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La Nouvelle Emma/Avertissement

La bibliothèque libre.
Traduction par anonyme.
Arthus Bertrand Libraire (Tome 1p. v-x).
I  ►

AVERTISSEMENT.


La Nouvelle Emma n’est point, à proprement parler, un roman ; c’est un tableau des mœurs du temps. Les Français qui ont fait quelque séjour en Angleterre, y reconnaîtront les coutumes, les habitudes et les manières des petites villes, ou de ce qu’on appelait jadis chez nous la province. Ceux au contraire qui ne sont jamais sortis de chez eux, apprendront, sans se déplacer, à connaître nos voisins.

On prévient ici le Lecteur qu’il ne trouvera dans cet ouvrage aucune aventure merveilleuse, point de châteaux enchantés, point de géans pourfendus : tout est naturel. Après avoir lu Emma, on croirait que l’auteur a tracé ses portraits d’après nature, et que les faits qu’il raconte se sont passés dans son voisinage. Cet ouvrage, dédié à Son Altesse Royale le Prince Régent d’Angleterre, a été favorablement accueilli par la nation pour laquelle il a été écrit, et cela devait être ; car le lecteur anglais, s’il ne se reconnaissait pas lui-même dans les portraits tracés par l’auteur, pouvait y reconnaître ses amis, ses parens ou ses voisins. Parmi un grand nombre de personnages qui figurent dans cette brochure, il y a quelques caractères neufs pour nous, et ils sont en général bien soutenus.

Comme chez nous, on y trouvera des parvenus, insolens, des bavards, des gens fiers de leur naissance et de leur fortune ; et comme chez nous aussi, on rencontrera des personnes qui pensent que les avantages de la naissance et de la fortune (dont le premier est toujours accidentel, et très-souvent le second) ne devraient inspirer, à un vrai gentilhomme d’autre orgueil que celui de surpasser les hommes qui sont placés au-dessous de lui dans l’ordre politique, par son équité, par sa générosité et ses talens.

Emma, personnage principal, joue, comme de raison, le premier rôle. Jeune, belle, spirituelle et riche (il ne faut pas oublier cette bonne qualité-là), maîtresse de bonne heure, non-seulement de ses actions, mais même de toute sa maison, par la mort prématurée de sa mère, et l’excessive tendresse d’un père qui la gâta autant qu’il put, avait cependant des qualités éminentes ; mais ce qui la distingue le plus, c’est l’amour filial qu’elle possède à un tel degré, qu’elle forme le projet de ne se jamais marier ; mais reléguée dans une campagne, elle crut que, pour le bien de son pays en général, celui de ses amis en particulier, et surtout pour se procurer quelque amusement, elle devait faire des mariages.

Heureusement pour elle, ainsi que pour ceux en faveur de qui elle travaillait, elle ne réussit ni à en faire ni à en empêcher, et qu’elle finit elle-même par épouser un véritable gentilhomme. En Angleterre, ce titre de gentleman se donne à tout le monde, comme chez nous celui de monsieur ; dans sa véritable acception encore aujourd’hui, gentleman signifie un homme accompli, possédant, outre de belles manières, toutes les qualités de l’esprit et du cœur. On pourrait même assurer que le titre de gentleman est au-dessus de lord : car c’est encore en Angleterre comme chez nous, où tous les nobles ne sont pas gentle-men ; c’est ce que prouve le bon mot d’un satirique anglais. Apprenant qu’un lord avait été fait duc, il s’écria :

The king may make him a duke if he pleases, but I’ll be D…d if he can make a gentleman of him.

Le roi peut le faire duc ; mais il n’en fera jamais un gentilhomme.

Quant à la morale, on peut dire de la Nouvelle Emma ce qu’un auteur disait de son livre :

Les mères peuvent le faire lire à leurs filles.