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La Troisième Jeunesse de Madame Prune/50

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Calmann Lévy (p. 285-286).
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Lundi, 7 octobre.

Nous repartons ce matin sans avoir aperçu le sommet de l’île aux forêts, — le dôme, pourrait-on dire, de cet immense temple vert, — car le même rideau de nuées persiste à l’envelopper. Et bientôt disparaît l’abrupt rivage si magnifiquement tapissé de verdure ; disparaissent les portiques religieux, en sentinelle aux abords, avec leurs longs reflets dans l’eau.

Nous nous en allons tranquillement sur cette mer Intérieure, qui est comme un lac immense, aux rives heureuses. Les grandes jonques anciennes, qui ont des voiles pareilles à des stores drapés, circulent encore en tous sens, poussées aujourd’hui par une brise très douce, d’une tiédeur d’été. Çà et là, au fond des gentilles baies, on aperçoit les villages proprets, aux maisonnettes en planches de cèdre, avec toujours, pour les protéger, quelque vieille pagode perchée au-dessus, dans un recoin d’ombre et de grands arbres. De loin en loin, un château de Samouraïs : forteresse aux murailles blanches, avec donjon noir, — quelqu’un de ces donjons à la chinoise qui ont plusieurs étages de toitures et qui donnent tout de suite la note d’extrême Asie. Et, dans ce Japon, les cultures n’enlaidissent pas comme chez nous la campagne ; les champs, les rizières sont des milliers de petites terrasses superposées ; au flanc des coteaux, on dirait, dans le lointain, d’innombrables hachures vertes.

C’est déjà, pour un peuple, un rare privilège et un gage de durée, d’être peuple insulaire ; mais surtout c’est une chance unique, d’avoir une mer intérieure, une mer à soi tout seul où l’on peut en sécurité absolue ouvrir ses arsenaux, promener ses escadres.