Aller au contenu

La Mort de notre chère France en Orient/24

La bibliothèque libre.


XXIV

ARTICLE D’UN POILU DE FRANCE
REVENANT DE CONSTANTINOPLE


Je viens apporter ici mon faible et humble témoignage, et confirmer la parole de M. Pierre Loti.

J’arrive de Turquie.

J’ai appris là-bas, grâce à des amitiés et à des relations puissantes, à apprécier à sa valeur l’âme turque, que nous méconnaissons. Les Turcs ne demandent qu’à venir à nous. Il n’est pas un homme de ce pays, qui n’aime la France, qui ne connaisse sa langue, qui ne voie d’un bon œil l’uniforme bleu-horizon sur les rives du Bosphore ! Pourquoi ? Parce que depuis des siècles notre politique orientale, depuis les capi­tulations, fut de toujours s’unir à l’Islam, pour acquérir en Orient une influence prépondérante, y conquérir des intérêts et les défendre.

Notre rôle séculaire fut de répandre là-bas la civilisation chrétienne, grâce à l’appui de la Turquie, par nos ambassadeurs, nos voyageurs, nos missionnaires.

De cet héritage et de cette tradition, qu’a-t-on fait depuis cinq ans ? Rien.

Dès avant la guerre même, notre influence était battue en brèche par l’Allemagne, près des gouvernants ottomans, je ne dis pas près du peuple, qui, lui, est foncièrement francophile, et le sera toujours. À l’heure actuelle, nous nous laissons jouer par les Anglais et les Américains, nous écoutons leurs suggestions, nous nous laissons apitoyer par les Grecs et les Armé­niens. Or, là-bas, aux pays des cyprès et des roses, nos pires ennemis ce sont les Grecs, vils et lâches ! Est-il besoin de rappeler les massacres d’Athènes en 1916 ? — et les Arméniens ne sont que des pillards éhontés qui ruinent la Turquie ; — de temps à autre, elle se rebelle, se défend, les massacre ; ils crient, hurlent et apitoient l’Europe, parce qu’ils sont chrétiens ! Voilà la situation, voilà ce que moi là-bas, poilu de France, j’ai constaté, moi à qui tous les Turcs rencontrés me tendaient la main, m’offraient des présents, gracieusement me fournissaient secours et appuis, avec toujours cette exquise politesse, ce bon cœur qui les caractérise, à la différence des Grecs, qui m’exploitaient, m’insultaient par fois, et me tendaient aussi, comme à mes frères, des guets-apens !

On donne Smyrne à la Grèce, on doit le donner, Smyrne le grand port de l’Asie Mineure.

À Konia, pour n’avoir pas voulu donner un petit secours de 20 000 francs aux Pères français dont l’école a été pillée pendant la guerre, le haut commissariat laisse s’installer des pasteurs américains dans une somptueuse bâtisse, où tous nos anciens élèves s’en viennent recevoir une culture autre que la française !

Et quand un Turc me demandait pourquoi mon pays ne secourait pas la Turquie, étonné qu’il était, trompé dans sa confiance, je rougissais et je baissais la tête !

LÉON ROUILLON.