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La Vérité sur l’Algérie/01/06

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CHAPITRE VI

L’idée de succès dans le monde qui pense… avec les journaux algériens.


Celui d’Algérie dans la note similaire est naturellement plus échauffé :


« C’est l’essor de cette colonie, symbolisé par sa capitale, et qui, depuis quelques années, devient prodigieux et étonne — je le sais — les étrangers même les plus colonisateurs.

« Crises politiques, altises dans la Mitidja, gel dans les Hauts Plateaux, méventes, sauterelles, paniques exploitées d’insécurité, mode des exodes d’été, instabilité des gouverneurs, dénigrement des métropolitains, battage sur la mentalité spéciale et le séparatisme, rien n’a empêché la germination puissante décelant une vitalité superbe.

« En vain les chercheurs de petite bête, les regardeurs par le gros bout de la lorgnette, les coupeurs de cheveux en quatre, les contemplateurs à microscopes tendant la main aux intéressés du Caire, de Malte et même de Nice, chercheront la misère sous les apparences de la prospérité.

« Oui, les dessous ne correspondent peut-être pas encore aux dessus. Ils sont de toile bise, tandis que le corsage est en satin. Mais ils sont propres. C’est le premier luxe. Le drapeau national qui flotte, rue Vivienne, au fronton de la Bourse de Paris en couvre-t-il de tels ? Et ai-je jamais dit que c’est la pléthore de richesse où commence la décadence qui naît pour l’Algérie ?…

« Non.

« C’est l’essor…

« … C’est l’essor de la campagne et de la ville, c’est l’essor de la rue.

« Rue Michelet, rue de l’Isly, rue de Lyon, à Bab-el-Oued, à Alger éclatant de pierres serrées, à Mustapha qui se relie à Alger par ses pierres, les maisons s’épanouissent tous les jours, sortent, montent, se gravitent (sic), se cachent mutuellement la vue de la baie, s’étagent, se fanfreluchent, se couvrent, s’habitent, se peuplent, s’animent en un clin d’œil, en un rien d’instant (sic) dans l’intervalle d’un voyage à l’autre et pour surprendre le voyageur avec verve, avec magnificence, avec promptitude, presque avec défi…

« Une fée a frappé la terre de sa baguette magique : les cinq étages ont surgi.

« Vous la connaissez tous la fée. Elle ne s’appelle pas Mélusine. Elle n’a pas non plus le nom barbare de celle d’Hansel et Gretel et ses palais ne sont pas en pain d’épice.

« Elle a un nom de foi et d’espérance.

« C’est l’essor.

« C’est l’essor qui ne veut pas n’être que matériel. Il sait que celui-ci n’irait pas sans celui-là. Celui-là c’est l’essor intellectuel qui se symbolisera à la venue présidentielle par l’inauguration de la Ligue de l’enseignement… « L’essor !…

« Quel pessimisme le niera ?…

« L’oiseau bleu algérien s’est élancé du nid. Le grain l’atteindra peut-être. Le siroco le bousculera sûrement, le tourbillon le roulera dans sa spirale, le faucon guettera sa défaillance pour fondre sur lui, le chasseur étranger le tiendra d’en bas au bout de son fusil attendant qu’il soit à portée.

« Mais l’oiseau bleu évite le grain, fuit le siroco, vole hors du tourbillon, dépiste le faucon, n’est pas à portée du fusil étranger.

« C’est qu’il n’est pas un moineau franc du Luxembourg qui ne quitte son toit de sénateur que pour franchir le marronnier du 20 mars d’une aile débile et pour aller pépier autour du vieux monsieur qui jette du pain tous les jours.

« L’oiseau bleu ne se sait ni sécurité, ni mie de pain. Mais il a la nature pour lui, et il s’en est servi. Le soleil a cuit son aile solide, l’horizon clair a développé son regard sûr, l’air doux lui a fait des poumons que n’essoufflent pas les longues envolées, la terre neuve et dure, qu’il faut gratter pour avoir du grain, a cuirassé les pattes et les becs des siens qui lui ont transmis leur force, le ciel plus illimité a rendu sa conception plus grande et plus grande sa volonté d’explorer très loin.

« Aussi son essor dépasse-t-il la largeur d’un marronnier !

« Il ne descend pas vers la mie de pain du fonctionnarisme. Il monte dans les altitudes des chercheurs.

« Ce qu’il trouvera… nous le saurons demain.

« Mais, n’est-ce pas que l’essor est prodigieux ! »


Cela est en effet prodigieux. C’était publié par la Dépêche algérienne le 1er avril 1903.

Quelques villes de province acceptent que leurs journaux, suivant la vieille et joyeuse coutume, servent à la date fatidique le poisson, et s’en amusent, qu’il soit ou non volant, avec ou sans essor. Un instant j’avais cru qu’Alger… Mais j’y étais. Je me suis renseigné. Je puis assurer que la Dépêche algérienne ne plaisante jamais. Elle a trop le respect de soi-même et de ses lecteurs. L’essor est donc sérieux…