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La Vérité sur l’Algérie/08/21

La bibliothèque libre.
Librairie Universelle (p. 413-418).


CHAPITRE XXI

Analyse du mouvement commercial.


Pour préciser le commerce de l’Algérie et compléter en même temps la notion que nous avons de ses productions, étudions le développement de ses exportations et de ses importations d’une année dans la plus récente statistique ; celle de 1902.

C’est 325.686.000 francs d’importations, dont 271.393.000 de France et 54.293.000 de l’étranger.

299.172.000 francs d’exportations dont 250.883.000 en France et 48.289.000 à l’étranger.

Les Algériens qui se plaignent du monopole que la France se réserve de vendre ses produits en Algérie devraient donc en considérer la contre-partie. Sur 299 millions payés à l’Algérie 250 viennent en France. Pour les vins il y a même une explication amusante. Je disais l’an dernier à un personnage très considérable, des plus considérables de l’Algérie :

— Vos vins qui viennent en France concurrencer les nôtres, pourquoi ne faites-vous pas un effort pour leur ouvrir des marchés étrangers ? Au Canada, par exemple, vous pourriez vendre vos vins et acheter des planches. Il y aurait fret d’aller, fret de retour…

— Oui, me fut-il répondu, mais il faut que nos vins passent d’abord dans les entrepôts français, la consommation étrangère ne les prend qu’après coupages.

Traduction : les vins algériens doivent être « terminés » en France.

Animaux vivants : Importation, 9.923.000 francs dont 5 millions de moutons, 2.700.000 francs bœufs et vaches. C’est presque tout de l’import marocain ; celui qui entrait librement ; celui sur lequel on percevra des droits pour payer l’intérêt de l’emprunt marocain, des droits qui, naturellement, en fin de compte retombent toujours sur le consommateur.

À l’exportation, 4.505.000 francs de bestiaux et 33.524.000 francs de moutons.

L’exportation des bœufs est de 27.341 animaux. À la statistique agricole on voit : propriété européenne, bœufs à l’engrais, 30.168 ; propriété indigène, bœufs à l’engrais, 104.344. Et l’on sait que l’Européen n’élève pas. Il achète le veau à l’indigène. On peut donc dire que l’exportation de bœufs on la doit à l’indigène.

L’exportation des moutons est de 1.349.069 animaux. Le troupeau des Européens, comprenant : béliers, moutons, brebis, agneaux de 1 mois à 1 an est de 447.710 ; les moutons entrent dans ce chiffre pour 200.376.

Le troupeau indigène est de 8.277.070 ; les moutons y comptent pour 1.976.681. L’exportation est évidemment indigène.

La production indigène fait rentrer en or, en Algérie, chaque année 30 millions. C’est une production naturelle grevée seulement de l’impôt local, qui alimente cette rentrée ; une production dont l’instrument n’a immobilisé, annihilé, englouti aucun capital européen.

Au groupe produits et dépouilles d’animaux mêmes observations, pour l’export de 7.443.000 francs de peaux, de 3.405.000 francs de laine, dont la majeure partie est de production indigène.

À l’article poissons, je vois : poissons secs, salés ou fumés, importation, 1.149.000 francs, exportation, 1.590.000 francs ; conservés ou marines, importation 942.000 francs, exportation 165,000 ; frais, importation nulle, exportation, 725.000 francs. Soit 2.091.000 fr, d’importation et 2.480.000 d’exportation. Ce qui ne donne à l’industrie « poisson » en Algérie que 380.000 francs. Il y a là évidemment quelque chose de mieux à faire… Je sais bien que M. Cambon a essaye et n’a point réussi, qu’on fait maintenant des missions spéciales, etc… etc… Mais je crois que le problème est mal compris.

Au groupe matières dures à tailler, nous voyons sur l’os et la corne un bénéfice à l’exportation de 286 millions.

Le groupe farineux alimentaires est digne de la même attention et des mêmes observations que le groupe animaux.


Importation Exportation
Froment
93.000 fr.
29.851.000 fr.
Avoine
8.000 fr.
13.807.000 fr.
Orge
60.000 fr.
22.039.000 fr.
Maïs
20.000 fr.
383,000 fr.


Comparons avec les statistiques de production ; production européenne, blé tendre et dur : 2, 616.322 quintaux ; production indigène, blé tendre et dur : 6.608.796 quintaux.

Notez que les grands séquestres ont porté sur les bonnes terres de production de céréales et les ont fait passer dans la colonisation européenne, et que malgré cela la production indigène demeure assez forte.

Pour l’orge qui donne une exportation de 22 millions de francs, c’est incontestablement la production indigène qui l’assure ; elle est en effet de 9.056.363 quintaux, l’européenne de 1.375.218 quintaux.

L’importation farine est à peu près l’exportation, 2.176.000 francs pour 2.139.000 francs. Pour les gens qui aiment les simplifications dans le mécanisme économique, il y a là matière à réflexion.

La pomme de terre a bien pris en Algérie. La consommation locale exige toujours un import de 2.337.000 francs, mais c’est de marchandise qui se conserve, de réserve. La production locale exporte pour 3.071.000 francs en primeurs.

Un argument pour ceux qui affirment la francisation des naturalisés. L’Italien n’importe que pour 3.000 francs de maïs. La polenta qu’il mange est de production locale, donc française. Mangeant français, il digère français. En attendant qu’il pense français, c’est toujours autant de gagné pour l’extension de notre génie national.

Aux fruits et graines, il y a un export d’un million de raisins frais, pour France. Et une importation de 313.000 francs de raisins secs de l’étranger. Pourquoi l’Algérien ne sèche-t-il point pour sa consommation une partie de ceux qu’il nous envoie ? L’Espagnol se franciserait-il moins vite que l’Italien ? Voudrait-il essentiellement que son malaga ce fût vraiment de Malaga, tandis que l’Italien se contente d’une polenta locale ?

L’Algérien achète ses cacaouettes à l’étranger, pour 400.000 francs. L’exportation de figues, produit indigène, est de 2.541.000 francs.

Aux denrées coloniales de consommation, c’est une importation de 4 millions de francs de sucre. Et malgré qu’il se crée une bourgeoisie musulmane capitaliste, ceci donne une idée de la pauvreté de la population indigène. Que son excédent de production passe à l’impôt.

4 millions de francs en sucre répartis entre 583.000 Européens, 57.000 juifs et 4 millions d’indigènes. Voyez.

Encore un sujet de méditation que je vous signale sans phrases. Calculez. Vous savez ce qu’un Européen consomme de sucre en moyenne. C’est pour le moins cent sous par an. Alors c’est 2.915.000 francs pour l’Européen. Reste 1.085.000 pour l’indigène et le juif, mettons un million pour l’indigène, moyenne ; cinq sous de sucre par personne et par an. Je sais bien que les moyennes, en réalité, ça n’existe pas. Qu’il faudrait dire x indigènes consomment tant, x tant, mais nous aurions alors 0 pour une masse. Et ce serait encore plus significatif que les cinq sous par personne et par an.

Le tabac donne un export de 5.621.000 francs avec un import de 2.828.000 francs.

L’huile d’olive, un export de 5.769.000 francs pour un import de 982,000 francs. On peut encore dire que c’est un revenu indigène ; les propriétaires européens font en effet 27.572 hectolitres d’huile et les propriétaires indigènes 223.181 hectolitres.

À l’article boissons nous voyons pour l’année 1902 que nous étudions actuellement un export de 81.641.000 francs de vins, de 9.157.000 francs de mistelles. Je ne parle pas des alcools dont l’import balance l’export, ni des eaux-de-vie et rhums dont l’import dépasse l’export de plus d’un million. Mais sur les valeurs de vins exportés je prie qu’on se souvienne des chapitres qui précèdent ; je prie qu’on n’oublie pas non plus que la majeure partie du prix des vins reste hors de l’Algérie comme intérêt de la dette du vignoble, du capital englouti dans la terre du vignoble.

L’export des phosphates donne 7.115.000 francs. Notez que dans cette somme l’intérêt algérien ne figure que pour les salaires locaux de 903 employés et ouvriers, y compris les charretiers, et les dépenses de transports ferrés, avec les redevances de port. Le reste sort de l’Algérie, voire de France, et appauvrit d’autant « l’affaire totale » de la colonisation.

À l’article métaux, une différence de 2.387.000 fr. pour l’export de fer. Cela est de bon export. Si cela ne reste pas entier en Algérie, cela reste en France.

Pour le cuivre le bénéfice est à l’import, pour le plomb à l’export : quatre millions ; également pour le zinc : sept millions.

Pour la suite, pour la fabrication, ce n’est pour ainsi dire plus que de l’import.