La Troisième Jeunesse de Madame Prune/14

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Calmann Lévy (p. 69-71).
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XIV



Mardi, 8 janvier.

Oh ! les étonnantes petites personnes, que j’ai rencontrées aujourd’hui à la campagne ! Je les voyais de loin cheminer devant moi, une cinquantaine, presque en rang comme un peloton de soldats, toutes pareilles et toutes blanches. Des peignoirs de calicot blanc, — aux manches plates, attachés à la taille par une ceinture, sans corset, — en faisaient des bonnes femmes bien rondes, à tournure de grosse paysanne inélégante. Des bonnets de calicot, tout simples et tout raides, mais trop majestueux et comme gonflés de vent, semblaient des cloches à melon sur les têtes… Qu’est-ce que ça pouvait bien être, ce monde-là ? Des Japonaises, fagotées ainsi, lourdement et sans grâce ? — Pas possible.

J’ai pressé le pas pour vérifier. Et, sous les hauts bonnets comiques, j’ai bien vu des figures plates de mousmés ou de jeunes femmes nipponnes ; mais ces dames avaient l’air sérieux, pénétré, ne riaient point ; l’habituel badinage des rencontres n’eût pas été de circonstance, évidemment, et j’ai passé, sans rire moi non plus.

Ensuite je me suis informé : c’était l’école des ambulancières pour l’armée, qui faisait une promenade hygiénique d’entraînement !… Tout est à la guerre, en ce moment-ci, tout est préparatifs pour cette grande tentative contre la Russie, — qui, du reste, ne constituera que la manifestation initiale de l’immense Péril jaune.

On m’a assuré que, dans les rangs de ces petites créatures empaquetées en tenue d’hôpital, il se trouvait des dames nobles, des descendantes de ces vieilles familles dans lesquelles nous autres étrangers ne pénétrons pas encore. Et des officiers, mes camarades, qui ont déjà été soignés et pansés par elles, gardent le meilleur souvenir de leurs mains si petites, douces, adroites, aux patiences inlassables.

Mais ces énormes bonnets gonflés d’air, ces espèces de coiffes à la Cauchoise, qui dira pourquoi ?…