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La Nouvelle-Zélande et les petites îles australes adjacentes/06

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La Nouvelle-Zélande et les petites îles australes adjacentes
Revue des Deux Mondes3e période, tome 65 (p. 438-454).
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LA
NOUVELLE-ZELANDE
ET
LES PETITES ILES ADJACENTES

VI.[1]
LES ILES AUCKLAND, MACQUARIE, CAMPBELL, DE L’ANTIPODE, CHATHAM, NORFOLK. — LES PREUVES DE L’EFFONDREMENT D’UN CONTINENT AUSTRAL DANS L’AGE MODERNE DE LA TERRE


I

Si, maintenant, on visite les petits archipels rapprochés de la Nouvelle-Zélande, en une multitude d’endroits, sous l’impression des aspects de la nature, on pourra croire qu’on n’a point quitté les grandes terres. Sur les îlots sans nombre qui bordent certaines parties des côtes de l’île du Nord et de l’île du Sud, pareille est la végétation et semblables sont les animaux. Le perroquet nestor habite les îles de la Barrière, situées près de l’entrée du golfe de Houraki. L’oiseau semble n’avoir aucun penchant à s’aventurer au-dessus de la mer ; cependant on ne voudrait nullement assurer qu’il est incapable de franchir l’espace qui sépare les îlots d’Houraki du littoral de la grande terre, mais on peut affirmer l’impossibilité d’un tel voyage pour l’Aptéryx rencontré dans l’île de la Petite-Barrière. Au sud de l’île Stewart, se trouvent les Snares, qu’on croirait voir surgir de la mer[2]. Elles n’ont encore été l’objet d’aucune exploration scientifique. Le capitaine Armstrong, les abordant au cours de l’année 1868, a simplement relevé la configuration de ces îlots et mesuré la principale hauteur, qui est d’environ 200 mètres. Formées de roches basaltiques et d’argile, les Snares sont en partie couvertes de buissons et d’arbres rabougris, avec des espaces privés de toute végétation. En ces lieux, les manchots se montrent par centaines et les albatros par milliers.

Entre le 50e et le 51e degré de latitude australe, c’est-à-dire à deux degrés environ au sud de la Nouvelle-Zélande, sous un ciel souvent brumeux, plongées dans une atmosphère humide, apparaissent les îles Auckland, — on disait autrefois le groupe de Lord-Auckland. — Le 16 août 1806, pour la première fois, un navire passait en ces parages, un baleinier que commandait le capitaine Abraham Bristow ; il fit la découverte des îles Auckland. Elles sont au nombre de six ; la principale porte le nom du groupe. Par ordre d’importance, vient ensuite l’île Enderby, la plus avancée dans la direction du nord-est. Absolument désertes, elles offraient des stations très appréciées des baleiniers. Un grand établissement de pêche avait été fondé au port Ross, dans la baie du Rendez-Vous ; on l’abandonna en 1852.

Il y a quarante ans, à l’époque des expéditions célèbres de Wilkes, de Dumont d’Urville, de James Clark Ross, les îles Auckland n’ont pas encore été arrachées à la condition de nature. Un jeune chirurgien de la frégate américaine la Porpoise, le docteur Holmes, entreprend des excursions dans l’intérieur de la plus grande île et se met en tête de gravir une colline, mais il éprouve de terribles difficultés. Avec la hache il se fraie le chemin entre les arbres, au milieu des broussailles ; — en certains endroits, c’est tout à fait impossible. — Les taillis d’une épaisseur formidable, les petits buissons enchevêtrés forment des obstacles désespérans. Les fougères entremêlées couvrant le sol rendent la marche des plus pénibles. Où le sol est inégal, comme la végétation masque l’accident, le voyageur tombe dans un trou ; le voilà jusqu’à la tête enseveli sous les frondes des fougères. Une telle promenade semble horrible, et pourtant le jeune Américain éprouve une joie extrême : il foule une terre que n’avait jamais foulée le pas d’un autre homme. De vieux arbres brisés gisent au hasard ; plusieurs troncs pourris demeurent debout, soutenus par les troncs vigoureux qui les entourent ; au sommet de la colline, ce n’est, par intervalles que tapis de mousse et champs d’herbes hautes et touffues. La scène est animée par un monde d’oiseaux qui paraissent n’avoir pas conscience du danger. Des pétrels[3] se reposent sur le terrain ; ignorans de la méchanceté des hommes, ils ne songent nullement à fuir et se laissent prendre sans opposer la moindre résistance. La forêt est pleine de petits oiseaux ; on en compte bien de trois ou quatre espèces différentes. Comme les pétrels, les mignons demeurent étrangers à toute crainte ; un des plus hardis vint se poser sur le chapeau du voyageur assis sous un arbre et il chanta sa chanson. Une espèce très petite, noire, tachetée de jaune, se voit en grand nombre ; elle gazouille d’une façon ravissante. Sur les petites îles, la nature se manifeste sous les mêmes aspects que sur la plus grande de l’archipel.

Les îles Auckland n’ont point encore été l’objet d’études géologiques bien profondes. On a simplement noté les traits qu’une observation toute superficielle permet de reconnaître. Des granits, des porphyres constituent la charpente ; des dépôts sédimentaires couvrent en partie les roches, ainsi que des grès tertiaires où se mêlent des lignites. Enfin s’étendent des formations plus récentes d’origine volcanique ; ce sont surtout des basaltes.

Par la flore et par la faune, les îles Auckland se montrent absolument dépendantes de la partie australe de Té-Wahi-Pounamou. Les bois sont composés de quatre ou cinq essences qui sont répandues sur l’île du Sud et même l’île du Nord. La plus abondante est une sorte de myrte gigantesque, arbre au tronc court et massif dont les branches, étalées au sommet, forment une large couronne. Ensuite un arbre au tronc noir, avec des branches grêles, dressées, portant des feuilles minces aux extrémités des tiges ; un ginzeng au feuillage luisant et aux fleurs d’un blanc verdâtre ; une rubiacée dont les feuilles, lorsqu’elles sont froissées, exhalent une odeur fétide vraiment insupportable[4]. Puis ce sont des buissons d’une véronique qu’on trouve aussi à la Terre-de-Feu. Sous les ombrages croissent, en masses pressées, des fougères appartenant à une quinzaine d’espèces distinctes, mais qui toutes, peut-être, existent sur la terre entrevue par Tasman. Une d’elles, découverte par les médecins du voyage au pôle Sud, Hombron et Jacquinot, se distingue entre toutes et s’impose à l’attention par son port ornemental et plein de grâce[5].

Aux îles Auckland, c’est la végétation de la Nouvelle-Zélande ; les légères différences sont tout à fait de l’ordre de celles qu’on observe sur une même terre suivant les degrés de latitude. Sont communes aux îles Auckland et aux grandes îles : des renoncules, une aralia portant d’énormes corymbes de fleurs verdâtres qu’on croirait de cire[6], quantité de plantes humbles qui se rattachent à des genres représentés en Europe : des épilobes, des orties, des composées, un myosotis qui a des fleurs plus grandes que l’espèce de nos fontaines, des cardamines, des plantains, des géraniums, deux sortes de gentianes, l’une à fleurs blanches, l’autre à fleurs rouges. Parmi les plantes d’Auckland qui n’ont pas été recueillies à la Nouvelle-Zélande, on cite plusieurs espèces remarquables : certaines véroniques, une liliacée dont les gerbes d’or sont parfois au nombre de trois ou quatre épis sur le même pied, une composée ressemblant à un grand aster couvert de fleurs pourpres, une celmisie rayonnant sur le sol et portant des fleurs d’un blanc pur avec un disque rouge[7].

La recherche des animaux sur les îles Auckland a été si imparfaite qu’on ne peut en tirer grand avantage. Cinq ou six espèces d’oiseaux terrestres ont été observées : le faucon, la perruche, l’oiseau clochette, le tui, un pipit à plastron jaune, tous habitans de la Nouvelle-Zélande ; mais on ne saurait assurer si une ou deux d’entre elles ne sont point particulières au petit archipel. Les médecins de l’expédition de Dumont d’Urville recueillirent, au port du Rendez-Vous, quelques insectes ; ce sont surtout des coléoptères carnassiers qui rappellent, par la physionomie, les formes répandues dans le nord de l’Europe ; il n’a pas été possible de vérifier si ces insectes ne se rencontrent point également sur les grandes terres.

A une centaine de lieues des îles Auckland, dans la direction du sud-ouest, on découvre l’île Macquarie[8]. Observée pour la première fois, en avril 1811 et de nouveau reconnue au mois de février 1812 par le capitaine Garalt, commandant le brick la Concorde, cette île appelle l’attention. Elle est à peu près sur la limite extrême des terres australes pourvues d’une végétation. Un épouvantable ressac qui se produit sur ses rives en rend l’accès difficile ; les vents impétueux des régions antarctiques en font un horrible séjour. A cet égard, nous avons l’impression du jeune officier de l’escadrille américaine, commandée par Charles Wilkes, qui passa quelques heures sur le rivage de cette terre froide et désolée. Montueuse, ayant un pic dépassant 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, Macquarie aurait, assure-t-on, 38 milles de long et 5 à 6 de large. Elle est, en partie, couverte d’une herbe haute et touffue ; on y voit des buissons épars et point d’arbres. C’est la nature dans son excessive pauvreté. Néanmoins, quel prix n’ai tacherions-nous pas en ce moment à la connaissance très parfaite de tout ce qui vit sous l’affreux climat de cette île perdue dans l’immensité de l’Océan-Pacifique ? Une pleine lumière viendrait éclairer l’histoire encore à peine soupçonnée des accidens géologiques qui ont bouleversé la partie du monde située vers nos antipodes.

Un seul oiseau terrestre, pensons-nous, habite Macquarie : l’élégante perruche de la Nouvelle-Zélande. Les perroquets ne sont nullement enclins aux migrations lointaines ; il est donc difficile d’imaginer que des bandes du gentil oiseau qu’on voit sédentaire aux îles Auckland se trouvent prises, chaque année, de la folle envie de s’aventurer au-dessus de la mer et d’accomplir une course prodigieuse afin d’édifier leurs nids dans un endroit des plus désolés pour revenir, aux approches de l’hiver, en compagnie de leur progéniture vers des lieux moins tristes, où plus sagement demeurent des frères en toute saison. Si nous tenons à fixer ce point, c’est qu’il importe, pour nos conclusions définitives, d’arriver à la certitude que l’oiseau n’est point de passage, mais qu’il est attaché au sol même de cette terre ingrate. Quelques plantes récoltées à Macquarie appartiennent à des espèces qui se trouvent à Auckland, à l’île Campbell et même à la Nouvelle-Zélande.

Sur toutes les cartes figure, au sud-ouest de Macquarie, l’île Emerald[9]. Chaque géographe l’inscrit de confiance. C’était, dit-on, le 13 décembre 1821 : le capitaine Nockells crut apercevoir, vers onze heures du matin, une île d’une certaine étendue. Il lui donna le nom de son navire. On n’en a jamais su davantage. Personne n’a vu l’île Emerald. En 1841, l’expédition des États-Unis tenta de la retrouver ; rien n’apparut à la surface des eaux.


II

Presque sous le méridien de l’archipel Auckland, au-delà du 50e degré de latitude, se rencontre l’île Campbell. Découverte en 1811, visitée en 1840 par les trois célèbres expéditions de Charles Wilkes, de Dumont d’Urville et de Clark Ross, elle fut étudiée, en 1874, par un de nos jeunes naturalistes. Sur le sol de l’île, en général fort accidentée, se dresse une chaîne de collines dont la plus haute ne dépasse guère 500 mètres. On y voit des tapis de mousses et de lichens des plus jolies teintes ; des taillis et des buissons, pas de grands arbres. Aux yeux des premiers observateurs, la constitution géologique de Campbell est pareille à celle des îles Auckland ; — à la baie Persévérance, les colonnes basaltiques attirent aussitôt l’attention, mais on reconnaît sans peine que l’île entière n’est pas une masse volcanique. En 1874, une mission française, sous la conduite de M. Bouquet de la Grye, s’était rendue à Campbell pour l’observation du passage de Vénus. M. Henri Filhol, chargé de recherches d’histoire naturelle, s’est livré durant un séjour de plusieurs mois à l’examen très sérieux de la structure géologique de l’île. Ainsi ont été connus des faits du plus réel intérêt.

Au fond de la baie Persévérance et sur la cote nord-ouest, existent des dépôts calcaires et des falaises de même formation, au-dessus de couches de grès reposant sur des schistes. Ces derniers, qu’on aperçoit au niveau de la mer, sont argileux et traversés par des bandes de quartz et de granit. Les quartz abondent ; il y en a de deux sortes : les uns, durs et hyalins, sont évidemment d’origine fort ancienne ; les autres, dus aux phénomènes volcaniques plus ou moins récens, sont opaques et un peu jaunes ; de faible consistance, ils se brisent au moindre choc. Les roches calcaires, constituées par lamelles, se désagrègent sous l’action des vents, de la pluie, de la gelée, et les débris se répandent à grande distance ; le sol en est jonché. Cette destruction par les agens atmosphériques doit amener un jour la séparation de Campbell en deux îlots. D’autre part, la mer entraînant les sables à la base des falaises, il en résulte de profondes excavations. N’ayant plus de support, tôt ou tard ces falaises s’écrouleront. Ainsi, avec lenteur, mais avec continuité, s’accomplissent dans le cours des âges d’énormes changemens dans la configuration et dans l’étendue de certaines terres. En présence de la destruction des roches calcaires de Campbell, on est assuré que l’île s’étendait beaucoup plus que de nos jours à l’ouest et au nord-ouest. M. Filhol admet que Campbell, ayant surgi à une époque très ancienne, s’est abîmée ensuite dans les profondeurs de la mer, qu’alors se sont constitués les amas calcaires, que, élevée de nouveau à la surface de l’Océan, les éruptions volcaniques se sont produites et que, depuis cette période, l’île reste écartée de toute autre partie du monde.

Malgré l’absence de froids très vifs, triste climat que celui de Campbell ! La plupart du temps, de violentes rafales se succèdent, la pluie tombe avec persistance, le ciel demeure sombre durant de longs jours ; ainsi règne une pénétrante humidité. En 1873 et en 1874, un navire français, la Vire, en vue d’études météorologiques propres à éclairer la mission chargée de l’observation du passage de Vénus, fit séjour à la baie de Persévérance. Au mois de septembre (qu’on regarde comme la fin de l’hiver), il neige en abondance ; néanmoins, jusqu’au mois de décembre, nos marins ne souffrent pas d’une température très rigoureuse ; une seule nuit, le thermomètre descend à — 6 degrés ; en général, il ne marque pas moins de 5 degrés au-dessus de zéro. Au mois de décembre, c’est-à-dire au printemps, la pluie est presque continuelle ; une ou deux fois, on vit encore un peu de neige. Avec de telles conditions atmosphériques, on ne s’attend pas à trouver une luxuriante végétation. La flore est pauvre ; cependant, à l’examiner avec attention, on y prend intérêt. De délicates bruyères sont d’un effet charmant ; la belle liliacée aux magnifiques fleurs jaunes qui existe aux îles Auckland et à la Nouvelle-Zélande semble, par son abondance à Campbell, occuper une terre de prédilection. Outre une énorme quantité de mousses et de lichens, William Hooker, dans un espace de temps très court, récolta soixante-six espèces de plantes qui étalaient leurs fleurs ; vingt-huit seulement n’avaient point été rencontrées aux îles Auckland ; trente-quatre, qui avaient été observées sur cet archipel, ne furent point retrouvées à Campbell. La plupart de ces plantes sont caractéristiques des régions antarctiques ; les unes, particulières à l’île ; les autres paraissant originaires de l’Amérique australe. Les monocotylédones forment une plus grande part de la végétation que dans les pays situés au nord, les herbes deviennent plus nombreuses ; les composées dominent par la quantité ; il n’y a pas de conifères, ces arbres, dans le sud de Té-Wabi-Pounamou, ne croissent que dans les régions alpines. En général, les végétaux de Campbell se rapportent à des genres représentés en Europe, par exemple en Angleterre et dans les contrées plus boréales. Beaucoup de plantes, répandues sur l’île au niveau de la mer, se retrouvent à la Nouvelle-Zélande, à la hauteur de 1,500 à 2,000 mètres. La faune est absolument misérable ; sur les rivages, les phoques sont peu nombreux, les otaries plus communes. Un oiseau terrestre se montre par intervalles à Campbell, la fauvette d’Australie[10], dont les apparitions à la Nouvelle Zélande sont même fort irrégulières. Dans les falaises, les oiseaux de mer animent les lieux qui présentent pour les hommes l’image de la désolation. Un seul mollusque terrestre a été découvert par M. Filhol, et, jusqu’ici, il a été impossible de le rapporter à aucune espèce existant soit aux îles Auckland, soit sur les grandes terres. Il en est de même pour une douzaine de petites espèces d’insectes appartenant à des groupes tellement divers qu’on en tire la certitude qu’une faune entomologique, encore importante dans sa pauvreté, existe à Campbell. Une lumière se dégagera lorsqu’on parviendra à distinguer entre les insectes qui sont particuliers à la petite île australe et ceux qui lui sont communs avec les terres voisines.

A près de 9 degrés à l’orient de Campbell, sous une latitude à peine moins haute que le groupe de Lord-Auckland, on rencontre dans un remarquable isolement une petite terre presque inabordable ; c’est l’île de l’Antipode, entourée de quelques îlots[11]. Là, les roches et les cristaux d’origine volcanique attestent que l’endroit a été le théâtre de violentes commotions. Bien rarement, on visita les Antipodes, jamais on n’y fit aucune recherche d’un caractère scientifique. Aussi avons-nous à regretter l’absence de notions un peu certaines touchant les plantes et les animaux qui vivent sur ces îles, intéressantes par leur position géographique. Certains faits signalés ont pourtant une valeur qu’il importe de ne pas négliger. Sur l’île de l’Antipode, où l’on voit de chétifs buissons, prospère le fameux phormium de la Nouvelle-Zélande et, paraît-il, d’autres plantes encore qui sont répandues dans la même région. A l’égard de la faune, les renseignemens font défaut ; il est simplement constaté qu’aux Antipodes vit l’élégante perruche de la Nouvelle-Zélande. A plus de cent milles au nord du petit archipel se montrent, sur l’Océan, les îles Bounty ; on les dépeint comme d’âpres rochers sans végétation, n’ayant d’autres maîtres que les manchots et les oiseaux des tempêtes[12].

A 450 milles environ à l’orient de la côte néo-zélandaise, sous le 42e degré de latitude, c’est-à-dire dans le même parallèle que la péninsule de Banks, se trouve le petit archipel des Chatham, composé de quelques îles : la principale, d’une longueur d’environ 70 milles, est accidentée, couverte d’herbes, bordée de dunes en plusieurs endroits ; elle se fait remarquer par ses marécages et ses nombreuses lagunes. Du haut des collines qui dominent le lac Whanga, le paysage est du plus agréable aspect : l’île Pitt, entourée de buissons, de même que la grande Chatham ; puis la Mangaie, toute petite, pierreuse, difficilement abordable et demeurée ainsi le tranquille séjour des oiseaux ; enfin l’île du Sud-Est, la plus haute du groupe.

Par sa constitution géologique, Chatham montre une extrême ressemblance avec la Nouvelle-Zélande. Toutefois, selon la remarque de M. Julius Haast, la direction de l’axe des volcans est différente. Les plus anciennes roches sont des basaltes et des dolérites ; au-dessus reposent des tufs analogues à ceux de certaines parties de l’île du Sud, puis des dépôts calcaires contenant des fossiles appartenant aux espèces de semblables gisemens qui existent dans la province de Canterbury. Avec ces couches tertiaires, mêlées aux roches ignées, paraissent associées les formations carbonifères. La plus ancienne de ces formations, qu’on observe surtout dans l’île Pitt, représente les lignites de la Nouvelle-Zélande ; la plus récente est considérée comme une sorte de tourbe, qui est toute superficielle dans le sud de la grande lagune de Chatham.

Aux îles du petit archipel, mieux explorées que toutes les autres îles éparses dans la vaste région qui nous occupe, sur les parties basses comme sur les collines, c’est la végétation, seulement un peu plus pauvre, de la grande terre sous la même latitude. On remarque l’absence de cordylines, de pittospores et de metrosideros, et, disent les botanistes, à peine voit-on deux espèces particulières à la contrée. Les plantes les plus caractéristiques, telles que l’euphorbe glauque, le sophora et le phormiumn abondent. Les insectes et arachnides recueillis ont été reconnus pareils à ceux de la Nouvelle-Zélande. L’intéressante mygale maçonne a aussi sa demeure dans les deux régions. Quelques mollusques terrestres et fluviatiles sont regardés comme propres à Chatham ; les plus nombreux sont également communs sur le pays, dont nous avons décrit les forêts superbes. Fait encore bien digne de remarque, les lézards du groupe des Scinques qu’on y rencontre sont des animaux répandus sur les terres néo-zélandaises. Ne faut-il pas rappeler que l’unique poisson de la famille des saumons qui habite l’Océan-Pacifique[13] fréquente les rivières des îles Chatham et de la Nouvelle-Zélande ?

Sur des îles d’une étendue aussi restreinte, il est curieux de voir le nombre relativement assez considérable des oiseaux -et de s’assurer que ce sont presque toutes les mêmes espèces qu’à la contrée Voisine de la péninsule de Banks. Il convient en ce moment de ne pas se préoccuper de celles qu’on peut supposer capables d’un vol assez soutenu pour franchir de vastes espaces. Que le pigeon, l’alouette, le tui exécutent la traversée de la Nouvelle-Zélande aux îles Chatham, il est difficile de le croire. Que la perruche accomplisse un tel voyage, rien n’est moins vraisemblable ; néanmoins, on en contesterait peut-être l’impossibilité. Il ne saurait en être ainsi pour les espèces tout à fait incapables de voler, par exemple pour l’ocydrome, oiseau coureur ayant des ailes rudimentaires ; pour le fameux perroquet nocturne, le strygops, qui reste fatalement attaché au sol, et pour un aptéryx qui n’a pas été détruit avant l’année 1835. La présence d’espèces ne vivant nulle part ailleurs ajoute un extrême intérêt à la faune d’une terre isolée. Il importe donc de considérer qu’un râle très caractérisé est propre à l’île Chatham, de même qu’un oiseau méliphage[14]. Les meilleurs observateurs croient ce dernier bien distinct de l’espèce de la Nouvelle-Zélande, qui en est la plus voisine.

On s’en souvient, le capitaine Cook avait quitté la Nouvelle-Calédonie ; il faisait voile pour le canal de la Reine-Charlotte, son séjour de prédilection. Le 11 Octobre 1770, il y eut à bord vive émotion et joie complète ; à peu près sous le 25e parallèle de l’hémisphère sud, on reconnaissait une terre ; elle fut appelée l’île Norfolk, — c’était une découverte. On voyait une riche végétation, un beau ciel, une mer calme, tout ce qui pouvait enchanter des navigateurs livrés à des explorations qui duraient de longues années. Aussi dira-t-on : Norfolk est l’image du paradis. À la baie des Cascades, où l’on aborde, ce sont de gracieux bouquets d’arbres, que dominent les magnifiques pins de Norfolk[15]. Le gouvernement britannique estima que l’endroit serait bon pour les plus grands criminels ; il en fit une colonie pénitentiaire. La colonie fut abandonnée le 7 mai 1855, et les habitans de l’île Pitcairn, jugeant qu’ils gagneraient beaucoup au change, vinrent, au nombre de 194, en prendre possession le 8 mars 1856.

Près de Norfolk, on rencontre les îles Phillips et Nepean ; c’est un petit archipel. Norfolk, n’ayant pas tout à fait 5 milles de long et la moitié en largeur, est haute et fort accidentée ; le Mont-Pitt, qui domine tous les autres sommets, atteint près de 600 mètres au-dessus du niveau de la mer. Un des compagnons du capitaine Cook, le naturaliste Forster, a observé des laves et des roches volcaniques dont la ressemblance avec celles de la Nouvelle-Zélande l’a particulièrement frappé, L’île Phillips, qui n’a pas plus de 2 à 3 kilomètres de longueur, est basse ; les falaises ont des teintes rouges, jaunes et violettes. L’île Nepean, encore plus petite, manque d’eau. Il n’y avait que trois arbres, qu’on voyait à grande distance au moment du passage du voyageur Brendsley en 1860. En 1773, assure-t-on, elle était à peine séparée de Norfolk ; survint, en 1777, une violente secousse, la pointe de l’île s’abîma sous les eaux et le canal se trouva fort élargi. Sur le petit archipel apparaissent, dans la flore et dans la faune, des types répandus dans les régions tropicales ; cependant, nombre de plantes et d’animaux signalent le voisinage de la Nouvelle-Zélande. À Norfolk, c’est une égale abondance de fougères, c’est la même fougère en arbre, le même palmier, les mêmes espèces de liliacées : des cordylines et le fameux phormium, les mêmes poivriers. Un fait plus remarquable encore, c’est la présence, sur des îles d’étendue aussi restreinte que Norfolk et Phillips, de ce genre singulier de la famille des perroquets, tout particulièrement caractéristique des terres néo-zélandaises, le genre Nestor. L’espèce, témoin d’un autre âge, témoin sans doute de prodigieuses catastrophes, rencontrée il y a moins d’un quart de siècle, est, croit-on, aujourd’hui détruite.

Placées à 5 degrés environ à l’est du méridien des îles Norfolk, les îles Kermadec sont à peine connues sous le rapport de l’état de nature. Seule, une récolte de plantes permet d’affirmer qu’il existe dans la végétation de ce petit archipel des analogies saisissantes avec celle de Norfolk et du nord de la Nouvelle-Zélande. Ce sont, outre le phormium, fougères, palmiers, poivriers d’espèces semblables, ainsi que des arbrisseaux de la famille des rubiacées[16].

Enfin, sous le 32e degré de latitude, entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie, mais à peine à 400 milles des rivages de ce dernier continent, se montre l’île Howe. Par sa position géographique, on la dirait une terre australienne ; par sa flore et par sa faune, malheureusement trop peu connues, on devrait, semble-t-il, la déclarer une terre néo-zélandaise. C’est une île volcanique, montagneuse, bien boisée.


III

Les faits qui se dégagent de l’observation de la flore et de la faune des îles qui entourent la Nouvelle-Zélande ont une extrême importance. Ils conduisent à la révélation d’événemens géologiques qui, à travers les âges, ont complètement changé l’étendue et la configuration des terres. A l’heure présente, une application grandiose des sciences naturelles à la géographie physique commence. Longtemps, la récolte des plantes et des animaux sur tous les points du globe semblait n’avoir d’autre objet que de nous procurer la connaissance des formes sous lesquelles se manifeste la vie. Un instant, à la vue des ressemblances si étroites qui existent parfois entre les représentai d’un même genre, il nous sembla qu’il était de médiocre intérêt de réunir des quantités considérables d’espèces lorsqu’on ne découvre entre elles que des différences dont les signes extérieurs sont tout juste propres à établir des distinctions. Un jour, nous avons dû regretter une telle pensée ; rien dans la nature ne saurait être négligé sans perte pour la science, sans préjudice pour l’esprit humain. En effet, à l’observation de la flore et de la faune d’un pays, apparaît un ensemble de formes végétales et animales qui donne une idée précise de la région et permet une infinité de comparaisons rigoureuses avec des contrées voisines ou lointaines. Des types caractérisent des espaces plus ou moins vastes ; or, il est bien reconnu que, tandis que certaines plantes et certains animaux témoignent d’une sorte d’indifférence pour le climat, il en est d’autres, au contraire, d’une telle sensibilité aux conditions de température, d’insolation et d’humidité, qu’ils périssent partout où ces conditions viennent à manquer. De là de précieux renseignemens que fournit la présence des êtres en un point déterminé du globe.

Il a été facile de s’apercevoir que les grandes terres sont infiniment mieux peuplées de plantes et d’animaux que les terres de faible étendue, que souvent des îles ont une flore et une faune vraiment pauvres. A voir le monde actuel, la règle n’est pourtant point absolue, mais la cause d’une exception se décèle à nos yeux comme une preuve des changemens qui se sont produits à une époque ou récente ou reculée. Une île d’une médiocre superficie a-t-elle une végétation riche et variée, une faune nombreuse et brillante, cette île a été la dépendance d’un continent, ou, si jamais elle ne fut rattachée à une autre terre, elle a eu, dans les âges antérieurs, une extension différente. Toutes les observations concernant les plantes et les animaux semblent attester que chaque espèce n’a paru tout d’abord que sur un espace circonscrit du globe ; la dissémination s’est faite ensuite dans des limites larges ou restreintes. Ces données, qui résultent d’une multitude de recherches attentives, doivent répandre une lumière toute nouvelle sur la géographie physique, — la véritable géographie, — car on n’a pas la connaissance exacte d’un pays tant qu’on ignore ce qui vit sur le sol. Les considérations tirées de la nature des êtres nous permettent de reconstituer l’histoire du globe dans les siècles passés. Apercevons-nous sur une île un escargot rampant parmi les herbes, un insecte dépourvu de puissans moyens de locomotion qui erre sous nos pas, aussitôt des problèmes s’offrent à notre esprit dont la solution amène des notions d’une importance capitale. La présence de ces infimes créatures fait surgir l’idée d’une recherche. Ont-elles paru pour la première fois sur cette terre isolée ? Sont-elles d’espèces différentes de celles qui habitent les terres les plus voisines, ou appartiennent-elles aux mêmes espèces ? La reconnaissance de semblables faits, contrôlés les uns par les autres et recueillis en aussi grand nombre que possible, nous renseignera sur les événemens géologiques antérieurs. Si la plupart des espèces de l’île sont les mêmes que celles d’un continent ou d’une grande terre plus ou moins éloignée, il y aura certitude qu’un affaissement du sol a produit la séparation d’une parcelle du continent. Dans l’autre cas, au contraire, on pourra déclarer qu’il n’y eut jamais pareille union.

On sait que des rivages se sont étendus par suite de la formation de bancs de coraux. Ces parties nouvelles recevant des poussières mêlées de terre se consolident, une végétation s’y développe, des animaux s’y répandent, mais végétaux et animaux ne sont autres que ceux qui sont venus du voisinage. Sur certains points des océans se sont élevées des îles, ou par suite d’actions volcaniques, ou par des formations de coraux ; elles n’ont reçu que des terres se trouvant à quelque proximité la végétation qu’elles portent, les animaux qu’on y rencontre ; elles ne montrent rien de particulier. Flore et faune attesteront une extrême misère, et la misère sera d’autant plus extrême que ces îles seront plus éloignées des continens. Ainsi, pour le sujet qui nous occupe : la Nouvelle-Zélande et les îles adjacentes, on devra tirer une conclusion d’une grande portée des faits que nous avons signalés touchant la végétation et le monde animal.

Un jour, nous avons exposé devant l’Académie des Sciences les preuves de l’effondrement d’un continent austral pendant l’âge moderne de la terre ; on s’empressa de rappeler des idées qu’on supposait analogues, déjà émises par certains naturalistes. Il y avait pourtant peu de rapports entre nos résultats acquis par des comparaisons aussi complètes que le permettait l’ensemble des documens obtenus par une patiente recherche, et des vues nées d’observations peu nombreuses, parfois mal assurées, souvent interprétées selon l’imagination. En présence d’événemens qui ont bouleversé les terres du sud de l’Océan-Pacifique, il reste intéressant, en vérité, de suivre un moment les auteurs dans la voie où ils se sont engagés.

Au siècle dernier, navigateurs et géographes croyaient à l’existence d’un continent dans l’espace compris entre l’Australie et l’Amérique australe. Le capitaine Cook, apprenant au monde qu’en ces parages il n’existe que deux grandes îles et des îlots, la surprise fut générale. On se figura qu’il fallait chercher le continent austral sous de plus hautes latitudes. Crozet, le narrateur du triste voyage de Marion, déclare que la Nouvelle-Zélande lui apparut comme une immense montagne qui autrefois aurait fait partie d’un vaste continent. En 1872, un savant de la colonie néo-zélandaise, le capitaine Hutton, après des études de géologie et de zoologie, entretint le public des phases successives de son pays d’adoption[17]. A son avis, les hautes montagnes de la Nouvelle-Zélande n’ont jamais été submergées. Il admet sans trouble d’esprit qu’à une époque très reculée, la Nouvelle-Zélande communiquait avec l’Australie, l’Afrique et l’Amérique, mais qu’elle en a été séparée avant l’apparition des mammifères ; on serait mal avisé si l’on prétendait obtenir de l’auteur la moindre preuve d’un caractère scientifique. M. Hutton voit, en d’autres temps, la terre australe comprenant toutes les îles tropicales et ne détendant pas au nord jusqu’aux îles Hawaï ; il se fonde sur l’existence en Australie, à la Nouvelle-Calédonie, aux îles Fidji et même dans l’archipel Indien, à l’époque du trias, du genre dammara, dont le type, le fameux pin kauri, demeure de nos jours particulier à l’île de Te-Ika-a-Mawi. Selon M. Hutton, pendant la période jurassique, la Nouvelle-Zélande se trouvait reliée à l’Australie. Depuis, il y eut des alternatives de dépression et de soulèvement, et, par deux fois, elle n’aurait montré à la surface des eaux que des groupes d’îles d’étendue fort médiocre. Au commencement de la période tertiaire, c’était, pense-t-il, un continent qui joignait la Nouvelle-Calédonie à la Nouvelle-Zélande ; à la fin auraient été séparées les îles Auckland et les îles Chatham. La présence de grands oiseaux coureurs du même ordre que les casoars et les autruches conduit le savant de la colonie à rêver d’anciennes communications entre toutes les terres australes. Étrange idée, car les oiseaux coureurs habitant les différentes régions du monde appartiennent à des types absolument distincts. L’existence d’un ocydrome à l’île Howe et d’une autre espèce du même genre à la Nouvelle-Calédonie l’amène à supposer que c’est l’indice suffisant de l’union primitive des terres qu’habitent les oiseaux de ce groupe. M. Hutton, confondant sans cesse les identités spécifiques, les formes génériques et même les types de famille, en vient à imaginer des relations territoriales vraiment extraordinaires.

Bientôt après, le naturaliste anglais, M, Alfred Russell Wallace, dans un important ouvrage sur la distribution géographique des animaux[18], cite les archipels de Norfolk, de Kermadec et de Chatham comme des dépendances de la région néo-zélandaise. Il admet que ces terres, étant unies, formaient un continent ; l’époque est indéterminée. M. Wallace s’appuie, de même que M. Hutton, sur la présence d’oiseaux se rattachant à des types très caractérisés, en particulier les ocydromes ; on croit qu’une curieuse poule-sultane blanche, aujourd’hui éteinte à Norfolk, existe encore à l’île Howe[19]. La considération des vestiges de moas l’amène à concevoir l’idée que le démembrement de la grande terre australe s’est effectué à une date très ancienne, c’est-à-dire pendant la période secondaire, peut-être à un âge antérieur. A son avis, la rareté des plantes odoriférantes et la pauvreté de la faune entomologique indiqueraient un isolement dès un temps très reculé.

L’idée que la Nouvelle-Zélande actuelle est le débris d’une vaste terre s’est formée à la simple observation des aspects du pays ; elle s’est formée par l’examen de la constitution géologique et surtout par l’étude de la population animale. Néanmoins tout est demeuré à l’état de conception vague. Nos recherches sur la nature vivante nous conduisent à un résultat mieux assuré en faisant une pleine lumière sur les lacunes qui arrêtent encore sur certains points la démonstration complète. Nous pouvons affirmer que, dans l’âge moderne du monde, s’est effondré le continent austral dont la Nouvelle-Zélande et les petites îles adjacentes sont les vestiges. En présence de la végétation des îles Auckland, presque semblable à celle de l’extrémité sud de la Nouvelle-Zélande, avec quelques formes particulières sans doute, est-il possible de douter que le petit archipel ait été séparé dans un temps où la nature s’offrait sous les mêmes apparences que de nos jours ? Nous ne pouvons le penser. L’évidence se manifesterait si les animaux des différentes classes avaient été recueillis de manière à rendre possibles les comparaisons. Il ne faut pas l’oublier, pour reconnaître l’étendue des rapports entre la faune de ces îles et celle de la Nouvelle-Zélande, on devra trouver au niveau de la mer, sous les plus froides latitudes, les espèces qui, dans le nord, se montrent sur des points élevés où le climat est analogue.

A l’égard de l’île Macquarie, les indices d’une union ancienne avec les terres néo-zélandaises nous paraissent saisissans ; ils ne suffisent pas, il est vrai, pour forcer les convictions. Pour l’île Campbell, qui, de l’avis d’un observateur, s’étendait autrefois beaucoup plus qu’aujourd’hui dans la direction du nord, il est sage, faute de certains renseignemens, de garder la réserve. L’absence d’oiseaux terrestres nous y oblige ; le défaut de connaissances exactes sur la faune entomologique nous y contraint. Pourtant ne doit-on pas être frappé de la richesse relative de sa flore pour une île à présent très distante des autres terres ? Cette flore présentant, selon toute probabilité, quelques plantes particulières, au milieu de la foule des espèces qui sont également répandues aux îles Auckland et à la Nouvelle-Zélande, nous ne saurions rien ajouter à ce que nous avons exposé touchant les îles Bounty et de l’Antipode. S’agit-il des Chatham, il convient au contraire, d’arrêter de nouveau l’attention. Sur des terres d’aussi faible étendue, les végétaux et les animaux sont en quantité remarquable, et malgré l’éloignement, c’est absolument la nature telle qu’on la voit au pays des Maoris ; tout juste quelques formes spéciales pour donner un caractère à la région et pour attester que la contrée n’a pas reçu du dehors sa végétation et le monde animal qu’elle possède. A tous les yeux, c’est un fragment de la Nouvelle-Zélande.

Remontant au nord, nous atteignons les archipels de Kermadec et de Norfolk. On l’a vu, il y a sur ces îles, dans la nature vivante, des rapports singuliers avec la contrée que nous venons d’étudier ; nombre de types de végétaux qu’on ne rencontre nulle part ailleurs et aussi une forme du monde animal absolument caractéristique des terres néo-zélandaises. Kermadec et Norfolk ont déjà le climat des régions tropicales. On doit s’attendre à y trouver des types qui existent surtout dans les parties chaudes du globe. La recherche de l’ensemble des êtres qui vivent sur ces îles jetterait une lumière éclatante sur les bouleversemens géologiques du temps passé. En l’état actuel, nous avons l’assurance que ces archipels s’étendaient autrefois jusqu’au voisinage de la Nouvelle-Zélande. Avec des connaissances plus profondes, nous pourrions déclarer si ces terres ont été unies ou séparées dans l’âge moderne du globe. A peine avons-nous osé parler de l’île Howe, nous en sommes réduit, pour ainsi dire, à de simples indices ; il faut attendre de l’avenir des notions certaines sur les ressemblances que cette île peut offrir soit avec l’Australie, soit avec la Nouvelle-Zélande. L’étude de la nature apporte mille preuves que les terres reconnues par le capitaine Cook et les petites îles qui l’entourent au sud, à l’est, et au nord, sont les restes d’un continent qui s’est effondré à une époque où végétaux et animaux occupaient ces terres à peu près dans les conditions où ils les occupent de nos jours.

A songer à la multitude d’ossemens de moas éparpillés sur les deux grandes îles et à l’accumulation observée sur d’étroits espaces, on éprouve une sorte de stupéfaction à l’idée du nombre prodigieux des oiseaux gigantesques qui vivaient, à une époque assez récente, sur les plateaux et dans les plaines de la Nouvelle-Zélande. Est-il possible que la destruction totale de ces remarquables créatures ait été accomplie par les hommes ? Assurément, non. Les Maoris se trouvant toujours fort clairsemés sur l’île du Sud, de vastes espaces n’avaient peut-être jamais été foulés par les pas d’un homme. Selon l’extrême probabilité, presque selon toute évidence, devrait-on dire, les événemens physiques ont été la grande cause de cette extinction. Dispersés sur d’immenses étendues, les moas avaient l’existence facile ; la terre venant à s’engloutir sous les eaux, ils durent se réfugier sur les espaces qui demeuraient émergés. Dans ces circonstances nouvelles, les énormes oiseaux auraient péri par centaines dans les endroits où ils se pressaient en foule. L’anéantissement de ces êtres ajoute une preuve saisissante à toutes les preuves de l’effondrement du continent austral. Nulle part, jusqu’à présent, aux îles Auckland, à Campbell, où M. Filhol a exécuté des fouilles dans les tourbières, à Chatham, on n’a découvert de débris de moas, et l’on s’en étonne. Cependant il n’est pas bien certain que l’on n’en exhumera pas un jour de quelque endroit caché de l’archipel d’Auckland et surtout de Chatham. Si, d’autre part, la certitude était acquise que nul vestige de moas n’existe à Auckland, à Macquarie ou à Campbell, il faudrait sans doute en chercher la cause dans le climat de ces terres, trop rigoureux pour la vie des oiseaux géans. On sait combien de créatures sont limitées dans leur extension géographique à une latitude déterminée.

Après toutes les preuves fournies par la nature vivante, on en soupçonnera une autre. Que l’on jette les yeux sur les cartes où se trouvent indiquées les profondeurs de la mer, on est frappé de voir que la plus grande partie de la région maritime où sont les terres regardées comme les débris d’un continent est assez peu profonde. Sur quelques points, il est vrai, particulièrement au sud de Norfolk et au sud de la Nouvelle-Zélande, il y a de grandes cavités. Des soulèvemens et des dépressions venant à se produire, il est certain que l’intensité des mouvemens est tantôt faible, tantôt considérable ; d’ailleurs, dépressions ou soulèvemens peuvent être le résultat d’actions renouvelées. Seulement une terre étant faiblement submergée, on admet plus volontiers qu’elle s’est affaissée à une époque récente. Sur de grandes surfaces, l’ancienne terre australe est noyée ; elle n’est pas engloutie dans les abîmes. Des soulèvemens la ramèneront peut-être un jour au-dessus des eaux. Les effets des tremblemens de terre, observés depuis une quarantaine d’années, donnent un caractère de probabilité à cette espérance.

Retenu par la crainte de ne posséder que des renseignemens encore trop incomplets, à peine avons-nous voulu nous arrêter à la considération de la faune marine. Beaucoup de poissons sont des êtres errans ; plus sédentaires en général sont les mollusques. Un fait semble se dégager des observations suivies à l’égard de ces derniers. Dans le nord, il existe en quantité appréciable des espèces communes à l’Australie ; en marchant vers le sud, le nombre des mollusques qui n’ont pas été rencontrés ailleurs devient de plus en plus considérable, et les espèces néo-zélandaises se retrouvent en grande partie sur les rivages des îles Chatham. Ainsi, même de ce côté, l’indépendance et l’unité de la région se démontrent.

A l’heure présente s’ouvre une voie nouvelle ; la science va permettre de constituer l’histoire du globe, ancienne ou récente. Pour d’immenses cataclysmes, pour des changemens énormes, la certitude sera souvent acquise. Il faut attendre ensuite de l’investigation bien dirigée la lumière qui dissipe tous les doutes. A l’égard de notre sujet particulier, mis en possession de renseignemens un peu complets sur l’ensemble des flores et d’informations précises sur les faunes entomologiques des petites îles, des clartés jailliraient sur les phénomènes qui restent encore voilés. Pour les recherches qui restent à poursuivre, nous avons adressé un pressant appel aux naturalistes de la Nouvelle-Zélande. Depuis une vingtaine d’années, dans ce pays, des investigateurs se distinguent par des études du plus réel intérêt. A eux il appartient de faire une exploration parfaite des îles qui entourent la Nouvelle-Zélande. On n’oubliera pas que les plus misérables plantes, que les plus chétifs insectes deviennent des signes dont il est possible de tirer d’admirables révélations sur l’histoire du monde physique.

Nous aurons achevé notre récit touchant les terres reconnues au siècle dernier par le capitaine Cook lorsque nous aurons étudié de quelle façon les hommes vinrent les occuper.


EMILE BLANCHARD.

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1878, du 15 décembre 1879, du 1er septembre 1881, du 15 janvier 1882, du ler juin 1884.
  2. Par 48° 03’ latitude ; 166° 45’ longitude Est.
  3. Procellaria.
  4. Metrosideros lucida, Dracophyllum longifolium, Panax simplex, Coprosma fœtidissima.
  5. Aspidium venustum.
  6. Aralia polaris.
  7. Anthericum Rossii, Pleurophyllum speciosum, Cilmisia vernicosa.
  8. L’extrémité sud de l’île par latitude S. 54° 44’, longitude 150° 49’.
  9. Par latitude S. 57° 15’, longitude 163 degrés.
  10. Zosterops lateralis.
  11. Latitude 49° 42’, longitude orientale 178° 43’.
  12. Latitude 47° 55’, longitude 179 degrés.
  13. Retropina Richardsoni.
  14. Rallus Dieffenbachii et Anthornis melanocephala, voisin de l’Anthornis melanura, de la Nouvelle-Zélande.
  15. Araucaria excelsa.
  16. Coprosma petiolata.
  17. Transactions of New Zealand Institut, Ve volume, page 227.
  18. The Geographical Distribution of Animals. London, 1874.
  19. Notornis alba.