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La conquête du paradis/XVIII

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Armand Collin (p. 226-239).

XVIII

L’USURPATEUR NASSER-CINGH

— Apportez ici des balances, dit l’Ombre de Dieu d’une voix enrouée.

Il s’agit de peser la poudre d’or, les lingots et les mohurs, les sacs de perles, les colliers, les couronnes ; toutes sortes de richesses, qui font un monceau lumineux au pied du trône.

Ce trône est une estrade basse, couverte de tapis et surmontée par un toit constellé de pierreries, que soutiennent des colonnettes d’or. Celui qui y est assis, ou plutôt couché, presque à plat ventre, les coudes sur un grand traversin de brocart, c’est l’usurpateur Nasser-Cingh ; triomphateur aujourd’hui, car, à la tête d’une armée de trois cent mille hommes, il a repris le Carnatic à ses adversaires, qui ont voulu faire à leur tête au lieu de suivre les conseils de leurs alliés, les Français, et c’est dans le palais d’Arcate qu’il compte les trésors d’Allah-Verdi, que Mouzaffer n’a pas cachés assez tôt.

Des bourreaux, vêtus de rouge, appuyés sur des haches, gardent chaque porte ; ils surveillent les assistants, et ont ordre de tuer sur la place, ceux qu’ils verraient dérober quelque chose.

Il y a là des seigneurs, des umaras, des bouffons et des bayadères ; tout le monde est debout, excepté l’attabek qui, en sa qualité de grand vizir, a le droit d’être assis, les jambes croisées, sur un large tabouret, à droite du trône.

Nasser penche sa large face noire par-dessus la balustrade qui borde l’estrade. Il trouve ce trésor assez misérable, en somme, et pense que son allié, le second fils d’Allah-Verdi, a dû en dissimuler la plus grande partie : que Mouzaffer-Cingh a été volé.

— Ah ! ah ! dit-il, mon cher neveu a aussi, sans doute, gaspillé beaucoup de cet or. Il a bien fait de se hâter, car il n’en aura plus d’autre désormais que celui de ses chaînes, que j’ai voulues d’or massif ; ne faut-il pas faire honneur aux personnes royales !

Et le Soutien du Monde pousse un éclat de rire, qui secoue de haut en bas toute sa grosse personne. Les courtisans ont des convulsions de gaieté, à cette saillie du maître.

— Le traître Mouzaffer doit bénir chaque jour Ta Majesté, dit le grand vizir ; aussi clément qu’Allah, tu le laisses vivre, lui qui a mille fois mérité la mort.

— Que veux-tu ! en vieillissant je deviens faible. Mon neveu n’est rien qu’une bête, s’il n’avait pas désobéi aux Français, qui menaient si parfaitement ses affaires, nous ne lui aurions pas repris aussi facilement le Carnatic ; mais au lieu de les écouter, il s’en est allé assiéger les Rajahs, pour en tirer d’énormes rançons, plantant là ses alliés, qui sont pourtant comme des lions à jeun.

— Mais, dit l’attabek, ta haute intelligence, aussi éblouissante que le soleil de midi, avait eu l’idée d’opposer aux lions des tigres, d’engager à ton service des soldats anglais, avec une artillerie égale à celle des Français.

— Ne me parle pas des Anglais, s’écria Nasser. Je leur ai ordonné par trois fois d’écraser le bataillon français, et ils n’ont pu le faire. Aussi l’on verra ce que je médite. Mon neveu est un imbécile, voilà le vrai : vidons une coupe à la bêtise de mon neveu.

Des échansons s’approchèrent et offrirent au roi une coupe d’or, doublée de rubis qui, même vide, semblait pleine de vin.

— Non, non, pas de vin ! et Nasser-Cingh ajouta d’un air mystérieux : Qu’on apporte une des fioles que m’a envoyées mon ami Dupleix.

C’était une bouteille au goulot cacheté, enveloppée de papier doré, contenant d’excellente eau-de-vie. On montra au roi que le cachet était intact.

— Plein, plein ! dit-il en tendant sa coupe.

Il la vida presque d’un trait. Ses yeux s’injectèrent de sang, larmoyèrent, la sueur perla sur son visage couleur d’ébène.

— Vivent les Français ! dit-il d’une voix de plus en plus rauque, voilà une boisson ! C’est de l’or, c’est du feu, c’est du soleil qui vous coule dans le sang ! Mais voici nos balances prêtes, continua-t-il. À l’ouvrage !

C’était un échafaudage compliqué, qu’on venait de dresser devant le trône, et où oscillaient deux énormes plateaux d’argent, suspendus par des cordes de soie.

— Pesons l’or, pour commencer, dit le roi.

Des esclaves jetèrent deux petits tapis de soie ouatée dans les plateaux, pour éviter le bruit, et amassèrent sur l’un les lingots et les barres d’or, sur l’autre des poids de marbre et de bronze.

— Non, non, pas cela ! s’écria l’Ombre de Dieu, c’est moi qui me mettrai dans la balance ; on comptera combien de fois il y aura mon poids d’or et de pierreries.

Et Nasser cherchait à dégager ses pieds des tapis et des couvertures, pour descendre de son trône, tandis que les umaras et les courtisans faisaient entendre un murmure approbateur.

Le hadjib, maître des cérémonies, une haute canne d’ivoire à la main, vint aider le maître, qui eut quelque peine à se tenir debout ; il lui rajusta les plis froissés de sa tunique rose, brodée de grappes de raisin en topazes, et le soutint par le coude, tandis qu’il s’accroupissait, en se cramponnant aux cordes, dans le plateau de la balance, dont l’instabilité lui faisait pousser des cris, mêlés de rires.

Il fallut beaucoup d’or pour égaler le poids considérable du Soutien du Monde ; il y eut juste assez de perles ; pas assez de pierres précieuses.

Ce jeu paraissait amuser beaucoup le Soubab ; il se tenait là, ramassé, le cou dans les épaules, la face levée, roulant ses yeux au blanc bistré ; et, quand le trésor fut épuisé, il voulut que l’attabek et le hadjib se missent tous deux dans le plateau, pour voir s’ils l’emporteraient sur lui. Le grand vizir obéit tristement, le maître des cérémonies avec empressement, et les bouffons du roi les couvrirent de lazzis, se moquant de la mine piteuse qu’ils avaient dans la balance.

Les deux maigres seigneurs n’étaient point assez lourds pour faire lever du sol le plateau qui portait leur maître, mais une troisième personne c’était trop, et l’on essaya en vain d’établir l’équilibre.

— Qu’on aille chercher le plus gros porc que l’on pourra trouver, s’écria le roi complètement ivre, voilà qui sera amusant !

Et tandis qu’on se précipitait pour obéir à cet ordre, Nasser quitta le plateau afin de se dégourdir les jambes et de s’étirer. Les bayadères s’approchèrent de lui, l’éventant à l’aide d’écrans en plumes de paon, lui essuyèrent le visage avec des mouchoirs parfumés, versèrent dans ses mains de l’eau de rose.

À ce moment, un umara ne put retenir un éternuement bruyant.

Éternuer en présence du souverain, c’était un mauvais présage, une grave offense, sévèrement punie.

Un grand silence s’était établi, et l’on regardait avec commisération le coupable, qui se jeta à plat ventre.

Le roi fit signe à un des bourreaux. Alors l’umara se traîna à genoux, demandant grâce ; supplia, baisa les pieds du Soubab.

— Que veux-tu, mon ami, répondait tranquillement Nasser-Cingh, je n’y peux rien, c’est la loi.

— Fais-moi tuer plutôt.

— Te tuer, non pas ; tu es bon soldat et tu me serviras encore. Emmène-le, dit-il au bourreau, et coupe-lui le nez.

L’homme fut entraîné, criant, se tordant les bras, mais, par une autre porte, on amenait un énorme pourceau, couronné de fleurs, et le roi battit des mains.

L’animal s’arcboutait, poussant des cris aigus, ne voulant pas avancer ; on tirailla corde, et ses ongles glissaient sur les dalles lisses.

Le Soutien du Monde se tordait de rire ; il s’était remis dans la balance ; son turban, d’un arrangement compliqué, surmonté d’un plumet mêlé de diamants, s’en allait de travers, et ses mains, chargées de bagues, se cramponnaient de plus en plus aux cordes de soie, car une lutte terrible avait lieu pour faire entrer la rose et puante bête dans l’autre plateau, et des secousses violentes faisaient tressauter le monarque.

À la grande hilarité des assistants, le roi et le pourceau se trouvèrent d’un poids égal, et en signe de joie Nasser vida une autre coupe de cognac ; puis il voulut qu’on en fît boire de force au cochon.

La défense fut hideuse, la bête hurla, trépigna, souillant d’ordures les seigneurs et les riches tapis.

Plusieurs umaras, qui étaient restés graves au milieu des rires des courtisans, échangèrent entre eux des regards irrités, et l’un après l’autre sortirent de la salle.

Dans l’une des cours, ils virent l’homme qu’on venait de mutiler : un linge sanglant en travers du visage, il était affaissé sur des marches, s’y appuyant des deux mains, tandis qu’une flaque rouge se formait devant lui. Un umara s’approcha.

— Babar, lui dit-il, veux-tu te venger ?

— Je me vengerai, j’en fais serment, répondit le malheureux, en essayant de se soulever.

— Suis-moi, alors, sans qu’on te remarque.

— Hélas ! l’horrible souffrance de cette plaie m’ôte la force. J’ai le vertige et ne saurais marcher seul.

— Viens donc, je te soutiendrai.

Tous s’en allaient par des chemins différents, sans se regarder, sans se saluer, les uns à cheval, les autres sur des éléphants ou dans des palanquins. Mais quand la nuit fut venue, ils se retrouvèrent, hors des murs d’Arcate, dans le magnifique tombeau des nababs assassinés.

Quelqu’un leur en ouvrait la porte, mystérieusement, et ils entraient dans une salle de porphyre incrusté d’or, éclairée par une lanterne multicolore se rattachant, à l’aide de chaînes, au centre de la haute coupole.

Ces hommes, tous des guerriers, restaient debout, les bras croisés, avec des mines sombres, se disaient les uns aux autres, pleins de véhémence et de colère, leurs griefs contre Nasser-Cingh.

— Il déshonore le pouvoir par sa conduite ; la scène d’aujourd’hui est une offense à notre dignité.

— Ivre le jour, débauché le soir, cruel et fou toujours ; il a fait de nous les serviteurs d’un pourceau.

— C’est un traître ; il avait juré, sur le Coran, de ne pas attenter à la liberté de son neveu, s’il se rendait à lui.

— Il a ordonné de couler du plomb fondu dans la bouche des blessés qui demandaient à boire !

— Il a fait attacher des sacs de terre au cou des prisonniers, et, après les avoir exténués par une longue marche, les a contraints à travailler aux retranchements du camp. On les tuait l’un après l’autre et, avec cette terre qu’ils avaient portée et leur sang, on formait le mortier. Au dernier il a fait grâce pour qu’il pût raconter comment on punissait les rebelles.

— Ce dernier c’est moi, dit un soldat en s’avançant, le fait monstrueux est vrai : les prisonniers travaillaient ; quand le liquide manquait, on tendait l’auge et on en égorgeait un. Ces mains que voici ont pétri la boue sanglante !

Et il tendait ses mains, qu’en souvenir de cette horreur, il portait teintes de henneh. Au bout de ses bras noirs, elles semblaient gantées de sang.

— Et voici comment Nasser-Cingh traite ceux qui lui gagnent ses batailles ! s’écria Babar, en arrachant les linges qui masquaient sa face sans nez, effrayante et grotesque.

Un cri d’horreur s’éleva.

Mais des personnages importants entrèrent, détournant l’attention. On s’inclinait devant eux avec respect. C’étaient les plus puissants vassaux de Nasser-Cingh, ses alliés : le nabab de Kadapa et le nabab de Kanoul.

— Chanda-Saïb est-il arrivé ? demandèrent-ils.

— Le voici, répondit Chanda-Saïb, qui entrait derrière eux.

— Le chef français viendra-t-il ?

— Dans quelques minutes il sera parmi nous. Deux de mes umaras courent à sa rencontre, et le guideront jusqu’ici.

— Alors les Français n’abandonnent pas Mouzaffer-Cingh, malgré ses fautes, et sa folle reddition à l’usurpateur ?

— Ils lui restent fidèles, au contraire, et veulent le sauver, dit Chanda-Saïb ; j’ai déjà cette bonne nouvelle à vous apprendre qu’ils viennent de remporter une victoire éclatante et presque invraisemblable, sur Mahomet-Aly, le second fils d’Allah-Verdi, qui me dispute aujourd’hui la nababie d’Arcate.

On le questionna avec empressement et il raconta la bataille : Les Français, trois cents seulement, retranchés dans la pagode de Tiravadi, transformée en forteresse, attaqués par l’armée de Mahomet-Aly, grossie de vingt mille hommes envoyés par Nasser-Cingh et aidée par les Anglais : plus de quatre-vingt mille hommes. Toute cette multitude repoussée avec des pertes énormes ; puis le camp surpris la nuit, l’armée taillée en pièces, Mahomet prenant la fuite, à peine vêtu, en criant : C’en est fait de moi ! et courant sans prendre de repos, s’enfermer, avec les débris de son armée, dans l’inexpugnable forteresse de Gengi[1].

— Le Soubab sait cette nouvelle, et il passe son temps en chasses et en orgies ! s’écria le nabab de Kanoul.

— Il entretient une correspondance secrète avec le gouverneur de Pondichéry, c’est cela qui le rassure, dit un umara.

— Et c’est cela qui nous inquiète, ajouta le nabab de Kadapa.

— Le chef français vous expliquera les raisons pour lesquelles le grand Dupleix agit ainsi, dit Chanda-Saïb en prêtant l’oreille. Quelqu’un vient, c’est lui.

Un homme parut dans le cadre de la porte ; il était enveloppé par un manteau sombre, que relevait d’un côté la pointe de l’épée, et coiffé de ce tricorne, galonné d’or, qui avait maintenant, aux yeux des Maures, plus de prestige qu’une couronne.

Il se découvrit : c’était le marquis de Bussy. Chanda-Saïb courut à lui, avec une exclamation joyeuse, lui serrant les mains, mais le jeune homme gardait une expression grave et sévère.

— Qu’Allah te comble de ses grâces ! dit le musulman, et permette que tu nous donnes d’heureuses nouvelles du cher seigneur Dupleix Bâhâdour.

— Dupleix est fort mécontent, dit le marquis ; il doute d’alliés qui, par leur manque d’obéissance aux conseils les plus sages, lui ont brisé la victoire dans la main ; il se demande s’il doit leur continuer sa protection, et risquer la vie de ses soldats, pour des princes qui ne savent pas poursuivre leurs conquêtes.

— Ne dis pas des paroles aussi cruelles, s’écria Chanda-Saïb ; tu sais bien que ce n’est pas moi qui commandais l’armée du Carnatic, et que j’ai supplié Mouzaffer de ne pas céder à un mouvement d’affolement et de désespoir, de fuir plutôt que de se rendre, lui et ses troupes, à son mortel ennemi. Et tu vois que j’ai su garder ma liberté, dans cette malheureuse aventure, où j’ai reperdu le pouvoir que vous m’aviez conquis.

— Oui, je sais que tu es brave et fidèle ; la défaite que nous venons d’infliger à ton rival, Mahomet-Aly, est la preuve que nous ne t’abandonnons pas.

— Alors c’est Mouzaffer que vous abandonnez, s’écria le nabab de Kadapa, puisque Dupleix envoie à Nasser-Cingh des ambassadeurs et des présents.

— Ce n’est pas quand il est dans le danger, s’y fût-il jeté par sa faute, que nous abandonnons un ami, dit fièrement Bussy, la conduite même de Dupleix aurait dû vous le faire comprendre. Vous devez être surpris cependant que, prisonnier de son oncle, auquel il dispute le trône, Mouzaffer soit encore vivant. Eh bien, ce sont les pourparlers, les menaces et les promesses du gouverneur de Pondichéry, qui tiennent suspendue la hache, au-dessus de la tête du Soubab légitime.

— Il faut nous hâter d’agir, dit Chanda-Saïb, car cette hache peut tomber, d’un moment à l’autre, par un caprice d’homme ivre, et, avec la vie de notre chef, anéantir nos espérances.

— La conspiration est puissante, dit le nabab de Kanoul ; à la prochaine bataille, les troupes de Kadapa et de Kanoul se retourneront contre leur allié, et les umaras, ici présents, entraîneront leurs hommes, à un signal donné. Ce signal, c’est un drapeau français, arboré sur un des éléphants de guerre. Je l’ai demandé à Dupleix, ce drapeau, pourquoi ne l’envoie-t-il pas ?

— Je l’apporte, dit Bussy en tirant de dessous son manteau un morceau de moire blanche, qu’il déploya, laissant voir la figure d’or, dans un rayonnement, sous la devise française. Mais qui me répond, ajouta-t-il, que vous lui serez fidèles ?

— Notre haine, dit l’un des nababs ; celui que nous trahissons m’a menacé, moi, quand je lui réclamais la juste récompense de mes peines, de m’arracher mes titres, mes biens et mon pouvoir et de me faire mourir sous le rotin.

— Il a fait pire à moi, s’écria le nabab de Kadapa, il a fait bâtonner mon vieux père, pour le forcer à lui découvrir des trésors imaginaires, et on l’a laissé mort sur la place. Je vengerai mon père, et je réclame la faveur de tuer son meurtrier.

Bussy donna le drapeau au nabab de Kadapa.

— Vos troupes forment à peine un sixième de l’armée, reprit le jeune Français après un moment de réflexion, et, avant votre défection, un combat sanglant est inévitable ; mais il faut d’abord en finir avec Mahomet-Aly, avoir un point d’appui sérieux ; pour cela il faut prendre Gengi.

— Prendre Gengi ! s’écria-t-on de toutes parts, comme on aurait dit : prendre la lune.

— Cela me regarde, dit froidement Bussy.

— Prendre Gengi est impossible ; tout au plus peut-on bloquer la place, et elle a des munitions pour plus d’un an ; vous vous feriez écraser, jusqu’au dernier, sous ses murs.

— Gengi est non seulement imprenable, mais inaccessible, ajouta Chanda-Saïb ; les lions eux-mêmes ne peuvent atteindre le nid d’un aigle, et si vous échouez quel désastre !

— Est-ce que nous échouons ? dit le marquis en jetant un regard altier sur ceux qui avaient parlé ; les Français seront seuls à cet assaut, il n’y a pas à craindre qu’ils s’attardent à chercher des trésors.

— Ne m’accable pas sous le poids de mes fautes passées, dit Chanda-Saïb en courbant la tête.

Bussy étendit la main vers le drapeau :

— Jurez-moi, dit-il, de ne conduire qu’à la victoire cet emblème de la France, de le livrer aux flammes, s’il risquait d’être pris par l’ennemi.

— Je le jure, sur les cendres de mes parents assassinés, enfermés dans ce tombeau, dit Chanda-Saïb.

Le nabab de Kanoul ouvrit la main au-dessus d’un Coran, posé dans une niche au-dessous d’une lampe d’or :

— Je prends à témoin le nom d’Allah et de son saint prophète Mahomet, dit-il.

— Moi je fais le serment sur les mânes de mon père, dit le nabab de Kadapa.

— Et jurez tous, ajouta Bussy, que ni torture, ni menaces de mort ne vous feront révéler ce complot.

Tous les umaras jurèrent.

— À bientôt donc, reprit le chef français, tenez-vous attentifs, et quand vous entendrez le bruit de la chute de Gengi, soyez prêts à tout.

Il salua avec une dignité froide, remit sur son front le tricorne doré et disparut.


  1. Voici ce que dit Voltaire, à propos de cette bataille, qui n’est cependant pas la plus brillante de cette extraordinaire campagne : « C’était une journée supérieure à celle des trois cents Spartiates au pas des Thermopyles, puisque ces Spartiates y périrent et que les Français furent vainqueurs : mais nous ne savons peut-être pas célébrer assez ce qui mérite de l’être, et la multitude innombrable de nos combats en étouffe la gloire. » (Précis du siècle de Louis XV, chap. xxxiv.)