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La Nonne alferez/11

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Traduction par José-Maria de Heredia Voir et modifier les données sur Wikidata.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 80-84).


CHAPITRE XI

Elle passe à las Charcas.

Quitte de cette angoisse, je ne pus faire moins que de m’absenter de la Plata. Je passai à las Charcas, à seize lieues de là. J’y retrouvai le déjà nommé don Juan Lopez de Arquijo, qui me confia dix mille têtes de moutons du pays avec cent et quelques Indiens et me remit une grosse somme de deniers pour aller, aux plaines de Cochabamba, acheter du blé et, après l’avoir fait moudre, le vendre au Potosi où il y avait disette. J’y fus, achetai huit mille fanègues à quatre pesos, les chargeai sur les moutons, me rendis aux moulins de Guilcomayo, en fis moudre trois mille cinq cents et, les ayant portées au Potosi, les vendis de prime abord aux boulangers du lieu à quinze pesos et demi. Puis je retournai aux moulins, où je trouvai partie du reste moulu et des acheteurs auxquels je vendis le tout à dix pesos. Après quoi, je revins à las Charcas, avec l’argent comptant, vers mon maître qui, vu le bon profit, me renvoya à Cochabamba.

Entre temps, un dimanche, à las Charcas, n’ayant que faire, j’entrai jouer chez don Antonio Calderon, neveu de l’Évêque. Il y avait là le Proviseur, l’Archidiacre et un marchand de Séville marié dans le pays. Je m’assis au jeu avec le marchand. La partie s’engagea. Sur un coup, le marchand, déjà piqué, dit : — Je fais. — Combien faites-vous ? — Je fais, redit-il. — Combien faites-vous ? répétai-je. Il frappa sur la table avec un doublon, en criant : — Je fais une corne ! — Je tiens, répliquai-je, et je double pour celle qui vous reste. Il jeta les cartes et tira sa dague. Moi, la mienne. Les assistants se jetèrent sur nous et nous séparèrent. On changea d’entretien. À la nuit close, je sortis pour rentrer chez moi. À quelques pas, au coin d’une rue, je tombe sur mon homme. Il tire son épée et marche sur moi. Je dégaine, nous nous chargeons. Après avoir quelque peu ferraillé, je lui poussai une botte. Il tomba. On vint au bruit, la Justice accourut et me voulut prendre ; je résistai, reçus des blessures et, battant en retraite, me réfugiai dans la cathédrale. Je m’y tins quelques jours, averti par mon maître de me garder. Enfin, une belle nuit, toutes précautions prises, je partis pour Piscobamba.