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La Vérité sur l’Algérie/05/10

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CHAPITRE X

Quelques opinions notoires sur la nécessité de l’action française dans le Sud.


Bugeaud, lui, disait :


« La paix définitive de l’Algérie est dans le Sahara. »


L’argument de sécurité. Je l’ai discuté dans mon livre Question du Maroc. Les Russes qui se font battre en Mandchourie pour protéger le Baïkal montrent ce que vaut cet argument.

Venant du maréchal Bugeaud le sophisme a passé pour parole d’Évangile. Et depuis, tous les… simples… religieusement l’ont servi.

Notre précieux Leroy-Beaulieu n’y a pas manqué. Il l’a même développé.

Il a déploré :


« La persistante pusillanimité de notre gouvernement à assurer notre arrière-pays nord-africain par l’occupation si facile et si naturelle du Touat. »


Il ne comprenait pas.


« Une inexplicable timidité nous a, dit-il, empêché de pousser rapidement vers le Sud… On a administré et vécu en Algérie dans le plus bas prosaïsme ; or, la prose unie et grossière ne convient pas aux colonies ; il faut à celles-ci un peu d’idéal, un plan d’expansion. »


Il est poète, M. Leroy-Beaulieu. Poète et patriote. Si l’on avait poussé vers le Sud on n’aurait pas eu l’humiliation de Fachoda. On aurait pu discuter avec l’Angleterre, cette Angleterre


« …qui s’est faufilée vers le Sokoto et le Bornou ; il ne peut plus être question de nous attribuer ces belles contrées ; mais ce qu’on nous a laissé autour du Tchad et les domaines que nous nous sommes taillés dans toute la région environnante valent encore un grand effort. »


Comme M. Leroy-Beaulieu n’a pas d’intérêts dans les affaires de chameaux, il préconise le grand effort par le militaire « allant sur chemin de fer,… le transsaharien. Pour ennuyer les Anglais en leur prouvant qu’on peut les attaquer par terre dans le Sokoto et le Bornou, tout comme les Russes peuvent les attaquer par terre dans l’Inde ! C’est avec de pareilles niaiseries qu’on traite chez nous les grandes affaires.

Un petit détail en passant : une compagnie d’occupation des territoires du Tchad ne peut vivre groupée tellement le pays est pauvre. Mais ennuyer l’Anglais cela ne vaut-il pas tous les sacrifices ?

Ne rions pas trop de ce pauvre M. Leroy-Beaulieu, poète, patriote et diplomate, ni de ses divagations anglophobes pieusement recueillies par le Bulletin du Comité de l’Afrique française. Lisez la Quinzaine coloniale du 25 avril 1899 et vous y verrez un projet de l’amiral Servan qui s’est occupé aussi du Sahara, mais, lui, marin, avec la hantise de la mer intérieure. Pas besoin de chemin de fer. De l’eau. De l’eau pour naviguer. En prendre à la Méditerranée n’a point réussi. Il veut en prendre au Niger. Il a vu les cotes de la carte. Elles diminuent en remontant vers le Nord. Il y a 245 à Kabara et ça va en descendant à 180 jusqu’à 700 kilomètres dans le Nord. Alors c’est tout simple. Faire une tranchée à Kabara, chiper le Niger et l’envoyer au Nord. Et l’organe de M. Joseph Chailley-Bert, âme de l’union coloniale française, en signalant ce hardi projet à l’admiration de ses lecteurs, montre


« … l’intérêt qu’il y aurait à surveiller la mine des Anglais le jour où ils ne verraient plus arriver le Niger dans son delta accoutumé. »


Chez M. Joseph Chailley-Bert on n’a pas souvent de l’esprit, mais quand on en a, c’est du bon.

Il y a des gens que l’anglophobie en matière saharienne rend idiots. Il y en a qu’elle rend éloquents.

C’était le cas de feu ce pauvre M. Laferrière. Il n’avait pas beaucoup d’envolée. Son lyrisme était plutôt négatif. Son humour si bien rentrée qu’on l’ignorait. Mais songer à l’Anglais, dans le désert, lui inspirait ceci à Djenan-bou-Resg le 1er février 1900 :


« … Vous vous rappelez avec quelle nuance d’ironie le représentant d’une des grandes puissances qui nous ont reconnu ces droits paraissait mettre en doute leur valeur effective.

« — Nous avons, disait-il, donné au coq gaulois le sable sans compter. Il y pourra gratter tout à son aise.

« Eh bien, messieurs, nous le gratterons ce sable ; nous y poserons des rails, nous y planterons le télégraphe, nous y ferons jaillir les nappes artésiennes et nous écouterons le coq gaulois nous chanter, du haut des kasbahs des oasis, sa plus sonore et plus joyeuse fanfare. »


Comment après de tels cocoricos trouver plus salée que l’eau des nappes artésiennes la note des chameaux convoyeurs… et le reste ?… cocorico !… Paie, bon peuple, paie toujours… tu n’es pas content ? ce n’est point possible ! on t’a chanté cocorico.

Un coup de clairon. Puis un discours d’Étienne (car il y a toujours un discours d’Étienne) et la parade est finie. Passe à la caisse.

Le voici l’inévitable. En 1900. Dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française :


« … L’Algérie est pour la France le pivot d’une politique africaine. Elle doit être pour la patrie française, non seulement un surcroît de richesses, mais aussi la base solide sur laquelle doivent s’appuyer les conceptions générales d’une politique active et pénétrant dans tout le continent africain.

« … Cette politique se dessine…

« Désormais l’Algérie est, on peut le dire, reliée au Soudan et au lac Tchad ; désormais l’Algérie prend sa place dans la politique du monde. »


Et c’est l’idée de l’empire africain. Le Figaro publie des articles sous ce titre. Le Comité de l’Afrique française indique ce qu’il faut : « Percer le Sahara par une ligne de postes d’une berge à l’autre. »

Et ça y est. « En dépit des esprits toujours hésitants », comme dit Étienne, on a réalisé la série d’opérations énoncées dans le chapitre qui précède.