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La Vérité sur l’Algérie/08/07

La bibliothèque libre.
Librairie Universelle (p. 357-369).


CHAPITRE VII

Les chemins de fer de l’Algérie.


Voyez une carte. Consultez un indicateur. Les chemins de fer de l’Algérie, c’est, pour trois mille kilomètres en exploitation :

Deux sortes de voies ;

Six qualités de matériel ;

Six classes de tarifs avec d’innombrables sous-variétés.

Cinq compagnies avec leurs frais généraux, et tout ce qui s’ensuit… Une bouillabaisse… et encore, pas de Marseille, une bouillabaisse comme on en sort dans les gargotes d’Alger… ratée, froide et hors de prix.

La tonne kilométrique coûte en moyenne aux Algériens :


Sur le réseau P.-L.-M 7.65
Est-Algérien 9.03
Ouest-Algérien 10.00
Bône-Guelma 4.50
Franco-Algérien 10.32
Mokta-el-Hadid 21.70


Les statistiques du gouvernement général de l’Algérie ont publié pour 1900 ceci :

Taxe moyenne d’un voyageur par kilomètre :

5 fr. 20 en Algérie ;

3 fr. 67 dans la métropole.

Taxe moyenne d’une tonne de marchandises par kilomètre :

8 fr. 34 en Algérie ;

4 fr. 68 dans la métropole.

À ce haut prix des tarifs correspond bien la qualité du matériel, la rapidité, la sécurité et la facilité de transports… Mais en sens inverse.

De telle sorte qu’en février 1904 M. Plichon pouvait dire à la Chambre des députés : qu’« en Algérie le chameau fait avantageusement concurrence à la locomotive » ;

Que M. Baudin à la même séance pouvait s’écrier : « L’organisation entière du réseau algérien dans son ensemble comme dans ses détails est une injure au sens commun. »

De l’étude enfin de tous les documents officiels relatifs à cette question ressort à l’évidence que tout comme pour les ports le résultat est « bien minime ». N’ai-je point lu dans un rapport des Délégations financières que les Algériens n’estiment pas à plus de 2 millions la valeur du matériel du réseau algérien du P.-L.-M. ? (On lira plus loin ce document.)

Or ce réseau qui est une « injure au bon sens », qui ne suffit pas aux besoins de l’Algérie, qui est mal établi, mal construit, dont le matériel est mauvais, ce réseau que l’on doit à la collaboration de l’État et des compagnies concessionnaires a coûté fort cher au contribuable français. Pour l’établir il fallut garantir aux concessionnaires l’intérêt de leurs capitaux « fixés à forfait non sur les frais réels en tenant compte des dépenses et des recettes véritables, mais d’après un barème aussi fixé à forfait ».

Dans la statistique financière, récemment publiée, j’ai lu, page 9 : sommes payées pour :

Garanties d’intérêts aux chemins de fer.

Pour 1900 : 20 millions de francs.

Avant 1900 : 356.349.758 francs.

Annuités à la Cie P.-L.-M.

Pour 1900 : 3.661.032 francs.

Avant 1900 : 128.130.120 francs.

Je ne peux reproduire ici tous les tableaux détaillés qui figurent à la statistique.

Voici toutefois, d’après celui des « sommes réclamées » annuellement par les compagnies de chemins de fer à l’État, à titre de garanties et insuffisances d’exploitation, de 1892 à 1901, les totaux et les moyennes.

Pour ces dix années les totaux sont :


P.-L.-M 7.546.664 fr. 20
Bône-Guelma 72.228.850 fr. 97
Est-Algérien 95.041.867 fr. 17
Ouest-Algérien 33.654.665 fr. 42
Franco-Algérienne 22.202.355 fr. 44
Ensemble 230.673.803 fr. 20


La moyenne par an ressort à :


P.-L.-M 755.000 fr. »
Bône-Guelma 7.223.000 fr. »
Est-Algérien 9.504.000 fr. »
Ouest-Algérien 3.365.000 fr. »
Franco-Algérienne 2.464.000 fr. »
Ensemble 23.311.000 fr. »


En 1901 la garantie de la Franco-Algérienne a disparu par suite du rachat.

Une importante différence apparaît entre les chiffres du P.-L.-M. et ceux des autres compagnies. Voici pourquoi :

Il y eut deux sortes de traitement dans les concessions algériennes.

Le P.-L.-M. reçut et une subvention de construction et une garantie d’intérêts.

Les autres compagnies ne reçurent que la garantie d’intérêts. Je ne parle plus des concessions territoriales de la Franco-Algérienne qui mourut de n’avoir pu les digérer.

Les compagnies à double effet, chemin de fer et colonisation, c’est comme les illustres soldats-colons du bon maréchal Bugeaud, lesquels avaient cessé d’être soldats et n’étaient pas encore devenus colons.

Le P.-L.-M. reçut une première fois 1.500.000 fr. en équivalence de l’avance de cette somme qui avait été faite à la Compagnie des chemins de fer algériens dont il prenait la suite.

Puis l’État lui donna 80 millions payables en 92 annuités de 1865 à 1956. Nous avons vu plus haut que, pour ce, de 1865 à 1900, l’État a déjà payé au P.-L.-M. 128 millions, qu’en 1900 l’annuité était encore de 3.661.032 francs,

Outre cette subvention l’État a garanti au P.-L.-M. l’intérêt à 5 pour 100 d’un capital de 80 millions. C’est à la méditation de tels chiffres que M. Bourrat condamne le système en vertu de quoi l’État paie très cher un crédit qu’il a créé, qu’il entretient lui-même par sa garantie.

Le même M. Bourrat a communiqué à la Chambre (février 1904) le tableau suivant sur les dépenses et les dettes des compagnies.


RÉSEAUX Participation à la compagnie dans les dépenses d’établissement au 31 décembre 1900
DETTE de la compagnie envers l’État (capital et intérêt) du chef de la garantie d’intéret
Dépenses de construction et travaux complémentaires Matériel roulant Ensemble
francs francs francs francs
Paris-Lyon-Méditerranée 72.652.149 15.078.642 87.730.791 63.259.012
Est Algérien 182.454.520 9.223.737 191.678.263 211.763.250
Ouest Algérien 76.546.801 6.011.311 82.558.112 60.603.913
Bône Guelma 90.963.250 7.572.688 98.535.938 156.239.385
Totaux 422.646.726 37.886.378 460.503.104 491.885.560


En février 1904, après de longues discussions, la Chambre a voté un projet de loi adopté ensuite par le Sénat, qui, en réglant les parts respectives du budget métropolitain et du budget spécial de l’Algérie dans les charges que les conventions imposent à l’État, a donné à la colonie pouvoir d’opérer le rachat et d’appliquer (après loi nouvelle) le meilleur mode d’exploitation de ses chemins de fer.

Dans la discussion du projet de loi, beaucoup des gens qui cherchaient à l’enterrer, sous le prétexte que l’État ne pouvait se dessaisir des chemins de fer algériens, paraissaient croire, disaient même que ces chemins de fer constituaient une énorme richesse, une « merveilleuse affaire ». Il y a là, je crois, une illusion. Et je l’ai notée parce qu’il m’a semblé qu’en Algérie aussi trop de gens y étaient également trompés.

Même dans le monde des personnages sérieux ou qui se croient sérieux règne l’esprit messianique. On croit à la toute-puissante vertu, régénératrice immédiate de certains noms en affaires, comme les pauvres diables croient aux messies. Pris par l’État, les chemins de fer d’Algérie ce sera une affaire d’or. C’est bien ce que dit M. Bourrat. Pris par la colonie les mêmes chemins, affaire de diamant… Il faut, hélas ! comme en tout, savoir distinguer. Il est possible que pris par la colonie les chemins de fer algériens permettent aux gros entrepreneurs, aux courtiers influents de semer quelques diamants.

Je ne crois pas cependant que cela permettra aux contribuables d’en acheter beaucoup sur leurs économies d’impôts…

Il est méchant de souffler sur les illusions des vierges. Mais il est sage de faire tomber celles des contribuables.

En soi, l’affaire des chemins algériens n’est pas merveilleuse du tout. Elle n’est même pas bonne.

M. Bourrat pour l’affirmer excellente, il est vrai, se trouvait réduit à invoquer l’autorité de M. Joseph Chailley-Bert, lequel ayant découvert que l’Inde n’est pas plus riche que l’Algérie prétend que notre colonie, au lieu de faire 8.600 francs de recette kilométrique annuelle sur ses chemins de fer, pourrait, avec organisation meilleure, en faire 15.330 comme l’Inde. À cette sottise de « l’éminent colonial » invoqué par M. Bourrat M. Jonnart a justement répondu que l’Inde est plus peuplée. On pourrait ajouter : et qu’elle a des industries, et que d’ailleurs l’ensemble des conditions de ces deux colonies ne permet point qu’on les compare ainsi.

Le revenu des chemins algériens doit être prévu médiocre.

Écoutons M. Baudin :


« Il serait vain d’espérer que des découvertes du genre de celle des phosphates se renouvelleront fréquemment, et il est plus prudent de penser que les chemins de fer algériens devront se contenter de leurs éléments de trafic actuel, dont le principal, sujet à des variations constantes, consiste dans les produits agricoles. »


Et encore :


« Il s’agit ici de moyennes. M. Sibille a pris la moyenne des cinq ou six dernières années et a dit : Observez la décroissance de la garantie d’intérêts, depuis les six dernières années, et vous verrez que nous sommes dorénavant à l’abri de ces à-coups financiers de garanties d’intérêts qui ont été autrefois si menaçants pour l’équilibre de nos budgets.

« En effet, depuis quelques années seulement la garantie d’intérêts a décru, mais — j’attire l’attention de la Chambre sur ce point — le budget de la garantie oscille de la même manière qu’oscille le bien économique de l’Algérie, le profit économique de la collectivité algérienne. Ce bien, ce profit économique, est subordonné à des éléments naturels qui s’exercent avec des oscillations, des amplitudes singulièrement considérables.

« Cela est le propre du climat algérien. Je rappelle à la Chambre que dès 1885 on prédisait la baisse très rapide des garanties algériennes. La colonie avait obtenu en 1885 une garantie de 11.241.000 francs et, en 1886, de 15.032.000 francs ; puis les années mauvaises sont arrivées : en 1888, c’est 21 millions 649.000 francs que la métropole a été obligée d’inscrire au compte de la garantie d’intérêts. La garantie a baissé en 1890 et en 1891, mais elle est remontée en 1893, date où vous inscrivez 23.850.000 francs.

« Qui nous dit que ces alternatives d’augmentation et de décroissance ne se reproduiront pas de la même manière ?

« Tout, au contraire, permet d’affirmer que nous aurons des augmentations prochaines. »


De M. Jonnart sur le même propos :


« Actuellement l’État a de très grandes chances de dépenser davantage parce que les vaches maigres semblent sur le point de succéder aux vaches grasses. Les oscillations de garanties d’intérêts, bien plus qu’en France encore, sont surprenantes en Algérie. »


Enfin, après des renseignements techniques dont il faut lire tout le détail en son probant discours (Ch. des députés, 21 février 1904), cette conclusion qui justifie le mot que j’ai dit plus haut :


« L’industrie des chemins de fer en Algérie ne sera jamais une bonne affaire ; il est impossible qu’il en soit autrement. Actuellement, sans doute, l’exploitation ne sollicite pas suffisamment le trafic, c’est vrai, et notre ambition est désormais d’intéresser plus activement l’exploitation à l’accroissement du trafic ; mais sachez bien que le développement du trafic n’aura pas pour conséquence un développement parallèle du produit net, parce qu’il ne pourra être obtenu que par une mise en état de lignes coûteuses et par des abaissements de tarifs importants. »


Et si l’on fait des abaissements de tarifs ? Alors écoutez M. Laurent, le directeur de la comptabilité générale au ministère des finances :


« Il est évident que, si vous faites un abaissement de tarif en Algérie, vous ne pouvez pas retrouver à bref délai les recettes précédentes parce que l’Algérie n’a pas une puissance de développement et de trafic suffisante pour compenser immédiatement une diminution sensible des tarifs. »


Et je crois que voilà maintenant, malgré tout ce que ce chapitre a d’incomplet, bien entendue la question.

Dans un volume où j’étudierai les causes du mal, de l’insuccès algérien, et où je dirai comment il est possible de faire mieux, de faire bien, je donnerai sur ce particulier propos des chemins de fer tous les détails nécessaires.

Mais je crois utile de publier dès maintenant quelques extraits de documents officiels algériens qui à l’occasion des discussions relatives à la réforme des chemins de fer nous ont donné des indications typiques sur la mentalité algérienne, et sur les sentiments des Algériens à l’égard de la métropole.

Ceci d’abord, du rapporteur de la commission du budget à la session de 1903 des Délégations financières :

« … L’Algérie aurait dû recevoir gratuitement ses lignes… Si, contrairement aux usages constamment admis dans les rapports entre colonie et métropole, on voulait lui imposer une contre-partie, il fallait au moins la traiter comme une parente… »

Envisageant l’éventualité que l’État pourrait racheter et exploiter sans consulter la colonie, notre honorable Algérien disait ensuite avec une énergie tout africaine :

« … Ce serait faire trop bon marché de nos droits… l’Algérie devra être consultée et, à vrai dire, rien ne pourra être fait sans elle ni contre elle. La colonie est propriétaire de ses lignes ; elles lui ont été transmises en 1900, l’État s’en étant provisoirement réservé la jouissance et l’administration, qu’il considère comme corrélatives au paiement de la garantie d’intérêts. Il s’est ainsi en quelque sorte constitué l’usufruitier du bien d’autrui. Or un usufruitier ne peut altérer la substance du bien dont il a la garde sans le consentement du propriétaire. »

Sans doute penserez-vous que ces extraits avaient place indiquée au chapitre « séparatisme »… Et vous auriez raison.

De même ce qui suit eût figuré avantageusement au chapitre de la ruse algérienne.

L’éminent rapporteur des Délégations financières dit en effet :

« Au reste, pourquoi l’État voudrait-il agir seul ?

« Le rachat n’ira certes pas sans difficultés. Il y a dans la convention du 1er mai 1863 passée avec le P.-L.-M. un article 7 dont on retrouve la reproduction dans les conventions des autres compagnies et qui sera très délicat à interpréter. Il est ainsi conçu :

« À l’expiration de la concession, ou, dans le cas d’application de la clause de rachat, si l’État est créancier de la compagnie, le montant de la créance sera compensé jusqu’à due concurrence, avec la somme due à la compagnie pour la reprise, s’il y a lieu, aux termes de l’article 30 du cahier des charges, du matériel tant de l’ancien que du nouveau réseau. »

« L’article 13, § 15, de la loi du 19 décembre 1900 fait allusion à ce règlement quand il dit :

« À partir du 1er janvier 1926 les avances aux compagnies de chemins de fer, au titre de la garantie d’intérêt de ces lignes, seront à la charge de la colonie. Les remboursements qui seraient faits par les compagnies en exécution des conventions de concessions seront attribués à couvrir de leurs avances l’État et l’Algérie au prorata de leurs avances respectives. »

« Comme la dette du P.-L.-M. résultant des avances faites sous forme de garanties d’intérêts monte à 61 millions et qu’elle ne peut être compensée que jusqu’à concurrence de 2 millions au maximum par le matériel du réseau algérien dont la valeur ne dépasse pas ce chiffre, l’État, aux termes rigoureusement entendus de l’article 7, posséderait encore une créance de 59 millions dont il pourrait se récupérer tant sur le montant du matériel du réseau français que sur l’ensemble du patrimoine de son débiteur. L’État, qui vraisemblablement sera amené à transférer, ne voudra pas s’exposer à ce que, plus tard, la colonie qu’il aurait négligé de lier à son contrat lui reproche de n’avoir pas strictement appliqué l’article 7 afin de voir réduire d’autant le montant de l’annuité de rachat qu’elle aura à payer au lieu et place de la garantie d’intérêt. Nous serons donc consultés… aussi attendons. »

Cela est d’un français confus, mais d’une claire intention. Il s’agit d’intérêts collectifs, c’est donc de la politique. Ce serait d’intérêts particuliers, que la pièce offrirait un joli sujet d’étude à certains psychologues. Je veux dire ceux des parquets. Politique, le chantage n’est pas un délit mais constitue un nouveau titre à la confiance des électeurs. La menace plus haut soulignée fut très prisée en Algérie. Il en ressort que les gardiens des finances algériennes veulent être de la partie quand l’État sera amené à transiger avec le P.-L.-M., qui possède un patrimoine permettant le paiement intégral de la dette, si l’on veut appliquer strictement l’article 7.

Quel sujet aux méditations du philosophe, cet Algérien des Délégations financières annonçant la transaction vraisemblable avec le débiteur à patrimoine ! Curieux état d’âme que celui de ces gens qui consentiront à ce que les lois ne soient pas strictement appliquées, pourvu qu’on n’oublie point de les lier !…

Aussi, je crois intéressant de noter dans cet ordre de faits qu’un des administrateurs du P.-L.-M. est devenu administrateur de la Banque de l’Algérie.

Et que de gros personnages politico-financiers de l’Algérie ne seraient plus électeurs si leur « ardoise » à la Banque n’avait pas quelquefois reçu « le coup d’éponge ».

Et que cela explique bien des choses inexplicables…

L’Algérie a si longtemps vécu aux frais et de l’indigène et du contribuable français qu’elle ne peut admettre cette idée que, soit pour le public, soit pour le privé, le prix de ses dépenses doive être payé par elle.

Dans un précédent chapitre on a vu ce qu’est le parasitisme algérien. Ceci, qui a trait aux chemins de fer, confirme ce que j’ai noté déjà.

Pour obtenir le vote de son projet de loi, M. Jonnart disait en février 1904 à la Chambre : « Voilà, messieurs, quel sera le résultat de la réforme que l’Algérie appelle de toutes ses forces : augmentation de la richesse, augmentation de la sécurité ; par conséquent, elle le juge digne de quelques sacrifices. »

M. Jonnart est un orateur précis. Nous pouvons regretter qu’il n’ait point dit quels sacrifices, les sacrifices de qui !…

Mais ce qu’il ne nous a point dit, nous pouvons le demander à l’Algérie. Parcourons le compte rendu des séances des Délégations financières.

Nous y voyons qu’en l’assemblée du 14 mars 1904 M. Vinci constate que « ce n’est pas avec une joie complète que l’Algérie accueille le nouveau régime des chemins de fer » et signale « à l’attention des Délégations la possible éventualité de nouveaux impôts ».

Que M. de Soliers dit :

« Certainement la souveraineté nationale a le droit de nous imposer ce qu’elle veut, mais encore faut-il que le droit qu’elle exerce soit dans la mesure de nos forces contributives ; sinon elle détruira l’équilibre du budget algérien ou rendra nécessaire l’établissement de nouveaux impôts, ce qui serait mortel pour l’avenir de ce pays. Voilà le danger.

« Les populations seront heureuses d’avoir leurs chemins de fer entre les mains et elles sont disposées à féliciter M. le gouverneur général du résultat qu’il a obtenu, mais quand la remise du réseau d’intérêt général se traduira par de nouveaux impôts très lourds à supporter, c’est contre les Délégations financières qu’elles se retourneront pour exprimer leur mécontentement, alors que nous n’y serons pour rien. C’est pourquoi il faut dès aujourd’hui faire nos réserves et dire aux populations :

« Vous avez voulu vos chemins de fer, vous les aurez, mais il faut vous attendre à payer de nouveaux impôts. »

Notons qu’à ce propos les délégués financiers algériens manifestèrent de tels sentiments contre la métropole et le Parlement que M. Jullien, qui assistait à la séance en qualité de commissaire du gouvernement, fut obligé de les rappeler aux convenances en disant qu’il trouvait « le débat un peu hasardé ». « J’estime, ajouta-t-il, qu’en critiquant d’une manière assez vive, comme on le fait, la disposition adoptée par la Chambre des députés, on se met dans une situation un peu difficile. » Et ce rappel aux convenances, pour modéré qu’il fût, M. Vinci déclara en être « profondément étonné » !

Ces indications nouvelles du caractère algérien notées, retenons, en conclusion à notre chapitre chemins de fer, que le réseau algérien a coûté fort cher et que, pour être mis en état de rendre les services qu’une colonie a le droit de demander à une organisation de chemins de fer, il en coûtera de nouveau « quelques sacrifices ».