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La Maison dans l’œil du chat (Crès, 1917)/Les grenouilles

La bibliothèque libre.
Georges Crès (p. 37-44).




VI

LES GRENOUILLES

LES GRENOUILLES



Dans la mare, coassent les grenouilles, les belles grenouilles, vertes comme l’herbe et les pommes vertes, avec leurs petits yeux ronds, et leur ventre blanc tendu comme un tambour.

L’eau clapote autour d’elles.

Dans la nuit, elles sont seules, avec la chouette, qui osent crier. Mais leur chant tinte aussi limpide et harmonieux qu’une cloche de cristal et c’est une joie, penché sur le mur, que d’écouter comme Mathieu (celui de l’histoire du cheval) les grenouilles chanter dans la nuit d’été.

Les nénuphars, ces grandes plantes aux fleurs blanches, et aux queues caoutchoutées, offrent aux grenouilles, des perchoirs, qui deviennent dans la nuit des ronds de clarté.

Mathieu rêve… c’est un garçon très distrait, pas méchant, mais presque bête. Il se souvient du temps, où avec des camarades il allait le soir, jeter des pierres dans la mare pour faire des ricochets. Les grenouilles piquaient toutes ensemble une tête dans l’eau et n’osaient plus reparaître que longtemps après. Car les grenouilles, aussi, malgré qu’elles soient petites, sans poil, et froides à toucher, comprennent bien des choses et se méfient de l’homme. De la terre, elles ne connaissent rien, que la vase, le cresson, l’humidité qui entoure les mares. Du ciel, elles connaissent les étoiles, auxquelles elles coassent leur admiration ; mais des lavoirs, des ruisseaux, des étangs, elles savent tout et c’est cela qu’elles se racontent, une fois le soleil couché, assises au bord de l’eau.

« Oh ma chère, j’habite une merveilleuse maison en herbe tressée » — « Où habitez-vous donc, ma chère ? » — « Mais le grand étang du bois enchanté ! » — « C’est très bien en effet, plein d’ombre et de silence, mais pourquoi venez-vous jusqu’à cette mare, vous avez des voisines au bois enchanté ? » — « Mais ma chère, c’est parce que je vous aime. »

Dans un autre coin, on entend : « Je m’abrite du soleil sous une feuille de nénuphar, il y a du sable jaune et des cailloux luisants » ; une autre dit : « Le lavoir n’est plus tenable, on y lave du matin au soir et le savon, dans l’eau, me donne mal au cœur. » Une autre très jolie grenouille, avec des reflets d’or sur les épaules, montée sur une pierre moussue improvise cette poésie aux étoiles : « Belles étoiles, vous êtes brillantes comme sous une rosée perpétuelle, vous vous allumez à l’heure où je monte sur la terre ! j’aimerais, avec mes pattes vertes comme des brins d’herbe, faire de vous un bouquet que j’emporterais dans ma maison aquatique. Vous êtes les boutons d’or du ciel ! »

Ainsi jusqu’à l’aube, cachées dans les marécages, les grenouilles causent et jouent.

Et ceux qui écoutent, penchés sur le mur, comme Mathieu, finissent par comprendre que les grenouilles sont les gardiennes des nuits d’été… et les amies des fées.