La Vocation/Épilogue

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Paul Ollendorff (p. 185-188).
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ÉPILOGUE


Les années ont passé. Hans aujourd’hui avoisine la trentaine. Il habite encore avec sa mère, à qui il n’a plus jamais parlé de sa vocation. Il est toujours aussi pieux, assidu aux offices, ardent à la prière ; mais, depuis la chute, il s’est jugé inexorablement perdu pour la divine Élection. Certes, d’autres, qui ont péché et se sont repentis, sont néanmoins entrés dans les blancs cloîtres, les préaux frais, les cellules closes où l’Esprit habite. Les scrupules, qui l’ont arrêté au seuil, ont l’air d’être excessifs pour ceux qui ne savent pas ce qui s’était passé entre Dieu et lui. Dieu ne l’avait choisi que pour un haut dessein. Or, il s’était rendu indigne de ce dessein-là. Dieu l’appelait pour être une lumière de sainteté, un vase de chasteté. Le vase avait eu la fêlure du péché et, si effacée qu’elle parût, il en filtrerait toujours quelque chose. Mais qu’est-ce donc quand ce quelque chose est le sang même de Jésus confié à ce vase ? Et voit-on le précieux sang s’en aller en gouttelettes, en bruine rouge éternisant autour du vase fêlé la sueur d’agonie du Jardin des Olives ? Rien ne pourrait faire que le vase redevînt intact. Rien n’empêcherait ce qui fut d’avoir été. C’était l’irrémédiable. Dieu ne le désirait plus, ne le cherchait plus, puisqu’il était devenu un autre…

Ainsi Mme Cadzand garda son fils, et le gardera jusqu’au bout de sa vie, à coup sûr, car nulle femme, nul amour ne pourront désormais le lui disputer. Il est sorti de sa première faute comme d’un gouffre dont on n’approchera plus. Mais tout en l’ayant conservé près d’elle, comme elle l’a tant voulu, elle est malheureuse, regrette, se sent en faute d’avoir osé disputer son fils à Dieu. Elle ne pouvait pas vaincre Dieu. Et aujourd’hui elle demeure plus effarée que d’une défaite devant son apparence de victoire. Elle reconnaît qu’elle a gâté la vie de Hans et même la sienne. Il valait mieux savoir son fils heureux loin d’elle que le voir malheureux près d’elle.

Hans en effet est inconsolable de sa vocation manquée ; il s’est cloîtré dans la vieille demeure de la rue de l’Âne-Aveugle où son existence est moins laïque qu’ecclésiastique ; il vit en dehors du monde, solitaire comme un ascète, dépris de tout, ne sortant qu’une fois par jour avec sa mère pour aller à la messe de huit heures à Notre-Dame…

Et c’est ainsi qu’on les voyait passer chaque matin à la même heure (enviés des mères, qui ne devinaient rien !), parmi la brume d’aube qui se clarifie, longeant les vieux quais, d’une marche amortie, et si étrangers à ce qui n’est pas leur âme que même les cygnes des canaux, tout impressionnables, ne s’en effarouchaient pas, ne sentaient pas l’ombre du couple noir tatouer de deuil leur blanc silence.