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La Vérité sur l’Algérie/06/10

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CHAPITRE X

La vaillance algérienne dans le devoir militaire.


Il est impossible de trouver une excuse raisonnable à cette complicité de l’Algérie déifiant la fuite de M. Max Régis et la faisant sienne. Les fidèles électeurs de M. Max Régis avaient eu le temps de la réflexion ; à plusieurs reprises, longuement. Ils étaient conscients. La vaillance de l’élu était donc bien la vaillance de l’électeur.

Une vaillance à part.

Voici qui en accentue le caractère spécial :

Sous le prétexte que la colonisation a besoin de bras, les fils des boutiquiers des villes et de la campagne, les fils des innombrables fonctionnaires, tandis que leurs « congénères » métropolitains allaient à la caserne pour trois ans, ne faisaient eux qu’un an de service militaire.

On parle d’unifier par la loi de deux ans ; l’Algérie proteste. Vouloir que ses fils aient l’honneur de servir la patrie au même titre que les Français de la métropole, c’est l’attaquer ! Les Délégations financières à la session de 1904 votent des remerciements aux députés qui sur le propos ont pris la défense de l’Algérie ! Ce n’est pas des conversations de café, cela. C’est des délibérations officielles du Parlement algérien.

On leur dit, à ces vaillants patriotes : « Prenez garde, en insistant vous allez retarder le vote… etc. » Ils ne s’en inquiètent pas… Ils ne veulent pas faire deux ans. Ils veulent n’en faire qu’un. Tant pis si ceux de la métropole en font trois.

Je lis dans les documents des Délégations financières (1904) 2e vol. 1. p. 51 :

« … Le ministre de la guerre a fait connaître le 22 juin qu’il ne lui semblait pas possible de porter atteinte au principe de deux ans égal pour tous en établissant une distinction entre les Français d’Algérie et les Français du continent. »

Mais ce qui paraît impossible au ministre de la guerre paraît nécessaire à l’Algérie.

Aussi M. Max Régis qui connaissait bien ses compatriotes s’était-il empressé de souligner. Le 2 janvier 1904 il publiait dans son journal :

« Les tout-puissants de la défense et de l’action dites républicaines viennent une fois de plus de promettre à l’Algérie un joli cadeau pour l’année 1904.

« … Le bloc n’a pu nous épargner cette nouvelle charge… C’est intéressant de retenir qu’une loi faite pour alléger considérablement les charges de la mère-patrie va produire ce résultat d’aggraver non moins considérablement celles de sa colonie la plus chère. »

Sur ce propos M. Max Régis était d’accord avec les délégués financiers qui pendant la session de 1904 ont considéré cette question du service réduit comme essentielle ; ils l’ont avoué dans leurs vœux officiels ; dans leurs conversations particulières ils ont fait comprendre que de la satisfaction qu’on leur donnerait sur ce point dépendrait leur docilité à seconder le gouvernement dans son œuvre de réorganisation de la colonie.

Les arguments que les représentants-défenseurs de l’Algérie invoquent au Parlement français pour essayer de sauver les privilèges de leurs électeurs devant la loi militaire ne sont naturellement point de même ordre, quoique aussi curieux. C’est ainsi que M. Étienne disait le 14 février 1905 au Sénat :

« Certes, il est utile que les jeunes Algériens viennent en France pour y accomplir leur service militaire, qu’ils apprennent ainsi à connaître et à aimer la mère-patrie ; ainsi, les tendances particularistes, s’il s’en manifeste, ne prendront jamais un caractère dangereux.

« Mais si ces jeunes gens restent deux ans en France, ils s’y fondront si bien avec leurs compatriotes de la métropole qu’ils ne retourneront plus dans la colonie, où des étrangers les remplaceront. »

Ainsi, d’après M. Étienne, il suffirait qu’un jeune Algérien goûtât pendant deux années les charmes de la vie de caserne en France pour être à jamais dégoûté de la vie en Algérie. Alors !… voyons… voyons… ça ne serait donc pas le plus beau pays du monde… votre Algérie !

Le patriotisme de l’Algérien ne peut supporter plus d’un an de caserne.

Mais il veut quand même les avantages réservés à ceux qui en supportent plus. Ainsi les emplois civils réservés aux sous-officiers. Le jeune Algérien désire faire, par exemple, carrière dans les ponts et chaussées. Malheureusement il faudrait pour cela qu’il devînt sous-officier.

Et cela, il ne le peut pas, car il ne veut pas faire plus d’un an de service.

Alors son Parlement émet le vœu (session 1904) :

« Qu’une plus large part soit réservée à l’élément civil dans l’attribution des emplois de commis des ponts et chaussées d’Algérie. »

Et, lorsqu’on discute ce vœu, il est dit, séance du vendredi 11 mars 1904 :

« Je demanderai à celui de mes collègues qui formulera ce vœu d’insister sur ce point que l’application de la loi relative aux sous-officiers a pour conséquence d’abaisser considérablement la valeur des administrations. Toutes se plaignent de l’insuffisance absolue de ce recrutement. Ces gens-là ne savent rien. Il ne faudrait pas que, pour assurer le recrutement de l’armée, on diminuât toutes les administrations. »

Et ceci dans la séance du 14 mars :

« On trouve assez de sous-officiers et pas assez d’officiers. Les officiers impartiaux disent qu’ils sont dégoûtés des sous-officiers tels qu’ils sont maintenant. »

Écoutaient cela en qualité de commissaires du gouvernement MM. de Peyerimhoff et Magniot. Pas plus que M. Bertrand, le président des Délégations, ils ne protestèrent.

Il faut lire des mêmes délégués la discussion relative aux avoines. L’autorité militaire, qui ne veut pas faire crever ses chevaux par des avoines contenant trop d’ergot, « épluche » celles d’Algérie. Ladite autorité, voulant nourrir ses chevaux, exige des avoines d’Algérie un poids spécifique déterminé. Les délégués financiers protestent au nom de leurs mandants. Un M. Bastide veut qu’on tolère 12 grammes d’ergot par 100 kilos. Un M. Bonnefoy veut qu’on achète l’avoine d’Algérie, « quel que soit son poids spécifique ». (Séance du 9 mars 1904.)

Dans l’intérêt de l’inscription maritime, la loi limite le nombre d’étrangers que l’armement des bateaux de pêche peut enrôler… L’Algérie proteste. La marine, qui sait son métier, répond :

« L’augmentation de l’élément étranger à bord des bateaux de pêche aurait pour conséquence d’abaisser le prix de la main-d’œuvre et de diminuer les droits à payer à la caisse des invalides. Le nombre d’inscrits français inactifs dans nos ports est déjà trop considérable et l’avilissement des salaires, actuellement insuffisants, les détournerait entièrement de la mer qui deviendrait ainsi en Algérie le monopole des étrangers. »

C’est la marine qui répond cela. Un M. Jacquiet objecte que « la réponse est faite par quelqu’un qui ne connaît guère cette question… », que « la question ne lui paraît pas avoir été suffisamment étudiée » ; et les délégués financiers, les membres du Parlement algérien renouvellent leur vœu. Il leur est indifférent que la « mer devienne le monopole des étrangers ».

Tout cela, c’est les faits. Indiscutables, certains. Et ils nous montrent, plus puissants que tous les discours, ce qu’est exactement la vaillance et le patriotisme dans le nouveau peuple d’Algérie.