La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/1.XX

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Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 135-146).


CHAPITRE XX.

La veille de la Révolution.


La rigueur des lois pénales disparut sous Louis XVI ; mais la fiction qui faisait des protestants amant de relaps fut maintenue, et, avec elle, la privation de tout état civil. Il y avait alors plus d’un million de protestants en France. Ces protestants n’avaient point de culte public ; leur religion les excluait de toutes les charges et de la plupart des corps de métiers : leurs affaires mêmes, lorsqu’elles étaient portées devant les tribunaux, étaient fréquemment décidées contre le droit et la justice ; et il n’était pas rare d’entendre l’avocat de leurs adversaires commencer son plaidoyer par ces mots : « Je plaide contre des hérétiques. » Cependant tous ces malheurs n’étaient pas leur plus grand malheur. Ils se seraient résignés à prier en secret, à vivre sous le coup d’une pénalité terrible, à être traités en étrangers dans leur patrie : mais ils ne pouvaient consentir à n’avoir pas de famille, à dépendre, pour l’honneur de leur foyer, pour la sécurité de leurs enfants, des caprices d’un intendant ou d’un présidial. Il est affreux de penser que pendant plus d’un siècle, sous le gouvernement le plus doux, chez le peuple le plus éclairé, dans le même temps que l’on publiait l’Encyclopédie, les œuvres de Voltaire, de Jean Jacques Rousseau, de Diderot, des milliers de familles demeurèrent privées des droits civils à cause de leurs opinions religieuses[1]. On s’apitoyait, avec grande raison, sur les malheurs de Calas, de d’Éralonde et de Labarre[2] ; on se racontait avec horreur le sort d’Olavidès, condamné par l’inquisition d’Espagne à être renfermé dans un couvent jusqu’à la mort[3] ; mais on oubliait tout près de soi des infortunes moins tragiques qui frappaient un million de citoyens. Il y eut sans doute des réclamations, et pressantes et nombreuses ; mais à chaque fois, l’assemblée du clergé revenait à la charge pour demander l’exécution des lois. Il semblait que l’État était troublé et la morale en péril, si un hérétique pouvait épouser devant le magistrat la mère de ses enfants. En 1764, La Morandière ayant publié une brochure pour demander le rappel de ces lois iniques, Grimm se félicita, comme d’un progrès des mœurs et d’une marque évidente de la douceur du gouvernement, d’avoir vu paraître cet écrit en France. Quelques années après, un procès scandaleux appela sur la situation des protestants l’allention de tout le royaume. Le vicomte de Bombelles, catholique, qui avait épousé à Montauban, selon le rite protestant, Mlle Camp, et qui en avait eu un enfant, se maria de nouveau, l’année suivante, du vivant de sa première femme, avec une catholque, Mlle Carvoisin. La femme abandonnée réclama devant le parlement. L’arrêt fut rendu le 6 août 1772. Il débouta Mlle Camp de sa demande, et la condamna aux dépens. Les juges allouèrent des aliments à l’enfant, et une indemnité à la femme délaissée. Toute la France en frémit de honte.

Il est à remarquer qu’on s’élevait contre la situation faite aux familles protestantes, sans pousser plus loin les réclamations, et sans demander pour les dissidents la jouissance des droits politiques. On aurait cru passer toutes les bornes en proposant de revêtir un protestant d’une magistrature. Voltaire fait la remarque que plusieurs d’entre eux occupaient des places dans la ferme, et que personne ne songeait à s’en plaindre : « Voilà, dit-il un grand commencement de tolérance, une grande marque des progrès de l’esprit public. » Ajouterai-je que les protestants eux-mêmes, tout en demandant certains droits et une existence légale, n’espéraient pas, ne rêvaient pas l’égalité absolue ? Ce sera pour Malesherbes un éternel honneur que d’avoir pris leur cause en main ; que dis-je leur cause ? la cause même de l’humanité et de la liberté ! Déjà, en 1779, il avait publié sous la rubrique de Londres un mémoire où il demandait le rappel des protestants : il le demanda encore en 1785, par deux mémoires qui cette fois purent être publiés en France. La lecture en est encore curieuse aujourd’hui. Il semble en les ouvrant qu’on va voir une peinture pathétique de ces familles déshéritées des bienfaits de la loi, soumises à toutes les charges, exclues de tous les bénéfices, obligées de se cacher pour prier Dieu ; on attend une discussion fondée sur les grands principes de l’équité et de la morale éternelle : on ne trouve que des raisons de légiste, des arrêts du conseil, des fins de non-recevoir ; l’auteur ne serait ni plus tranquille ni plus sec s’il exposait le dossier d’une affaire civile. Cependant il avait raison, même comme avocat ; mais l’opinion ne se forma pas sur ses mémoires, elle s’échauffa sur leur titre seul. On répétait avec émotion ces paroles de l’auteur, l’un des descendants de Lamoignon de Bâville : « Il faut bien que je leur rende quelques bons offices : mon ancêtre leur a fait tant de mal ! » On parlait alors beaucoup d’humanité ; on commençait à entrevoir la liberté ; on n’était plus séparé que par deux années de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Louis XVI rendit aux protestants la vie civile. Il suffit de lire leurs propres écrits pour savoir qu’eux-mêmes ne réclamaient pas la vie politique[4].

Les termes de l’édit de 1787 montrent bien quel était alors l’état des esprits On aimait et l’on prônait la tolérance ; on déclamait chaque jour avec une indignation sincère contre la révocation de l’édit de Nantes et les maux qui en avaient été la suite ; Mais c’était encore, pour la plupart des philosophes, une question d’humanité et non une question de justice. On compatissait aux douleurs des opprimés, on voulait y mettre un terme ; on ne songeait pas à réclamer pour eux l’égalité. Tous les mémoires publiés, et il y en avait un grand nombre depuis le milieu du dix-huitième siècle[5], avaient eu pour but d’obtenir le rappel des lois pénales, et la restitution aux protestants des droits de l’état civil ; personne n’avait rien demandé au delà. « Nous ne pouvons pas, disaient les protestants, nous livrer aux plus innocentes affections de la nature sans craindre l’infamie et le supplice. Contraints, pour servir l’Être suprême, de fuir les lieux qu’habitent nos semblables, d’errer dans les déserts, de nous exposer aux chaleurs brûlantes de l’été, aux froids rigoureux de l’hiver, notre obéissance aux lois de Dieu est une désobéissance à celles du souverain[6]. » C’est à ces plaintes désolées que répondait Louis XVI en disant dans le préambule de l’édit : « Notre justice et l’intérêt de notre royaume ne nous permettent pas d’exclure plus longtemps des droits de l’état civil ceux de nos sujets ou des étrangers domiciliés dans notre empire qui ne professent point la religion catholique. Une assez longue expérience a démontré que ces épreuves rigoureuses étaient insuffisantes pour les convertir. Nous ne devons donc plus souffrir que nos lois les punissent inutilement du malheur de leur naissance, en les privant des droits que la nature ne cesse de réclamer en leur faveur. » Malgré ces dernières paroles, où le droit absolu de la liberté de conscience est invoqué, le roi semble se déterminer surtout par la considération de l’insuffisance et de l’inutilité des épreuves rigoureuses[7]. Un reste de préjugé empêchait les plus fermes esprits de proclamer hautement et sans restriction le principe de la liberté. Il ne fut pas même mentionné dans la nuit du 4 août.

Les juifs étaient peut-être plus malheureux encore que les protestants ; ils n avaient pas cessé d’être persécutés depuis l’avènement du christianisme au pouvoir. Quand cette nation, qui ne pouvait s’allier à aucune autre, eut été définitivement vaincue par les Romains et chassée de la Judée, son sort fut de ne pas périr comme religion et comme race, et de ne retrouver sur aucun point de la terre la patrie qu’elle venait de perdre. En France, les juifs avaient été bannis plusieurs fois, notamment sous Philippe le Long, en 1318. Rentrés en France, ils y furent réduits à la condition de serfs mainmortables, ce qui explique une ordonnance de Charles VI[8], prononçant la confiscation de tous les biens des juifs qui se convertissaient : le roi ne voulait pas tout perdre. Pendant les derniers siècles de la monarchie, la population juive de la France se divisait en deux parties fort différemment traitées : les juifs portugais et espagnols établis à Bordeaux et à Bayonne, et les juifs d’Avignon, qui, plus tard, obtinrent les mêmes privilèges, étaient à peu près considérés comme citoyens ; ils pouvaient posséder des terres ; ils payaient leurs impôts sur le même pied que les autres habitants, et étaient soumis aux mêmes lois et aux mêmes juges. Ces droits leur avaient été accordés depuis deux cent quarante ans, par lettres patentes renouvelées de règne en règne, et dont les dernières datent de 1776[9]. Les juifs d’Alsace, au contraire, ceux de Lor- raine, étaient réputés étrangers. Il leur était interdit de posséder des terres ; ils ne payaient pas l’impôt, mais un droit particulier, appelé droit d’habitation, protection et tolérance ; ils avaient entre eux des syndics qui jugeaient leurs contestations en premier ressort. Ces syndics étaient ordinairement les rabbins, qui étaient réellement reconnus en qualité de magistrats, puisqu’ils pouvaient constater les mariages et les naissances. Il va sans dire que les privilèges des juifs portugais n’allaient pas jusqu’à leur permettre d’exercer un emploi public. À défaut d’autre raison, le serment de catholicité qu’on exigeait pour entrer en charge, les aurait exclus. Les juifs alsaciens ne pouvant être ni fonctionnaires publics, ni propriétaires, s’étaient tous adonnés à l’usure, ce qui les rendait odieux au peuple, et puissants jusque dans leur abaissement. Telle était à leur égard l’indifférence du pouvoir central, que, le 31 décembre 1716, le roi fit don à M. de Brancas et à Mme de Fontète de quarante livres à percevoir pendant trente ans sur chacune des familles juives établies à Metz. Ce droit fut ensuite indéfiniment prorogé, et c’est l’Assemblée constituante qui l’abolit, non sans opposition[10].

Je m’arrête à cette date solennelle pour constater combien les progrès de la liberté de conscience ont été lents et difficiles. Ne remontons qu’à la naissance du christianisme. Rome s’endormait dans une indifférence qui rendait la liberté inutile, quand l’apparition du christianisme la réveillant tout à coup, elle se jeta dans la voie des persécutions. Le christianisme l’emporte après trois siècles, et de persécuté qu’il était se fait persécuteur. Nul intervalle pour la liberté ; Constantin, dès le jour de sa conversion, impose sa religion à l’empire. Après lui, Julien, qui se croyait philosophe, ne sut pas être libéral ; et son successeur put changer une troisième fois la religion de l’État, sans rien changer aux maximes du gouvernement. Pendant toute la fin de l’empire romain, et pendant tout le moyen âge, le pouvoir civil s’attribua le droit, se crut le devoir d’imposer une religion par la force. L’inquisition ne fit qu’organiser ces violences. Elle subsiste encore à Rome, quoique adoucie ; et c’est à peine si elle était abolie de fait en Espagne quand les armées françaises y pénétrèrent sous Napoléon[11]. Elle ne fut jamais que nominale en France, parce qu’elle fut repoussée, non par une pensée de tolérance, mais par le pouvoir épiscopal et l’esprit des libertés gallicanes. L’absence de l’inquisition ne rendit pas la France clémente. Sous François Ier les protestants furent massacrés ; ils le furent sous Henri II, sous François II ; le règne de Charles IX n’a qu’une date, et c’est la nuit de la Saint-Barthélemy. Henri IV, né huguenot, dont les meilleurs amis étaient morts sous les coups de la Ligue, qui avait vu Henri III assassiné sous ses yeux par un fanatique, qui, repoussé à cause de sa religion, avait lutté trois ans pour reconquérir sa capitale, et n’y était enfin rentré qu’en abjurant sa foi et en payant la trahison de Brissac, Henri IV donne aux protestants, au lieu de la liberté religieuse, des sûretés et des garanties. Il arme une religion contre l’autre. Il comprend si peu la tolérance qu’il ne croit pouvoir faire subsister ensemble les deux religions, qu’en séparant son peuple en deux peuples. Après lui, cette situation étrange produisit fatalement la guerre civile. Bientôt ce ne fut plus entre les deux partis qu’une question de force ; et au fond, même sous Henri IV, la force seule avait tout dominé. Louis XIV se donna pour tâche d’anéantir le protestantisme : rien ne lui coûta pour y parvenir ; il employa tout à la fois la ruse et la force. Ce qui restait de protestants vécut dans l’abjection sous Louis XV et sous Louis XVI. L’ordonnance de 1787 en fit, pour ainsi dire, des hommes sans les élever au rang de citoyens. Et comme si tout devait confondre la raison dans l’histoire de l’intolérance humaine, nous allons voir la révolution s’y prendre à trois fois pour émanciper les juifs. La Déclaration des droits de l’homme ne suffit pas pour les affranchir ; tant cette exception contre nature paraissait légitime aux esprits les plus philosophiques et aux plus hardis révolutionnaires. Je montrerai bientôt que l’Assemblée nationale, assez longtemps après avoir déclaré que tous les hommes naissent et demeurent égaux devant la loi, délibérait encore pour savoir si les protestants et les juifs pourraient entrer dans les collèges municipaux. Elle en ouvrit la porte aux protestants, non sans hésiter ; mais pour les juifs, elle ne consentit à voir en eux des citoyens qu’au mois de septembre 1791. Encore la liberté des cultes ne fut-elle pas proclamée sous son nom, et à la face du ciel, comme les autres libertés ! Le décret qui abolit les derniers restes de l’oppression porte la marque d’une défiance et d’une animosité invincibles. On pourrait presque dire que les juifs furent émancipés quoique juifs, et seulement par respect pour leur qualité de Français, mais que l’émancipation du judaïsme ne fut pas décrétée, et que la liberté de conscience fut méconnue jusqu’au bout.

Tel est le tableau que l’histoire vient de nous dérouler ; et l’on ne peut s’empêcher de dire ici, que l’humanité n’est rien que par la pensée, que la pensée n’est rien que par la liberté ; et que toutes les forces de la passion individuelle, toutes les forces des États, toutes celles des institutions et des agglomérations religieuses, ont été presque constamment employées à détruire la liberté de la pensée, et par conséquent la pensée elle-même. On se consolerait presque de voir des prétoriens romains, ou les grossiers soudards du moyen âge, méconnaître les conditions les plus nécessaires de la dignité et de la grandeur humaine ; mais ce qui est navrant, ce qui est décourageaiit, c’est de voir la haine s’élever entre des sectes religieuses, entre des écoles philosophiques ; comme si la force pouvait être invoquée dans les luttes intellectuelles ! Et comme si elle n’était pas aussi funeste au parti qui s’en sert, qu’à celui même qui la subit ! N’étudions l’histoire de la guerre, de la force, de la haine, que pour apprendre à aimer la paix, la fraternité, la liberté !

On se fait trop souvent de cette lamentable histoire, un instrument de parti. C’est bien mal comprendre la dure leçon de l’histoire. En bonne justice, on ne doit accuser personne de tant de persécutions et de haines, de tant de sang répandu, de tant d’obstacles élevés contre les droits de l’homme et l’essor de la pensée. Il n’en faut accuser que nos passions et notre ignorance. C’est le sang des barbares et l’héritage de la férocité romaine. Aucun dogme, aucun culte ne peut être responsable de l’intolérance, puisque tous les cultes ont eu leur jour d’intolérance et de fanatisme. La philosophie elle-même qui, par principe, est attachée à la libeité, et qui, en définitive, a la gloire d’avoir émancipé le monde par la Révolution française, n’est pas à l’abri de tout reproche. Si le plus grand nombre des persécutions et des guerres religieuses tombe à la charge de l’Église catholique, c’est qu’elle est la seule dont l’histoire compte dix-huit siècles. Depuis Constantin, elle a eu le malheur de posséder, presque sans interruption, le pouvoir. Elle n’a été intolérante que par la faute des hommes, elle, dont la charité est le principe. L’Église, en reprenant un esprit de douceur, rentre dans sa voie, dont des passions purement humaines l’avaient fait sortir. Je ne puis croire au succès de ces nouvelles croisades entreprises de nos jours contre la liberté au nom d’un fanatisme aveugle. Ce sont des émeutes passagères, plus fatales à l’Église qu’à la liberté, et dont l’Église elle-même se hâtera de faire justice. Ne la rendons pas solidaire de ceux qui ne font que l’agiter et la troubler. Elle ne peu pas se laisser ainsi entraîner à des luttes qui la mettraient en contradiction flagrante, non-seulement avec le siècle, mais avec l’esprit de la doctrine chrétienne. Si jamais, par impossible, elle redevenait intolérante, je ne voudrais, pour la combattre, que l’Évangile. Souvent, en lisant le récit des auto-da-fé, je me suis demandé ce qu’aurait dit ce Jésus de Nazareth qui chassa les marchands du temple, si tout à coup, par un prodige, il était apparu entre les victimes et les bourreaux et je me suis rappelé avec admiration et attendrissement ces paroles bénies :

« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez pas, et quiconque tuera, méritera d’être jugé par le jugement.

« Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement.

« Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent ;

« Et moi je vous dis de ne pas résister au mal que l’on veut vous faire, mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre.

« Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, quittez-lui encore votre manteau.

« Vous avez appris qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi.

« Et moi je vous dis : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient,

« Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes[12]. »



  1. En 1764, des collatéraux catholiques voulurent évincer des enfants de l’héritage de leur père, en se fondant sur ce que les protestans n’étant pas mariés à l’église, leurs enfants ne sont que des bâtards. Élie de Beaumont, avocat des défenseurs, publia son mémoire. « Il faut convenir, dit la correspondance de Grimm en parlant de cet ouvrage, qu’il n’y a rien de plus rare que de tels procès, et qu’on ne connaît que peu d’exemples de collatéraux catholiques qui aient cherché a priver leurs neveux ou cousins de l’héritage de leurs pères, quoique le succès des poursuites autorisées ne soit pas douteux. Cela prouve que l’honnêteté publique n’est pas une chimère, et qu’elle est au-dessus de la loi injuste et barbare. » (Tome III, p. 488.)
  2. Tout le monde sait qu’Éralonde et Labarre furent condamnés par le tribunal d’Abbeville a avoir la langue arrachée, le poing coupé, et à être brûlés vifs, pour avoir chanté une chanson impie ou licencieuse. Cette sentence fut porlée en appel au parlement, et jugée par la grand chambre présidée par le premier président. Le conseiller Pellot, rapporteur, conclut à mettre les accusés hors de cour ; mais le parlement, à sa honte éternelle, confirma l’arrêt barbare des juges d’Abbeville, par un nouvel arrêt du 4 juin 1766. On avait espéré vainement que le roi ferait grâce : Louis XV se montra inflexible, et le supplice de Labarre, qui eut lieu le 1er juillet, épouvanta toute la France. Il faut lire la Relation de la mort du chevalier de La Barre, par Voltaire.
  3. Le grand crime de don Pablo Olavidès était d’avoir traduit les tragédies de Voltaire. » On examine et l’on emprisonne toute sa vie. Ou visite ses manuscrits et sa bibliothèque. Ou y trouve les œuvres de Montesquieu, de Voltaire, de Jean-Jacques, le Dictionnaire de Bayle et l’Encyclopédie… On crie au scandale ; il est traîné dans les prisons de l’inquisition, condamné à faire amende honorable couvert d’un san-benito, et a être pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive… Le châtiment fut réduit à la dégradation de noblesse, à l’habit de bure, et à la demeure dans un couvent où il sera assujetti à tous les devoirs de la vie monastique. » (Correspond. de Grimm, octobre 1782.) Don Pablo finit par obtenir sa grâce.
  4. « Depuis la révocation de l’édit de Nantes, les protestants n’ont cessé de demander à grands cris la liberté de conscience. Rien n’est plus naturel ; des malheureux qui souffrent doivent désirer avec ardeur et demander avec instance la fin de leurs maux. Mais les malheureux ne sont pas toujours justes. Il suffit qu’on leur refuse tout, pour qu’ils se croient autorisés à prétendre à tout… Nous ne craignons pas d’avancer que les plus raisonnables d’entre eux n’aspirent à autre chose qu’à voir révoquer les lois pénales par lesquelles ils ont été si longtemps opprimés. » (Considérations sur l’organisation civile des protestants, par Jean-Bon Saint-André, alors pasteur protestant à Montauban, Voir le volume publié à Montauban, en 1848, chez Rethoré, par M. Michel Nicolas.)
  5. Nous citerons un Mémoire sur le mariage des protestants, par un catholique, M. de La Morandière ; le Mémoire d’Élie de Beaumont, avocat ; Mémoire politique et théologique sur la nécessité de constater les mariages des protestants devant les magistrats, par M. de Monclar, procureur général au parlement de Provence ; Lettre d’un patriote sur la tolérance civile des protestants de France et sur les avantages qui en résulteraient pour le royaume, etc. De leur côté, les catholiques exaltés publiaient un grand nombre d’écrits pour réclamer le maintien et l’exécution des lois existantes : Sentiments des catholiques de France sur le Mémoire au sujet des mariages clandestins des protestants, 1756. — Mémoire sur les suites funestes de la liberté de penser et d’imprimer, présenté au roi par l’assemblée générale du clergé en mars 1770, etc.
     Au moment où parurent les Mémoires de Malesherbes, on publia en France une brochure intitulée : Discours à lire au conseil en présence du roi par un ministre patriote, sur le projet d’accorder aux protestants l’état civil en France. En voici le plan : « Qu’ont fait les protestants avant la révocation de l’édit de Nantes ? — Qu’ont-ils fait depuis cette époque ? — Que feraient-ils dans les circonstances actuelles, si le gouvernement sanctionnait leur état ? La maréchale de NoaiUlles porta ce pamphlet chez tous les pairs et conseillers au parlement avec le billet circulaire que voici : « Mme la maréchale de Noailles est venue pour avoir l’honneur de vous voir, et pour vous engager à défendre la religion et l’État, dont les intérêts vous sont confiés. »
  6. Sermon de Jean-Bon Saint-André, dans l’ouvrage de M. Michel Nicolas cité plus haut, page 7.
  7. Le 23 août 1789, Rabaud Saint Etienne disait à l’Assemblée constituante : « Dans le dernier édit pour les non-catholiques, on ne leur a accordé que ce qu’on ne pouvait leur refuser, je veux dire le droit de constater seulement leur contrat de mariage, etc. ; mais du reste, ils sont exclus de tous les emplois et des honneurs. Le militaire ne peut obtenir la croix de Saint-Louis. On peut dire avec raison que la pairie est une marâtre pour les protestants ; ils font tout pour elle, et la patrie ne fait rien pour eux. » — Voici, du reste, les propres paroles du garde des sceaux Lamoignon, dans le lit de justice du 19 novembre 1787 ; « Le roi a concilié dans la nouvelle loi les droits de la nature avec les intérêts de son autorité et de la tranquillité publique.
     « S. M. ne veut point d’autre culte public dans son royaume que celui de la religion catholique, apostolique et romaine. Cette religion sainte, dans laquelle le roi est né, sous laquelle le rojaume a été florissant, sera toujours la seule religion publique et autorisée dans ses États.
     « S. M. prescrit les formes légales qui doivent constater la naissance, les mariages et la mort de ses sujets non catholiques ; et elle borne sa juslice à leur égard à ces facultés primitives, qui sont un droit sacré de la nature plulôt qu’un bienfait arbitraire de la loi.
     « Toue la partie éclairée de la nation sollicitait depuis longtemps cette loi, que S. M. n’a souscrite qu’après les plus mûres délibérations.
     « Aux grands avantages qui doivent en résulter pour la population, pour l’agriculture, pour le commerce et pour les arts, se joindra encore celui de ne plus voir de contradiction entre les lois et la nature, entre les lois et les jugements des tribunaux ; enfin, entre les suppositions des ordonnances et l’évidence invincible des faits.
     « Les sujets non catholiques du roi seront protégés par des lois qui assureront leur état, sans les rendre dangereux ; et la sage tolérance de leur religion, ainsi restreinte aux droits les plus incontestables de la nature humaine, ne sera point confondue avec une coupable indifférence pour tous les cultes. »
  8. 4 avril 1392. Cf. L’Esprit des Lois, liv. XXI, chap. XX.
  9. « Voulons, dit l’ordonnance, qu’ils soient traités et regardés ainsi que nos autres sujets nés en notre royaume, et qu’ils soient réputés tels, tant en jugement que dehors. » On voit cependant que les juifs étrangers ayant été déclarés admissibles aux nouveaux brevets créés en 1767, et dont la création fut enregistrée au parlement le 19 juin de la même année, les six corps de la ville de Paris présentèrent requête au roi en son conseil pour les faire exclure des corporations d’arts et métiers.
  10. Le 20 juillets 1790.
  11. L’inquisition fut détruite par les Français en 1800, rétablie en 1810 par Ferdinand VII, et abolie définitivement par les Cortès en 1820.
  12. Évangile selon saint Matthieu, chap. XXV, v. 2 et suiv.