur l’avenir de son commerce d’exportation au Mexique, sur la destinée de soixante-cinq établissemens miniers dans lesquels elle a versé 10 millions de livres sterling, enfin sur la dette mexicaine, dont le capital dépasse ce dernier chiffre. La France est restée spectatrice presque indifférente de cette grande entreprise. En présence de la nouvelle situation qui va se produire, en présence du Mexique démembré, de l’Union américaine démesurément agrandie, il serait oiseux d’insister sur ce qu’on n’a pas fait ; mais ne reste-t-il rien à faire ?

Si le Mexique, dépouillé de ses plus riches provinces, devait renoncer à tout espoir de régénération sociale, assurément tout serait dit, et l’asservissement vaudrait encore mieux pour lui que l’anarchie ; mais la question ne se pose pas en des termes aussi simples. Au milieu de la désorganisation croissante de la société mexicaine, tous les symptômes de vitalité n’ont pas encore disparu. L’existence d’un parti qui appelle de tous ses vœux l’affermissement du pouvoir, dût-il l’acheter par un changement complet de régime, est un symptôme dont il faut tenir compte. Après la mort d’Iturbide, le parti monarchique avait dû dissimuler ses tendances ; il s’était rallié aux centralistes, mais sans perdre l’espoir d’en venir un jour à ses fins. Les épreuves qu’a traversées la république depuis trois ans ont amené ce parti à formuler plus clairement ses espérances. Le temps n’est plus où il suffisait du mot de royauté pour exciter les murmures du peuple et l’indignation du sénat, où une profession de foi monarchique entraînait l’exil pour les meilleurs et les plus dignes citoyens[16]. Déjà, en 1844, le pronunciamiento de Paredes, qui amena la chute et l’exil de Santa-Anna, donna une attitude plus ferme et ouvrit une voie nouvelle au parti monarchique. Environ un an après, sous la présidence du général Herrera, qui avait succédé au dictateur, ce parti crut le moment arrivé d’agir plus ouvertement Paredes lui prêta de nouveau son appui et prit la place d’Herrera. Dans le manifeste publié lors de son avénement, le nouveau président exposa ses opinions avec une courageuse franchise : « Nous ne sommes pas venu, disait-il, faire une révolution de personnes ; nous aspirons à un résultat plus noble et plus fécond : il ne s’agit pas d’usurper une présidence, de former de nouvelles chambres, il faut que la nation, sans crainte d’une minorité turbulente, se constitue suivant sa volonté, et oppose une barrière à la dissolution sociale qui la menace de tous côtés. La nation, fatiguée d’éternelles dissensions, a un besoin impérieux de garanties d’ordre et de stabilité. » C’était tout ce qu’un général républicain pouvait dire à une nation républicaine. Une feuille créée pour servir d’organe au parti monarchique, le Tiempo, compléta les paroles du président et prêcha ouvertement la nouvelle religion politique. Malheureusement les États-Unis, en envahissant le Mexique, précipitèrent de nouveau ce pays dans une phase d’anarchie qui fut propice à l’ambition de Santa-Anna. Le parti monarchique dut rentrer dans l’ombre, et les élémens qui le composaient furent disséminés.

On a lieu de s’étonner que, depuis l’ouverture des hostilités entre le Mexique et les États-Unis, aucune tentative d’intervention sérieuse dans les affaires du pays n’ait signalé à l’Europe l’existence du parti monarchique. Une invasion protestante, une invasion déterminée en partie par les vues intéressées d’une nation industrielle et commerçante, ne devait pas, ce nous semble, trouver tant d’indifférence dans le clergé, dans les riches propriétaires qui désirent l’établissement d’une monarchie mexicaine. Depuis un an, il faut bien le dire, nous cherchons en vain au Mexique un parti qui ait à la fois l’intelligence des intérêts du pays et l’énergie, le courage que ces intérêts réclament. En admettant toutefois que le parti monarchique pût prendre quelque jour au Mexique une réelle autorité, conviendrait-il de s’associer à toutes ses espérances ? Nous l’avouerons, ce qui nous frappe dans les vœux de ce parti, c’est moins le but que les sympathies pour l’Europe dont ces vœux sont le témoignage. Les maux qu’on voudrait guérir ne doivent pas tous être imputés à un mauvais système de gouvernement. Le plus grand tort du Mexique, ce qui a fait surtout sa faiblesse jusqu’à ce jour, c’est d’avoir trop compté sur lui-même, d’avoir écarté les étrangers avec un aveugle acharnement, au lieu de les accueillir avec reconnaissance. Il est cruellement puni aujourd’hui de cette folle présomption. Saura-t-il profiter d’une si sévère leçon ? Vis-à-vis de l’Europe, vis-à-vis de la France surtout, il s’est montré trop souvent animé d’une haine intraitable. On aimerait à croire que l’issue de la guerre actuelle déterminera dans la partie éclairée de la nation mexicaine un retour à de plus nobles, à de plus saines tendances. Selon nous, ce n’est pas du triomphe d’un parti que dépend l’avenir du Mexique ; c’est d’une révolution plus profonde qui se ferait, non pas dans les principes, mais dans les mœurs. Au lieu d’employer tous ses efforts à repousser l’influence européenne, le Mexique devrait désormais en favoriser avec empressement les progrès. L’étude de nos institutions, de nos idées, voilà ce qui pourrait relever cette nation abattue, en resserrant des liens trop long-temps relâchés entre elle et l’Europe.

Quant à l’Europe, son désir doit être aussi de renouer ces liens. On ne peut aujourd’hui suivre sans inquiétude les progrès incessans de l’Amérique du Nord. Si les nationalités voisines de l’Union devaient disparaître, nos intérêts ne recevraient-ils point, par cela même, une grave et fâcheuse atteinte ? Depuis plus d’un an, le chiffre de nos exportations au Mexique est déjà diminué des trois quarts, et ce n’est pas au moment où la ligne des paquebots transatlantiques vient d’être organisée, qu’il sied à la France de se montrer indifférente aux futures destinées du Nouveau-Monde. On connaît l’esprit envahisseur qui distingue la race américaine. L’influence d’un climat énervant a respecté cette race privilégiée, tandis qu’elle frappait autour d’elle jusqu’aux Canadiens et leur enlevait, avec l’énergie et la vivacité de l’esprit normand, toutes les traces de leur origine. En ce moment encore, les péripéties militaires de la campagne des États-Unis au Mexique montrent combien peu la race espagnole, livrée à elle-même, est en mesure d’opposer une résistance sérieuse à la race anglo-saxonne. C’est à corriger ce défaut d’équilibre entre les races du Nouveau-Monde que pourrait être utilement appliquée, nous le croyons, la sollicitude de l’Europe. Encourager les jeunes nationalités de l’Amérique, les aider dans leurs efforts pour s’affermir et s’élever à une existence indépendante, c’est un rôle que les puissances de l’ancien continent ont su déjà remplir avec éclat, et qu’il leur appartient aujourd’hui de reprendre. Plus l’audacieuse activité des États-Unis mérite notre admiration, plus aussi elle nous impose de sollicitude et de prévoyance. Moins que jamais, en présence de la guerre du Mexique, il est permis à l’Europe d’oublier qu’elle a dans le Nouveau-Monde, entre un état qui grandit chaque jour et de malheureuses sociétés livrées à une anarchie sans cesse croissante, des intérêts à protéger, des principes à défendre, une influence précieuse à maintenir.


GABRIEL FERRY.

  1. Si l’on considère que les mines du Mexique ont produit, depuis la mise en exploitation par les Espagnols, quatorze milliards huit cent treize millions, on comprend de quelle importance est pour l’Europe ce pays si exceptionnellement riche en matières précieuses.
  2. Matamoros est en réalité dans l’état de Tamaulipas.
  3. Taylor veut dire tailleur, et le mot de castre est pour le Mexicain une épithète d’un mépris écrasant.
  4. Nous avons dû abréger beaucoup l’historique de ces préliminaires, longuement racontés dans un ouvrage intitulé : Campaña contra los Americanos del Norte. – 1re Parte, Relation històrica de loi 40 dias que mandé en gefe el general Arista (Campagne contre les Américains du nord. — Relation historique des quarante jours pendant lesquels commanda en chef le général Arista). Mexico, juin 1846. — L’officier témoin oculaire et auteur de cet ouvrage n’hésite pas à attribuer à la trahison l’inexplicable manœuvre du gué de San-Rafaël.
  5. La vara équivaut à peu près à un mètre.
  6. Parmi les crimes commis par les bandes de Faustino Villalva et de Miguel Salgado, les plus atroces sont les affreux supplices infligés à deux malheureux qui, saisis par les brigands, furent d’abord victimes d’une mutilation sans nom, puis pendus par les pieds. Dans cet état, on leur arracha la peau depuis la gorge jusqu’aux mâchoires, puis on leur trancha la tête. On peut consulter à ce sujet le Diario del gobierno de la republica mexicana, journal officiel du gouvernement mexicain, 2 août 1846.
  7. Diario del Gobierno de la republica mexicana, 30 septembre 1846.
  8. Saltillo, ville à vingt-cinq lieues de Monterey, était le point de ralliement indiqua par Ampudia à ses troupes en cas de retraite. De là on devait se diriger sur le quartier, général de San-Luis Potosi, où Santa-Aura allait arriver.
  9. Old rough and ready mot à mot « le vieux brutal et prompt. » Nous ne savons trop par quelle expression soldatesque rendre ce surnom en français.
  10. Petites embarcations à voiles latines en forme de faux, d’où leur vient le nom de guadaña (faux).
  11. J’extrais textuellement ce passage d’une lettre datée de Mexico, 31 mars, écrite par un homme assez haut placé pour être initié aux secrets du gouvernement mexicain « Hier soir il est arrivé un courrier extraordinaire de Vera-Cruz, apportant la nouvelle de la prise de cette ville et de la mort du général Morales, qui la commandait. On parle diversement de cette mort. Les uns l’attribuent à un accès de colère, les autres à une bombe, d’autres disent qu’on l’a empoisonné. La garnison a été livrée aussitôt à une épouvantable démoralisation, et Laudero, qui a remplacé Morales, a fait une capitulation honteuse. » Que penser maintenant des rapports contradictoires donnés sur ce fait par legs journaux américains ? Selon les uns, Morales a été trouvé enchaîné dans le château de Perote ; selon les autres, il a été envoyé devant un conseil de guerre réuni à Guanajuato. Ces assertions si opposées s’accordent cependant sur un point : c’est la part que le gouvernement mexicain aurait eue dans la disparition de Morales.
  12. « Puissent les étoiles qui brillent sur notre pavillon devenir si nombreuses, qu’il n’y ait désormais plus de place pour les raies ! » On sait que les étoiles indiquent dans le pavillon américain le nombre des états. On sait aussi que ce pavillon porte vint-cinq étoiles d’argent au coin droit du haut, et treize bandes horizontales rouges et blanches, su qu’il est, en termes héraldiques, « burelé de gueules et d’argent, au canton dextre du chef d’azur, chargé de vingt-cinq étoiles d’argent posées par cinq. »
  13. d’une petite rivière qui, après avoir passé le long des hauteurs, coule en cet endroit sur un plan moins incliné.
  14. Le nom de cette venta est celui d’un soldat de l’armée de Cortez, qui l’établit.
  15. Quelques indications rapides suffiront à préciser l’état actuel des opérations. La bataille du Cerro-Gordo avait eu lieu le 18 avril. Le 20, le drapeau américain flottait sur la ville de Jalapa, qui s’était rendue. Entre Jalapa et Puebla, le château-fort de Perote était le seul point qui fit prévoir quelque résistance. A l’approche des Américains, le pont-levis du château s’abaissa, et un seul officier vint rendre la place avec tout le cérémonial usité en pareil cas. Après y avoir laissé garnison, l’armée américaine, réduite à 6,000 hommes par la retraite de 4,000 volontaires dont l’engagement expirait, s’est portée sur Puebla, ville de 60,000 ames, habitée par une population fanatique et insoumise. Les 6,000 hommes de Scott sont entrés dans Puebla ; ils marchent sur Mexico. Taylor, de son côté, parti des provinces occidentales, se dirige vers la capitale pour faire sa jonction avec Scott. Quant à Santa-Anna, après avoir voulu s’enfermer dans la ville d’Orizaba avec 3,000 hommes, il paraît avoir songé un moment à organiser la guerre de guerrillas ; puis il est revenu se mettre à la tête d’environ 12,000 hommes, débris des armées mexicaines, réunis à San-Martin, petite ville à dix lieues de Puebla et à dix-huit de Mexico. Il s’est décidé enfin à rentrer dans cette capitale au milieu des huées de la même populace qui, quelques mois auparavant, le portait en triomphe. La démission de président et de général en chef qu’il a donnée à deux reprises a été deux fois refusée par le congrès.
  16. Un ancien ministre des affaires étrangères du Mexique, un des hommes les plus distingués de ce pays, M. Gutierres Estrada, ayant exposé les idées du parti monarchique dans un écrit remarquable, fut puni d’un bannissement qui dure encore.