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La Poésie des bêtes/4

La bibliothèque libre.
Librairie des Bibliophiles (p. 23-28).

LE MARIAGE DES OISEAUX


Plus bas que les genêts, plus bas que les labours,
Au bord des prés brillants de leurs rigoles pleines,
Dans les bois inclinés où les premiers beaux jours
Font gonfler les bourgeons des hêtres et des frênes,
Les oiseaux assemblés célèbrent leurs amours.

Ils jasent au soleil, ils s’échauffent, ils crient ;
D’effrontés libertins pourchassent hardiment
Leur femelle qui fuit, et les autres en rient.
Et le berger rêveur se dit naïvement :
« Tiens, c’est le vingt-deux mars, les oiseaux se marient. »


Tout habillé de noir, avec lunettes d’or,
Le merle à son amour débite une ballade ;
Mais la grive le raille et trouve qu’il l’endort,
Tandis que le pivert, habile à l’escalade,
Grimpe après sa moitié le long d’un arbre mort.

Dans les houx, roitelets, rouges-gorges, mésanges,
Les petits, les joyeux, tous les francs polissons,
En vrais saint-simoniens se groupent par phalanges,
Et, mettant en commun épouses et chansons,
Souvent font à la fin de risibles échanges.

Et comme tous ces gueux, dans leurs libres amours,
Raillent jars et dindons, — pauvres oiseaux classiques,
Qui, pour se marier au fond des basses-cours,
Ont besoin de signer des actes authentiques
Et de jurer cent fois qu’ils s’aimeront toujours !


Un moineau, là-dessus, conte à qui veut l’entendre
Mille faits scandaleux dont il sait le détail,
Entre autres comme quoi certaine oie un peu tendre,
Ayant un jour franchi par hasard le portail,
Au logis conjugal s’est longtemps fait attendre…

Entendez-vous ces cris, là-haut ? Ce sont les geais :
Des manants enrichis, à livrée éclatante,
Mais qui jurent toujours comme des portefaix,
Et qui, trouvant la dot par trop insuffisante,
Se battent pour savoir qui soldera les frais.

Un vieux geai va criant : « On me vole ! on m’assomme !
O gendres scélérats ! ô filles sans respect ! »
Mais la cohue en chœur : « Il est fou, le bonhomme !
— Goinfre ! tu t’es gorgé de faîne jusqu’au bec !
— Allons ! garde ta fille, ou compte-nous la somme ! »


Le gros-bec intervient, le calme reparaît,
Et le beau-père a seul la tête un peu meurtrie.
Soudain on s’aperçoit que la pie en secret
S’est enfuie, emportant toute l’argenterie,
Et l’on crie : « Au voleur ! » à travers la forêt.
 
Pendant ce temps, j’ai vu Raoul et Valentine,
— Deux bouvreuils amoureux, — doucement s’esquiver :
Le mâle porte un cœur de feu sur la poitrine ;
Valentine à sa voix me paraissait rêver…
O les duos d’amour, là-bas ; sous l’aubépine !

Un pauvre roitelet pleure seul, au ravin ;
Il a déjà perdu sa jeune roitelette,
Qui, trouvant qu’un gros nid de mousse est bien malsain
Et que les roitelets aiment peu la toilette,
A grimpé lestement chez le pinson voisin.


Pendant que tout cela chante, piaille et fourmille,
Le maigre chat-huant, sur le bord de son trou,
Se plaint amèrement, hélas ! que l’on gaspille,
Ajoutant que, pour lui, faute d’avoir le sou,
Il attend l’an prochain pour marier sa fille ;

Et, braquant ses regards striés de filets d’or
Sur l’horizon lointain que le couchant embrase,
Ivre comme Grandet contemplant son trésor,
Ou comme un alchimiste incliné sur son vase,
Les yeux sur le soleil, lentement il s’endort.

En rêve il voit passer, voguant à pleines voiles,
Des nuages qu’il prend pour de lourds galions ;
Et, comme l’araignée aux mouches tend ses toiles,
L’oiseau, de ses gros yeux absorbant les rayons,
Vole l’or au soleil et l’argent aux étoiles.


La nuit tombe, et le vent qui fait verdir les prés,
Le vent de germinal, amoureux des pervenches,
Soupire mollement à travers les fourrés,
Et, pour les endormir deux à deux sur les branches,
Berce tous ces nouveaux époux énamourés.

Le ver luisant s’allume, et les rainettes crient ;
Et le berger rêveur, qui pousse lentement
Son troupeau vers la ferme où les vitres sourient,
Traverse la forêt avec recueillement :
Car, c’est le vingt-deux mars… les oiseaux se marient.