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La chute de l’empire de Rabah/III

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Hachette (p. 58-97).

III

Arrivée de renforts. — En route pour le Tchad. — Descente du Gribingui et du Chari. — Mon voyage à Massénia. — Ma réception chez Gaourang. — Séjour au Baguirmi. — Arrivée au Tchad. — Notre but est atteint.



Vvers la fin de notre séjour à Gribingui, les envoyés de Senoussi revinrent. Les relations s’établissaient cordiales. Malheureusement en retournant chez lui le Tripolitain Salah fut assassiné et ses bagages pillés, à une journée de marche du poste, par les païens Tambacos.

Cet événement qui aurait pu être gros de conséquences, car il fut un moment considéré comme les représailles du meurtre de Crampel, n’eut heureusement pas de suites fâcheuses pour nous ; les gens de Senoussi se rendirent assez vite compte que nous n’étions pas les instigateurs de ce crime, d’autant que je m’offris à servir d’intermédiaire entre eux et les païens, pour rentrer en possession des objets volés.

Tout ennui semblant ainsi écarté, nous n’avions plus qu’à attendre l’arrivée de Rovira pour effectuer notre descente du fleuve. Le 20 août, à neuf heures du soir, il arrivait au poste.

Le lendemain, laissant à Gribingui une garnison de quatre-vingt-huit fusils et des auxiliaires, nous appareillons pour nous diriger vers le Tchad en effectuant la descente du Gribingui, puis du Chari[1].

Les eaux très hautes avaient une crue de plus de 6 mètres et atteignaient les branches des arbres surplombant la rivière, de sorte qu’à certains endroits nous naviguions dans des passages ayant à peine une dizaine de mètres de largeur. Nous étions obligés de nous servir de perches, pour éviter que les montants de la toiture du Léon-Blot ne se démolissent contre les arbres. Cette navigation pénible durait depuis quelques heures, quand nous fîmes la rencontre d’envoyés de Senoussi, amenant un fort troupeau de bestiaux et demandant l’autorisation d’aller châtier les meurtriers de Salah. Peu désireux de voir, à proximité du poste les bandes de chasseurs d’esclaves, je fis comprendre aux envoyés que le moment était inopportun d’entamer une opération militaire, qu’il valait mieux attendre, pour punir les criminels, notre retour du Tchad, qui coïnciderait avec la saison sèche.


barrage de roches de gribingui.

D’autre part, connaissant les rapports intimes existant entre Senoussi et Rabah[2], je leur donnai à entendre que notre désir était d’entrer en relations avec ce dernier. Les envoyés parurent enchantés de mes réponses et se disposèrent à nous quitter. C’est alors que l’idée me vint d’essayer de connaître la situation exacte des forces de Senoussi. Ayant communiqué mes intentions à M. Prins, cet agent s’offrit spontanément pour accomplir cette dangereuse mission.

Craignant que l’appât des fusils d’une nombreuse escorte ne tentât trop fortement Senoussi, j’imposai à M. Prins l’obligation de n’emmener avec lui que deux Sénégalais, et je demandai par lettre à Senoussi de lui fournir une cinquantaine de soldats pour assurer sa sécurité le long de la route.

M. Fredon, qui en mon absence commandait au Gribingui, fut mis au courant de mes intentions. Je lui recommandai de n’envoyer Prins que lorsque Senoussi aurait aussi un représentant au poste. Ceci réglé, les envoyés de Senoussi se mirent en route pour regagner leur pays. Quant à nous, nous poursuivions notre voyage toujours pénible et lent.

La rivière s’élargit de plus en plus ; mais pas assez cependant pour que nous puissions prendre les boats à la remorque. Les rives sont inondées, on n’aperçoit que quelques rares habitants. Le paysage peu varié n’offre que des plaines immenses, avec çà et là quelques arbres. Quant aux berges elles-mêmes, elles sont boisées sur une dizaine de mètres d’épaisseur.

De nombreuses pêcheries, installées sur la rivière, témoignent que la région est très peuplée, mais la pluie qui tombe et les inondations s’opposent sans doute à ce que nous voyions du monde.

Pendant deux jours encore, nous naviguons dans les mêmes conditions : la rivière atteint cinquante mètres de largeur et, sauf à de rares tournants, nous pourrions marcher à toute vitesse.

Enfin le 28 août, nous pouvons prendre nos embarcations à couple et marcher à 250 tours. Les vivres que nous avions emportés commençaient à manquer. Heureusement nous rencontrons sur les rives très élevées deux indigènes surpris par la pluie, que nous réussissons à faire approcher. On leur donne quelques petits cadeaux.

Mais ces gens parlent une langue différente de celle que nous avions entendue jusqu’à ce jour. On dut remplacer la parole par le geste et on finit par s’entendre. Ces indigènes, que nous sûmes plus tard être des Alitous, parlent un dialecte sara. Ils parlent le classique costume décrit par Nachtigal et Maistre, c’est-à-dire un tablier de cuir par derrière. Nous nous approvisionnons de quelques vivres et nous repartons. Le paysage change, les rives sont élevées et en maints endroits des collines boisées à pic succèdent aux falaises rougeâtres et aux berges caillouteuses.


vue du chari.

Le Gribingui, augmenté par l’apport de quelques affluents assez importants, commence à devenir une voie très navigable. Il atteint en certains points 60 et 70 mètres ; toutefois, en trois endroits, on aperçoit des remous inquiétants, paraissant provenir de roches. On peut prévoir que ces passages seront dangereux lors du retour quand les eaux auront baissé. Nous passons néanmoins sans encombre, et le 30 août, à 3 heures de l’après-midi, après avoir franchi une zone un peu plus étroite dans la rivière, nous débouchons sur un grand cours d’eau de plus de 100 mètres de largeur. C’est le Ba-Mingui ou Bahr-El-Abiod, ou plutôt le Chari.

Depuis la veille, nous naviguions dans des régions vierges de tout passage d’Européens. Pas un être vivant sur les rives. Un silence majestueux régnait autour de nous, qui fut troublé seulement par les marques de joie que tous, Sénégalais et Européens, ne purent s’empêcher de témoigner.

Le Gribingui n’était donc qu’un affluent du Ba-Mingui, lequel formait bien réellement le cours supérieur du Chari. Nous avions atteint 8° 35’ en latitude.

Nous séjournons quelque temps au confluent des deux cours d’eau. J’en profitai pour mesurer la largeur du fleuve, qui était de plus de 180 mètres. Nous aurions bien voulu rester là quelque temps, mais nous étions sans vivres. On distribua ce jour-là une boite de sardines pour quatre hommes. Une tentative faite pour essayer de découvrir un village réussit, mais les indigènes effrayés s’enfuirent.

Je n’avais pas de temps à perdre pour essayer de les attirer, car les nouvelles que j’avais reçues me faisaient prévoir que le capitaine Casemajou, reprenant l’itinéraire de Monteil, devait être rendu au Tchad fin août, commencement de septembre.

Nous appareillons donc. Toujours même silence. Les rives élevées et rocheuses, très boisées, ne semblent être hantées que par des animaux sauvages. C’était un spectacle admirable et une sensation exquise que de voguer sur ce fleuve encore mystérieux. Cependant une réalité brutale nous gâtait une partie de notre plaisir : nous allions avoir à compter bientôt avec la faim et cela n’était pas sans nous causer de très vives appréhensions. Après avoir noté deux affluents importants[3], le 1er septembre, à 10 heures du matin, nous apercevons sur la rive gauche une plantation de mil. Nous nous approchons ; ceux qui la surveillent se sauvent d’abord, puis finissent par s’amadouer. Bientôt ils viennent nous vendre du mil et des giraumons. Nous descendons un peu plus bas pour camper. Nous sommes chez les Kaba-Bodos. Le village de Mandjatezzé, où Maistre s’est arrêté, est situé à trois journées de marche dans le Sud. Les hommes sont vêtus du classique tablier de cuir. Quant aux femmes, la plupart sont nues. Quelques-unes ont une espèce de pagne en corde tressée, ou des colliers en perles de fer qui ne les voilent qu’imparfaitement.


kaba-bodo. — types d’indigènes du chari.

Ces indigènes, qui possèdent des chevaux, des moutons et des chèvres, sont surtout pêcheurs. Ils nous vendent du poisson fumé à des prix très modiques ; leurs pirogues sont petites, larges de 0m,60, longues de 5 mètres au maximum. Ils ont comme ornements des bracelets de cuivre coulé, dénotant de leur part un certain sens artistique.


le chef de bousso.

Nos provisions faites, nous partons. Le fleuve s’agrandit et atteint 200 à 300 mètres ; des îles nombreuses se montrent. Le pays est très peuplé, des villages se dressent sur les rives ou sur les îles, la population entière semble s’être donné rendez-vous sur les berges, pour contempler le vapeur, cette chose qui marche toute seule. Aucun d’eux n’a l’air étonné. Le sifflet seul de la chaudière les émeut. Sans doute la facilité qu’ils ont à se dissimuler dans les îles d’inondation les rassure. Bientôt une nouvelle zone inhabitée se présente à nos yeux. Nous naviguons au milieu des îles, sans distinguer les deux rives du fleuve.

Nous traversons rapidement le pays des Tounias, où nous nous approvisionnons de chèvres et de poules, et le 3 septembre nous nous engageons de nouveau dans une zone déserte. Là encore on sent le besoin qu’éprouvent tous les indigènes de se séparer les uns des autres par de vastes espaces qui, en empêchant le contact immédiat, les mettent à l’abri des incursions de leurs voisins.


village de baleignéré.

Après avoir passé plus d’une heure à manœuvrer au milieu d’un fouillis d’îles, nous finissons par apercevoir, sur la rive droite, deux grands villages et des plantations. Les indigènes sont en émoi, et nous font signe de nous retirer.

Ne voulant pas effrayer ces gens, nous allons mouiller deux milles plus bas. Ainsi que je le prévoyais, les indigènes ne tardent pas à venir. Ils ont des chevaux et quelques-uns sont habillés de boubous musulmans. Aucun n’est complètement nu. Nous sommes chez les Nyellim, les premiers païens soumis au Baguirmi. Le frère du chef[4] parle quelques mots d’arabe. Nous le décidons à nous accompagner, mais il refuse au moment décisif. Jadis très puissante, l’agglomération des Nyellim tenait toute la région sous son joug. Aujourd’hui très déchus, une partie d’entre eux sont soumis aux Bouas, groupement païen très considérable, pouvant disposer de plus de mille cavaliers en cas de guerre et payant lui-même tribut au Baguirmi.

L’autre groupe des Nyellim, encore nombreux, s’est retiré sur la rive gauche et habite des montagnes rocheuses où ils sont inattaquables. Les Bouas ont essayé à maintes reprises, mais sans succès, de les vaincre. Nous arrivons chez eux le lendemain ; leur chef se nomme Togbao. Nous y rencontrons quelques Baguirmiens qui viennent nous souhaiter la bienvenue. Nous échangeons des cadeaux, mais le sentiment général est la méfiance. Les rives rocheuses ne nous procurent pas de bois ; nous en achetons à grand’peine et de mauvaise qualité. Nous avions atteint 9°30’.

Pendant deux jours encore, nous voguons parmi les tribus païennes, très denses, très nombreuses. Nous traversons le pays des Miltous, des Bouas, des Sarouas, et le 7 septembre nous mouillons au village de Bousso, au cœur du Baguirmi.

On est tout à fait étonné en voyant combien rapidement s’exerce l’action musulmane parmi les peuplades païennes. Il y a cinquante ans à peine, les Bousso n’étaient pas supérieurs aux autres païens que nous venions de rencontrer. Aujourd’hui, tous vêtus, ayant le sentiment d’une hiérarchie, d’une autorité, tout ce peuple semblait avoir derrière lui des siècles de civilisation. Ils vivaient dans la barbarie, ils sont maintenant en plein Moyen âge et cinquante ans à peine ont suffi pour faire franchir à ces primitifs une telle étape. Grâce à Ahmed, l’accueil, d’hostile qu’il était au début, devint bientôt meilleur. Toutefois nous ne réussîmes pas à faire porter un message au sultan du Baguirmi, dont la résidence était située à cinq jours de marche de là. Force donc nous fut de reprendre notre route.

Les rives du Chari, assez élevées, sont très peuplées. Nous laissons successivement derrière nous les grands centres de Laffana et de Maffaling et le village moins important de Baïn hanné, où nous nous arrêtons, pour demander s’il serait possible d’envoyer une lettre au sultan. On nous répond que les villes de Bousso, Maffaling et Mondo jouissent seules du privilège de fournir des courriers pour le sultan. Nous cherchons à obtenir des détails sur le voyage de Nachtigal, qui a franchi le Chari en cet endroit ; on nous répond que nous sommes les premiers Européens qu’on voit dans la région, que tout le pays est terrorisé par la vue de « notre maison qui marche sur l’eau ». Certains même disent qu’ils nous ont vus descendre du ciel après un orage très violent…

Bien que la partie intelligente de la population ait entendu parler des vapeurs par ceux d’entre eux qui ont accompli le pèlerinage de la Mecque, on s’imagine aisément que l’impression produite par notre arrivée si soudaine ait été plutôt de la crainte. D’où venions-nous ? Où allions-nous ? Venions-nous en amis du Baguirmi ou de Rabah ? Autant de mystères pour tous ces gens.

Nous quittons bien vite Baïnhanné et, en passant à Mondo, région commandée par Souleyman, beau-frère du sultan, nous avons la bonne fortune de trouver un esclave de ce chef, qui veut bien se charger d’une lettre pour le sultan Gaourang. Ne voulant pas attendre la réponse à cet endroit, nous continuons notre route dans l’intention de nous rapprocher du Tchad. Mais en arrivant en face de Baleignéré, nous sommes invités par une délégation des notables de l’endroit à ne pas dépasser ce point, et à y attendre une réponse du sultan. J’en profite pour confier une nouvelle lettre à un de mes Sénégalais les plus intelligents, nommé Boubakar, avec ordre de la porter à Massénia.

Nous séjournons douze jours au même endroit sans recevoir la moindre nouvelle. Très bien reçus néanmoins par les gens du pays, dont beaucoup parlent arabe, nous passons nos journées à nous documenter sur le pays. Des informations ainsi obtenues, il résulte que le pays du Baguirmi, à peine relevé de la guerre soutenue en 1870 contre le Ouadaï, a eu à subir, du fait du passage de Rabah, un choc formidable dont l’effet se fait encore sentir. Le voisinage immédiat de ce flibustier, installé dans le Bornou, étant une menace continuelle pour le Baguirmi, je compris que si nous parvenions à vaincre la méfiance de tous ces gens contre les chrétiens l’occasion serait bonne pour traiter : il suffisait de leur faire entrevoir, avant toutes choses, la communauté d’intérêts existant entre eux et nous.

Je reçus enfin une réponse à ma lettre, réponse assez insignifiante ; mais, chose essentielle, Boubakar revenait accompagné de trois envoyés de l’entourage intime du sultan et ravi de l’accueil qu’on lui avait fait.

Le premier envoyé, dont le titre est gardaba, était le troisième personnage de la cour. Le deuxième était l’imam du sultan, un Foulbé, jeune encore, remarquablement intelligent, nommé Mallem-Abou-Bakar. Le troisième était un esclave de confiance nommé Mohammed-Fezzani, qui avait accompli plusieurs voyages en Tripolitaine. De l’entretien que nous eûmes avec ces gens, il résultait que le sultan du Baguirmi, Mohammed-Abd’Er-Rhaman-Gaourang, serait très heureux de voir le chef des chrétiens ; mais que, pour calmer des suspicions très légitimes, il valait mieux, pour nous, regagner Bousso, d’où un des agents européens, ou moi-même, pourrait se diriger sur Massénia.

Nous apprenions, d’autre part, que le véritable meurtrier de Crampel était Rabah, et que c’était en grande partie aux 300 fusils enlevés à notre malheureux compatriote que cet aventurier devait ses succès dans le Centre Africain. M’étant informé de l’attitude du Ouadaï à la suite de notre arrivée, on me donna à entendre qu’on supportait avec peine le tribut imposé par le Ouadaï, et que si plus tard on trouvait une occasion, on ne manquerait pas de refuser de le payer. En somme, ce que je voyais me faisait plutôt concevoir de la sympathie pour cet héroïque pays qui, malgré la supériorité des armes, avait réussi à maintenir son indépendance contre Rabah, et qui n’avait qu’un désir, prendre un jour sa revanche.

D’autre part, le Baguirmi étant situé dans notre sphère d’influence, il y avait tout intérêt pour nous à nous allier avec ce pays. C’est pourquoi j’eus de suite l’envie de me rencontrer avec le sultan Gaourang.


village baguirmien.

Comme il m’était particulièrement désagréable de revenir en arrière, je déclarai aux envoyés qu’il était bien préférable, pour la prompte solution des négociations que nous allions ouvrir, de descendre le fleuve jusqu’aux environs de Bougoman et de nous rapprocher le plus possible de Massénia par la voie du Bahr-Erguieg. Ils approuvèrent ma résolution et se félicitèrent de mon projet d’aller voir Gaourang.

Le Bahr-Erguieg, qui veut dire « rivière étroite », est improprement appelé Batschikam par Barth, qui n’a d’ailleurs fait que le traverser. C’est un bras du Chari qui prend naissance en face de Miltou pour se terminer près de Bougoman. Après une navigation très pénible de cinq jours dans le Bahr-Erguieg, tout encombré d’herbes, nous atteignons Madjé. Nous étions ainsi a une vingtaine de kilomètres de Massénia, par 11° 22’ de latitude.

Les envoyés étaient retournés à Massénia. Pour répondre aux cadeaux que j’avais reçus du sultan, je leur en donnai d’autres, et je leur remis une lettre pour le prévenir de mon arrivée prochaine.

Très bien accueillis à Madjé, nous attendons en ce point les messagers du sultan qui viennent nous chercher deux jours après.

Je pars avec Ahmed et cinq ou six Sénégalais. On nous donne des chevaux. Mais au lieu de nous faire franchir d’une seule traite la distance de Madjé à Massénia, on nous fait coucher au village arabe de Blane. Le chef Youssef nous apporte du lait frais, du lait caillé et du beurre, tant que nous en pouvons souhaiter. Le lendemain de bonne heure, nous nous mettons en route. Nous sommes bientôt rejoints par une magnifique escorte de cavaliers aux vêtements de soie, montés sur de beaux chevaux richement harnachée, l’escorte augmente à mesure que nous nous rapprochons de Massénia. Nous nous arrêtons au milieu d’une grande plaine et tout ce monde exécute devant nous une brillante fantasia.

Nous arrivons enfin devant les remparts de Massénia, en partie détruits par les Ouadaïens en 1870. Ce qu’il en reste prouve l’importance qu’avait Massénia au temps de Barth. Les murailles, construites en briques sèches, n’ont pu être démolies par les Ouadaïens que grâce aux mines qu’ils avaient pu faire placer secrètement par des traîtres. Avant de pénétrer dans Massénia, les cavaliers se rangent derrière nous. Les fusiliers de la garde du sultan sortent de la ville et viennent défiler devant nous en agitant leurs armes et en chantant sur un rythme bizarre : « La Allah illa Allah Mohammed ressoul Allah. » Après cette brillante manifestation, on nous invite à pénétrer dans la ville. J’avoue avoir éprouvé un peu de désillusion. Massénia ressemble plutôt à un immense campement qu’à une capitale ; les maisons sont bien moins jolies et moins bien construites qu’à Maïnheffa ou à Baleignéré. On dirait quelque chose de provisoire. Comme je faisais part de mon étonnement à quelques personnages qui m’entouraient, on m’apprit qu’après la lutte soutenue contre Rabah, il y a cinq ans, on avait décidé d’abandonner ce point. Mais peu à peu, la sécurité étant revenue, on s’y réinstallait définitivement. On avait déjà reconstruit une mosquée en briques sèches, et on allait refaire le palais du sultan ; ensuite, on rebâtirait toute la ville.


entrée du palais du sultan gaourang, à massénia.

Nous traversons les ruelles bordées de nattes en paille tressée, et on nous conduit chez notre hôte, le Kadé Tchiroma, ministre et précepteur du fils du sultan. Nous avons un logis très confortable, où nous pouvons faire une toilette sommaire. Puis, on vient nous prendre pour nous mener devant le palais du sultan, qui forme à lui seul un véritable village dans la ville.

Entouré de palissades de tous côtés, on n’en aperçoit que des toits en forme de dômes, en paille tressée très élégamment et se terminant par une pointe sur laquelle est enfilé un œuf d’autruche.

Nous nous arrêtons devant l’entrée principale et, durant une heure, sous un soleil de plomb, nous devons assister à un nouveau défilé des troupes et à des fantasias remarquablement exécutées. Les femmes, exclues de ces cérémonies, contemplent les soldats derrière les tapades en paille, et manifestent leur enthousiasme par des you-you perçants.

Enfin la porte s’ouvre, le chef des esclaves, ayant derrière lui une douzaine de serviteurs, s’avance vers nous et me revêt de deux boubous, l’un bleu, l’autre blanc, et en donne un à Ahmed. Après quoi, on nous invite à nous retirer chez nous.

Ce n’est pas seulement dans les nations européennes que les grands font faire antichambre. Nous rentrons à notre logis prendre un peu de repos, que la chaleur du jour et les fatigues de la réception rendent indispensable, et on vient nous prévenir que le sultan nous recevra le lendemain, en audience publique.

De bonne heure nous nous mettons en route. Comme j’étais plutôt en assez piètre équipage, j’avais fait revêtir à Ahmed son plus beau costume. Après une attente de dix minutes sur la place, on nous introduit. Le sultan, installé dans un grand hall carré recouvert de draperies multicolores, est à l’abri des regards indiscrets derrière une natte. Devant le hall est une immense tente en poil de chameau sous laquelle se tiennent, assis sur le sable, les ministres et les notables. Avant de prendre place à droite et à gauche du sultan, tous s’agenouillent et mettent leur front à terre.

Debout, au milieu de la foule, je présentai mes compliments au sultan et, ne désirant pas me compromettre, je lui fis simplement expliquer par Ahmed le but pacifique de notre mission et notre désir d’établir des relations commerciales avec le Baguirmi.

Il me répondit qu’il était heureux de nous recevoir chez lui et qu’il verrait volontiers les Français trafiquer dans son pays. Après quoi nous nous retirâmes sans avoir vu le souverain demeuré derrière sa natte.

Dans l’après-midi, je voulus visiter la ville et je m’arrêtai au marché. Malheureusement l’heure des transactions importantes n’était pas arrivée, et, comme on me fit comprendre que l’envoyé d’un grand pays ne pouvait, sans risque de compromettre sa dignité, se mêler ainsi au vulgaire, je dus regagner mon logis. J’en avais cependant assez vu pour me rendre compte qu’un Européen pouvait trouver là à peu près tout ce dont il avait besoin, tant en vivres qu’en marchandises.

Rentrés chez nous, nous recevons la visite de personnages importants, de lettrés, et nous terminons la journée par une causerie fort intéressante qui me permit de réunir de nombreux documents géographiques, historiques et politiques sur le pays. Vers six heures du soir, cinquante esclaves entrent chez nous et nous offrent de la part du sultan des vivres de toute espèce, des friandises de toute sorte[5]. Comme nous sommes trop peu nombreux pour consommer le tout, nous nous attirons une grande popularité en faisant distribuer notre superflu aux pauvres.

Ce fut seulement dans la nuit du lendemain que le sultan Gaourang me donna une audience privée. Même au Baguirmi, le protocole a des exigences. M’étant informé si je pourrais m’asseoir autrement qu’à terre en présence du sultan, il me fut répondu que cela n’était pas possible. Je dus déclarer que, si je ne devais pas rester longtemps, je consentais à me tenir debout, mais que si l’audience se prolongeait, je refusais, comme envoyé d’un grand pays, de m’asseoir par terre. On fut obligé d’en référer au sultan, qui très gracieusement m’invita à faire apporter un siège. Cette concession, minime en apparence, nous valut d’être traités avec une grande considération par tout l’entourage du m’bang (sultan). Nous quittons donc notre demeure vers une heure et demie du matin, pour nous acheminer vers le palais. Ahmed et mon domestique m’accompagnaient. On nous fit pénétrer dans une série de cours renfermant de nombreuses habitations et toutes garnies de sentinelles en armes. Après quoi on nous introduisit près du sultan. Assis, dans la même salle où il nous avait reçus en audience publique, sur une espèce de trône en bois recouvert de tapis très épais, le sultan nous accueillit très cordialement. Il était vêtu d’un pantalon en gros drap bleu soutaché de broderies noires et de vêtements arabes très riches. La tête était entourée d’un turban blanc brodé d’or. Auprès de lui, des parfums brûlaient dans deux cassolettes en cuivre repoussé. La salle était éclairée par la lumière d’une douzaine de bougies renfermées dans des lanternes pliantes. Une vingtaine de sentinelles en armes se tenaient derrière lui, et, trouvant peut-être que c’était insuffisant, il avait à portée de la main cinq fusils chargés…

Si gracieux qu’ait été l’accueil, j’avoue avoir éprouvé, durant les premières minutes, une certaine gêne, qui se dissipa bientôt en présence de la cordialité qui ne cessa de régner pendant cet entretien.

D’apparence jeune, le sultan Mohammed-Abd’Er-Rhaman-Gaourang a un visage agréable, quoique légèrement marqué par la variole. Il doit à son manque d’exercice un certain embonpoint qui, suivant toute probabilité, ne fera que s’accroître.

Fils du sultan Abd-El-Kader, qui régnait sur le Baguirmi du temps de Barth, il a passé presque toute sa jeunesse au Ouadaï où il fit toutes ses études. Très instruit et très juste envers son peuple, il est aimé de tous, d’autant qu’il jouit parmi les siens d’une grande réputation de bravoure. Assiégé en 1893, pendant cinq mois, dans Maïnhefifa par Rabah, il n’hésita pas à se mettre à la tête des siens et, après une lutte désespérée, à franchir la ligne des assiégeants, ce qui lui permit de se replier sur Massénia sans être poursuivi.

Notre causerie ne dura pas moins d’une heure et demie et roula sur la France, sur Crampel, sur Rabah, et sur la politique générale à suivre. C’est cette nuit-là que fut décidée, en principe, la signature d’un traité entre le Baguirmi et la France.

Notre séjour à Massénia se prolongea quinze jours. Je revis le sultan presque tous les jours : une fois en audience publique où seul j’étais assis sur un tapis, et les autres fois pendant la nuit. Durant ces nouvelles entrevues, Gaourang, évidemment rassuré sur mon compte, ne s’entoura plus du même luxe de précautions. Nous finîmes même par nous voir seul à seul, avec Ahmed comme interprète et comme témoin.


types de soldats baguirmiens.

Gaourang a l’habitude de sortir deux fois par semaine en grande pompe et d’aller faire une tournée aux environs. J’étais de toutes ces sorties et le grand plaisir du sultan était de faire manœuvrer devant moi ses soldats.

Je dus même céder à ses instances et faire parader devant lui une vingtaine d’hommes que j’avais fait venir du vapeur. Nos Sénégalais eurent un grand succès, moindre cependant que notre clairon, dont les notes vibrantes excitèrent l’enthousiasme général.

Et cependant l’armée baguirmienne ne manquait pas de musique. J’y ai compté au moins une douzaine de tambours, des flûtes, des trompes et un clairon provenant d’un fabricant du faubourg Poissonnière.

On ne doit pas s’étonner de trouver de tels objets en plein Centre africain. Il ne faut pas oublier que ces régions sont en communication constante avec Tripoli, dont les caravanes approvisionnent les marchés du Ouadaï et en proportion moindre ceux du Baguirmi.

La religion musulmane et la facilité des communications ont introduit dans ces régions une civilisation relativement avancée. On s’y trouve, à ce point de vue, au Moyen âge. Les sultans du Ouadaï et du Baguirmi, en gens pratiques, ont su éviter la grande féodalité héréditaire, cause en Europe de tant de luttes sanglantes.

Se méfiant de leurs proches ou des gens à qui leur naissance donne une certaine influence, ils leur confient rarement des commandements de régions. Ils réservent presque toutes les fonctions importantes à des esclaves de confiance, qu’ils peuvent révoquer à volonté et qui n’ont pas le temps de se créer une popularité suffisante dans les territoires qu’ils administrent, pour que leurs enfants puissent leur succéder.

Au point de vue religieux, la grande majorité du pays est musulmane. La minorité des habitants seulement est lettrée et les plus grands savants possèdent tout au plus la science enseignée au ive siècle à l’école d’Alexandrie. On trouve néanmoins quelques personnages qui, ayant beaucoup voyagé, ont acquis des idées très larges et ne sont pas réfractaires à l’introduction de certains perfectionnements de notre civilisation.

Il faut dire d’ailleurs que les Baguirmiens proprement dits, conquérants du sol, ne sont musulmans que depuis un siècle environ et ne paraissent pas très fanatiques.

Bien que les légendes baguirmiennes fassent remonter l’origine de la race à quatre personnages venus du Yemen, il paraît plus certain qu’ils descendent des tribus fétichistes établies au Nord du lac Fitri.

Ils vainquirent d’abord leurs voisins immédiats, les Boulalas, et unis à eux ils soumirent successivement les Foulbés installés près de Massénia, et les groupements arabes très nombreux fixés un peu dans tous les territoires du Baguirmi actuel. Les vaincus payèrent tribut, mais réussirent à donner leur religion aux vainqueurs. Aujourd’hui Boulalas, Foulbés et Arabes forment la population baguirmienne.

Je n’insisterai pas davantage sur le Baguirmi, bien que j’aie encore beaucoup de choses à en dire. Je reviens à notre séjour à Massénia.

Comblé d’attentions et de soins par l’entourage de Gaourang, je ne perdais pas de vue l’objectif de mon voyage, et dans une des dernières entrevues que j’eus avec le sultan, je lui exprimai mon désir de pousser jusqu’au Tchad. Il fit son possible pour m’en dissuader, disant que c’était folie pure de s’aventurer avec si peu de monde dans un pays occupé par Rabah, que je ne devais pas oublier qu’il avait tué Crampel, et que pareil sort nous attendait infailliblement. Il est certain qu’en parlant ainsi il était sincère, mais il est fort probable que la crainte de nous voir nouer des relations avec Rabah entrait pour quelque chose dans ses préoccupations.

Aussi lui demandai-je, afin de le rassurer, de vouloir bien me donner deux hommes, dans lesquels il avait confiance, pour nous servir de guides. J’ajoutai qu’étant si près du Tchad, nul dans mon pays ne comprendrait que nous nous arrêtions en route et que, d’ailleurs, les Français ne craignaient personne. Gaourang était jeune ; il consentit à notre départ et nous adjoignit deux hommes remarquables, l’un, l’aguid Mondo, son propre beau-frère, et l’autre, Youssef, qui avait navigué longtemps sur le Chari et sur le Tchad. La terreur inspirée par Rabah était telle que nous grandîmes de cent coudées dans l’estime publique ; mais notre projet fut considéré par tous comme irréalisable.

Nous fîmes toutes les provisions nécessaires. On tua des bœufs dont on fit boucaner la viande, on embarqua du bois pour trois jours, et vingt villages, réquisitionnés par ordre du sultan, nous fournirent de l’huile de poisson, d’arachides et d’hadjilidj nécessaire au lubréfiage de la machine. Nous redescendîmes le Bahr-Erguieg en cinq heures ; les eaux avaient monté ; aussi n’étions-nous plus gênés par les herbes. Nous gagnâmes Bougoman, où nous restâmes un jour, ce qui nous permit de nous rencontrer avec Alifa-Ba, ou « chef de la rivière », qui nous fit mille recommandations de prudence. Nous dûmes recevoir une masse de gens qui nous racontèrent des légendes plus ou moins fantaisistes sur le lac Tchad. Les uns nous disaient qu’au centre du lac se trouvait un tourbillon immense, engloutissant toutes les pirogues qui s’aventuraient de ce côté. D’autres nous parlaient des Bouddoumas, ou pirates du Tchad, et nous disaient qu’ils possédaient des bœufs avec des cornes longues de près de deux mètres…


ruines de bougoman avec le tombeau d’abou-sikkim.


kaba maras. — types d’indigènes du chari.

Ici, le fleuve Chari, tout en diminuant de largeur, est cependant toujours majestueux et superbe ; son courant augmente peu à peu ; bientôt nous nous trouvons en face du Logone, presque aussi large que le Chari et nous sommes immédiatement empoignés par la splendeur de la vaste nappe liquide qui s’étend devant nous. Sur la rive gauche du Logone se dresse la grande ville fortifiée de Koussouri dont les murailles, épaisses et hautes, s’étendent sur un front de près de 4000 mètres.

Des maisons bien construites, dont plusieurs sont à étage, dépassent la hauteur des murailles. Koussouri renferme environ 12 000 habitants. Rabah y a installé une garnison nombreuse, avec laquelle il peut commander le pays. Sur les rives, on ne voit personne. À la prière de Youssef, nous faisons marcher le sifflet de la chaudière, mais aucune embarcation ne se détache de la berge.

Nous continuons donc notre route. Peu à peu, les îles se montrent de nouveau. Des villages nombreux, que nous notons sur la carte que nous dressons, apparaissent à nos yeux. Nous sommes en face de Fadjé. Le fleuve immense se divise en deux bras presque d’égale largeur. Celui de gauche conduit à Makari, sur les eaux libres du Tchad. Celui de droite, dans lequel nous nous engageons, nous conduit à Mara, important centre de pêche. Mara renferme 5 000 ou 6 000 habitants. Les énormes pirogues, aux extrémités relevées, n’ont pas moins de vingt mètres de longueur sur deux mètres de largeur. Construites en planches jointes au moyen de petites cordes, on assure leur étanchéité relative avec de la paille tressée.

En réalité, il n’y a plus de fleuve, rien que des îles. Nous sommes dans le delta du Tchad. Nous arrivons bientôt en face de Goulfeï, que nous longeons sans nous arrêter. Nous mettons dix minutes à franchir le front de murailles qui s’étend le long du fleuve. La ville, presque aussi importante que Koussouri, est célèbre par son industrie. Les habitants n’ont point de rivaux pour la teinture et le tissage. C’est un centre commercial très important. Nous marchons encore une heure et demie et nous allons mouiller au village d’Allarada. Youssef prend des informations ; on lui apprend que les garnisons de Koussouri et de Goulfeï se sont repliées sur Dikoa, à trois jours de marche vers l’Ouest, où elles ont rejoint Rabah. Tout le monde est heureux de notre arrivée. Il semble à tous que nous venons délivrer ces gens du joug qui pèse si durement sur eux.


le « léon-blot » naviguant sur le tchad.

Aussi, on nous apporte du riz, du blé et des vivres en si grande quantité, que nous sommes obligés d’en refuser. Personne ne veut de rémunération. Ce bon accueil montre combien Rabah est détesté par des populations jadis soumises au Baguirmi, à présent opprimées par le conquérant soudanais.

Très touchés de la sympathie qu’on nous témoigne, nous appareillons le lendemain de bonne heure. Nous voguons au milieu d’un dédale de canaux, d’îles, de bras, tous aboutissant à la nappe franche du Tchad. On compte au moins onze de ces artères, formant des îles très grandes sur lesquelles s’élèvent des centres de population, tels que Goulfeï-Gana, Saoué, et la place importante de Chaouï. À partir de Chaouï, les joncs et les papyrus commencent. Nous tombons sur une flottille de pêcheurs qui, installés à cheval sur un paquet de joncs, se livrent à la pêche au filet, au beau milieu du fleuve. Nous laissons encore, à droite et à gauche, quelques canaux dont l’un a été creusé par les Ouoberris, peuplade originaire des îles du Tchad, et nous arrivons enfin au terme de notre voyage.


une pirogue de pirates du tchad.

Les eaux libres du Tchad s’offraient à nos regards émerveillés. Tous, nous contemplions, avec un sentiment de joie profonde, ces eaux mystérieuses s’étendant à perte de vue. L’un de nos marins, indigène gabonais, se croyant sur la mer, prit de l’eau et la goûta. Il fut tout stupéfait de constater qu’elle était douce. Une bonne brise soufflait, formant sur le lac un clapotis sérieux. Nous mouillons, pour faire des observations, et aussi pour savourer, dans toute leur plénitude, la jouissance intense et l’émotion profonde, qui s’étaient emparées de nous.

Nous fûmes bientôt distraits de nos préoccupations par l’arrivée subite d’une flottille de pirogues de Bouddoumas ou pirates du Tchad. Saisis de stupeur à notre vue, ils disparurent rapidement dans les îles où ils se réfugièrent, abandonnant une partie de leurs embarcations…

Et maintenant, qu’allions-nous faire ? Notre but était atteint. Mais c’était une tentation bien forte pour des voyageurs que de se lancer à l’aventure sur cette mer intérieure. Nous y cédons un moment et, longeant la rive, nous nous dirigeons vers l’Est dans la direction de Hadjer-el-Hamis ou « Pierre du Jeudi ». C’est un lieu de pèlerinage célèbre.

Le fleuve Chari, en se déversant dans le Tchad, forme une série de bancs qui s’étendent sur une zone de 1 000 mètres environ. On peut prévoir que, peu à peu, de nouvelles îles se formeront là et que des passes nouvelles s’établiront entre elles. Une fois cette zone de bancs franchie, on est en eau très profonde : le Tchad est donc navigable. C’était ce qu’il importait avant tout de savoir. Si loin que la vue s’étendait, on n’apercevait plus aucun arbre sur les îles de la rive. M’étant informé si nous pouvions trouver du bois, notre pilote me dit qu’il n’y en avait qu’au Kanem. Plus de bois pour alimenter la chaudière du Léon-Blot, c’était l’impossibilité de continuer… On aurait pu, il est vrai, revenir sur ses pas, créer un poste à bois, y déposer tout notre matériel et embarquer du combustible dans les deux baleinières et sur le vapeur. Mais nous étions cinquante en tout. Devions-nous laisser une vingtaine d’hommes en arrière, les exposer à être massacrés et compromettre les résultats acquis ? Je ne le pensai pas, et ce fut aussi l’opinion de mes collaborateurs. Le retour fut donc décidé.

  1. Les Européens embarqués sur le Léon-Blot étaient au nombre de trois : MM. Huntzbüchler, de Mostuejouls et moi ; l’interprète arabe Ahmed nous accompagnait, l’équipage se composait de cinquante hommes et quatre domestiques. En tout cinquante-huit fusils.
  2. Vers l’année 1889, Rabah, ayant soumis Senoussi, fit épouser à son fils Fad-el-Allah la fille de son vassal, nommée Hadjia.
  3. Le Bangoran et le Ba Karé ou Aouauk.
  4. Nommé Gaye.
  5. Voir Note 4.