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La Vérité sur l’Algérie/05/20

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CHAPITRE XX

Les économistes coloniaux actuels avouent que le droit n’a rien à voir dans les conquêtes coloniales. Quelques notions du droit de conquête.

Ainsi, maintenant, nous savons qu’elle est fausse, la croyance commune que nous avons conquis l’Algérie dans l’intérêt de la civilisation. Ce fut au début et c’est maintenant : affaires. Même aujourd’hui les parfaits économistes coloniaux prennent le soin de spécifier qu’il ne doit plus y avoir dans notre action de vaines considérations de droit…

J’ai noté ceci, de M. Chailley-Bert, en date du 25 novembre 1899. C’était le moment où les Américains prenaient les Philippines, où les Anglais prenaient le Transvaal. Cet excellent homme n’y tient plus. On vole et nous ne volons pas… C’est intolérable. Il le dit :

« À ce que nous avons déjà nous souhaitons le complément nécessaire.

« Le Maroc doit être à nous…

« Le Siam doit être à nous…

« Qu’attendons-nous pour agir ? Aurions-nous des scrupules ?…

« Le temps est passé d’être les gendarmes du droit sur la terre. Cette politique glorieuse ne peut plus être la nôtre, nous le savons. Pratiquons donc une politique fructueuse. Travaillons pour l’avenir de notre nation. Agissons. »

Je sais bien que ces abominables théories sont couvertes par l’autorité du grand Jules Ferry, dont les voleurs s’honorent tous d’être les disciples…

À la Chambre des députés, le Maître avait dit, le 5 novembre 1881, parlant de la Tunisie : cette côte illustre, riche et si tentante. En une seule phrase est ainsi ramassée la mentalité vaniteuse de nos conquérants bourgeois. Cette côte est illustre, nous nous ennoblirions ; cette côte est riche, nous ferions la bonne affaire en la prenant ; elle est tentante, cédons à la tentation. Prenons, prenons… C’est le credo du parti : prendre !

Et quand le Chailley-Bert nous montre en bavant de convoitise le Maroc, le Siam… il ne veut pas que nous ayons des scrupules à prendre, « car le temps est passé d’être les gendarmes du droit sur la terre ».

Quand donc enverra-t-on les gendarmes pour mettre de tels écrivains hors d’état d’exercer leur métier d’excitation à l’assassinat des citoyens des autres pays ? C’est des malfaiteurs nationaux. Leur crime est plus infâme que tous ceux que l’on peut imaginer. Mettre dans l’esprit des gens simples que d’aller prendre un pays parce qu’il est riche constitue belle et patriotique entreprise : je dis que c’est un crime de lèse-patrie. Vouloir que la France n’ait pas de scrupules et commette des actions comparables à celles que l’on flétrit ailleurs, c’est insulter la France. Prêcher la guerre pour le souci d’affaires est le plus odieux forfait que puisse commettre un homme. Je ne vois pas de nom pour qualifier comme ils méritent de l’être les gens de l’école de Chailley-Bert qui, froidement, sachant qu’ils ont influence, qu’on les entendra, disent : « N’ayez donc pas de scrupules, prenez ce qui vous plaît », quand prendre c’est faire la guerre !

Quand ce conseil écrit dans un bureau tranquille, après conversation avec gens d’affaires, si on l’écoute, ce sera toutes les réalités qui tiennent en ce mot : guerre !

Les mères détestent la guerre. Leur haine, leurs malédictions s’en vont à quelque chose de mystérieux, elles ne savent à quels ON. Ces ON, dans nos guerres coloniales, je veux leur dire ce que c’est, qu’elles en sachent le nom… pour leurs prières. C’est le mort, le Jules Ferry, à qui l’on élève des statues. C’est les vivants, Étienne, Chailley-Bert, pour ne donner que les deux étiquettes en vue, les deux drapeaux.

Et encore, Étienne vaut mieux que l’autre. On le dit cynique. Ce n’est pas vrai. Toujours il rend hommage au droit en essayant de nous trouver quelque droit sur les pays qu’il veut que nous prenions. Les autres ne s’embarrassent plus de ces vains scrupules. Il en a encore le préjugé. Et c’est ce qui fait que, tout en stigmatisant l’odieux de sa politique, on est disposé pour lui à quelque sympathie. Mais combien étrange sa théorie des droits :

« Nous ne saurions perdre de vue, a-t-il dit dans la Revue saharienne, nous ne saurions perdre de vue les droits que l’homogénéité de notre empire africain nous crée sur les territoires limitrophes de nos possessions, et sur lesquels aucune puissance européenne n’est encore établie, tels que ceux du Maroc, de l’Éthiopie et de la République de Liberia. »

Ce qu’il y a de terrible, c’est que ce sophisme des droits d’un État sur un autre État semble être quelque chose de contagieux qui empoisonne les esprits les plus nobles et dont la lucidité paraissait à l’abri de tels troubles, de telles erreurs. Ainsi Jaurès. Il écrit le 20 novembre 1903 :

« Je conviens que la France a au Maroc des intérêts de premier ordre qui lui créent une sorte de droit. »

En septembre 1903, il avait dit :

« Qu’il n’y ait pas d’équivoque. Je sais que par la force des choses l’Europe se répand sur l’Afrique et que la France a le droit de participer à ce mouvement. »

La force des choses !… pourquoi pas celle d’Allah ?

Une sorte de droit. M. Marcel Prévost nous avait fait connaître la demi-vierge. M. Jaurès nous enseigne la sorte de droit.

Et c’est bien un des résultats les plus inattendus de ces affaires algéro-marocaines. Patientons. Elles nous réservent d’autres surprises.

Ce serait à nous faire croire qu’il en est de la morale dans la politique absolument comme de la « délicatesse » dans les choses physiques.

On introduit dans votre cercle un homme au visage rongé de dartres ; à votre table s’assied un malheureux sans nez, pourri de chassie, etc., etc… vous avez des haut-le-cœur, vous pestez, vous jurez. Mais vous ne le chassez pas. Mais vous ne vous en allez pas. Vous vous habituez à sa présence. Et vous finissez par croire que l’iodoforme dont il soigne ses chancres est un parfum. Serait-ce la même accoutumance dans les questions de politique coloniale, d’exploitation et de spoliation ? Je le crois. Il me répugnerait en effet de supposer que beaucoup de tolérances de la pourriture d’autrui pussent être dues non pas à l’habitude, à la délicatesse émoussée, mais à la contamination.

J’ai noté aussi, en étudiant les causes du développement de l’esprit de conquête, chez beaucoup de politiques, un trait de la mentalité féminine. Un homme, une chose ne sont désirés par aucune ; on n’imposera point, en vue de les prendre, le moindre effort à une femme. Mais qu’une autre les veuille ou soit dite les vouloir, la femme est allumée. En nous disant que l’Angleterre veut ceci, que l’Allemagne veut cela, tout de suite on fait marcher les Chailley-Bert et les moutons de l’Union coloniale, les d’Arenberg et les patriotes du Comité de l’Afrique française.