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La Vérité sur l’Algérie/05/15

La bibliothèque libre.
Librairie Universelle (p. 126-129).


CHAPITRE XV

Le mirage minier et la conquête du Touat.


Il y a des épisodes de notre histoire actuelle sur lesquels la vérité ne sera, je ne dis pas connue, mais établie avec preuves, que lorsque la « prescription » des années aura fait tomber dans le domaine public à la disposition des écrivains, hors de l’action des lois, la série des papiers qui constituent certaines archives privées et celles des banques, etc., etc., les registres de police également et les dossiers secrets des gouvernements. Ou du moins ce qui en restera, ce qui aura échappé à la destruction des intéressés.

Pour exposer exactement l’histoire des événements du Touat il faudrait avoir :

1o Les notes personnelles de M. Flamand ;

2o Celles du commandant Levé ;

3o La correspondance de la maison Rothschild ;

4o Les comptes de l’agence du Crédit lyonnais à Alger ;

5o Les notes de M. de Peyerimhoff ;

6o Celles du colonel Marchand ;

7o Les dossiers de police du gouvernement général d’Alger ;

8o Les notes de la direction du Matin ;

9o Celles de la direction du Petit Journal.

Alors on pourrait dire pour quels motifs la France a dépensé une centaine de millions d’expédition et engagé une quinzaine de millions de frais annuels d’occupation.

Alors on pourrait établir la liaison entre les faits suivants :

1o Premier voyage de M. Flamand à Tabelkosa ; son retour avec impressions à la Sindbad le Marin sur les émeraudes sahariennes ;

2o Amitié de M. Flamand et du commandant Levé ;

3o Mission Flamand. Mission scientifique aboutissant aux opérations militaires de M. Pein.

On saurait si, avant cette expédition, fut faite ou ne fut pas faite une société d’études ; et si cette société fut faite, par qui elle le fut ; quels en étaient les statuts, et pour quelle affaire.

On saurait si, après cette expédition, la maison Rothschild fut sollicitée, par qui et pour quoi elle le fut.

On saurait ce qu’on voulait exactement du colonel Marchand.

On saurait exactement la signification des notes de presse et, en particulier, de l’article publié le 5 mars 1903 par le Petit Journal. Cet article « lâchait » les émeraudes, mais il appuyait sur les nitrates.

Les mauvaises langues d’Alger…, il y en a partout… racontent une jolie rosserie à propos de ces nitrates dont les échantillons auraient été reconnus riches de 95 pour 100 !

Ces nitrates dans les régions touatiennes sont des efflorescences mélangées à des magnésies. Les taches ont quelques mètres de diamètre.

Les Arabes qui autrefois se servaient de ces nitrates pour fabriquer de la poudre savaient les « épurer ». C’est des produits épurés qui auraient été envoyés comme échantillons.

Et l’on aurait oublié de dire que les coups de sonde avaient révélé qu’il n’y avait pas de couches profondes.

Il serait très curieux de savoir si une mission « scientifique » nouvelle avait été organisée, puis si elle fut arrêtée par le général André, et comment. Enfin il ne serait pas moins intéressant de savoir comment survinrent les discussions violentes entre M. Flamand et M. Pein, et leur duel.

Et, pour terminer, ce que pensait de tout cela M. le commandant Levé qui serait, en réalité, le grand metteur en scène, le grand organisateur de la conquête saharienne.

M. le commandant Levé pourrait, j’en suis sûr, nous expliquer la pénétration française au Sahara beaucoup mieux que M. Laferrière quand celui-ci disait :


« … Lorsque des questions aussi importantes sont mûres il faut savoir les cueillir soi-même et ne pas attendre qu’elles se détachent, qu’elles tombent toutes seules, à l’improviste, de l’arbre mystérieux où les choses humaines sont en suspens ! Oui, il a suffi d’un peu de vent et de poussière soulevée par le passage de la mission Flamand et de son escorte pour faire tomber le fruit déjà trop mûr. »


Notons que dans les discours officiels on ne parle jamais que d’intérêts politiques, civilisateurs, etc., etc., et que dans tous les articles on parlait surtout nitrates.

Lorsqu’on s’aperçut qu’il n’y a pas plus de nitrates que d’émeraudes, — ou du moins qu’il n’y en a point où l’on croyait qu’il y en avait — il était trop tard pour que les expéditions demeurassent dans le rôle de simples missions de reconnaissance.

Si les intérêts miniers n’exigeaient point l’occupation, les autres la voulaient. Et nous l’avons. Le ministère des colonies a pu éviter la charge de la Maurétanie occidentale. Sa Majesté Jacques Ier n’a pas l’air très disposé pour le moment à aller prendre possession de son empire. Le gouvernement général de l’Algérie, lui, n’a pu esquiver l’obligation de garder les territoires de l’Extrême-Sud.

Mais comme ces territoires coûtent, ne rapportent rien ou presque, l’Algérie qui a son budget spécial n’en veut pas. On en a fait une colonie distincte (Loi de décembre 1902), qui a « la personnalité civile, un budget autonome… avec subvention de la métropole ».

C’est un nouveau déficit annuel et progressif.

Et je crois qu’après ce qu’on vient de lire il est évident que la cause en est beaucoup moins le souci de la mission civilisatrice de la France que celui d’intérêts très particuliers.