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La Princesse (Moreau)

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Ne parlons plus de liberté :
Je viens de voir une princesse.
Pour mettre aux pieds de Son Altesse
À mon tour, que n’ai-je hérité
D’un peu de légitimité !
Elle serait, pour ma chambrette,
Un meuble fort joli, ma foi ;
Mais puisqu’elle n’est pas grisette,
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !

Dès qu’en son char elle a paru,
Blonde et riante à la portière,
À travers des flots de poussière
Avec la foule j’ai couru,
Empressé de voir, et j’ai vu…
J’ai vu son front qui se colore,
Son sein qu’agite un doux émoi :
Mais, pour voir un peu mieux encore.
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !


Je veux prendre aussi mon essor :
L’ambition devient vulgaire,
Tel sot, qui végétait naguère,
Se réveille plus sot encor,
Chargé d’honneurs et cousu d’or.
D’un souhait qui semble frivole
Vous riez sans doute, et pourquoi ?
Amis, la Providence est folle ;
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !

Sous les palais, comme un volcan,
La Liberté s’allume et gronde ;
Ne puis-je trouver en ce monde,
Où les trônes sont à l’encan,
Quelque petit trône vacant ?
Dussé-je, en prince bon apôtre,
Caresser le peuple et la loi,
Dussé-je régner comme… un autre,
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !

Je le sais, l’Hymen et l’Amour
Traitent les rois comme la foule,
Et l’on dit qu’à la sainte ampoule,
D’âge en âge et de cour en cour,
Le diable a joué plus d’un tour ;

Mais si dans les devoirs suprêmes
Mon peuple usurpait mon emploi,
Du moins il paîrait les baptêmes :
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !

D’un fol espoir je m’enivrais ;
Mais quel réveil et quel vacarme !
Le galop brutal d’un gendarme
Tout à coup me renverse auprès
De l’idole que j’adorais.
Dans le tourbillon de ses gardes,
Elle fuit vers le Louvre, et moi
Je gagne en boitant les mansardes…
Ah ! quel bonheur si j’étais roi !

1832.