Aller au contenu

La Maquerelle de Londres/01

La bibliothèque libre.

La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre

LA
MAQUERELLE DE LONDRES.

CHAP. I.

Son Caractere, ou ce quelle eſt une Maquerelle.



E St le rebut d’une vieille debauchée, qui ayant été brûlée elle-même, ſemblable au charbon, aide à mettre du bois plus verd ſur le feu. Elle eſt de la nature des Errata, & la veritable fille d’Eve, qui s’étant perduë elle-même, tente les autres à ſe detruire elles-mêmes. Elle a été autrefois comme un de ces Renards de Samſon, & a porté tant de feu dans ſa queuë, qu’elle a brulé tous ceux & celles qui avoient à faire avec elle : Mais la marque étant hors de ſa bouche, & ne pouvant plus rien faire, ayant cependant encore beaucoup d’inclinations pour les Mathematiques, elle s’erige en Procureuſe de nouvelles marchandiſes pour ſes vieux chalans. Elle eſt ſi ſoigneuſe de fournir de la bonne marchandiſe aux hommes, que rarement elle leur procure quelque commodité ſans avoir été auparavant miſe à l’epreuve, & ayant toujours bien réuſsi en cela, elle croit qu’elle peut les garantir d’autant mieux. Elle a grand ſoin de conſerver les pucellages ; car quoiqu’elle les expoſe à chaque nouveau venu, elle prend bien garde qu’ils ne ſoient jamais perdus ; & quoiqu’il s’en trouvent tant qui les gagnent, cependant perſonne ne les enleve, mais elle les a encore tous prés pour les premiers, qui ſe préſenteront. Elle ne croit pas à un meilleur Oracle qu’à la tête de bronze du frere Bacon, & elle eſt toujours prête à vous dire, qu’alors le Lord le plus accompli l’auroit preferée aux plus belles Dames de la cour. Mais quand elle repête le tems paſſé, elle montre un impudique viſage de bronze, & même elle pleure dans la coupe, pour adoucir la chaleur du brandevin. Elle eſt grande ennemie de l’epargne, car tout ce qu’elle a, elle le rend commun. Elle haït 41 autant qu’un vieux Cavalier, car à cet âge elle fut forcée de quitter ſa mechante vie, & de devenir Maquerelle : Toutes ſes dents ſont tombées, dont ſon nez & ſon menton ſont ſi conſternés, que leur intention eſt de ſe rencontrer dans peu de tems, & de finir ce different. Elle reſſemble parfaitement au Meſpilum, qui eſt un fruit, qui n’eſt jamais mûr que jusqu’à ce qu’il ſoit pourri. Elle n’eſt jamais ſans un bon nombre de proſtituées, qui comme des ſelles à tous chevaux, laiſſe monter quiconque veut deſſus, pourvû que lui en paye le loüage. Elle eſt le vrai Magazin de la Taciturnité ; car elle ne dit rien de tout ce qu’elle voit, ayant pour maxime conſtante, que ceux qui ne peuvent pas badiner, ne devroient rien gâter. Elle a aſſés étudié la Philoſophie pour ſavoir, que la Lune eſt un corps obſcur, ce qui fait qu’elle l’aime bien plus que le Soleil, étant beaucoup plus convenable pour ſes affaires. Outre cela elle change encore de quartiers, tantot croiſſant, tantot dans ſon declin, comme elle. Quelque fois dans ſon plein la maiſon bien garnie de chalans, dans un autre tems n’en ayant point, & condamnée à des ouvrages penibles dans une maiſon de force : Autrefois elle ſe piquoit beaucoup de ſavoir la muſique, c’eſt pourquoi elle aime tant à battre certaines meſures, qu’elle entend encore un peu, & ſurtout les Triples, & elle eſt elle même une Baſſe parfaite. Quoiqu’elle vive après la chaire, cependant tout ce qui vient dans ſon nid n’eſt que poiſſon. Car elle eſt ſi ruſée, qu’elle ne ſe ſoucie guéres de gagner ſa vie avec des hameçons : Elle en a de tout prêts pour toute ſorte de poiſſons, & rarement elle manque d’en attraper quelques uns. D’un Gentilhomme de la Campagne, elle en fait une tete de — v.. d’un riche citoyen, le fils d’un gougeon, d’un homme habillé de rouge, portant l’epée, elle le prend pour une Ecreviſſe de mer : & elle regarde un ſevere Juge à paix, comme un mor-p-on. Ses pauvres chalans ſont comme les petits poiſſons, qui ſont plus conſiderables à cauſe de leur grand nombre qu’à cauſe de leur valeur. Elle eſt fort charitable, car elle regale tous les venans, & non ſeulement elle leur procure des Lits, mais auſſi des Compagnons d’un Sexe, qui leur eſt le plus agréable, ce qui eſt une commodité pour un homme, qui pourroit aller dans vingt maiſons ſans en pouvoir trouver une ſemblable. Elle amene plus de miſerables pecheurs à la repentance, qu’un grand nombre de bons Predicateurs. Car quelques ſtupides qu’ils ſoient, elle ne laiſſera que de leur laiſſer un ſouvenir ſi cuiſant, que leurs os mêmes en ſeront ébranlés & malades, & elle les fera repentir pour toujours de ce qu’ils ont eû à faire avec elle ; & elle imprimera ſur le viſage de ces miſerables ſi connus pour tels, cette marque d’infamie, qui les expoſera au mépris & à la riſée de tout le monde, & à d’autres maladies, que la pudeur ne nous permet pas de dire.

Cependant elle a peu de conſcience, car elle regarde pour rien de vendre une ſeule & même marchandiſe à 20. differens chalans, & pour tous elle les trompe d’une maniere, qu’elle ne craint point de perdre leur pratique ; elle fait ſouvent banqueroute & elle ſe retablit bientôt après, ce qu’elle fait à peu de frais ; car pour 3. bouteilles de brandevin, 2. onces de tabac, & une couple de p-ains de la campagne, ſont capables de la retablir en tout tems : Son haleine pût comme un privé, tous ſes meubles conſiſtent en un mauvais lit, un miſerable miroir, en une chaiſe & une table de bois, & en une boëte d’emplâtre, & enfin en une petite canaille pour lui amener des pratiques. Elle loge toujours chés quelqu’un qui eſt employé dans une paroiſſe, pour ſe mettre à couvert des inconveniens, auxquels ces Infames ſont exposées. Elle a cette ſeule marque de temperance, que ſi quelqu’un envoye chercher 10. bouteilles de vin, il doit être ſûr, qu’elle le trompera de la moitié, & s’il a beſoin du tout, & le fait payer de nouveau, & le tire hors d’un pot à étuver. Elle excelle dans l’art de transformer les perſonnes, pouvant changer une campagnarde en une dame de condition ; mais il ſe trouve en cela une ſorte d’infection, qui ne manque pas d’arriver, qui eſt de leur procurer le haut mal. Le Clerc du Juge à paix eſt ſon bon ami, & ſouvent il la garantit des chatimens qu’elle merite, parceque toutes les fois qu’il lui rend viſite, elle lui procure un morceau frais & ragoutant, ſur ſa parole, l’aſſurant, qu’elle ſe gardera toujours bien de lui donner quelque choſe de mauvais. Elle ne craint rien tant que le mardi-gras, car elle apprehende plus la populace, qu’un debiteur fait d’un Sergent ou un Baillif de Juſtice ; celui qui a paſſé par ſes mains, peut dire qu’il a paſſé auſſi l’Equinoxe, & celui qui s’en eſt échapé, a auſſi échapé un Rocher, contre lequel mille autres ont fait naufrage, & ſont peris.


Ainſi j’ai fait à mes Lecteurs un petit Portrait de la Maquerelle, avec les couleurs convenables, en l’expoſant dans ſon vrai jour. C’eſt pourquoi je vais conclure par ſon Caractére.

Une Maquerelle eſt la ſource principale de tous les malheurs. Elle tente au crime, elle eſt la commiſſionaire du Diable ; ſes malicieuſes & trompeuſes artifices ont plus fait perdre d’ames, qu’il y a d’Etoiles dans le Firmament. Elle engage les familles à épuiſer leurs Treſors. Elle tire ſon profit du plaiſir des autres, & ces plaiſirs ſont accompagnés & ſuivis de tant de malheurs, qu’enfin ils conduiſent à des peines éternelles. Ses Machinations ſont ſi nombreuſes, qu’il ſeroit difficile, pour ne pas dire impoſſible, de les raconter. Ses paroles ſont douces, & ſes manieres ſubtiles ; par de faux plaiſirs elle fait perdre les plus ſolides, Elle eſt le poiſon de la vertu, & la maquerelle du vice ; c’eſt un Baſilic, & un Tiſon d’Enfer : Elle eſt ſemblable au Demon, qui cherche continuellement à tromper & à devorer les premiers, qu’il peut attraper. Enfin c’eſt un monſtre, dont on doit bien ſe garder.


Vous qui approchés de ſa demeure, prenés y bien garde, car ſa furie eſt ſi cruelle, qu’elle conduira votre corps vers la v----le, & votre ame dans l’Enfer.