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La Jeune Aventureuse (Rosny-Aîné)/Épilogue

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La Nouvelle Revue Critique (p. 191-196).

ÉPILOGUE

C’était heure jaune, aux ombres déjà longues, au soleil grandissant dans la douceur de l’été. Marcelle contemplait le beau jardin, les iris, les glaïeuls, les petites roses écarlates et les grandes roses jaunes, les volubilis voraces et les œillets aux jupes chiffonnées, les mourons rouges, hiératiques, et les pavots sournois, des hêtres, les platanes et les érables…

Les enfants roulaient sur l’herbe avec des cris éperdus ; Marie travaillait à une broderie et l’oncle Maréchal, les sourcils froncés, dressait le jeune Hasdrubal, un surmulot dont l’intelligence était surprenante :

— C’est un rat de génie ! disait-il. Quelles perspectives il ouvre sur l’avenir de l’espèce !…

Marcelle, pleine d’un orgueil joyeux, se complaisait en son œuvre. Parce que ce bonheur émanait d’elle, le monde, la vie, sa famille lui étaient plus chers.

L’oncle se décida à remettre Hasdrubal dans sa cage et s’adressant à sa nièce :

— Te souviens-tu, dit-il, du jour où je t’ai conduite auprès de Mme Carembot, marchande des quatre-saisons ?… J’avais confiance en toi… Je savais que tu réussirais… Et ce beau loisir me récompense de ma foi !

— Mais c’est toi qui as découvert ce joli domaine, et nous l’as fait louer pour un morceau de pain !

— Un gros morceau de pain, Marcelle. Mais je sais que les modes, les accessoires de toilette et la parfumerie sont un petit Klondyke… Vois-tu, petite, comme Hasdrubal est un prince parmi les surmulots, tu es une princesse dans notre famille…

Il se mit à rire. Incarnant sa race dans sa nièce aux yeux sombres, il était plus fier d’elle que ne l’était la prudente Lætitia Ramolino de son fils Napoléon Bonaparte.

— Le communisme est une plate bêtise, dit-il… et qui, d’ailleurs, n’existera jamais que de nom, ainsi qu’il advint pour mainte religion… Il y aura éternellement d’humbles âmes machines, comme ton oncle Maréchal, et des âmes dominatrices, comme la tienne.

— Mais, oncle, si le sort…

— Tu vas dire une bêtise, interrompit l’oncle. Si le sort l’avait voulu, j’aurais eu des rentes, mais je n’aurais pas commandé !… J’aurais même pu tenir une boutique déjà achalandée, mais je n’en eusse pas fondé une. Crois-moi, si l’homme est le roi de la création, c’est parce que l’intelligence d’un homme peut différer autant de l’intelligence d’un autre que l’intelligence d’un chameau de celle d’un chien !

Il contempla un coquelicot qui avait réussi à se glisser parmi des phlox et il reprit :

— Je voudrais que tu prennes maintenant un peu de joie pour toi-même.

— Mais je suis très joyeuse !

— Oui… oui… c’est entendu. Seulement ça ne fait pas une destinée complète. Un être bâti comme toi, sain, énergique, hardi… il faut que ça revive. Je voudrais voir comment sera faite ta descendance. Et je ne te cache pas que j’ai conspiré…

Il entraîna Marcelle au delà des hêtres rouges…

Pierre attendait là, devant le noble fleuve Loire aux beaux détours.

— Il faut que cela finisse ! déclama Maréchal en s’éloignant.

Les jeunes gens se regardèrent. Le visage de Pierre était creusé par l’inquiétude et l’insomnie. Elle le considérait avec une pitié tendre.

— Marcelle, fit-il d’une voix craintive… pardonnez-moi…, je ne vis plus !

— Êtes-vous sûr de ne pas vous tromper ? Êtes-vous prêt à accepter le mieux et le pire ?

Il saisit la petite main énergique :

— Tout sera bon avec vous !

— Même les miens, Pierre, car vous savez qu’aucune force ne pourra me séparer d’eux ?

— Je les aime, Marcelle… presque autant que vous les aimez.

— Alors, que votre volonté soit faite…

— Je voudrais que ce fût aussi la vôtre !

— C’est aussi la mienne.

Il poussa un cri de joie et couvrit de baisers la main, le bras et les cheveux de Marcelle. Elle souriait, elle savait qu’il serait doux et fidèle : et l’amour qu’elle avait si longtemps contenu croissait en elle comme les plantes sacrées au bord du Gange.