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La Mort de notre chère France en Orient/20

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Calmann-Lévy (p. 149-152).


XX

AUTRE LETTRE DU MÊME


8 avril 1920.

C’est fait. Les Anglais ont mis brutalement la main sur Constantinople. C’est un général anglais qui y dicte ses ordres. La Turquie a, de plus, un ministère Damad Férid Pacha, ce qui signifie nettement que c’est maintenant l’Angleterre qui gouverne la Turquie. Je vous en donne comme preuve le pacte du 12 septembre que je me décide à vous envoyer.

Vous pourrez aussi constater que jamais mensonge ne fut plus grand que celui de l’Angleterre, qui, pour parvenir à ses fins, proclame tantôt un principe et tantôt un autre.

Pour mettre la main sur la Turquie, en septembre 1919, elle s’engage à en maintenir l’intégrité territoriale.

Le mouvement national de Moustapha Kemal l’ayant fait échouer et Damad Férid étant tombé, elle professe au début de 1920 la nécessité de chasser les Turcs de Constantinople et de partager l’Empire ottoman, au nom des peuples opprimés par les Turcs. La France s’y opposant, elle emploie la force brutale, et met la main sur Constantinople et sur le sultan.

Ce ne sont pas là des opinions, ce sont des faits.

Pour nous opposer à cette mainmise anglaise, nous n’avons été soutenus que par le mouvement nationaliste de Moustapha Kemal.

Il fallait donc que l’Angleterre nous fît renier Moustapha Kemal. Pour cela on a lancé sur nous en Cilicie les Arabes, ceux-ci ne pouvant manquer de faire appel à Moustapha Kemal qui, prisonnier de ses principes, a dû marcher. Et nous avons finalement vu au 16 mars une déclaration des ambassadeurs alliés décrétant que les forces nationales étaient des rebelles et seraient traitées comme tels. Bref, nous aidons l’Angleterre à triompher, l’Angleterre qui d’autre part, pour nous arracher la Syrie, est allée déterrer à la Mecque un Fayçal qu’elle a fait émir et roi.

La politique anglaise est donc actuellement celle-ci : mainmise sur Constantinople comme autrefois sur l’Égypte (elle aura, n’en doutons pas, un caractère provisoire aussi prolongé), occupation directe des régions les plus riches d’Asie Mineure dont la Mésopotamie, partage du reste de la Turquie entre des vassaux : Grecs en Turquie d’Europe et à Smyrne, Arméniens dans une grande Arménie, Kurdes dans un Kurdistan soi-disant indépendant, Géorgiens Azerbeïdjiens dans de soi-disant républiques, Arabes dans un royaume de Syrie, etc., etc.

Bref, l’influence de la France ne pouvant s’exercer que par l’intermédiaire d’une grande Turquie, on supprime celle-ci et on la remplace par des possessions anglaises ou des États vassaux de l’Angleterre.

Dans ce qui restera de la Turquie, tous les nouveaux venus auront les mêmes droits. Cinq siècles d’efforts faits par la France sont effacés d’un seul trait. C’est ce que M. Bellet à la tribune de la Chambre appelle de la politique pratique, servant bien les intérêts de la France. Cette politique pratique consiste, pendant que l’Angleterre se garnit les mains, à continuer de se ruiner en créant des Arménies et des Thraces grecques.

Donc l’Angleterre possède désormais Constantinople et les détroits en fait et elle gouverne la Turquie qui reconnaît l’autorité du sultan.

Si l’on veut appliquer le traité de partage de la Turquie, il faudra dix à quinze divisions. Qui les fournira ? Ce n’est pas la France, je suppose, qui va faire tuer ses soldats pour assurer le triomphe de la politique anglaise et grecque. L’Angleterre en est incapable et l’ineffable Wilson n’envoie que de bons conseils. Alors ?

Ah ! les pauvres Turcs ne s’entendent pas au « bourrage de crâne » comme les Arméniens et les Grecs et ils n’ont pas un chef d’État ambulant comme Venizélos dont les voyages feront le digne pendant de ceux d’Ulysse. Qui écrira la nouvelle Odyssée ?