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La Rançon de la gloire

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La Rançon de la gloire
Revue des Deux Mondes4e période, tome 123 (p. 348-382).


LA
RANÇON DE LA GLOIRE

SOPHIE KOVALEVSKY



La femme dont nous allons dire la vie a été l’une des plus richement douées, des plus comblées en succès et en honneurs, des plus triomphantes à s’en tenir aux apparences et aux jugemens légers du monde. Elle avait fait des rêves fous, et ses rêves étaient devenus une réalité. Elle avait rompu avec les usages et les préjugés, elle s’était moquée des volontés de sa famille, et l’on ne voyait pas qu’elle en eût jamais été punie ; sa famille s’était résignée, et l’opinion avait désarmé devant sa droiture et sa vaillance. Elle avait défié la nature qui l’avait faite femme, tandis qu’elle voulait accomplir une œuvre d’homme ; et la nature indulgente ne s’était point vengée. Qu’avait-elle à regretter ? Qu’aurait-elle pu désirer encore ? Tout lui avait réussi. Elle était devenue une sorte d’exemple classique parmi les jeunes filles jalouses des fortes études et des carrières libérales de l’autre sexe. On invoquait entre étudiantes le cas, unique et éblouissant, de Sophie Kovalevsky, professeur de mathématiques supérieures à l’Université de Stockholm, auteur d’un mémoire auquel l’Institut de France a décerné l’une de ses plus hautes récompenses, savante authentique, citée par les savans à côté d’Euler et de Lagrange, et femme admirée, recherchée, fêtée, heureuse. À part deux ou trois amies qui gardaient le silence, personne ne doutait qu’elle n’eût été l’une des grandes victorieuses dans la bataille de la vie.

Sophie Kovalevsky est morte jeune, ayant fait promettre au témoin le plus confident de ses luttes de dire son histoire à tous et à toutes, et il s’est trouvé que tant de gloire, tant d’hommages, ne recouvrait que de la cendre et des larmes, des déceptions et des désespoirs. « J’ai eu tout dans la vie, disait-elle, tout, excepté ce qui m’était indispensable. » Elle ajoutait : « Quelque autre créature humaine aura reçu en partage le bonheur que j’avais toujours souhaité pour moi et dont j’avais toujours rêvé. Il faut que la distribution se fasse mal au grand festin de la vie, car tous les convives prennent les parts des autres. »

Cet « indispensable » qu’elle n’avait jamais eu, c’était la vie du cœur, soit qu’elle se fût en effet trompée de part, sans le vouloir, et parce qu’il est de notre destin de tâtonner toujours à l’aveuglette ; soit que l’erreur dont elle a souffert jusqu’à en mourir ait été de prétendre à double part au « grand festin ».

I

D’après ses Souvenirs d’enfance[1], Sophie Kovalevsky avait été la « pas-aimée » dès son entrée dans le monde. Elle avait eu le malheur de naître mal à propos. C’était à Moscou, en 1850. Son père, le général Kroukovsky, était rentré chez lui ayant fait de grosses pertes au jeu ; il avait fallu mettre en gage les diamans de sa femme. Sophie vint au jour quelques heures après, et son arrivée fut trouvée importune. Sa bonne, sa niania ne se lassait pas de raconter aux autres domestiques, d’un ton froissé, combien Sonia avait été mal reçue : « La barinia n’avait pas seulement voulu la regarder. » L’enfant écoutait ces indiscrètes confidences. « Cela décida de mon caractère, disent les Souvenirs. Je devins de plus en plus sauvage et concentrée. »

Peut-être s’exagérait-elle l’indifférence de ses parens, mais elle avait le droit de s’y tromper. Les Kroukovsky étaient de sang très noble ; ils descendaient de Mathias Corvin, roi de Hongrie. Ils élevèrent leurs enfans, — deux filles et un garçon, — selon l’ancienne tradition aristocratique, c’est-à-dire de très haut et de très loin. C’était un événement pour les petits d’apercevoir leur père. Aux occasions solennelles, quand le général Kroukovsky avait revêtu son uniforme chamarré et que sa poitrine resplendissait de croix et de crachats, on amenait ses enfans le contempler. Il se laissait admirer, comme une idole ou comme le bœuf-gras, et partait avec la conscience d’avoir rempli ses devoirs de chef de famille. En toute autre circonstance il était invisible et inaccessible ; on n’entrait dans son cabinet que sur invitation. Cependant, lorsqu’il rencontrait par hasard ses enfans, il ne manquait jamais de s’informer de leur santé et de tâter leurs joues pour s’assurer qu’elles étaient pleines.

Ces relations semblables à des rites existaient en Russie dans un grand nombre de familles nobles, où elles eurent de grandes suites pendant la crise qui suivit les réformes de 1860. Elles furent cause que beaucoup de parens et d’enfans se trouvèrent étrangers les uns aux autres, comme chez les Kroukovsky, au moment critique où la jeunesse russe, enivrée par le souffle libéral qui passait sur l’empire des tsars, entrait en effervescence et allait d’un bond aux extrémités. Plus d’un personnage très brodé et très correct dut à sa dédaigneuse ignorance de ce qui se passait dans la chambre des enfans de s’éveiller un beau matin père d’une étudiante émancipée ou d’un nihiliste militant.

Mme Kovalevsky était bourgeoise de sentimens. Elle n’a jamais pu comprendre la conception aristocratique de la famille, et elle avait toujours le cœur gros en pensant à son enfance sevrée de caresses. Quand elle se reportait à ses premières années, elle revoyait une jolie maman, toujours parée, toujours en train de partir pour une fête, et dont les rares et fugitives apparitions l’éblouissaient. Elle se rappelait ses tentatives timides et gauches pour embrasser cette créature radieuse, d’un éclat surnaturel avec ses épaules nues et le feu de ses pierreries, et elle n’avait pas oublié que cela ne réussissait jamais. Sa mère lui reprochait de la chiffonner, et l’enfant courait cacher sa honte dans un coin, où elle se comparait à sa sœur Anna, qui savait grimper sur les genoux sans abîmer les belles robes, et que leurs parens gâtaient parce qu’elle avait une jolie figure. « Ma pauvre petite », grommelait niania, et très avant dans la soirée, tandis qu’on la croyait endormie, la triste « pas-aimée » écoutait pour la centième fois, avec une curiosité toujours nouvelle, le récit de sa naissance importune et de l’injustice de sa destinée.

Le grand mal que cela lui fit fut de la tromper elle-même sur sa propre nature. Quand vint l’âge où elle aurait pu prendre sa revanche et faire son existence, elle s’était si bien désaccoutumée de toute vie sentimentale, qu’elle n’y pensait plus. Elle crut de bonne foi pouvoir s’en passer, et ne s’éveilla de son erreur que lorsqu’il n’était plus temps : elle avait déjà choisi la gloire, et le reste ne lui fut pas donné par surcroît.

Ses Souvenirs d’enfance, dont le seul défaut est de rappeler un livre célèbre de Tolstoï, contiennent des pages charmantes sur les années d’exil dans une grande pièce basse, toujours close, qui sentait l’huile, l’encens, la chandelle et je ne sais quel onguent cher au paysan russe. Le tout ensemble composait une odeur très particulière, très nationale, et qui tend à disparaître de la Russie. Mme Kovalevsky croit qu’elle n’existe plus guère à Saint-Pétersbourg ni à Moscou ; mais on la retrouve encore dans les campagnes, où elle éveille chez les gens âgés le souvenir d’un passé qui s’en va, malgré l’attachement de ce peuple à ses vieux usages.

Les trois enfans couchaient dans cette pièce étouffée, avec niania et une pauvre servante, Thécla la Camarde, qui dormait par terre sur un morceau de feutre. Anna était souvent admise au salon, mais les deux petits ne bougeaient de leur chambre. On ne les promenait pas. On n’ouvrait jamais les fenêtres. Ils jouaient, mangeaient, vivaient là, en compagnie d’un tas de commères auxquelles niania offrait du thé et du café. Mille odeurs diverses, parmi lesquelles celle, tant subtile et tenace, dont il a été parlé, flottaient sous le plafond bas et rendaient l’atmosphère suffocante. L’institutrice française d’Anna n’entrait jamais chez son élève sans se boucher le nez. — « Je vous en prie, ouvrez le vasistas, « disait-elle d’une voix plaintive. — « Ouvrir le vasistas, pour que les enfans des maîtres prennent froid, » grondait niania. Autant lui dire tout de suite de les débarbouiller, en plein hiver. « Serpent, va ! » murmurait-elle dans le dos de l’institutrice.

Niania personnifie la répugnance invincible du moujik à accepter les usages des autres civilisations. Elle hait cette étrangère, qui veut introduire dans une famille orthodoxe les manières de faire de son peuple hérétique. À ses yeux de paysanne russe, les us et les coutumes de son village reçoivent de leur antiquité une espèce de consécration religieuse. Il y a de la piété dans sa résistance aux innovations.

La propreté n’est pas au nombre des traditions nationales de niania. « Il faut convenir, écrit Mme Kovalevsky, que notre toilette ne prenait pas grand temps. Niania nous passait une serviette mouillée sur la figure et les mains, donnait un ou deux coups de peigne dans notre tignasse emmêlée, nous enfilait une robe où il manquait souvent plusieurs boutons, — et nous voilà prêtes !

« Ma sœur va prendre sa leçon chez l’institutrice, mais je reste dans la chambre avec mon frère. Sans se mettre en peine de notre présence, niania balaie le plancher, d’où s’élève un épais nuage de poussière. Elle recouvre nos lits avec leurs petits couvre-pieds, secoue ses oreillers, et la chambre est faite pour toute la journée. Je m’assois avec mon frère sur le divan de maroquin, dont les trous laissent échapper de grosses touffes de crin, et nous jouons avec nos joujoux. »

Il n’est pas non plus d’usage de contrarier les enfans du barine ; cela ne s’est jamais vu au village de niania. S’ils n’ont pas envie de se lever, tant pis pour la Française et ses leçons. Lasse d’attendre, l’institutrice ouvre la porte : « Comment, vous êtes encore au lit, Annette ! Il est onze heures. Vous êtes de nouveau en retard pour votre leçon. — Je me plaindrai au général, » ajoute-t-elle en se tournant vers niania. « Va, serpent, plains-toi, marmotte celle-ci. Les enfans des maîtres ne peuvent plus dormir leur saoul, à présent ! En retard pour ta leçon ? Beau malheur ! Eh ben, tu attendras. » À force d’attendre son élève, la Française ne lui apprend rien du tout, et Anna est un miracle d’ignorance. Quant à Sonia, elle n’a pas d’autre maître que niania, qui lui redit indéfiniment le conte du serpent à douze têtes, celui de la Mort noire, et d’autres encore tellement effrayans que l’enfant, devenue femme, en a rêvé toute sa vie.

Ce beau régime donna ses fruits. Le manque d’air et d’exercice, les peurs et les cauchemars valurent à la future émule d’Euler une maladie nerveuse qui allait jusqu’aux convulsions. Heureusement pour les mathématiques, son père quitta le service vers 1856 et se retira dans sa terre de Palibino, dans le gouvernement de Vitebsk. Là, n’ayant pu ignorer aussi complètement qu’à la ville ce que devenaient ses enfans, il découvrit subitement, — ainsi qu’il arrive souvent, assure sa fille, dans les familles russes, — que tout allait de travers de ce côté. Le général se piquait d’énergie. Il tempêta. Pendant plusieurs jours, toutes les femmes de la maison piaillèrent à qui mieux mieux, pleurnichèrent, se disputèrent en levant les bras au ciel. Les disgrâces se succédèrent. L’institutrice française fut chassée, niania reléguée à la lingerie. Une gouvernante anglaise prit leur place, après quoi le général Kroukovsky, satisfait de lui-même, rentra dans son cabinet, et n’eut plus de révélations sur ses filles que le jour où elles lui échappèrent toutes deux.

En attendant, le poids de la lutte tomba tout entier sur la gouvernante anglaise, mais celle-là était de force : « Elle apportait dans notre famille un élément complètement nouveau. Bien qu’elle eût été élevée en Russie et qu’elle parlât bien russe, elle avait conservé intactes toutes les particularités qui caractérisent la race anglo-saxonne : la constance, l’habitude de la ligne droite et celle d’aller au bout de chaque chose. Ces qualités lui donnaient un immense avantage sur les autres personnes de la maison, qui se distinguaient toutes par des qualités exactement contraires, et elles expliquent son influence dans notre intérieur.

« Elle employa tous ses efforts à faire de notre chambre d’enfans une façon de nursery anglaise, où elle pût former des misses anglaises modèles. Dieu sait s’il était facile d’introduire du plant de misses anglaises dans la maison d’un propriétaire russe, où l’on greffait depuis des suites de siècles et de générations les habitudes de l’état de gentilhomme : la saleté et le va comme je te pousse. Grâce à une persévérance remarquable, elle en vint pourtant à ses fins, dans une certaine mesure. »

Toute la domesticité, conjurée dans une guerre sainte, ne put empêcher l’invasion du savon, des tubs et de l’air dans l’étage où régnait le nouveau « serpent ». La petite Sophie refleurit à vue d’œil, mais jamais elle n’avait été plus étrangère aux siens et à tout ce qui l’entourait. De peur des mauvaises influences, son Anglaise la tenait en chartre privée, et, à force de ne se voir qu’en passant, une gêne se glissait dans ses rapports avec les siens, un mur s’élevait entre leurs esprits, une rupture s’accomplissait, lente et secrète, qui devait aboutir au malheur de tous.

Sa gouvernante l’isolait avec plus de soin encore des gens du peuple. Mme Kovalevsky a passé dix ans de sa jeunesse à la campagne, et elle n’a rien à nous dire des paysans russes, qui traversaient sous ses yeux la grande crise de l’émancipation. Lorsqu’on rapproche de cette circonstance les idées exaltées qui l’amenèrent, à dix-sept ans, à rompre en visière à sa famille et à sa caste, il est visible que l’esprit de révolte contre la société où elle avait grandi lui est venu tout d’abord, à l’origine, par les livres et par des conversations avec d’autres têtes folles, plutôt que par l’observation des faits et l’expérience des réalités. Je voudrais qu’un de ses compatriotes nous dît si ce ne fut pas le cas de la plupart de ces jeunes filles nobles dont on est surpris de rencontrer les noms dans les menées révolutionnaires qui suivirent les réformes d’Alexandre II. Elles ont tout l’air d’avoir été des idéologues, à la façon de certains de nos terroristes, avant de couper leurs cheveux pour « aller dans le peuple » ; et cela expliquerait bien des choses dans le mouvement où elles ont joué un premier rôle.

Les rares échappées que Mme Kovalevsky avait eues sur le peuple russe lui avaient laissé le souvenir d’âmes obscures, que l’excès de souffrance pouvait rendre redoutables. Elle raconte une histoire, arrivée dans sa famille, qui reporte le lecteur aux Récits d’un chasseur et à Moumou. Pour en comprendre toute la signification, il faut rentrer à la suite de Tourguénef dans le monde évanoui du servage et prêter l’oreille avec lui au long gémissement qui montait de ces bas-fonds.

Le généra] Kroukovsky avait un frère aîné, Pierre Vassilevitch, grand vieillard au visage terrible ; au fond, doux comme un enfant. Il avait été marié, et il planait un mystère sur la mort de sa femme. Ses neveux avaient remarqué qu’on évitait de prononcer devant eux le nom de la tante Nadèjde, qu’ils connaissaient seulement par un portrait à l’huile, bien léché, où elle avait l’air d’une poupée de porcelaine qui aurait les yeux méchans. Le secret de l’oncle Pierre leur fut enfin révélé par une vieille fille bavarde.

La tante Nadèjde avait été l’un de ces petits monstres qu’enfantent, en tout pays, l’esclavage ou le servage. Un beau jour, les serfs de la maison, poussés à bout par sa méchanceté, l’avaient « jugée » et condamnée. L’exécution eut lieu le soir, pendant une absence du barine. « Mélanie, sa femme de chambre favorite, l’avait déshabillée, déchaussée, mise au lit comme d’habitude. Soudain, Mélanie frappe dans ses mains, et par toutes les portes arrivent les autres servantes, et Fédor le cocher, et Eustignei le jardinier. Nadèjde Andréiévna comprit sur-le-champ, à leurs figures, que ça allait mal, mais elle ne perdit pas la tête. Elle leur cria : « Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Vous avez perdu l’esprit ! Sortez tous, à la minute ! » Par habitude, ils eurent peur, et ils regagnaient déjà les portes, quand Mélanie, qui était la plus hardie, les arrêta : « Lâches ! poltrons ! Qu’est-ce que vous faites ? Il paraît que vous ne tenez guère à votre peau ? Demain, elle vous fera tous envoyer en Sibérie. » Là-dessus, ils se ravisent, viennent tous ensemble à son lit, l’empoignent par les bras et par les jambes, et l’étouffent avec un lit de plumes. Elle les suppliait, leur promettait de l’argent. Ils n’écoutaient plus rien, et Mélanie, sa favorite, continuait à les exciter : « La serviette… Mettez-lui une serviette mouillée sur la tête, pour qu’il ne reste pas de taches bleues sur la figure. » C’est eux-mêmes qui ont raconté tout ça, comme de lâches serfs qu’ils étaient. Ils ont tout avoué sous les verges. Après cette belle expédition, on n’a pas touché à leurs têtes, et beaucoup d’entre eux pourrissent sûrement encore en Sibérie. »

Ce récit réveilla les terreurs de la petite Sophie. Elle se représentait les yeux noirs du portrait à l’huile agrandis par la terreur, quand la méchante maîtresse vit tout à coup devant son lit ses humbles esclaves, venus pour faire justice et la tuer. Elle avait peur maintenant de la bonne face ronde de la servante chargée de la coucher, et se dévorait dans de longues insomnies, guettant les assassins. L’oncle Pierre lui était devenu un éternel sujet d’étonnement ; elle ne concevait pas qu’on pût être comme tout le monde avec cela dans son passé, aller et venir en paix, jouer avec les petites filles, se passionner pour des questions telles que le rétablissement de l’Amou-Daria dans son ancien lit. Dans une enfance qu’attristait déjà le manque de tendresse, la vision obsédante de la mort de la tante Nadèjde demeura longtemps la principale révélation sur les réalités russes. Ce fut parmi toutes ces ombres, dans ces glaces, que grandit Mme Kovalevsky.

II

Si jamais famille parut à l’abri des idées nouvelles, c’est celle-là. Palibino était un endroit perdu, un point isolé dans les vastes espaces de la campagne russe. Le facteur y venait une fois la semaine. Les bruits du monde n’y arrivaient qu’au bout de longtemps, par bouffées, comme le son porté par les vents, et y mouraient aussitôt, tant ce lieu était sourd, inhospitalier à tout ce qui n’était pas sa routine séculaire. Quelquefois, à table, on se disputait bruyamment à propos d’un article de journal ou d’une découverte scientifique ; mais c’était uniquement pour tuer le temps, et sans penser un seul instant que la question en jeu, quelle qu’elle fût, pût jamais influer d’une manière quelconque sur l’existence d’un habitant de Palibino. Ils se sentaient tellement à part, au fond de leurs forêts, tellement étrangers au mouvement contemporain, que les événemens et les passions du reste du globe leur offraient tout juste le même genre d’intérêt que ce qui se passe dans la lune. Ils s’en amusaient un instant et les oubliaient, comme choses sans importance, puisqu’elles ne pouvaient jamais les toucher, ni de près, ni de loin. Nous parlons ici de la vieille génération, car la jeune, au contraire, guidée par un instinct plus juste, frémissait aux moindres échos répercutés dans ce désert. Elle entendait des bruits qui échappaient à tous les autres. Elle savait des nouvelles singulières, dont les gens graves n’avaient aucun soupçon et qui la jetaient dans de vives agitations : par exemple, que les enfans étaient maintenant brouillés avec leurs parens, dans toute la Russie, et qu’il ne pouvait en être autrement.

« On peut dire, écrit Mme Kovalevsky, que dans la période de temps comprise entre 1860 et 1870, toutes les classes intelligentes de la société russe ne furent occupées que d’une seule chose : la discorde domestique entre les vieux et les jeunes. Quelle est la famille noble à propos de laquelle on n’entendît pas faire toujours la même question, et répondre non moins invariablement : Les parens sont brouillés avec les enfans. Et jamais les querelles n’avaient été causées par des questions matérielles. Elles étaient toujours nées, sans exception, de questions purement théoriques et d’un caractère abstrait : — « Ils n’étaient pas de la même opinion. » Rien de plus, et c’était assez pour que les enfans abandonnassent les parens, pour que les parens reniassent les enfans.

« Il régnait parmi ceux-ci, en particulier chez les filles, une véritable épidémie, consistant à fuir la maison paternelle. Dans notre voisinage immédiat, tout allait encore bien, grâce à Dieu ; maison commençait à entendre dire que, plus loin, la fille de tel ou tel propriétaire s’était sauvée pour aller étudier à l’étranger, ou pour se mettre dans les nihilistes à Pétersbourg. »

Cette rupture entre les deux générations n’était qu’un des symptômes du malaise dont souffrait alors la Russie, et dont il faut rappeler brièvement les causes.

La fin de la guerre d’Orient avait été suivie dans le grand empire slave d’une période de joyeuse attente et d’espoirs infinis, qu’on peut comparer, malgré toutes les différences, à l’état d’esprit de la France en 1789. Une explosion d’enthousiasme[2] saluait les réformes gigantesques qui allaient en finir, et pour toujours, avec tous les abus et toutes les injustices. Quelles seraient ces réformes, en dehors de l’abolition du servage, on n’en savait trop rien ; aussi gardaient-elles la beauté des choses rêvées. Bien rares étaient les familles nobles que le vertige n’avait pas au moins effleurées ; il fallait être le général Kroukovsky et habiter Palibino pour s’imaginer qu’il n’y avait rien de changé en Russie que le nom du souverain, et qu’Alexandre II continuait Nicolas. Tout le monde était libéral, tout le monde était humanitaire. Les salons russes offraient le même spectacle que les boudoirs parisiens à l’époque où nos belles dames se passionnaient pour les Dialogues sur le commerce des bleds, ou pour les réformes de Turgot. Les conversations frivoles en étaient bannies. On n’y parlait que science sociale, libre-échange, self-government local, pédagogie, et autres sujets aussi graves, très neufs pour le grand nombre des assistans ; aussi y avait-il pas mal de rhétorique creuse dans toutes ces discussions, mais l’intention était excellente et le sentiment sincère. « C’est absolument un temps joyeux, » s’écriait un témoin. Beaucoup, rapporte un autre, en avaient « des larmes dans les yeux ». La classe des fonctionnaires comptait seule de nombreux récalcitrans ; mais ils ne s’en vantaient pas, de peur des journaux, auxquels on avait lâché la bride.

Ce qui achevait de donner confiance, c’est que l’impulsion libérale partait d’en haut, du trône même, et non d’en bas. Il semblait donc qu’on n’eût pas à redouter les chocs et les à-coups qui compromettent souvent les crises de cette nature. On avait compté sans la mauvaise volonté de la majorité du personnel gouvernemental. Alexandre II avait cru qu’il pourrait accomplir son œuvre généreuse en conservant les mêmes hommes, et il arriva ainsi que ceux qu’il employait à ses réformes en étaient presque tous adversaires. Il le constata dès le début, en voyant à l’œuvre le comité supérieur qu’il avait chargé de préparer la loi d’émancipation. Pour vaincre les résistances de ce comité, le tsar dut nommer une commission impériale qu’il lui superposa, et ce ne fut pas fini. — « Dans les séances du Conseil de l’empire de janvier et février 1861, qui furent décisives pour la loi d’émancipation, six ministres se rangèrent du côté de l’opposition, sans qu’aucun d’eux ait été mis en demeure de résigner ses fonctions[3]. »

Il en fut de même pour la réorganisation de la justice et de l’instruction publique, pour la création des zemstvos, bref, pour l’ensemble des grandes réformes accomplies de 1861 à 1865. La moitié des ministres étaient hostiles aux lois qu’ils avaient à préparer ou à appliquer, et les fonctionnaires sous leurs ordres profitaient de cette désunion pour n’en faire qu’à leur tête. Selon qu’ils étaient libéraux ou réactionnaires, énergiques ou timides, on vivait en Russie, d’une ville à l’autre, sous les régimes les plus disparates : « Les uns procédaient suivant l’ancienne méthode, les autres suivant la nouvelle. Ici, l’administration se permettait l’arbitraire le plus criant, là, elle tremblait devant l’opinion publique[4]. » Cette mosaïque de systèmes n’était même pas fixe. Dans une même ville, ce qui était permis aujourd’hui était défendu demain. L’administration russe ressemblait à la cour du roi Pétaud, « et cela dans un moment où une grande partie de la nation se trouvait déjà dans un état d’excitation fiévreuse », où « le public s’abandonnait à des espérances absolument sans bornes, obéissait aveuglément à une nuée de publicistes radicaux, et était bercé de l’illusion qu’il n’avait qu’à commander pour que ses désirs fussent satisfaits. » Le remède était beaucoup plus facile à prôner qu’à appliquer. On n’improvise pas du jour au lendemain un personnel gouvernemental et administratif, muni de principes entièrement nouveaux, pour un empire de la taille de la Russie. Mais ce décousu, ces tiraillemens, ce mélange de liberté et de bon plaisir, de faiblesse et de « folle sévérité », selon l’humeur et le caprice des fonctionnaires, aigrirent les esprits et firent une nuée de mécontens. L’ancienne patience s’en était allée avec l’annonce des réformes ; la perspective d’un changement avait rendu soudain intolérables des choses qu’on supportait auparavant sans songer à s’en plaindre.

Les réformes mêmes firent d’autres mécontens. L’abolition du servage avait causé des ruines innombrables, et toutes les nouvelles lois amenaient des déceptions. Il avait manqué à cette vaste entreprise un plan général, une logique[5] ; les réformes paraissaient à beaucoup incomplètes, à tous inefficaces. On avait cru naïvement aux panacées, et il fallait en rabattre. On avait demandé naïvement, qui l’abolition de la noblesse, qui la convocation des États-Généraux, et l’on en voulait au gouvernement de ne pas avoir donné l’impossible. Avec des autorités pleines de mauvaise volonté, les exagérations et les impatiences eurent vite fait d’amener des réactions brutales, et, de celles-ci aux menées révolutionnaires, il n’y eut qu’un saut. Alors la vieille génération, dégrisée, enraya ; mais il n’était plus temps d’arrêter la jeunesse. Dès le début, celle-ci avait été beaucoup plus avancée, ainsi qu’il est de règle. Mme Kovalevsky nous a dit comment, de théorie en théorie, de discussion en discussion, on en était venu à se brouiller entre parens et enfans dans la plupart des familles. Tourguénef a peint cette scission dans un de ses chefs-d’œuvre, Pères et Enfans. Ce fut encore bien pis lorsqu’il se produisit un recul chez les parens. Le fossé qui séparait les deux générations devint gouffre. La jeunesse cultivée, que harcelaient d’autre part des fonctionnaires imprudens, déclara la guerre à l’ordre social tout entier, qu’elle accusait de l’avoir trompée, et ce furent les étudians, les élèves des séminaires, leurs sœurs, qui formèrent le noyau du parti nihiliste ; les procès politiques l’ont surabondamment prouvé[6].

Cependant le général Kroukovsky vivait dans une sécurité parfaite. De ses trois enfans, sa fille aînée lui semblait seule en âge d’avoir une opinion, et Anna était la dernière personne de qui l’on eût pu craindre une idée sérieuse ou une résolution exigeant de l’énergie. C’était la femme slave des romans cosmopolites : impressionnable et fantasque, séduisante et mobile. Très blonde et très blanche, avec des yeux verdâtres et langoureux qui flambaient à chaque mot enthousiaste, elle était la grâce même, tout ce qu’on peut imaginer de plus charmant, de plus ondoyant, de plus féminin, et de plus frivole. Ses parens l’avaient élevée pour être une jeune personne brillante, et ils avaient réussi à souhait. Toute petite, elle avait eu de grands succès dans les bals d’enfans, et son père lui avait prédit qu’elle tournerait la tête à tous les grands-ducs. Anna, — de son petit nom Aniouta, — en avait accepté l’augure, et elle pleura beaucoup en se voyant enterrée à Palibino. Sa mère l’emmenait chaque hiver passer quelques semaines à Pétersbourg ; mais la campagne ne lui en paraissait que plus triste au retour. Dans son ennui mortel, elle essaya de plusieurs « états d’âme », sans trouver la paix dans aucun.

À quinze ans, elle fut romantique. Elle lut autant de romans de chevalerie que don Quichotte, avec la même foi, et les mêmes résultats pour son bon sens. Il y avait à Palibino une tour délabrée et abandonnée. Aniouta s’y arrangea une chambre de princesse du moyen âge, tendue de vieilles tapisseries et ornée de trophées d’armes. Toute de blanc habillée, elle y passait ses journées à broder les armes de la famille, — celles de Mathias Corvin, — en guettant l’arrivée du beau chevalier qui la délivrerait des barbares ; mais il ne venait que des Sancho Pança, déguisés en moujiks.

À seize ans, elle devint une penseuse en lisant un roman de Bulwer. C’était par un beau soir d’été. Sophie avait réussi à échapper à son Anglaise et était grimpée dans la tour pour voir ce que faisait sa grande sœur. Elle la trouva étendue sur le divan, les cheveux épars, le corps secoué par des sanglots. Aniouta venait de découvrir, en même temps, que le secret de la destinée humaine est impénétrable, et qu’il n’y aura pas de bonheur sur la terre tant qu’on n’aura pas percé ce mystère : « Je ne pleure pas sur moi, murmurait-elle d’une voix entrecoupée. Je pleure sur vous tous. Ne pas savoir ce qui nous attend, penser que nous ne le saurons jamais, jamais ! oh ! c’est affreux, affreux ! » Ayant eu ces pensées profondes, elle se crut obligée de prendre un air triste et doux qui inspirait un grand respect à sa mère et à sa sœur ; mais le général Kroukovsky ne fit qu’en rire.

À dix-sept ans, Aniouta oublia ses doutes torturans et voulut se faire actrice. Elle sentait que sa vie était là, et demeurait inconsolable parce que son père refusait de la laisser se donner à l’art. L’apparition dans ses forêts d’un représentant de la jeune génération vint fort à propos la distraire, et changer une fois de plus le cours de ses idées.

Le pope de la paroisse, le Père Philippe, avait un fils, voué au sacerdoce dès l’heure de sa naissance, selon la coutume qui constituait alors le clergé russe en caste et assurait les cures aux fils ou aux gendres des titulaires. Alexis Philippovitch était un bon sujet, bien noté au séminaire, soumis et respectueux dans la maison paternelle. Pendant les vacances, le général Kroukovsky l’invitait à dîner aux fêtes de famille, et le jeune popovitch s’y tenait à sa place, au bas bout de la table, mangeant copieusement et ne disant mot. Il était le premier à sentir qu’il n’y avait rien de commun entre un barine et un rustre de son espèce, destiné à être un pope graisseux et besogneux, et à vivre la main tendue. Il n’avait du reste qu’à se regarder pour se rendre justice. C’était, dit Mme Kovalevsky, « un grand garçon dégingandé, avec un long cou aux veines saillantes et un visage blafard, encadré de quelques rares cheveux d’un jaune roux. Il avait de grosses mains rouges, avec de larges ongles qui n’étaient pas toujours propres. Ses intonations vulgaires auraient suffi pour déceler ses origines. »

Or il arriva qu’Alexis Philippovitch fut atteint au séminaire de la contagion des idées nouvelles. Elles en firent du jour au lendemain un autre homme, tranchant et arrogant, qui portait la tête haute et se croyait le droit d’élever la voix devant n’importe qui, fût-ce un descendant de Mathias Corvin. Son premier acte de révolte fut de refuser la main d’une fille de pope, qui lui apportait en dot l’une des meilleures paroisses du gouvernement de Vitebsk. Le second fut de jeter la soutane aux orties et de s’en aller à Pétersbourg suivre les cours de sciences naturelles à l’Université. Il eut beau crever de faim, il s’entêta dans sa folie, et, aux vacances, il annonça à sa famille atterrée que l’homme descend du singe et qu’il n’a pas d’âme, mais des mouvemens réflexes.

Le pauvre Père Philippe, épouvanté, l’aspergea vainement d’eau bénite. Alexis Philippovitch refusa d’aller à Palibino manger en parasite un bon dîner et mit le comble à ses égaremens en se présentant au château pour « faire visite au général », ce qui était le traiter d’égal à égal. M. Kroukovsky flaira un nihiliste sous ces manières indécentes et résolut de donner une leçon à ce jeune insolent. Il lui fit répondre par un laquais « qu’il ne recevait les solliciteurs que le matin, à telle heure ». « Dis à ton maître, répliqua Alexis du ton d’un Mirabeau, que je ne mettrai plus les pieds dans sa maison. »

Le général avait à peine eu le temps de digérer cette parole incroyable, qu’il eut une bien autre surprise. La porte de son cabinet s’ouvrit, et Aniouta entra précipitamment, les joues empourprées, la voix haletante d’émotion : « Papa, pourquoi as-tu fait un affront à Alexis Philippovitch ? C’est abominable, c’est indigne, d’insulter ainsi un homme comme il faut ! » M. Kroukovsky, suffoqué, resta sans voix et sans mouvement, regardant sa fille avec de grands yeux. Il était impossible de s’abuser plus longtemps ; la révolution était entrée dans sa maison.

Elle y fit des ravages foudroyans. Aniouta passa les semaines suivantes dans les bois. On disait dans le pays que le popovitch l’y attendait et que c’était « très drôle à voir ». La fille du barine marchait sans rien dire, la tête basse et les yeux en terre. Alexis Philippovitch l’accompagnait en pérorant et en gesticulant. De temps à autre, il tirait de sa poche un volume chiffonné et lui en lisait des passages. « Il avait l’air de lui donner une leçon, » racontait quelqu’un qui les avait rencontrés. Et il lui en donnait en effet. Le fils du Père Philippe enseignait le nihilisme à Mme Kroukovsky, et l’on verra plus loin qu’il avait une bonne élève.

C’est ainsi qu’à Palibino, les enfans se brouillèrent avec les parens. Aniouta rentrait de ses conciliabules les poches bourrées de livres incendiaires et la révolte au cœur. Elle était agressive. Elle affichait son radicalisme et tenait tête à son père avec des paroles irritées. Ils en furent bientôt à ne plus se parler. Un dernier coup attendait le général Kroukovsky.

Aniouta avait alors dix-huit ans. Son père surprit une lettre qui lui était destinée, et faillit mourir sur la place, étouffé par la honte et le désespoir. Il apprenait à la fois que sa fille entretenait une correspondance secrète avec un ancien forçat, Fédor Dostoïevsky, l’auteur de Crime et Châtiment, qu’elle écrivait des nouvelles pour le journal de Dostoïevsky, et qu’on lui payait ses manuscrits. C’était complet ; le déshonneur de la famille était un fait accompli. La découverte avait eu lieu une après-midi. Le général, frappé au cœur, s’enferma dans son cabinet. Il y avait grand bal, ce jour-là, à Palibino, mais le maître de la maison n’y parut point. Sa femme et sa fille s’échappaient de temps à autre du salon pour aller écouter à sa porte. On n’entendait aucun son, et ainsi finit la journée, ainsi passèrent la soirée et la nuit. Quand la dernière voiture se fut éloignée, M. Kroukovsky manda sa fille aînée, éclata en reproches véhémens et lui prédit une fin ignominieuse, après quoi il semble avoir été brisé, sans force pour lutter davantage. À partir de cette catastrophe, on le voit toujours plier et céder. Il avait été aveugle, mais il était bien à plaindre. Autour de lui, sous son propre toit, croulaient toutes les idées, tous les sentimens, tous les préjugés qu’il était accoutumé à aimer et à respecter, dont il avait toujours vécu, et c’était son sang, sa belle Aniouta dont il était si fier, qui détruisait cet héritage sacré, sous l’empire d’une fureur incompréhensible. Sa fille était journaliste et démagogue : il y avait de quoi écraser un homme pour qui les mots honneur et correction étaient synonymes.

Son malheur ne s’arrêta pas là. Pendant qu’il se tourmentait de l’avenir d’Aniouta, sa seconde fille grandissait, quoiqu’il ne s’en aperçût point. À dix-sept ans, Sophie Kroukovsky aurait paru inquiétante à des parens tant soit peu clairvoyans. Toute sa personne n’était qu’énigmes et contradictions. Un petit corps maigrelet et des cheveux courts lui donnaient l’air d’une gamine de quatorze ans. Sa physionomie naïve reflétait avec mobilité les joies et les peines d’une fillette très impressionnable, demeurée incapable, malgré l’abandon où on l’avait laissée, de supporter une parole sévère de la part de ceux qu’elle aimait. Mais dans ce visage enfantin brûlaient deux yeux noirs dont le regard puissant n’était pas de son âge, à peine de son sexe ; il était trop chargé de pensée, trop perçant d’intelligence. Sa conduite offrait les mêmes anomalies que sa personne. Sophie Kroukovsky était timide et craintive, elle tremblait de faire de la peine, jusqu’au moment où elle avait décidé en elle-même qu’elle voulait ceci ou cela. Sa résolution prise, rien ne l’arrêtait : « Elle était capable, dit sa biographe[7], de fouler aux pieds toutes les relations et de blesser de sang-froid ceux qu’elle accablait, la minute d’avant, des protestations d’attachement les plus chaudes. Cela provenait de l’intensité de ses désirs, qui prenaient toujours chez elle les proportions de véritables passions… Lorsqu’une fois elle s’était proposé un but, elle y tendait avec une intensité maladive, prête à périr en cas d’insuccès. » Le but atteint, elle redevenait jusqu’à nouvel ordre l’enfant sensible et concentrée qui avait tant pleuré jadis d’être la « pas-aimée ».

En somme, une nature impulsive, rebelle à la discipline. Il y avait plusieurs années que la timide Sophie, à force de scènes, avait contraint sa gouvernante anglaise à s’en aller. Elle avait vécu depuis sous l’influence des prédications nihilistes d’Aniouta, qui flattaient son horreur instinctive pour les sentiers battus. Je ne vois nulle part que Mme Kovalevsky se soit jamais occupée de politique, mais elle fut séduite par un ensemble d’idées qui lui faisaient un devoir de se séparer d’une société routinière, dont les conventions et les préjugés entravaient les plans d’avenir qu’elle commençait à entrevoir. Son père la regardait encore comme une petite fille, et la mettait dans le coin lorsqu’elle n’avait pas été sage, qu’elle était prête à faire pis qu’Aniouta, le jour où les tyrannies sociales et la volonté de ses parens se trouveraient en opposition avec un de ses désirs.

Sur ces entrefaites, la famille Kroukovsky quitta la campagne pour aller passer un hiver à Pétersbourg. Je crois, sans en être sûr, que c’était à l’automne de 1867.

III

Le général Kroukovsky avait conduit ses filles dans la fournaise. La jeunesse féminine était alors en pleine révolte dans la Russie intelligente, et Pétersbourg était l’un des foyers de l’agitation. Nulle part les parens n’avaient échoué plus piteusement dans leurs efforts pour maintenir sous leur toit l’antique discipline.

La querelle était née de ce que la femme russe, sous l’influence de l’esprit nouveau, avait conçu un idéal de vie différent de celui que lui assignaient les vieux usages. De temps immémorial, on n’avait pensé en l’élevant qu’au mari à venir. Elle demanda tout à coup qu’on pensât aussi à elle-même. Il ne lui suffisait plus de posséder les grâces légères ou les capacités domestiques de sa mère et de sa grand’mère ; elle réclamait impérieusement les moyens de développer son intelligence et de fortifier son individualité. Inutile de lui objecter que la Russie n’était pas outillée pour l’instruction supérieure de son sexe. Elle avait sa réponse toute prête et sommait les siens de la laisser partir pour une université étrangère.

Il faut lui rendre cette justice, qu’elle n’agissait point sous une impulsion d’égoïsme, par tendresse ou admiration pour elle-même. Le mouvement féministe russe d’il y a un quart de siècle est le plus généreux qu’on ait encore vu. On y faisait étonnamment bon marché de son propre bonheur. Il allait de soi aux yeux de ces jeunes filles que l’individu doit se sacrifier aux intérêts supérieurs de la patrie et de l’humanité. Elles ne réclamaient qu’un seul droit, celui d’élargir le cercle de leur dévouement et de servir leur peuple, au lieu de confiner leur activité dans l’intérieur d’une famille : — « Apprendre, s’occuper, doubler ses forces afin de les mettre ensuite au service de la patrie, aimée par tous les Russes d’un amour si tendre et si enthousiaste ; aider le pays pendant la crise difficile qu’il traversait en passant des ténèbres à la lumière, de l’oppression à la liberté : telles étaient maintenant les aspirations de ces jeunes filles appartenant à la vieille noblesse et dont les familles avaient travaillé depuis tant de générations à faire exclusivement des femmes du monde et des ménagères. »

Le but était noble, quoiqu’un peu vague ; mais convenait-il bien aux femmes ? Ce n’était pas l’avis de la vieille génération. Les parens traitaient ces grands projets de billevesées, ou de prétextes à courir les aventures. Ils sautaient en l’air quand leurs filles leur demandaient la permission de s’en aller toutes seules à Heidelberg ou à Berlin être des étudiantes en chambres garnies. Quelques-uns finissaient par céder, de guerre lasse. La majorité persistait à refuser. Alors les jeunes filles russes inventèrent le mariage fictif.

On cherchait un jeune homme dans les idées nouvelles, ce qui n’était point difficile à trouver. Après s’être entendue avec lui, la jeune fille le faisait agréer à sa famille et l’épousait. Il lui rendait le service de l’emmener de la maison paternelle. C’était tout. Le seuil franchi, chacun était libre de tirer de son côté. Il arrivait que le nouveau couple partait de compagnie pour l’Allemagne et que le mari installait sa femme dans une université avant de retourner à ses affaires ; mais c’étaient uniquement des soins et des attentions de bon camarade. Ainsi le voulaient des conventions que ces jeunes gens mettaient leur point d’honneur à respecter scrupuleusement.

L’invention fut trouvée admirable parmi cette jeunesse exaltée, et non pas seulement à cause de ses côtés pratiques. Le mariage fictif « conclu dans un dessein abstrait » leur paraissait beau en soi, d’un idéalisme raffiné et héroïque qui flattait leurs instincts. Il devint très populaire parmi les filles et les garçons des bonnes familles de Pétersbourg. « Les unions de cette espèce leur semblaient plus idéales que ces unions vulgaires et basses qui se forment entre jeunes gens pour la seule satisfaction de leurs passions sensuelles, autrement dit de leur égoïsme, et qu’on nomme mariages d’inclination. » Il n’est pas aisé de faire comprendre à des jeunes filles bien élevées, fussent-elles un brin nihilistes, toute la portée du mot de Pascal : Qui veut faire l’ange fait la bête. On compta par centaines, d’après Mme Kovalevsky, celles qui eurent recours à cet expédient pour échapper à leur famille et s’en aller seules par le monde, à la conquête de la science ou à la poursuite d’un rêve humanitaire.

Voilà dans quel milieu le général Kroukovsky avait jeté ses filles en arrivant de la campagne. De l’humeur qu’on leur connaît, elles étaient acquises d’avance au parti de la révolte. Ni l’une ni l’autre n’eut d’hésitation, et elles éprouvèrent des jouissances indicibles à découvrir un monde si nouveau, où les âmes étaient embrasées et les esprits impétueux, où l’on remuait les idées avec une audace juvénile, où l’on était riche de forces et de désirs, ivre de confiance et d’enthousiasme, où l’on vivait enfin. Quelle différence avec Palibino !

Vingt ans après, quand les déceptions furent venues, Mme Kovalevsky aimait à se réfugier par la pensée dans les souvenirs de cet hiver radieux où elle avait eu son aurore intellectuelle. Elle peignait avec éloquence les joies sans mélange de l’initiation, avant les heurts douloureux de l’expérience. — « Oh, disait-elle, c’était un temps si heureux ! Nous étions entraînés avec une telle force par les idées nouvelles qui se découvraient à nous, nous étions si profondément convaincus que l’état social d’alors ne pouvait pas durer longtemps, que nous voyions déjà poindre le temps nouveau, le temps de la liberté et des lumières universelles. Nous en rêvions, nous étions sûrs qu’il n’était pas loin, et la pensée que nous vivions déjà dans une communauté de pensée avec lui nous était plus douce qu’on ne peut le dire.

« Quand il arrivait à trois ou quatre d’entre nous de se rencontrer par hasard dans un salon, au milieu d’une société de gens plus âgés devant lesquels nous n’aurions pas osé dire tout haut nos pensées, il suffisait d’une allusion, d’un regard, d’un geste, pour nous comprendre et savoir que nous étions avec les nôtres, non avec des étrangers. Nous éprouvions alors un plaisir immense et mystérieux, inintelligible pour les autres, à sentir près de nous ce jeune homme, ou cette jeune fille, que nous n’avions jamais vus auparavant, avec qui nous n’avions échangé que quelques mots insignifians, mais que nous savions animés des mêmes idées et des mêmes espérances que nous, prêts comme nous à se sacrifier, et au même but. »

Le général Kroukovsky se doutait bien que sa fille aînée faisait de mauvaises connaissances. Il avait déjà été obligé de lui passer Dostoïevsky, à un précédent voyage avec sa mère, et aucun des amis de la famille n’a jamais oublié l’effet produit par l’auteur de Crime et Châtiment à une soirée donnée par Mme Kroukovsky. Quand on l’avait vu entrer dans le salon, empoté dans un habit noir qui le mettait au supplice, la barbe pas peignée et l’air courroucé, il n’y eut invité possédant quelque expérience de l’âme slave qui ne prédît un scandale. En effet, Dostoïevsky se conduisit d’une façon déplorable. Il était furieux d’avoir mis un habit, furieux de s’être fourvoyé parmi des gens du monde, chez lesquels il flairait un secret dédain pour sa face de moujik et ses manières frustes, et il avait décidé en lui-même que ces Excellences et leurs pimbêches de femmes le lui paieraient. Quand Mme Kroukovsky voulut le présenter, il poussa un grognement et tourna le dos. Il eut ensuite une tenue horrible avec la fille de la maison. On le croyait heureusement occupé à bouder, lorsqu’il éclata et fit d’une voix de tonnerre, avec des regards foudroyans, la sortie la plus extraordinaire contre les mariages d’argent. Cela commençait ainsi : « L’Évangile a-t-il été écrit pour les dames du monde ? » Les invités l’écoutaient avec stupeur. Mme Kroukovsky, au supplice, se promettait de lui faire sentir qu’on n’est pas à ce point homme des bois. Mais la belle Anna n’y attacha pas d’importance et continua à traiter Dostoïevsky en ami. Il n’y avait plus rien à espérer d’une jeune fille qu’une pareille épreuve n’avait pas dégoûtée de la démocratie. Son père en avait fait le sacrifice. Mais pour la cadette, le général n’était pas inquiet, Dieu soit loué ! Elle n’était encore qu’une enfant. Il fut péniblement surpris lorsque cette petite effarouchée, qu’un regard faisait rentrer sous terre, lui communiqua timidement l’intention d’aller faire ses études à une université étrangère. M. Kroukovsky ne vit là qu’un prétexte pour « sortir des bornes permises », se mit en fureur, et la question fut enterrée ; il s’en flattait du moins.

On ne saurait le blâmer, et sa fille n’avait pourtant pas tort. Sophie Kroukovsky avait des droits particuliers à secouer certaines conventions. Il n’y a pas de règle mondaine qui tienne quand le génie réclame de l’air et de l’espace, et la petite Sonia avait déjà donné des gages à la science. Sa vocation s’était éveillée à Palibino, dans une chambre dont les murs avaient été tapissés, faute de mieux, avec les pages d’un vieux traité de calcul différentiel. Mme Kovalevsky avait alors sept ans. À son âge, Pascal aurait compris, et refait ou complété la science. Elle ne comprit point, mais fut fascinée : — « Je me rappelle, dit-elle, que je passais tous les jours des heures entières devant cette muraille mystérieuse, m’efforçant de comprendre au moins quelques bouts de phrases et de retrouver l’ordre des feuillets. À force de longues contemplations, beaucoup de formules se gravèrent dans ma mémoire, et le texte même laissa des traces profondes dans mon cerveau, tout inintelligible qu’il fût pour moi sur l’instant. » Longtemps après, un ami de son père, ayant découvert je ne sais comment qu’elle avait le don des mathématiques, obtint qu’on lui donnât un maître. Elle en fut très vite au calcul différentiel, et tous les souvenirs du mur de Palibino se levèrent alors dans sa mémoire. Chaque mot du professeur était une illumination. Elle savait les formules par cœur, prévenait les explications : c’était une de ces vocations devant lesquelles il n’y a plus qu’à baisser pavillon. Le général Kroukovsky se hâta au contraire de se mettre en travers, comprenant que cela devenait sérieux, et le pauvre homme, bien inconsciemment, bien involontairement, décida le malheur de sa fille en la réduisant aux résolutions désespérées.

Anna avait aussi demandé à faire des études à l’étranger et n’avait pas été mieux reçue. Elle tint conseil avec une amie nommée Inna, qui se trouvait dans la même situation, et il leur parut qu’il n’y avait de salut que dans un mariage fictif. Celle qui se dévouerait offrirait aux autres de les chaperonner pour un voyage d’agrément à l’étranger, et le tour serait joué.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elles passèrent en revue les jeunes gens qui pouvaient convenir au rôle de mari pour rire, jetèrent leur dévolu sur un jeune professeur d’université qu’elles connaissaient à peine, et mirent leurs chapeaux pour aller le demander en mariage. Sophie trottait, par habitude, sur les talons de sa grande sœur.

Le jeune professeur ne cacha pas son étonnement en voyant entrer dans son cabinet trois jeunes personnes « qui n’appartenaient pas à son cercle de connaissances féminines ». Cependant il les reçut poliment, les fit asseoir, s’assit en face d’elles et attendit. Il y eut un silence embarrassé. C’était plus difficile à expliquer que ses visiteuses ne l’avaient cru.

Anna prit enfin la parole. D’un ton « absolument dégagé », elle demanda à leur hôte « s’il voudrait leur procurer la liberté au moyen d’un mariage fictif avec l’une d’elles », c’est-à-dire avec elle-même ou Inna ; Sophie était trop enfant pour compter. « Le professeur se montra à la hauteur de la situation. Il leur répondit avec le plus grand sérieux et un sang-froid parfait qu’il n’avait pas la moindre envie d’accepter une position de ce genre. » On se salua avec cordialité et l’on se sépara.

Cet échec ne découragea point les deux amies. Elles résolurent de s’adresser à un étudiant nommé Vladimir Kovalevsky, et de mettre moins de solennité dans la demande en mariage. Anna attendit le hasard d’une rencontre avec Vladimir pour lui poser la question, incidemment, au cours de la conversation. Il répliqua que ce serait avec infiniment de plaisir, à une seule condition : il ne voulait épouser ni Anna, ni Inna ; il voulait la petite, Sophie l’ébouriffée. C’était mauvais signe ; un mari fictif ne doit pas avoir de préférences. C’était en outre une grande complication à cause de l’extrême jeunesse de Sophie ; il était certain que le général Kroukovsky les enverrait tous promener.

On vit alors ce qu’il se cachait d’énergie, de ténacité, je dirai presque de dureté, sous les airs épeurés de cette sensitive. Sophie était décidée à conquérir sa liberté, coûte que coûte, et une existence purement intellectuelle lui paraissait son fait. Elle avait conclu de ses expériences d’enfant qu’elle ne serait jamais aimée et s’imaginait en avoir pris son parti ; elle se persuadait que la sécheresse des siens l’avait gagnée. De la meilleure foi du monde, elle effaça la vie du cœur de son programme d’avenir, et se condamna à être le phénomène peu enviable qu’on appelle la femme cérébrale, parce qu’il n’y a plus en elle que de la pensée, ou des apparences de pensée. Pauvre créature passionnée, de toutes celles de son sexe l’une des plus incapables de tromper la nature, elle s’arrangea en imagination une existence où les mathématiques seraient ses seules amours, les x et les formules sa seule famille, et elle se mit en devoir de renverser tous les obstacles qui lui barraient l’entrée de ce paradis.

Ainsi qu’on s’y était attendu, le général Kroukovsky refusa son consentement avec indignation. Dans sa colère, il ordonna de faire les malles au plus vite pour emmener ses filles de ce Pétersbourg où elles devenaient folles, et apprit alors à connaître la petite Sophie. Vladimir Kovalevsky représentait la délivrance ; elle s’arrangea pour avoir Vladimir. Le coup de théâtre qu’elle imagina pour se l’assurer n’était pas neuf. À parler franc, il n’était pas non plus de bon goût. Elle avait dû l’emprunter à l’un des innombrables romans de la bibliothèque de Palibino, qui avaient beaucoup contribué à mettre à l’envers les cervelles des filles de la maison. Aucune lecture ne pouvait leur être plus néfaste, avec leurs idées et leurs projets ; une femme émancipée qui est romanesque est perdue.

Sophie choisit le jour où ses parens donnaient un grand dîner à leur famille pour disparaître à la tombée de la nuit. Elle avait laissé sur une table la lettre classique, qui fut remise à son père devant tous les invités : « Papa, pardonne-moi, je suis chez Vladimir. Je te prie de ne plus t’opposer à mon mariage avec lui. » Le général balbutia quelques mots d’excuse et sortit. Il rentra au dessert, suivi de sa fille et du jeune Kovalevsky : « Permettez-moi de vous présenter le fiancé de ma fille Sophie. » On les maria, et ils partirent pour l’Allemagne au mois d’octobre 1868.

L’histoire est déplaisante. Il ne faudrait pourtant pas être trop sévère pour une honnête petite fille dont il avait plu à la nature de faire une mathématicienne et une romantique. C’étaient deux raisons pour une de voir les choses sous un angle particulier. Mme Kovalevsky, qui avait fait dans son enfance beaucoup de vers très boursouflés, disait d’elle-même en racontant son équipée chez Vladimir : « Elle avait le sentiment d’être l’héroïne d’un début de roman, elle, la petite Sonia, — l’héroïne d’un roman d’un tout autre genre que ces banals romans d’amour dont notre littérature est pleine et qu’elle méprisait de toute son âme. » Ce langage est celui d’une personne dangereusement imaginative, emportée par la passion de l’extraordinaire avec une furie qui lui mérite un peu d’indulgence. Soit dit en passant, il est curieux que si peu de femmes, même parmi celles qui se destinent à formuler la théorie des fonctions potentielles, échappent au désir d’être les héroïnes d’un roman quelconque. Molière l’avait remarqué lorsqu’il fit Armande.

On tiendra compte aussi à Mme Kovalevsky de la crise violente et périlleuse que traverse depuis tantôt un demi-siècle la femme chrétienne. Sa fonction dans la société n’avait pas varié pendant dix-huit cents ans. D’une manière générale, et en négligeant les fluctuations passagères, sa position avait toujours été en s’améliorant ; la femme avait gagné en considération, en influence, en liberté ; mais sa fonction sociale était demeurée immuable : elle consistait exclusivement à être épouse et mère.

Cela ne suffit plus à nos filles. Je ne veux pas examiner ici leurs raisons, et si de nouvelles conditions économiques, des mœurs différentes leur imposaient d’élargir leurs horizons. Je me borne à constater qu’elles travaillent à se faire dans la société moderne une place autre que l’ancienne ; non pas plus haute, — c’est impossible, — mais ayant, pour ainsi dire, plus de portes ouvertes sur le champ de l’activité humaine. La science leur assure qu’elles peuvent conquérir de nouveaux domaines, que la nature le leur permet. Puisse la science ne pas se tromper, car elle ajouterait alors une grande ruine à toutes celles que nos âmes lui ont déjà dues dans notre siècle. Quoi qu’il en soit, une pareille révolution ne va pas sans de longs tâtonnemens et beaucoup d’erreurs, surtout quand le but à atteindre n’est pas nettement dessiné. La femme d’aujourd’hui ne sait pas, en somme, où elle va, ce que sera cette fonction nouvelle qu’elle ambitionne et qui nécessitera tout d’abord un autre idéal de famille. Elle entrevoit un avenir plus brillant, plus varié, et un allégement de souffrances pour les isolées, réduites à combattre seules dans la lutte pour l’existence. Le reste est encore obscur. Quel qu’il puisse être, si l’objet de la créature doit être l’épanouissement de tout ce qu’il y a de plus noble et de meilleur en elle, fût-ce parfois aux dépens de son bonheur, rien n’égalera jamais la femme que nous avions due au christianisme, modèle admirable qui a été depuis tant de siècles l’une des forces de la société civilisée, en même temps que son honneur et sa plus grande douceur.

Mme Kovalevsky fut de celles qui cherchèrent en tâtonnant la voie nouvelle et qui se trompèrent. Elle l’a payé assez cher pour qu’on lui pardonne une escapade romanesque sans autres conséquences que d’avoir passé une heure fort ennuyeuse, Vladimir et elle, à attendre, chacun sur une chaise, l’arrivée du général Kroukovsky.

IV

Le jeune couple s’était établi à Heidelberg et suivait les cours de l’université. Monsieur étudiait la géologie, Madame les mathématiques, et tous les deux réussissaient dans leurs travaux, quoique inégalement. Il ne fut bientôt bruit parmi les professeurs que des facultés éclatantes de cette petite étrangère modeste et silencieuse. Vladimir Kovalevsky était plutôt un laborieux, et il était souvent dérangé. C’était lui qui s’occupait du ménage, qui faisait les courses et les commissions, achetait les robes de sa femme et en discutait la façon avec la couturière. Il faut bien que ces choses-là se fassent et que quelqu’un s’en charge. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre ; voilà tout. Vladimir l’avait compris ainsi, et s’était laissé réduire en esclavage de la meilleure grâce du monde. Sa camarade le payait en amitié. Une autre étudiante russe, également convertie à la femme intellectuelle et aux mariages fictifs, vivait en tiers avec eux et les admirait infiniment. Elle leur a décerné pour ces premiers mois un certificat de bonne conduite, imprimé tout au long dans la biographie de Mme Kovalevsky, qui est l’un des documens les plus étonnans qu’on puisse lire. Quand les jeunes filles russes sont dans le faux, elles n’y sont pas à demi : « — Son jeune mari l’aimait alors d’une affection absolument idéale, sans le moindre alliage de sensualité. Elle semblait avoir pour lui une tendresse de la même nature. L’un et l’autre avaient l’air encore étrangers à cette passion basse, maladive, qu’on nomme ordinairement du nom d’amour. »

À la grande surprise de l’amie, Mme Kovalevsky soupirait plus tard en songeant au passé : « — Sonia me semblait alors si heureuse, et, de plus, d’un bonheur reposant sur des assises si neuves ! Néanmoins, lorsqu’il lui arrivait dans la suite de parler de sa jeunesse, elle ne s’en souvenait qu’avec une profonde amertume, comme si la jeunesse, pour elle, avait brillé inutilement !… Quand je pense à tout cela, il me semble que Sophie n’avait pas sujet de se plaindre : sa jeunesse avait été remplie des sentimens et des aspirations les plus nobles et, à côté d’elle, la main dans la main, vivait un homme qui l’aimait tendrement, d’une passion discrète. C’est la seule année où j’aie souvenir d’avoir vu Sophie heureuse. Dès l’année suivante, ce fut tout autre chose. » Ils jouaient au petit mari et à la petite femme, en vrais enfans qu’ils étaient. L’arrivée d’Anna et d’Inna, qui avaient obtenu de les rejoindre, interrompit le jeu et gâta tout. Vladimir déménagea pour faire de la place aux survenantes, et eut l’imprudence de n’en pas témoigner assez de regret. Le mariage fictif avait été une abominable duperie en ce qui le concernait. Il n’était pas fâché de pouvoir enfin travailler en paix, et, comme c’était un garçon candide, qui vivait sur la foi des traités, il crut être dans son droit en ne s’affligeant pas outre mesure de ce que l’heure était venue de reprendre mutuellement leur liberté, selon qu’il avait toujours été convenu entre eux. Il apprit bien vite à connaître l’étendue de sa naïveté. Sophie lui fit un grief de se passer d’elle si facilement : « — Pourvu qu’il ait son livre et un verre de thé, répétait-elle amèrement, il est parfaitement content ! » Un peu plus, elle lui aurait dit comme dans la comédie : « — Tu me lâches. » Elle se déclara jalouse de la géologie et la traita en rivale. Elle venait s’installer chez Vladimir pendant des journées entières, et il fallait s’occuper d’elle du matin au soir, la promener, faire ses commissions, la conduire au théâtre, être toujours à ses ordres, toujours prêt à quitter son travail sur un signe et pour un caprice. Vladimir perdit ses dernières illusions ; le métier de mari pour rire n’était pas une sinécure, ainsi qu’il se l’était figuré dans sa simplicité.

Il cédait pour avoir la paix, exactement comme dans un ménage sérieux, et il avait alors affaire à Anna et Inna, qui lui reprochaient de manquer au traité en tolérant les familiarités de Sophie. — « Du moment, disaient-elles, que c’est un mariage fictif, il ne convient pas que Kovalevsky donne un caractère trop intime à ses relations avec Sonia. » Elles lui faisaient sentir qu’il était de trop et le renvoyaient à ses cahiers. Sophie courait le relancer, et c’était à en perdre la tête entre toutes ces femmes.

S’il avait été plus grand psychologue, la conduite de Sophie lui aurait semblé toute naturelle, et les choses se seraient peut-être arrangées. Il n’était pas psychologue. Il se destinait à être paléontologue, et ne se chargeait d’expliquer que les êtres enterrés depuis plusieurs milliers d’années. Les vivans n’étaient pas son fait, et il leur préférait ses livres. — « Jamais il ne sentait le besoin de distractions, » rapporte l’étudiante russe déjà citée, et elle ajoute que « cette particularité de son caractère blessait Sonia, » la sensible Sonia aux délicieuses inconséquences de femme aimante, qui aurait voulu être tout pour lui et qui se montrait impérieuse et exigeante comme si elle en avait eu le droit ; qui s’attachait à lui parce qu’elle « éprouvait un besoin insurmontable de tendresse et d’intimité, » et qui ne pouvait s’empêcher de lui rendre la vie impossible parce qu’ils étaient dans le faux et dans le mensonge.

Elle fit si bien que M. Kovalevsky, à bout de forces et de patience, s’enfuit à léna. Il ne cessa pourtant point de s’occuper de l’étrange créature à laquelle l’unissait un lien si singulier, et qui ne lui était, malgré tout, rien moins qu’indifférente. Il venait la voir, et son arrivée ramenait le sourire sur le visage mélancolique et morne de la pauvre Sonia. Joie éphémère à laquelle succédaient promptement les malentendus et les querelles. Vladimir repartait, et elle retombait dans une tristesse invincible. — « Rien ne lui faisait plus plaisir. Tout la laissait indifférente. » Le souvenir de la petite « pas-aimée » lui était revenu avec force, pour ne plus la quitter jusqu’à sa mort, et sa plainte éternelle, connue seulement de deux ou trois confidentes, était celle-ci : — « Personne ne m’a jamais véritablement aimée. » On lui objectait le dévouement dont son mari lui avait donné tant de preuves, mais elle répondait invariablement : — « Il ne m’aimait que lorsque j’étais à ses côtés. Il a toujours très bien su se passer de moi. »

Elle souffrait aussi de se sentir en dehors de la règle sociale, dans une situation où rien n’était franc, où l’absence et la présence de M. Kovalevsky étonnaient également le public ; l’un de ses professeurs a raconté qu’ayant rencontré chez elle son mari, « elle le lui avait présenté comme un parent. » Elle souffrait d’être sans guide et sans appui, condamnée par le plus ironique des hasards à inaugurer le règne de la femme indépendante et virile, alors qu’elle était risible de timidité et d’incapacité pratique. De quelque côté qu’elle l’envisageât, l’expérience était bien manquée. Pourquoi, dira-t-on, ne pas y renoncer ? Pour deux raisons. Elle avait emporté de Russie, du milieu troublé où s’était développée son adolescence, un goût malsain pour ce qui n’était pas dans l’ordre naturel des choses ; il lui plaisait d’avoir à inventer des sentimens nouveaux pour répondre à des relations nouvelles. D’autre part, elle avait une personnalité trop puissante, trop envahissante, pour s’arranger d’un époux véritable et des échanges de bons procédés que suppose la vie conjugale. — « Elle voulait toujours recevoir, jamais donner, » disent ses amies. L’isolement fut la conséquence forcée de sa supériorité.

Elle s’était transportée et fixée à Berlin à l’automne de 1870. Elle demanda à la science d’endormir son ennui, et le don qui était en elle se manifesta dans sa splendeur, forçant les sympathies des professeurs allemands, qui n’ont jamais eu grande tendresse pour les femmes à aspirations intellectuelles. Ils se défiaient, jusqu’au moment où elle démontrait devant eux un problème de hautes mathématiques. Alors elle commençait à les intéresser. D’abord tremblante et honteuse, elle s’animait, et elle avait des solutions dont aucun autre élève n’égalait l’élégance et la sûreté. Son visage enfantin rougissait de plaisir, ses yeux brillaient : c’était vraiment l’artiste dans la joie de la création. Elle achevait de désarmer les préventions par sa simplicité et son existence de bénédictin. Elle était estimée, admirée, et de larges horizons, entièrement neufs pour son sexe, s’ouvraient devant elle. Cependant, sauf dans de courts instans de triomphe, son travail ne l’amusait pas. Il la fatiguait sans remplir le vide insupportable de ses heures. « On voyait déjà poindre chez elle, dit sa biographe, cette soif de vivre qui l’a positivement dévorée dans la suite. Elle n’avait au fond absolument rien du bas-bleu qu’elle semblait être pour quiconque la jugeait d’après son genre de vie. « La « soif de vivre » ne s’apaise pas avec des x, pas plus dans un sexe que dans l’autre, et Mme Kovalevsky s’en apercevait.

Sa sœur lui offrait un autre exemple des périls qui attendent toujours les avant-gardes. Anna concevait l’émancipation féminine d’une façon beaucoup plus radicale que Sophie, et elle était faite pour le rôle d’éclaireur. Rien ne l’arrêtait et elle ne s’embarrassait de rien. Quelques mois de séjour à Heidelberg contentèrent, et au delà, sa grande soif d’instruction. Elle avait bien affaire des professeurs allemands et de leurs bouquins ! Elle voulait écrire des romans ; il lui fallait « apprendre la vie » et tout ce qui ne se trouve pas dans les livres. Sans prévenir ses parens, sans leur donner son adresse, elle partit pour Paris, où elle découvrit sans peine un professeur de passion, éloquent, paraît-il. Pour désintéressé, c’est une autre question. Il était Français, se nommait J… et a joué un rôle dans la Commune. Le siège de Paris les surprit en plein roman. À peine le blocus était-il ouvert que Mme Kovalevsky accourait, escortée du fidèle Vladimir : il était trop tard pour sauver la pauvre Anna.

Une nuit, pendant la Commune, elles veillaient ensemble dans un hôpital. Les Versaillais bombardaient Paris, et l’on apportait à chaque instant des blessés. Parmi les infirmières se trouvaient d’autres jeunes filles russes, et toutes se reconnurent pour s’être rencontrées autrefois dans le monde à Saint-Pétersbourg. Tout en allant et venant, elles s’interrogaient à demi-voix : qu’étaient-elles devenues ? comment se trouvaient-elles là ? Que d’épaves ! La vue des autres réveillant les souvenirs du passé, « le présent leur parut un songe. »

Quelques jours plus tard, le général Kroukovsky fut informé par une même lettre qu’il était indispensable qu’un certain communard appelé J… devînt son gendre, et que ce gendre nécessaire était en grand danger d’être fusillé. On nous assure, et nous le croyons sans peine, « qu’il reçut encore un grand coup en apprenant comment sa fille aînée, dont la conduite était en opposition absolue avec ses idées et ses principes, avait disposé de son sort. » Cependant ses enfans n’avaient pas travaillé en vain à refaire son éducation. Il prit les choses « avec beaucoup de douceur, » monta en chemin de fer, et parut devant la coupable sans la moindre trace des allures de justicier qui lui étaient naturelles au temps où il croyait à son autorité de père de famille et à l’infaillibilité de la vieille morale. Sa conduite envers Anna fut « très délicate ». Le jeune J… attendait en prison le peloton d’exécution. Sur la prière du vieux général, Thiers consentit à le laisser évader, et c’est ainsi qu’en 1874, vers l’automne, la famille Kroukovsky put se trouver réunie de nouveau à Palibino et dresser le bilan des dix dernières années, depuis l’heure où l’esprit nouveau avait soufflé sur la vénérable maison seigneuriale, héritage des ancêtres, et balayé le passé, tout le passé, le bon avec le mauvais et avec l’indifférent.

Ils y consacrèrent les longues soirées d’hiver autour du samovar, et se trouvèrent devant des résultats tellement absurdes, que c’était à en rire ou à en pleurer. Anna, devenue bourgeoisement Mme J…, avouait qu’elle en avait assez des sensations rares et des émotions violentes. Elle en avait eu plus qu’elle n’en demandait, plus que ses forces n’en pouvaient supporter, et elle était maintenant une femme très lasse, guérie du goût des « orages tumultueux ». C’était en quelque sorte s’avouer vaincue. Pour comble d’humiliation, elle était dévorée par « cette passion basse, maladive, qu’on nomme communément amour, » et à laquelle ses vingt ans avaient jeté jadis un défi superbe. Anna raffolait de son mari et en était atrocement jalouse. Lui, cependant, enfoncé dans un grand fauteuil, et l’air non moins las, écoutait les conversations avec une expression sarcastique. Ils sont tous les deux morts jeunes.

Sophie revenait d’Allemagne, d’où elle rapportait un diplôme de docteur en philosophie. L’Université de Gœttingue le lui avait décerné pour une thèse Sur la théorie des équations aux différences partielles. Mme Kovalevsky avait présenté en même temps à la Faculté deux mémoires, l’un Sur la réduction d’une certaine classe d’intégrales abéliennes du 3e degré à des intégrales elliptiques ; l’autre intitulé : Additions, avec remarques, aux recherches de Laplace sur la constitution de l’anneau de Saturne. Weierstrass, qui avait été son maître à Berlin, faisait un cas extrême de ces différens travaux, auxquels il attribuait une grande valeur scientifique. Son élève ne rentra pourtant point en triomphatrice au foyer des aïeux, mais en oiseau battu de la tempête. Elle n’en pouvait plus, de corps et d’esprit. Elle était rassasiée de science, et déçue. Tandis que le bruit de sa gloire allait éveiller l’ambition dans les cœurs féminins, l’objet de tant d’envie passait ses journées à jouer aux cartes, à lire des romans et à tâcher de ne point penser.

Son père était le plus changé de tous. Il avait renoncé à la lutte, et « écoutait avec une patience contre nature les discours radicaux de sa fille la communarde sur la destruction de la société, ou les aperçus matérialistes de son autre fille la mathématicienne. »

Il sentait bien qu’aux yeux de cette jeunesse avancée, le vieux général Kroukovsky, avec ses préjugés surannés et ses traditions autoritaires, était un débris d’un autre âge, un fantoche qui n’avait le droit de survivre qu’à la condition de ne pas être gênant. Il évitait donc de gêner, et, s’il n’a pas trouvé, en comparant la famille russe d’autrefois aux ménages de ses filles, que les nouveaux échantillons fussent encourageans, personne n’en a eu la confidence : « Il avait compris que personne n’a le droit de s’arroger sur les pensées et les sentimens des autres, ceux-ci fussent-ils vos enfans, l’autorité dont il avait tant abusé au temps passé. » La mort secourable lui évita d’épuiser sa patience. Elle vint subitement détourner son attention vers des problèmes moins transitoires que la constitution d’une société humaine ou les diverses formes du mariage.

Sa disparition mit fin à la réunion de famille de Palibino. On se dispersa, et l’angoisse de l’isolement se raviva douloureusement chez Mme Kovalevsky. Elle entreprit de refaire sa vie, et n’aboutit qu’à faire tourner la comédie en drame.

V

Elle proposa à M. Kovalevsky d’en finir avec la fiction. Il y consentit ; sa complaisance était inépuisable. L’essai fut loyal des deux parts, ainsi qu’il convenait entre honnêtes gens, et malheureux des deux parts. Il était trop tard. La naissance d’un enfant ne put effacer le passé. On ne s’exerce pas impunément pendant des années aux situations fausses et aux sentimens faux ; quelque chose en demeure, qui s’attache aux actions les plus droites et les vicie lamentablement. D’après les détails dans lesquels entre Mme Edgren-Leffler, les nouveaux époux ne parvinrent pas à se défaire de l’impression que les fils qui les attachaient l’un à l’autre étaient artificiels. Ils ne se prirent pas assez au sérieux. Après des catastrophes, des scènes, des reproches, le train d’Allemagne emmena une jeune femme dont les sanglots faisaient pitié. Seule et désespérée, Mme Kovalevsky fuyait la faillite de ses espérances, tandis que Vladimir, qui n’était pas né pour les drames, devenait fou de toutes ces aventures et marchait à une fin tragique. Sa femme apprit à Paris qu’il avait liquidé brutalement par la mort une série d’expériences par trop romantiques pour des êtres en chair et en os. Elle en fut gravement malade d’émotion et de remords. Rendue à la vie, elle somma la science de la dédommager des sacrifices qu’elle lui avait faits.

Alors se déroula une carrière sans précédens dans les fastes de son sexe. En 1883, Mme Kovalevsky publiait un travail sur la réfraction de la lumière dans les milieux cristallins[8]. La même année, elle était appelée en Suède sur l’initiative de M. Mittag-Leffler, professeur de mathématiques à l’Université de Stockholm, pour y être son « docent » et enseigner auprès de lui. Arrivée en décembre, elle débuta par un cours sur la théorie des équations aux dérivées partielles, dont le succès lui valut une chaire d’analyse supérieure à l’Université. Elle avait le don de s’emparer de son auditoire par la contagion de la passion. Elle enseignait les mathématiques comme d’autres prêchent, avec foi et enthousiasme, persuadée qu’une bonne « doctrine » scientifique aide à résoudre les problèmes essentiels de la vie. Il n’est pas commun de se faire un apostolat de l’explication des fonctions abéliennes ou elliptiques. Sophie Kovalevsky, professeur, a laissé de vifs souvenirs à ceux qui l’ont entendue. « Constamment et avec une joie manifeste, dit M. Mittag-Leffler, elle communiquait l’extraordinaire richesse de son savoir et les profonds aperçus de son esprit divinateur à ceux de ses élèves qui montraient seulement la force et le vouloir de puiser à cette source… Plus que les autres sciences, les mathématiques exigent de ceux qui sont appelés à augmenter par de nouvelles conquêtes le domaine du savoir, une imagination puissante. La clarté de la pensée n’a jamais, à elle seule, fait de découvertes. La meilleure œuvre du mathématicien est de l’art, un art élevé, parfait, hardi comme les rêves les plus secrets de l’imagination, clair et limpide comme la pensée abstraite[9]. » Cela revient à dire qu’il y a un poète dans un Lagrange et un Laplace, idée qui se vérifie avec éclat dans le cas de Mme Kovalevsky. Quand nous n’aurions pas les fragmens littéraires publiés de son vivant ou trouvés après sa mort dans ses papiers, elle n’a jamais cessé de rendre hommage par sa conduite à la puissance tyrannique des grandes imaginations.

En 1886, l’Académie des sciences de Paris proposa pour sujet du prix Bordin, à décerner en 1888, la question que voici : « Perfectionner en un point important la théorie du mouvement d’un corps solide. » Deux ans plus tard, M. Darboux s’exprimait en ces termes dans son rapport sur le prix Bordin : « À l’unanimité, la commission décerne le prix au Mémoire inscrit sous le no 2 et portant la devise : Dis ce que tu sais, fais ce que dois, advienne que pourra. Ce remarquable travail contient la découverte d’un cas nouveau dans lequel on peut intégrer les équations différentielles du mouvement d’un corps pesant, fixé par un de ses points. L’auteur ne s’est pas contenté d’ajouter ainsi un résultat du plus haut intérêt à ceux qui nous ont été transmis sur ce sujet par Euler et Lagrange : il a fait de la découverte que nous lui devons une étude approfondie, dans laquelle sont employées toutes les ressources de la théorie moderne des fonctions. Les propriétés des fonctions à deux variables indépendantes permettent de donner la solution complète sous la forme la plus précise et la plus élégante ; et l’on a ainsi un nouvel et mémorable exemple d’un problème de mécanique dans lequel interviennent ces fonctions transcendantes, dont les applications avaient été bornées jusqu’ici à l’analyse pure ou à la géométrie. »

On ouvrit le pli cacheté joint au Mémoire no 2, et le président proclama le nom de Mme Sophie Kovalevsky.

La séance publique où furent décernées les récompenses eut lieu le 24 décembre 1888. M. Janssen, président, porta la parole : « Messieurs, dit-il, parmi les couronnes que nous allons donner, il en est une, des plus belles et des plus difficiles à obtenir, qui sera posée sur un front féminin. Mme Kovalevsky a remporté cette année le grand prix des Sciences mathématiques. Nos confrères de la section de géométrie, après examen du Mémoire présenté au concours, ont reconnu dans ce travail, non seulement la preuve d’un savoir étendu et profond, mais encore la marque d’un grand esprit d’invention[10]. »

L’héroïne du jour était dans la salle, le cœur enflé d’un juste orgueil. Elle marchait sur les nuages, dans ce Paris amoureux de toutes les supériorités, hospitalier à toutes les gloires, qui saluait en elle l’une des reines de l’intelligence. Fêtée, entourée d’hommages, elle n’était pas plus insensible que ne l’aurait été un homme aux complimens et aux toasts.

Sa réputation était européenne. Dans ses voyages, on la recevait avec presque autant d’honneur qu’une tragédienne ou une danseuse à la mode. Helsingfors, Christiania, Pétersbourg, lui ont fait des réceptions glorieuses. Les premiers savans du monde l’ont traitée en égale. Elle a été comblée dans son ambition et dans son amour-propre, comme mathématicienne et comme femme.

Qu’on ne s’aille point représenter une pédante à lunettes, mais la fantaisie en personne, dissimulant son indiscipline sous un petit air de modestie et de bonhomie auquel il ne fallait pas se fier, dit sa biographe, car l’orgueil n’y perdait rien, ni la malice non plus. Très gaie ou très triste, selon les instans, adorant le changement, les agitations, les scènes dramatiques, les jouissances ou les peines raffinées, elle avait en horreur les « vertus bourgeoises ». Étaient compris sous ce titre le soin de son ménage et celui de son enfant (qu’elle aimait tendrement), la faculté de trouver son chemin dans la rue, l’art de se procurer les objets qu’on voit dans les boutiques, et, en général, tous les sentimens, goûts et habitudes qui font la vie ordonnée et paisible. Les gens à vertus bourgeoises lui faisaient l’effet de « manquer de diable, » et « sans diable, écrivait-elle, il n’y a pas de véritable harmonie dans ce monde. » D’après les traditions de famille, le sien était un legs de certaine arrière-grand’mère tsigane, et il s’était transmis jusqu’à elle sans dégénérer. L’appartement de Mme Kovalevsky ressemblait toujours à un campement de bohémiens. Elle était obligée d’avoir recours à tout le monde, depuis que Vladimir n’était plus là, pour se mettre en règle avec les modes et les institutions des peuples sédentaires. L’un lui achetait un chapeau, l’autre veillait à ses intérêts, pendant que son « diable » tsigane la menait patiner, danser, monter à cheval, résoudre des problèmes transcendans, le tout avec une égale impétuosité, une même absence de mesure. Invitée dans un salon grave, elle reprenait sur-le-champ son air universitaire, elle était simple, naturelle, non moins séduisante, mais d’une autre manière.

Son portrait donne d’elle l’idée la plus aimable. Il est impossible de voir des yeux plus intelligens, une physionomie plus agréable. Hommes et femmes subissaient également son attrait. Elle a inspiré des amitiés et des dévouemens passionnés. Elle a été, en apparence, la créature privilégiée entre toutes, heureuse entre toutes, que la nature, la vie et le monde ont gâtée à l’envi, ne lui laissant rien à désirer, rien à regretter.

En apparence. On plonge au fond : on trouve le désespoir. Les passages qu’on va lire contiennent la pensée secrète de Mme Kovalevsky pendant cette dernière période et, pour ainsi dire, l’apothéose de sa carrière.

Les travaux scientifiques, disait-elle, « ne donnent pas la joie et ne font pas avancer l’humanité. C’est folie d’y perdre sa jeunesse ; c’est un vrai malheur que d’avoir le don des sciences, en particulier pour une femme, qui est alors poussée de force dans une sphère d’activité où elle ne peut pas trouver le bonheur. »

Elle reconnaissait toutefois aux mathématiques le précieux avantage d’être un monde abstrait dont le Moi est banni. « J’essaie de travailler, écrivait-elle à Mme Edgren-Leffler pendant un séjour en Russie. Je suis trop accablée de fatigue et trop mal disposée d’esprit pour m’occuper de littérature… Tout, dans la vie, me paraît si décoloré, si dépourvu d’intérêt. Dans ces momens-là, il n’y a rien de meilleur que les mathématiques. Il n’y a pas de paroles pour rendre la douceur de sentir qu’il existe tout un monde d’où le Moi est complètement absent. On voudrait ne parler que de sujets impersonnels. »

Pas plus que la science, la gloire ne donne la joie de vivre. L’amour en est l’unique dispensateur. Lui seul procure à la créature son plein épanouissement. Il est la force et la splendeur, il est le tout de la vie. Malheur à la femme qui a mis entre elle et l’amour une individualité trop marquée et un métier d’homme : « Son travail est constamment entre elle et celui auquel devraient appartenir sans partage toutes ses pensées… Une chanteuse ou une actrice, accablées de couronnes, peuvent facilement trouver accès dans le cœur d’un homme, grâce à leurs triomphes mêmes. Cela est vrai aussi d’une jolie femme dont la beauté excite l’admiration dans un salon. Mais la femme adonnée à la science, travaillant jusqu’à en avoir les yeux rouges et le front ridé pour gagner un prix à une Académie, que peut-elle avoir de séduisant pour un homme ? Par quoi peut-elle exciter son imagination ? »

S’étant ainsi répondu d’avance, elle répétait son éternelle question, qui tournait à l’idée fixe : « Pourquoi est-ce que personne ne m’aime ? je pourrais donner plus à l’homme aimé que beaucoup d’autres femmes. Pourquoi aiment-ils les plus insignifiantes et n’y a-t-il que moi que personne n’aime ? » Elle voulait écrire un roman où elle se serait représentée parmi les vaincus de la vie, « puisqu’en dépit de ses succès, elle avait été vaincue dans la lutte pour le bonheur. »

La fuite de la jeunesse raffermissait dans la conviction d’avoir choisi la mauvaise part au « grand festin ». Elle rencontra un jour en voyage un de ses cousins, qui s’était destiné aux arts. Elle ne l’avait pas revu depuis qu’adolescens l’un et l’autre, ils se confiaient leurs vastes ambitions, et ils causèrent de ce qu’ils étaient devenus. Le cousin avait renoncé aux rêves d’art pour aller cultiver ses terres dans l’intérieur de la Russie. Il était marié, père de nombreux enfans, et il soupirait en comparant son destin obscur, ses occupations vulgaires, à la vie intelligente et glorieuse de la petite Sonia. Mme Kovalevsky soupirait aussi : « Elle considérait sa belle figure bien conservée, respirant la paix et l’harmonie. Elle l’écoutait lui parler de sa femme et de ses enfans. Et elle pensait de son côté : — « Il a trouvé le vrai bonheur. Il n’est pas torturé par un désaccord intérieur. Il ne flotte pas entre des aspirations contraires. Il vit d’une vie simple, d’une seule pièce. »

Une tentative désespérée pour apaiser les besoins du cœur, sans leur sacrifier les prérogatives du cerveau, avait abouti à un échec cruel. Au commencement de 1888, Mme Kovalevsky eut le malheur de s’éprendre éperdument d’un Russe appelé K***. C’était un homme d’esprit et de mérite, très sensible au talent. Il admirait profondément sa compatriote, mais à peu près comme il aurait admiré un membre de l’Institut ; ses hommages s’adressaient à la grande mathématicienne plutôt qu’à la femme. Mme Kovalevsky lutta en désespérée pour lui faire oublier la savante. Ils vécurent dans les orages, dans les scènes de passion et de jalousie, les brouilles, les réconciliations, et elle s’aperçut avec horreur que son travail était vraiment entre eux. Son mémoire pour le prix Bordin n’était pas terminé, et K*** était dérangeant. Il lui demandait d’abandonner tout pour être sa femme, « seulement sa femme », et elle ne voulait pas, ne pouvait pas. En même temps, le refuser la tuait. Elle en est morte ; ne la raillons pas.

C’était forcé. Elle-même s’en rendait compte : « D’après sa propre explication, dit Mme Edgren-Leffler dans une page excellente, c’était la conséquence du dualisme de sa nature, qui lui faisait perpétuellement sentir le désaccord entre ses sentimens et ses pensées, entre le désir de se donner entièrement à l’être aimé, et le désir également fort de conserver intacte son indépendance. C’était la conséquence de ce dualisme éternel qui surgira inévitablement dans la vie de toute femme douée de facultés créatrices, quand l’amour manifestera sur elle sa puissance. Le caractère de Sophie compliquait encore la situation. Son affection était toujours jalouse et despotique ; elle exigeait de ceux qu’elle aimait un dévouement, une fusion avec elle-même, qui sont très rarement possibles quand il s’agit d’individualités aussi accusées, d’hommes aussi bien doués que celui qu’elle aimait. D’un autre côté, elle ne pouvait absolument pas se résoudre à briser sa vie, à renoncer à son activité et sa situation, — c’était ce qu’il exigeait d’elle, — et se réconcilier avec la pensée de n’être que sa femme. »

Le caractère de Sophie Kovalevsky était la conséquence de sa forte intelligence. Les hommes supérieurs sont presque toujours envahissans et absorbans. Il ne faut pas s’imaginer qu’il en sera autrement des femmes de l’avenir, si leurs rêves d’égalité intellectuelle se réalisent. Le mariage chrétien avait subordonné l’individualité de l’épouse à celle de l’époux. La femme n’avait le droit de se développer que dans le sens et la mesure où le chef de la communauté n’en recevait ni gêne ni ombrage. C’était le prix de la protection qu’elle trouvait au foyer conjugal, des lourdes charges qu’elle représentait. Le partage lui paraît aujourd’hui inégal et injuste. Je n’en sais rien ; il y a tant à peser des deux parts ; mais on ne saurait l’avertir trop haut qu’il lui faut choisir entre les avantages, quels qu’ils soient, de son sort présent, et ceux que lui vaudrait la victoire de l’idéal nouveau. Qu’elle se l’avoue ou non, son secret espoir est de retenir d’une main les biens anciens et de recevoir de l’autre les biens rêvés. C’est une illusion. Les hommes n’admettront jamais que la situation actuelle soit retournée. Ils seraient incapables de le supporter ; les uns en deviendraient fous, comme Vladimir, les autres s’enfuiraient, comme K***. Ils savent qu’égalité signifie presque toujours antagonisme, et ils veulent la paix à leur foyer, non la guerre. C’est pourquoi ils demandent à l’épouse d’être « seulement leur femme. »

Mme Kovalevsky était destinée à se tromper jusqu’au bout dans son combat pour la conquête du bonheur. À la Noël de 1888, lorsqu’elle vint assister à la séance de l’Institut où son mémoire devait être couronné, K*** se rendit à Paris dans le même dessein. Elle s’était fait une fête de l’avoir pour témoin de la consécration de son génie. Son désappointement fut terrible en s’apercevant qu’elle avait donné de ses mains le coup de grâce à son amour. « Elle était l’héroïne du jour, allait de fête en fête, écoutait des toasts et y répondait, faisait et recevait des visites du matin au soir, et n’avait presque pas une minute à consacrer à l’homme qui avait fait le voyage pour assister à son triomphe. » En la voyant si affairée, au moment même où il l’aurait voulue toute à lui, K*** se confirma dans la pensée qu’une savante, quoi qu’elle fasse, n’est plus tout à fait une femme. Il le laissa comprendre. Ce fut extraordinairement douloureux. Mme Kovalevsky écrivait à M. Mittag-Leffler : « Les lettres de félicitations pleuvent de tous les côtés, et moi, par une étrange ironie du sort, je ne me suis jamais sentie aussi malheureuse qu’en ce moment. Je suis malheureuse comme un chien. Je crois du reste que les chiens, par bonheur pour eux, ne peuvent pas être aussi malheureux que les gens, et surtout que les femmes.

« J’espère devenir plus sage avec le temps. Je ferai du moins tous mes efforts pour me remettre au travail et m’intéresser à des choses pratiques… Pour l’instant, la seule chose que je puisse faire est de garder mon chagrin pour moi, de le cacher au fond de mon âme, de tâcher de me conduire dans le monde avec circonspection et de ne pas faire parler de moi.

« …J’ai eu beaucoup d’invitations cette semaine… En revenant de soirée, je marche de long en large dans ma chambre, sans m’arrêter. Je n’ai ni appétit ni sommeil, et mon système nerveux est dans un état effroyable. »

Quand elle revint à Stockholm, c’était une vieille femme, ridée, fanée, les joues avachies, l’air absorbé et distrait. Elle conserva un rayon d’espoir pendant quelques mois, comprit enfin que la rupture était définitive, et commença à maigrir et à tousser. Rien ne l’intéressait plus, ni les gens ni les idées. Elle traîna ainsi jusqu’en février 1891, absorbée dans la contemplation de son malheur, et fut enlevée en quatre jours par un mal auquel les médecins ne virent pas de remède.

Le public n’aurait jamais soupçonné la vérité sans les instances qu’elle avait faites pour que sa triste histoire fût connue de tous. Dans les dernières années, elle aimait à dire qu’elle changerait de bon cœur avec la femme « la plus ordinaire, mais entourée d’êtres dont elle est la première affection. » Personne ne la croyait, ce qui la dépitait. Un seul homme l’avait devinée. M. Jonas Lie, l’éminent romancier norvégien, la compara un jour à une petite fille que la vie a comblée de tous les dons, de tous les succès, accablée d’honneurs et de distinctions, et qui continue à tendre la main d’un air de détresse : l’enfant a envie d’une orange, et, parce que personne ne songe à la lui donner, elle ne jouit pas du reste. Mme Kovalevsky eut peine à retenir ses larmes à ce tableau fidèle de sa propre destinée. L’orange, c’était le foyer, les humbles devoirs et les joies intimes de la femme « seulement femme ». Il y a des jeunes filles qui s’en passent très bien ; que celles-là suivent en paix leur chemin vers l’indépendance et vers les jouissances austères du travail. D’autres, plus heureuses ou plus adroites que Mme Kovalevsky, réussissent à attraper double part au « grand festin » ; ce sont les tricheuses, qui gagnent avec mauvais jeu, mais elles sont très rares, et il serait imprudent de les prendre pour modèles. L’histoire de la triste Sonia, écrite et publiée afin de se conformer à ses volontés, s’adresse, pour les avertir, à la foule des jeunes filles qui s’exposent aujourd’hui, sans le savoir, à perdre « l’orange », et qui en seraient ensuite inconsolables. On aurait pu donner pour épigraphe à la biographie de cette femme éminente le mot éloquent de Mme de Staël : « La gloire, pour une femme, n’est jamais que le deuil éclatant du bonheur. »

Arvède Barine.
  1. Vospominania Dètsva, publiés dans le Vèstnik Evropy de juillet et août 1890.
  2. Pour toute cette partie, voir la Russie, par Mackenzie Wallace, — Von Nicolaus I zu Alexander III (Sans nom d’auteur. Leipzig). — L’Empire des Tsars et les Russes, par Anatole Leroy-Beaulieu.
  3. Von Nicolaus I zu Alexander III.
  4. Ibid.
  5. L’Empire des Tsars, par Anatole Leroy-Beaulieu.
  6. La statistique a donné un illettré sur 100 parmi les révolutionnaires avérés. « Entre les conspirateurs, 80 p. 100 ont reçu une instruction supérieure ou secondaire, la plupart dans les écoles du gouvernement. Mêmes résultats pour les femmes. » (L’Empire des Tsars.)
  7. Sophie Kovalevsky, Souvenirs, par Mme A. C. Edgren-Leffler, duchesse de Cajanello. Nous citons la traduction russe. La duchesse de Cajanello, Suédoise d’origine et écrivain distingué, a été l’amie intime et la confidente de Mme Kovalevsky pendant la dernière période de sa vie. Nous ferons de nombreux emprunts au charmant volume qu’elle lui a consacré.
  8. Stockholm, Acta mathematica.
  9. Acta mathematica. Notice biographique sur Sophie Kovalevsky. L’original est en français.
  10. On a encore de Mme Kovalevsky : Sur une propriété du système d’équations différentielles qui définit la rotation d’un corps solide autour d’un point fixe (1890). — Mémoire sur un cas particulier du problème de la rotation d’un corps pesant autour d’un point fixe, où l’intégration s’effectue à l’aide de fonctions ultra-elliptiques du temps (1890). — Sur un théorème de M. Bruns (1891), etc.