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La duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde sous Louis XIV/01

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La duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde sous Louis XIV
Revue des Deux Mondes4e période, tome 134 (p. 721-756).
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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE
ET
L'ALLIANCE SAVOYARDE SOUS LOUIS XIV

I
PRÉLIMINAIRES ET NÉGOCIATION DU MARIAGE

L’histoire est-elle plus intéressante que le roman, ou le roman plus intéressant que l’histoire ? C’est une question qui pourrait donner lieu à d’interminables disputes, car chacun sera toujours tenté de la résoudre au gré de sa nature, et peut-être aussi suivant les goûts de son âge. A l’entrée de la vie, lorsque le terme de la route qui se déroule devant nos yeux se perd encore dans un horizon lointain, notre imagination aime à peupler de ses fantaisies cette route inconnue, et les brillans fantômes dont elle l’embellit font cortège et fête à notre jeunesse. Mais lorsque la route est plus d’à moitié parcourue, et lorsque l’horizon se rapproche, nos regards se tournent plus volontiers en arrière, et la réalité commence à nous paraître plus attrayante que la fiction. Pénétrer les ressorts secrets qui firent mouvoir nos semblables d’autrefois, savoir de quelles joies ou de quelles tristesses leurs cœurs furent émus, de quelles passions leurs vies furent troublées, pique autant et même davantage notre curiosité qu’une longue succession d’aventures imaginaires. Nous cherchons dans ces vies comme un ressouvenir de la nôtre, et l’histoire se venge ainsi du roman, pour lequel elle s’était sentie autrefois dédaignée.

Parfois même, comme pour compléter sa vengeance, l’histoire semble à son tour se plaire aux jeux romanesques. Elle s’attache à certaines figures, en particulier à certaines figures de femmes. Elle les pare de tous les ornemens ; elle les revêt de toutes les grâces ; elle leur donne l’éclat, la beauté, la fortune. Puis, tout à coup, elle les précipite dans quelque abîme de calamités, et s’acharne à leur faire payer les présens dont elle les avait comblées. Ou bien au contraire, elle les fait disparaître en pleine jeunesse, les dérobant avant l’heure à l’adoration comme à l’espérance, et laissant à jamais irrésolue l’énigme de leur destinée. Pour ces figures d’autrefois, la postérité éprouve des sentimens, peu s’en faut, aussi passionnés que ceux de leurs contemporains, et si leur vie s’est compliquée de quelque chose d’obscur ou d’inexpliqué, une curiosité tout aussi vive s’attache à la découverte de ce mystère qu’aux péripéties d’un roman d’aventures. C’est qu’il y a dans la réalité une saveur que le temps ne saurait altérer. La fiction adapte toujours ses formes aux goûts passagers de la génération qu’elle veut séduire. La réalité n’a pas besoin d’avoir recours à ces artifices, et, dans ce miroir éternellement fidèle, l’homme se complaît toujours à retrouver ses traits.

La duchesse de Bourgogne est une de ces figures auxquelles l’histoire prête les grâces du roman. Fleur de Savoie éclose au flanc des rudes Alpes, elle a été transplantée, à peine ouverte, dans le riche jardin de la France. Pendant seize ans elle s’y est épanouie. Elle l’a orné de ses couleurs, et enchanté de ses parfums. Puis, en un jour, elle s’est flétrie, et si, pour la louer dignement, quelque nouveau Bossuet s’était rencontré, il aurait pu redire : « Madame a passé du matin au soir ainsi que l’herbe des champs. Le matin elle fleurissait, avec quelles grâces vous le savez ; le soir, nous la vîmes séchée, et ces fortes expressions par lesquelles l’Écriture sainte exagère l’inconstance des choses humaines devaient être pour cette princesse si précises et si littérales. » Mais ni l’amour dont elle fut environnée, ni la douleur que lit naître sa mort n’ont réussi à préserver complètement sa mémoire. Vivante, son honneur de femme a été mis en doute, et morte, sa loyauté de princesse, sans qu’à ces questions l’histoire ait encore répondu d’une façon précise. Un peu d’énigme se mêle à sa grâce, et cette petite âme obscure, qui peut-être ne se connaissait pas bien elle-même, s’est envolée sans avoir dit son secret.

Un intérêt d’une autre nature se peut encore trouver à la vie de cette princesse charmante. Le mariage d’Adélaïde de Savoie avec le duc de Bourgogne n’a été en effet qu’un épisode de cette alliance savoyarde qui, tantôt rompue, tantôt renouée, a tenu à travers les siècles une place si importante dans notre histoire. Il est certains pays auxquels leur situation géographique donne une importance singulièrement disproportionnée avec leur surface territoriale et leur force militaire. Lorsque des souverains avisés ont su jouer de cette situation, lorsqu’ils ont, de père en fils, poursuivi avec application un but judicieusement choisi, et lorsque cette politique nationale a eu pour constant appui la fidélité d’un peuple, il est rare que peuple et dynastie ne recueillent pas à la longue la récompense de ce qu’un historien récent de la diplomatie savoyarde appelle : la grande virtù del perseverare[1].

Telle a été l’histoire de cette petite patrie de notre duchesse de Bourgogne, qui, de progrès en progrès, à l’aide de moyens parfois douteux, mais toujours habiles, a su pousser ses frontières du pied des Alpes jusqu’à l’extrémité de la péninsule. Pour que notre récit soit complet, il y aura lieu de détacher de cette longue histoire quelques épisodes auxquels, plus ou moins directement, la duchesse de Bourgogne a été mêlée. En eux-mêmes, ces épisodes ne paraîtront peut-être pas tout à fait dénués d’intérêt, car on verra la part qu’y ont prise des personnages diversement illustres. Oserons-nous ajouter que quelques enseignemens s’en peuvent également tirer, et qu’à l’école d’un petit peuple même un plus grand peut apprendre quels profits viennent à la longue récompenser la vertu de persévérance.


I

« Je vous prie, comme bon prince et vassal du Saint-Empire, et tant pour le bien public que pour l’assourement du repos d’Italie, et par conséquent de tous les chrestiens, que veuillez employer de tout votre pouvoir à faire bien garder les passaiges (des Alpes), afin que les Français n’y puissent passer[2]. »

Ainsi écrivait, il y aura bientôt quatre cents ans, l’empereur Charles-Quint au duc Charles III de Savoie. Gardiens des passages, portiers de l’Italie, telle a été, en effet, à travers de longs siècles, la situation exceptionnelle, à la fois dangereuse et privilégiée, des suzerains de la Savoie, l’antique Sabaudia, qu’ils fussent comtes, ducs, ou même rois, et cela depuis le jour où Odon, fils d’Humbert aux Blanches mains, qui avait hérité de son père plusieurs seigneuries éparses dans la Maurienne, la Tarentaise et le Chablais, épousa la marquise Adélaïde de Turin, qui lui apporta en dot, avec Turin, Pignerol et Suse, les comtés de Saluées et de Mondovi.

La Maison de Savoie remonte à une date presque aussi reculée que la Maison de France, et l’un de ses plus éminens historiens a pu dire, non sans orgueil, qu’en 1024, c’est-à-dire à l’époque où Humbert aux Blanches mains, dont l’origine est demeurée un peu obscure, fondait cette Maison, les rois de France n’étaient guère de plus grands potentats que les comtes de Savoie[3]. Mais la fortune des deux Maisons fut, et devait jusqu’au bout demeurer singulièrement diverse. La Maison de Savoie est aujourd’hui la plus heureuse. Elle règne encore sur partie des États qui formèrent son berceau, et à ces États elle a su en ajouter d’autres. En revanche, son agrandissement a été autrement difficile et lent que celui de sa puissante rivale. Ces portiers des Alpes avaient deux portes : l’une s’ouvrait sur l’Italie, l’autre sur la Suisse et la France, et c’était tantôt par l’une, tantôt par l’autre, que leur humeur inquiète et ambitieuse faisait irruption. Avec Thomas, dit le Petit Charlemagne, ils acquéraient le Faucigny, s’étendaient dans le Chablais, mettaient la main sur le canton de Vaud et poussaient une pointe audacieuse jusqu’aux portes de Fribourg. Avec Amédée V, dit le Grand, ils s’enrichissaient, par mariage, de la Bresse et du Bugey. Avec Amédée VI, dit le Comte Vert, ils étendaient leur domination sur le pays de Gex. Mais avec Amédée VII, dit le Comte Rouge, ils acquéraient Nice, c’est-à-dire un port sur la Méditerranée. Avec Amédée VIII, le premier des neuf ducs, qui devait être pape sous le nom de Félix V, ils arrachaient Verceil et son territoire au duc de Milan. Sans doute toutes ces conquêtes ne demeurent pas entre leurs mains ; mais ce qu’ils perdent sur un versant des Alpes, ils le regagnent de l’autre. Battus du côté qui regardait la Suisse ou la France, ils se réfugient de l’autre côté des monts, in partibus Pedemontii, dit en 1245 la première charte où l’on rencontre le nom de Piémont. Battus en Piémont, ils se cantonnent en Savoie, demeurant ainsi toujours maîtres de l’une des entrées du défilé, et si, pendant cette longue rivalité entre la France et l’Espagne qui ensanglanta l’Italie, ils avaient le désagrément de voir leurs États occupés tantôt par l’un, tantôt par l’autre de ces redoutables adversaires, si en particulier, pendant trente-huit ans, de 1536 à 1574, Impériaux, Espagnols, Français, occupèrent le Piémont ensemble ou tour à tour, et le foulèrent aux pieds, ils virent aussi leur alliance plusieurs fois recherchée, et ils surent, en la marchandant habilement, la mettre au prix que les faibles, quand ils sont avisés, savent parfois faire payer aux forts.

Après six siècles d’une existence agitée, un jour vint cependant où les princes savoyards eurent une vision plus claire de la route qu’ils avaient intérêt à suivre. Ce jour est celui où, après bien des péripéties, fut signé, entre Charles-Emmanuel Ier et Henri IV, le traité de Lyon (17 janvier 1601). Par ce traité, Charles-Emmanuel abandonnait à Henri IV la Bresse, le Bugey, le pays de Gex. Mais Henri IV lui abandonnait le marquisat de Saluces, enclavé dans le territoire du Piémont, et sur lequel la France prétendait des droits. Le duc de Savoie renonçait à conserver un pied en France. Le roi de France renonçait à conserver un pied en Italie. Chose étrange ! et qui cependant se rencontre souvent dans l’histoire, ce traité si sage fut critiqué avec une égale vivacité des deux côtés des Alpes. Les sujets du duc de Savoie lui reprochaient l’abandon de provinces dont la richesse contrastait avec la pauvreté de leurs territoires, et, colère feinte ou réelle, Charles-Emmanuel lui-même disgracia les deux commissaires qui avaient signé le traité en son nom. « Le roi a fait paix de marchand, et le duc de Savoie a fait paix de prince », disait de son côté Lesdiguières. Lesdiguières se trompait. Le roi avait bien fait paix de prince en renonçant à ces aventures italiennes qui avaient coûté à ses prédécesseurs tant de sang inutile, et en tournant de nouveau les visées de la France vers les Flandres et le Rhin. Quant à Charles-Emmanuel, c’était bien en effet paix de prince qu’il avait conclue, et de prince plus avisé, à plus longue et juste vue qu’il ne s’en rendait compte lui-même. Il tournait définitivement vers l’Italie les ambitions de sa Maison. « A partir du traité de Lyon, a écrit avec raison le marquis Costa de Beauregard[4], la Maison de Savoie n’a plus été par le fait qu’une puissance italienne. Elle n’a plus considéré ce qui lui restait au-delà des monts que comme un seigneur vivant dans l’opulence, au sein d’une vaste cité, considère le fief antique dont il porte le nom et qu’il visite rarement. » Quelle que fût sa perspicacité, Charles-Emmanuel ne pouvait pas se douter qu’un jour viendrait où ses descendans sacrifieraient jusqu’à ce fief antique en échange d’un royaume.

Dans la pensée de Henri IV, le traité conclu avec la Savoie ne comportait pas seulement paix, mais alliance ; alliance avec appui mutuel et avantages réciproques. Déjà l’habile souverain, en avance de deux siècles, avait négocié la cession éventuelle de la Savoie contre l’appui prêté pour la conquête du Milanais sur l’Espagne. Sa mort vint mettre un terme à d’aussi sages projets. À cette politique mesurée et féconde, les successeurs de Henri IV et de ses ministres ne surent pas rester fidèles. La lourde main de Richelieu s’appesantit sur la petite Savoie. De l’allié il voulut faire un vassal. La Savoie essaya de se dérober ; elle n’y put réussir et fut ramenée par la force. Mais Louis XIII commit une faute que son père n’aurait pas commise, lorsque au lendemain de l’affaire du Pas de Suze, où une si brillante valeur fut déployée par lui, il laissa Charles-Emmanuel, le vieux duc âgé de soixante-neuf ans, que Henri IV avait toujours traité avec égard, au fils duquel il avait donné sa fille, venir éperdu à sa rencontre, lui demander grâce et pardon, et embrasser sa botte « sans le moindre semblant de l’en empocher, » ajoute Saint-Simon, d’après le récit de son père, témoin oculaire. Seize mois après, Charles-Emmanuel, qu’un instant ses sujets avaient appelé le Grand, mourait de honte et de douleur, mais il mourait debout, comme l’empereur romain, l’épée au côté, le collier de l’Annonciade au cou, le manteau ducal sur les épaules, léguant à ses sujets, avec quelque chose de sa fierté, la haine de la France qui l’avait inutilement humilié.

Cette politique d’humiliation fut continuée contre son successeur. Victor-Amédée Ier se vit imposer le traité de Cherasco (1631), par lequel la France se faisait céder « à perpétuité et nonobstant tout traité contraire fait ou à faire » Pignerol et le Val de Pérouse, situés en plein cœur du Piémont, à quelques lieues de Turin. Ce que, par ce traité néfaste pour la Savoie, Richelieu voulait assurer à la France, c’était, suivant son expression, des portes. Avec l’ambassadeur vénitien, il s’en exprimait librement[5]. « Nous voulons, lui disait-il, restituer au duc de Savoie tout ce qui lui appartient, en nous réservant seulement un poste qui tienne le passage dans cette province toujours ouvert. »

Richelieu ne songeait qu’à sa lutte avec la maison d’Autriche contre laquelle il voulait avoir une base d’opération en Italie. Mais au point de vue des relations avec la Savoie, le traité de Cherasco était une faute. Pignerol aux mains des Français devint ce qu’avait été, deux siècles auparavant, pour la France, Calais aux mains des Anglais, le lambeau de chair arraché, la plaie ouverte. Or ce n’est jamais impunément qu’on arrache à un pays un lambeau de sa chair, et qu’on fait une plaie à son honneur. Jusqu’à la fin du siècle, nous allons voir toute la politique de la Savoie tourner autour de cet unique objet : la restitution de Pignerol. Toutes ses manœuvres, toutes ses ruses, toutes ses duplicités, s’expliqueront par là. Elle sortira sans scrupule d’une alliance pour entrer dans une autre, suivant qu’elle se croira plus ou moins de chances d’obtenir Pignerol pour prix de son changement.

Les griefs que cette situation dépendante amoncelaient dans les cœurs savoyards, parurent cependant sommeiller pendant la régence successive de deux princesses, aveuglément soumises à l’influence française, l’une propre fille de Henri IV, Madame Royale Christine, veuve de ce Victor-Amédée Ier qui avait dû souscrire au traité de Cherasco, l’autre également appelée Madame Royale, Jeanne-Baptiste de Nemours, veuve de Charles-Emmanuel II et mère de Victor-Amédée II. Mais ils renaîtront quand Madame Royale se verra contrainte de céder le pouvoir à son fils, le père de notre duchesse de Bourgogne. Avec ce prince entre en scène un acteur dont nous aurons longtemps à étudier le rôle, puisqu’il survécut à sa fille. Quelques mots sur l’éducation qu’il reçut, et sur les épreuves avec lesquelles sa jeunesse se trouva aux prises ne seront pas inutiles.


II

L’enfance de Victor-Amédée fut douloureuse. Il avait neuf ans lorsqu’en 1675 son père, Charles-Emmanuel II, fut emporté par une fièvre maligne. L’ambassadrice de France, Mme Servient, était présente à cette mort. A peine Charles-Emmanuel avait-il fermé les yeux que Victor-Amédée s’approchait d’elle, et lui disait en pleurant « qu’il priait M. l’Ambassadeur d’assurer Sa Majesté qu’il était son très obéissant serviteur, et qu’il le suppliait très humblement de bien vouloir lui servir de papa, puisqu’il avait perdu le sien[6]. » Etait-ce accent sincère et juste instinct d’un orphelin qui sent sa solitude ? Etait-ce, au contraire, calcul et duplicité précoce d’un enfant dont un ancien précepteur du prince d’Orange, Chapuzeau, disait, déjà trois années auparavant, après l’avoir vu à Turin : « A cet âge où les autres en fan s’ne peuvent que bégayer il a des reparties surprenantes et merveilleuses. » On serait plutôt tenté de le croire, lorsqu’on voit, par la suite, se développer chez lui cette extraordinaire puissance de dissimulation qui a fait dire que « son cœur était couvert de montagnes comme son pays. » Il n’avait pas encore treize ans que déjà l’abbé d’Estrades, ambassadeur de France à Turin, écrivait à Pomponne : « Ce prince est naturellement caché et secret ; quelque soin qu’on prenne de savoir ses véritables sentimens, on les connaît difficilement, et j’ai remarqué qu’il fait des amitiés à des gens pour qui je sais qu’il a de l’aversion[7]. » L’éducation qu’il reçut devait encore fortifier chez Victor-Amédée ce penchant naturel au secret, et les tristes spectacles dont son enfance fut témoin, durant la régence de sa mère, firent, pour lui, de la dissimulation une nécessité et presque un devoir.

Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, dite, dans l’histoire de Savoie, Madame Royale, est encore un personnage que nous retrouverons, car une tendre affection devait l’unir plus tard à la duchesse de Bourgogne, qui semble l’avoir préférée à sa propre mère. Elle était fille de ce duc de Nemours, de la maison de Savoie, qui fut tué par son beau-frère, le duc de Beaufort, dans un duel célèbre. Sa jeunesse s’était écoulée à la cour d’Anne d’Autriche, au milieu des aventures galantes de la Fronde. Mariée à son cousin Charles-Emmanuel, elle n’avait pas quitté sans regret le pays où elle avait été élevée, et auquel elle demeura toujours attachée. Il fallait qu’elle eût du charme, car elle y laissait et y conserva toujours des amies fidèles, entre autres la comtesse de la Fayette. Cette amitié a même valu à la pauvre comtesse d’assez injustes attaques. Mais il faut convenir que pour une aussi discrète personne que Mme de la Fayette, Madame Royale était une amie un peu compromettante.

Tenue par son mari à l’écart de toute influence, et outrageusement délaissée, Madame Royale, quand elle se trouva veuve et régente, eut le tort de prendre une double revanche. Elle s’empara du pouvoir avec avidité, et ne parut dominée que par une idée : celle de le garder le plus longtemps possible. Loin d’associer progressivement son fils à l’autorité qu’elle exerçait en son nom et qu’elle devait lui restituer un jour, Madame Royale le tenait systématiquement dans l’ignorance de toutes les affaires, et l’abandonnait aux mains de personnages subalternes qui veillaient à peine sur lui. Tous les jours, à une certaine heure, son gouverneur l’amenait baiser la main de sa mère, et c’était le seul échange de caresses qu’il y eût entre la mère et le fils. Elle réservait ses tendresses pour d’autres, et se vengeait tardivement des dédains dont sa réelle beauté avait été l’objet. « Il y a peu de princesses au monde, dit l’auteur anonyme d’une relation qui se trouve aux Affaires étrangères[8], dont le mérite ait fait plus de bruit que celui de Madame Royale, et il semblerait qu’à parler d’une personne qui n’est plus jeune, puisqu’elle passe quarante-cinq ans, on devrait taire tous les avantages du corps pour ne s’arrêter qu’à ceux de l’esprit. Cependant il est constant que, jusques à l’heure présente, l’âge n’a rien diminué des grâces de cette princesse et qu’elle efface encore aujourd’hui les plus belles femmes de la cour par la noblesse de son air, et par je ne sais quels agrémens qui lui sont particuliers. » Mais le véridique auteur de la relation ne peut s’empêcher d’ajouter : « Tant de perfections et de belles qualités se trouvent néanmoins ternies par le peu d’empire qu’elle a sur son cœur et par ses galanteries. »

Madame Royale avait, en effet, des galanteries, et, qui plus est, publiques. C’était d’abord avec le comte de Saint-Maurice, dont le père était un des principaux personnages de la cour de Savoie. Ce premier favori, par ses fatuités et ses vantardises, n’ayant pas tardé à se rendre désagréable, Madame Royale, pour s’en débarrasser, l’envoyait en ambassade. Son secrétaire particulier, un certain Lescheraine, se hâtait avec joie d’en informer Mme de la Fayette ; mais celle-ci ne se réjouissait pas autant que lui, car elle n’avait pas confiance dans la sagesse à venir de sa royale amie. « Je vous ai trouvé, répondait-elle[9] à Lescheraine, si rassuré, d’un ordinaire à l’autre, sur un chapitre où il faut des années entières pour se rassurer, que je ne sçay si vous m’avez parlé sincèrement ; encore quand je dis des années entières, c’est des siècles qu’il faut dire, car à quel âge et dans quel temps est-on à couvert de l’amour, surtout quand on a senty le charme d’en être occupé ? On oublie les maux qui le suivent ; on ne se souvient que des plaisirs, et les résolutions s’évanouissent. Je ne sçaurais vous croire si rassuré sur le Niçard, et sur d’autres dont vous ne m’avez point encore parlé. Je souhaite que vous n’ayez rien à me dire. »

Le Niçard, c’était un certain comte de Masin, et Mme de la Fayette avait raison sur Lescheraine. En revenant de son ambassade, « ce pauvre chien » de Saint-Maurice se trouvait remplacé, et une histoire scandaleuse dont l’auteur de la Relation sur la cour de Savoie se fait l’écho ne tardait pas à courir Turin. Fort de ses anciens privilèges, il entrait un jour brusquement dans la chambre de Madame Royale, mais il trouvait en son lieu et place le comte de Masin. Aussitôt il mettait l’épée à la main, et si le petit homme ne s’était sauvé assez piteusement, il lui aurait coupé la gorge.

Cependant Victor-Amédée grandissait silencieusement dans un double sentiment qui devait inspirer toute sa politique : la haine de sa mère et la haine de la France. A sa mère, il en voulait de son indifférence, de la sujétion où elle le tenait, du déshonneur public dont elle couvrait son nom. Si un jour, par extraordinaire, elle l’embrassait, on le voyait ensuite essuyer sa joue avec violence, comme s’il eût touché un pestiféré. A la France, il en voulait de l’appui qu’elle prêtait à sa mère contre lui, et de l’état de vasselage où elle tendait peu à peu à réduire la Savoie. Louis XIV, malgré de grandes qualités d’esprit auxquelles on ne rend pas toujours suffisante justice, était, par orgueil, enclin à la politique à outrance. Il était encore poussé dans cette voie par Louvois, aussi mauvais conseiller en matière de diplomatie qu’il était habile ministre de la guerre. Rien n’était épargné, en effet, pour faire sentir à cette fière nation la dépendance où la France entendait la tenir. Il faut lire, dans la belle Histoire de M. Camille Rousset, le récit peut-être même atténué de ces vexations. Revenant après treize ans écoulés sur ces griefs, Victor-Amédée avait véritablement le droit, au moment où il signait sa paix avec Louis XIV, et où les relations diplomatiques allaient être renouées entre les deux cours, de dire avec vivacité : « Suppliez le roi de me donner un ambassadeur qui nous laisse en repos avec nos moutons, nos femmes, nos mères, nos maîtresses et nos domestiques. Le charbonnier doit être le patron dans sa cassine, et depuis le jour que j’ai eu l’usage de raison jusqu’au jour que j’ai eu le malheur d’entrer dans cette malheureuse guerre, il ne s’est quasi passé une semaine que l’on n’ait exigé de moi par rapport à ma conduite ou à ma famille dix choses où, lorsque je n’en ai accordé que neuf, on m’a menacé[10]. »

La servitude où, depuis le traité de Cherasco, la France avait réduit la Savoie allait devenir encore plus étroite, lorsque, à la suite d’une longue négociation, un instant compromise par la trahison de l’agent Mattioli, Louis XIV acheta Casal au duc de Mantoue. Casal et Pignerol aux mains de la France, le libre passage de ses troupes exigé de l’une à l’autre place, c’était le Piémont ouvert, comme la Lorraine avec ses routes militaires, et bientôt voué au même sort. Arracher Casal à la France non moins que recouvrer Pignerol va devenir à partir de ce jour un des principaux objectifs de la politique savoyarde. Il faudra cependant que Victor-Amédée s’impose une longue dissimulation avant de pouvoir donner libre carrière à ses desseins… Pour parvenir à gouverner ses États plus absolument « et à se tirer de la sujétion où il prétendait que les ministres de France le voulaient tenir », comme lui-même le disait à l’ambassadeur Rebenac[11], il aura nécessairement recours à l’arme des faibles, c’est-à-dire à la ruse. Pendant près de trois ans, depuis le jour (17 juillet 1686) où fut signée entre l’empereur, l’Espagne, la Suède, la Hollande et la Bavière, la célèbre ligue d’Augsbourg jusqu’à celui où il fit adhésion publique à cette ligue, Victor-Amédée jouera un double jeu, dupant à la fois Rebenac et Croissy, c’est-à-dire la diplomatie publique de Louis XIV, Catinat et Louvois, c’est-à-dire sa diplomatie secrète, car déjà le roi avait son Secret, et Rebenac et Catinat travaillaient à l’insu l’un de l’autre. Ce jeu fut enfin percé à jour. Louvois, dont la clairvoyance rachetait au moins les emportent eus, le fit sommer par Catinat de livrer au Roi, comme gage de sa fidélité, non seulement la place de Verrue, mais la citadelle de Turin, c’est-à-dire rien moins que sa propre capitale. À cette demande « si crue et si peu conditionnée », disait Catinat lui-même, Victor-Amédée n’eut garde cependant de répondre par un refus péremptoire. Il réussit à gagner encore du temps, adressant chaque jour à Catinat, qui était aux portes de Turin, un envoyé nouveau, disputant sur les conditions auxquelles la citadelle de Turin serait livrée, sur le moment où elle lui serait rendue, écrivant lui-même à Louis XIV, offrant d’envoyer à Versailles un nouvel ambassadeur qui traiterait de l’affaire. En même temps, il faisait mettre Turin en état de défense, et appelait les troupes espagnoles qui tenaient garnison dans le Milanais. Lorsqu’elles furent assez proches, il jeta enfin le masque.

« M. le duc de Savoie est si haï dans son pays, écrivait quelques mois auparavant Louvois à Catinat, qu’il ne trouve personne qui veuille prendre parti dans ses troupes[12]. » Louvois se trompait. Les exigences intolérables de Louis XIV avaient au contraire réveillé en Savoie le sentiment national, et Victor-Amédée avait fort habilement exploité ce sentiment. Dans cette cour si française au temps de Madame Royale Christine et de Madame Jeanne-Baptiste, le nom français était devenu odieux. Aussi, lorsque le 4 juin 1690 Victor-Amédée faisait savoir à Rebenac que l’extrémité dans laquelle le roi le réduisait l’avait enfin porté à recevoir les offres de secours que les Espagnols lui avaient inutilement faites plusieurs fois, et lorsque, d’un ton fier et gai, il adressait à quatre cents personnes de la noblesse réunies dans son palais une harangue belliqueuse où il annonçait l’intention « d’entrer dans la cause universelle et d’aller chercher l’armée française à la tête de son peuple fidèle[13] », cette harangue était accueillie par des applaudissemens enthousiastes. De la noblesse l’enthousiasme gagnait les soldats, puis le peuple au point que l’ambassadeur était obligé de se tenir enfermé dans son hôtel, pour échapper aux insultes d’une populace de plus de soixante mille personnes qu’on ne contenait qu’avec peine. Ce même jour Victor-Amédée signait de sa main un traité d’alliance offensive et défensive avec l’empereur Léopold.

Ainsi se trouvait anéanti, au bout de quatre-vingt-neuf ans, ce sage traité de Lyon, auquel Henri IV avait apposé sa signature, qui consacrait l’alliance équitable des deux pays, et à leurs ambitions également légitimes donnait les Alpes pour barrière. Cette barrière naturelle allait être de nouveau franchie par les deux peuples, les armes à la main, et sans profit pour aucun. L’année 1690 et la rupture avec la Savoie marquent un dernier tournant dans l’histoire diplomatique et militaire du règne de Louis XIV. À la politique judicieuse et nationale qui étend peu à peu la France vers les Flandres et vers le Rhin, c’est-à-dire vers ses limites naturelles, succède la politique intempérante et personnelle qui sacrifiera les avantages positifs aux rêves de grandeur, la réalité à la chimère, et soulèvera en même temps contre la France la haine de l’Europe, — politique qui a toujours été funeste à notre pays, qu’elle ait eu pour chefs et pour inspirateurs Louis XIV ou Napoléon. Nous avons assez mis la faute en lumière ; voyons maintenant comment Louis XIV, du moins, essaiera de la réparer.


III

La faute était si visible, qu’aux yeux des contemporains elle apparut clairement. Ne parlons pas de Saint-Simon, toujours disposé à charger Louvois. Mais consultons un curieux document, non signé, qui existe aux Affaires étrangères, et qui a pour titre : Réflexions sur la rupture de Savoie, avec ces mots ajoutés d’une autre main : et sur la mauvaise politique de M. de Louvois[14]. « De quelque opinion qu’on soit prévenu pour lui (Louvois), dit l’auteur de cette note, on ne s’abusera point en disant que la rupture de Savoie vient de son imprudence, et les ennuis qu’elle fera naître décrieront sa mémoire. » Il continue en se faisant l’écho d’une rumeur qui avait dû courir Turin, au moment de la déclaration de guerre. Ce serait une lettre blessante de Louvois au duc de Savoie, lue en plein conseil, qui aurait déterminé la rupture. Après avoir entendu cette lettre, a le duc de Savoie se leva brusquement, et dit ces mots que le vif ressentiment arracha de son cœur : « C’en est trop. Il faut périr ou se venger. » Il fit entrer l’envoyé du prince d’Orange, prit le traité et le signa. »

Quoi qu’il en soit de l’anecdote, qui paraît un peu suspecte, cette note n’en traduit pas moins fidèlement l’opinion de ceux qui voyaient dans Louvois le principal auteur de la guerre, et partant le principal obstacle à la paix. La meilleure preuve qu’ils avaient raison, c’est que les négociations en vue d’un arrangement pacifique recommencèrent aussitôt après sa mort. Le duc de Savoie avait trop souffert des débuts de la guerre pour ne pas désirer un accommodement. La perte de la bataille de Staffarde, l’envahissement d’une partie de ses Etats, lui avaient fait sentir à quel rude adversaire il avait affaire, et pour lui venir en aide il ne pouvait guère compter sur ses nouveaux alliés, qui, sur d’autres champs de bataille, n’avaient pas été plus heureux. On se montrait à Turin une caricature où l’on voyait l’Empereur et le roi d’Espagne, en chemise, regardant piteusement leurs bardes foulées sous les pieds de Louis XIV. Celui-ci cependant était en train de dépouiller le duc de Savoie, qui s’écriait, en s’efforçant de retenir sa chemise : « Empêchez donc qu’il ne me l’ôte. » À quoi les deux autres répondaient : « Patience, nous vous la ferons rendre, quand nous aurons repris nos habits. »

C’était bien sa chemise que Victor-Amédée avait perdue en perdant la Savoie, et il avait raison de ne pas compter beaucoup sur ses alliés pour la lui faire rendre. Aussi n’est-il pas étonnant que les dispositions pacifiques prédominassent à Turin. Ce qui a lieu de surprendre davantage, c’est qu’on fût dans les mêmes sentimens à Versailles. Mais Louvois étant mort, Croissy, qui ne s’était jamais montré partisan de la rupture, avait repris l’entier gouvernement des affaires extérieures, et Barbezieux, le successeur de Louvois à la guerre, n’était pas de taille à le lui disputer. Aussi Louis XIV envoyait-il, le 27 décembre 1691, à Pignerol, en lui donnant les pouvoirs secrets les plus étendus, le marquis de Chamlay qui, pour les choses militaires, avait en partie remplacé Louvois dans sa confiance. Mais, à en juger par les quelques lettres de lui qui sont aux Affaires étrangères et à Turin, Chamlay apportait encore un peu trop dans cette négociation les procédés hautains de Louvois, à l’école duquel il avait été formé. Aussi, se voyait-il obligé d’écrire à Croissy après deux mois de pourparlers : « Je ne crois pas qu’il y ait présentement rien à faire avec M. de Savoye[15]. » Peu de jours après il quittait Pignerol. Pour réussir dans cette délicate entreprise, il fallait un diplomate plus habile et plus souple, que nous allons voir entrer en scène.

L’histoire a ses caprices, comme la mode : elle met certaines figures en lumière ; elle en laisse d’autres dans l’ombre, sans que l’importance du rôle joué ou des services rendus suffise toujours à expliquer des traitemens si divers. Mais, comme la mode aussi, elle a ses retours. Elle va chercher dans l’oubli où ils languissent certains personnages qu’elle avait mis de côté : elle essuie la poussière qui avait recouvert leur figure ; elle leur redonne un nouvel éclat, et dans sa tardive justice, elle leur paye un tribut d’hommages que parfois, même de leur vivant, ils n’avaient pas connus. Pareille fortune est arrivée à René Mans de Froulay, comte de Tessé. Il y a quelques années, ceux-là seuls connaissaient son nom qui étaient familiers avec le XVIIe siècle. Encore le tenaient-ils, sur la foi de Saint-Simon, pour un homme de guerre assez médiocre, et pour un homme de cour assez plat. Ceux-là, plus rares encore, qui avaient eu la curiosité de lire ses soi-disant Mémoires, rédigés en réalité par le général de Grimoard, d’après les papiers laissés par lui, n’en avaient pas conçu une opinion très différente. Il faut en revenir ; mais ce n’est ni l’homme de guerre, ni même l’homme de cour qui a droit à meilleure justice. C’est le négociateur, et surtout l’épistolaire. A plusieurs reprises, Tessé fut activement mêlé, et d’une façon heureuse, à des négociations importantes. De plus, il écrivait beaucoup, et des lettres charmantes. On le sait aujourd’hui qu’il a eu l’heureuse chance de trouver un éditeur intelligent et dévoué en la personne de M. le comte de Rambuteau, qui a tiré de sa volumineuse correspondance un livre des plus brillans et des plus agréables[16]. C’est à cette publication qu’il doit le regain de sa renommée et la révision de Tin-juste, ou plutôt, des injustes portraits (car il n’y en a pas moins de trois) qu’a tracés de lui Saint-Simon[17]. À l’en croire en effet, Tessé n’eût été qu’un pur intrigant. C’était « un Manceau digne de son pays, fin, adroit, ingrat à merveille, fourbe et ambitieux. » Force lui est bien de reconnaître qu’il était « un homme fort bien et fort noblement fait, doux, poli, obligeant, d’un esprit raconteur et quelquefois point mal. » Mais il s’empresse d’ajouter « qu’il était au-dessous du médiocre, si on excepte le genre courtisan et tous les replis qui servent à la fortune, pour laquelle il sacrifia tout… Il était ignorant à la guerre, qu’il n’avait jamais faite, ne dut son avancement qu’à la faveur des puissans valets et au hasard d’avoir été partout et de s’être toujours trouvé à côté des actions et de presque tous les sièges… Il poussa la fortune jusqu’à la singularité d’être devenu maréchal de France sans avoir essuyé un coup de mousquet. » Voilà comme, à diverses reprises, en parle Saint-Simon. Or on ne risquerait rien à prendre, sur certains points, tout juste le contre-pied de ses assertions.

Loin qu’il n’ait jamais fait la guerre, Tessé la fit au contraire un peu partout, en Flandre, en Italie, en Espagne. Loin qu’il n’ait jamais reçu un coup de mousquet, il fut blessé deux fois, entre autres au siège de Veillane « par un éclat de grenade gros comme un œuf de poule, qui, écrivait-il avec bonne humeur à Louvois, m’a pris par le plus charnu de ma plantureuse f… et, las de cheminer parmi tant de chair, s’est arrêté à l’extrémité de l’os de la hanche, auquel obligeamment il a laissé le périoste qu’il a seulement découvert[18]. » Il était donc sinon grand général, du moins homme de cœur et bon militaire, car il soutint avec honneur un bombardement à Pignerol et un blocus à Mantoue. Cependant, la réparation à laquelle il a droit ne doit pas conduire jusqu’à tenir pour fidèle ce portrait qu’il traçait de lui-même[19] : « Je suis un bon gentilhomme qui n’entend de finesse en rien, et qui essaye d’aller rondement en toutes choses. » Bon gentilhomme, sans doute, car sa famille, sans être des plus grandes, était une des meilleures du Maine ; mais n’entendant finesse en rien, non pas, car sa rondeur apparente cachait au contraire un esprit des plus déliés, et c’est comme négociateur qu’il a surtout brillé. À lui revient incontestablement l’honneur (et nous allons tout à l’heure le voir à l’œuvre) d’avoir détaché Victor-Amédée de la ligue d’Augsbourg, et préparé ainsi la paix de Ryswick. Si nous pouvions le suivre dans sa longue carrière, nous le retrouverions, à quelques années de là, en Italie ou en Espagne, informateur utile et donneur d’excellens conseils. Comme Catinat, il fut à la fois militaire et diplomate ; très inférieur à Câlinât comme militaire, très supérieur comme diplomate, et aussi comme écrivain, car dans un temps où presque tout le monde écrivait bien, il est un des plus rarement doués pour la vivacité de l’expression, la clarté de la pensée, le naturel et le piquant du tour.

D’où vient donc que le rôle joué par lui est demeuré, de son vivant, si généralement inconnu, et que l’histoire ne l’a point porté au rang qui lui est dû ? C’est qu’il appartient à cette race d’hommes, très nombreuse sous l’ancien régime, qui savaient servir et bien servir, sans demander la récompense de leurs services à la renommée. Qui servaient-ils ? Le Roi, sans doute, dont la personne leur inspirait un culte peut-être excessif, mais non pas seulement le Roi ; ils servaient aussi l’Etat, c’est-à-dire une sorte d’idée abstraite qui représentait à leurs yeux tout à la fois l’autorité, la tradition et l’intérêt du pays ; idée qu’ils savaient parfaitement distinguer de la personne du Roi (la preuve en est que Bossuet faisait à la sœur Cornuau une obligation de conscience de prier tous les soirs pour l’Etat, après avoir prié pour le Roi), mais qui, dans une certaine mesure, se confondait aussi avec elle ; et cette confusion même était une force, car les idées abstraites gagnent singulièrement en puissance, lorsqu’elles se peuvent incarner dans un être de chair. Ces hommes-là ne servaient pas seulement avec fidélité, mais avec abnégation. Un ordre leur suffisait. « Je partis par obéissance pour l’Espagne le 10 octobre 1704 », dit Tessé à la première ligne de son journal de voyage ; et un ordre leur suffisait, en effet, pour sacrifier leurs commodités personnelles, pour compromettre leur santé et leur fortune, parfois pour jouer obscurément leur vie.

Il ne faudrait pas aller jusqu’à les prendre pour des modèles de désintéressement et de modestie. Ils n’ignoraient assurément pas l’art de se faire valoir, et de demander à propos la récompense de leurs services. Tessé, en particulier, ne néglige rien pour y parvenir, et, dans sa correspondance, on le voit demander ou remercier sans cesse (car les rois ne sont pas toujours aussi ingrats qu’on le prétend) tantôt pour lui, tantôt pour son frère, tantôt pour son gendre, tantôt pour sa sœur. Mais quand leurs services silencieux n’avaient point obtenu la récompense à laquelle ils croyaient avoir droit, leur mauvaise humeur ne s’exhalait point en récriminations publiques et en indiscrétions. Ils boudaient tout au plus, mais ils étaient toujours prêts à repartir « par obéissance » quand ils en recevraient l’ordre. Et puis, pour la plupart, ils Unissaient bien. Après une longue vie passée dans les affaires, dans les ambitions, parfois dans les intrigues, ils savaient se retirer et se recueillir à temps, lorsqu’ils sentaient les approches de la vieillesse. Si un Colbert, accablé par le mal, regrettait tout haut d’avoir sacrifié au Roi le soin de son salut ; si un Louvois, brûlé par la fièvre, mourait en plein travail, d’autres se préoccupaient au contraire, suivant la belle expression d’alors, « de mettre un intervalle entre la vie et la mort », comme ce Claude Le Pelletier, ministre d’État, contrôleur général, qui, à l’âge de soixante-six ans, en pleine santé de corps et d’esprit, prenait un jour congé du Roi, à la fin du Conseil, et se faisait directement conduire, par son carrosse, en sa maison de Villeneuve-le-Roi, où il tenait jusqu’à la fin une exacte retraite ; comme ce Pontchartrain, qui passait directement de la chancellerie d’État à l’Oratoire ; comme Tessé lui-même, qui, à l’âge de soixante-huit ans, achetait une petite maison au monastère des Camaldules, près de Grosbois, et partageait son temps entre cette modeste retraite et un appartement dans l’enclos de l’hôpital des Incurables. Il en sortait bien, sur l’ordre de Louis XV, pour accomplir une dernière mission en Espagne, mais il avait hâte de solliciter la permission d’y revenir, et il y mourait, peu de temps après, en chrétien, n’en déplaise à Saint-Simon, qui ne craint pas de dire, sans aucune preuve : « Sa fin a été subite de rage et de désespoir : son cœur fut trouvé fendu ! » Que ces gens-là servissent le Roi et l’État, ou, comme nous dirions aujourd’hui, en termes un peu plus pompeux, la France et la patrie, peu importe ! ils servaient bien, et la France, la patrie, ont perdu en eux des instrumens utiles dont il serait injuste de dire que l’espèce a disparu, car on en pourrait découvrir encore quelques types, parmi les fonctionnaires de rang modeste qui ont échappé aux caprices de la politique mais dont les échantillons se font de plus en plus rares. Ich dien, je sers, disait une vieille devise, dévolue aujourd’hui, à l’héritier d’une des plus solides monarchies de l’Europe. Prince, noble ou bourgeois, n’est-ce pas une devise dont chacun a le droit de s’enorgueillir, lorsqu’il a consumé au service du pays une vie tout entière de labeur et de dévouement ?

Ce fut au mois de novembre 1691 que Tessé vint s’établir à Pignerol, en qualité de « commandant pour le service du Roy dans les places et frontières du Piémont. » Soit qu’il eût reçu sur ce point quelques instructions particulières, soit qu’il obéît à son naturel empressé, une de ses préoccupations principales semble avoir été d’établir les relations sur un pied de courtoisie. Dès les premiers jours qui suivirent son arrivée, il écrivait au marquis de Saint-Thomas, secrétaire d’État et principal conseiller de Victor-Amédée : « Je dois vous assurer que la respectueuse inclination que j’ai toujours eue pour Son Altesse Royale et la considération particulière qui se doit à votre mérite me portent à faire agréablement tout ce qui dépend de mes soins et qui ne sera point contraire à la fidélité de mon ministère pour plaire à sa ditte Altesse Royale[20]. » À ce rôle de conciliateur Tessé était apte autant qu’homme du monde, car il avait de la bonne grâce et de l’obligeance, et il faut avouer que les usages de la guerre, tels qu’on les entendait alors, singulier mélange de cruauté et de courtoisie, lui facilitaient les choses. Durant les cinq années que dura son commandement en Italie, on ne le voit négliger aucune occasion de se rendre personnellement agréable soit à Victor-Amédée, soit à ses ministres. C’est ainsi qu’en 1693, Victor-Amédée ayant été dangereusement malade, Tessé écrivait à Saint-Thomas : « Nous avons tous icy une extresme joie du meilleur estat de la santé de Son Altesse Royale. Je n’ay jamais osé prendre la liberté de vous offrir les plus excellens médecins de France que, d’un bout à l’autre du royaume, le Roy se seroit fait un plaisir d’envoyer auprès de lui, plus salutaires assurément pour la maison royale de Savoie que toutes les ordonnances de la maison d’Autriche[21]. » Saint-Thomas lui-même ayant été malade, Tessé lui propose des passeports pour aller prendre les eaux en France, ou bien il offre de lui faire venir celles qu’il choisira. C’est également avec le plus grand empressement qu’il lui fait tenir les laissez-passer nécessaires pour un corps saint que la duchesse Anne de Savoie désirait adresser au monastère du Val-de-Grâce. Tessé étend encore plus loin ses attentions délicates. « Je vais, écrit-il à Saint-Thomas, vous parler comme à un confesseur[22]. » Le marquis de Legañez, qui commandait à Milan, lui a envoyé un cheval d’Espagne, « pour le petit plaisir qu’il lui avait fait en lui renvoyant un de ses gens qui était tombé dans un des partis français. » Tessé ne veut pas demeurer en reste, et désire à son tour envoyer à Legañez une pendule, faite par les meilleurs ouvriers de France que le Roi a bien voulu lui prêter pour cette bagatelle. Il demande à Saint-Thomas que cette pendule soit rendue à Milan par un porteur, avec tout le soin imaginable. Parfois même il s’adresse à Saint-Thomas pour des choses plus personnelles. C’est ainsi qu’il se plaint, tout en s’excusant de la liberté, que cent aunes de velours cramoisi, commandées pour lui par un des gens de Saint-Thomas, soient si mauvaises qu’il n’en recevra plus de pareil. Mais ces échanges de procédés courtois ne l’empêchaient pas de réclamer, avec beaucoup de vivacité, à propos de quelque infraction faite au cartel d’échange des prisonniers, ou de la mauvaise réception faite à un tambour qui était venu, en vertu de ce cartel, réclamer le comte de Coconas. Plutôt que d’appuyer ses réclamations sur le droit des gens et les usages de la guerre, il préférait cependant leur donner un tour personnel et original. C’est ainsi qu’à l’époque du blocus qu’eut à subir Pignerol (août 1693), il demandait à conserver la liberté de sa correspondance avec la France, et il ajoutait : « Si c’estoit moi seul qui eust une maîtresse en France, je n’oserois peut estre témoigner l’empressement d’avoir de ses lettres, mais j’ai affaire icy à plus d’un amoureux. Ils attendent la décision de Son Altesse Royale que je vous supplie de vouloir bien assurer de tous mes respects[23]. » Le duc de Savoie se refusait à cet arrangement. Tessé était bien obligé d’en prendre son parti, mais il ne pouvait s’empêcher d’écrire avec humeur à Saint-Thomas : « Vous savez mieux qu’un autre que depuis que j’ai l’honneur d’avoir commerce avec vous, j’ai eu lieu d’accoustumer mon cœur aux surprises et aux tribulations. »

Ce commerce auquel Tessé fait allusion, et qui devait lui occasionner en effet plus d’une tribulation, était la négociation secrète dont il ne tarda pas à se trouver chargé, et où il devait apporter plus de souplesse que Chamlay. Pendant quatre ans, de 1692 à 1696, cette négociation se poursuivit par hoquets, comme disait l’un des correspondais de Tessé, avec des intercadences qui la firent plus d’une fois rompre et reprendre, sans que pour cela les hostilités fussent suspendues. En même temps qu’avec une bravoure, et même une témérité héréditaires dans sa race, Victor-Amédée combattait à la tête des Impériaux, il se préparait à les trahir, et il entretenait avec Louis XIV un commerce dont le prince d’Orange n’était pas sans se douter, mais dont il ne put jamais acquérir la preuve. L’intermédiaire habituel de ce commerce était un certain Groppel (ou Gruppel), qui est qualifié de bailli de Veillane et d’auditeur de guerre de Son Altesse Royale. Le métier que faisait Groppel n’était pas sans fatigues ni périls. Il se présentait dès l’aube aux portes de Pignerol, en habit de paysan, ayant marché à pied toute la nuit pour échapper aux partis, tant allemands que français, qui battaient la campagne. Aussi arrivait-il généralement exténué, et la première chose qu’il faisait, c’était de demander à manger et à dormir. Tessé l’enfermait alors sous clef, car il fallait que sa présence à Pignerol demeurât inconnue, et il s’empressait d’informer tantôt Croissy, tantôt le Roi lui-même, de l’arrivée de celui qu’il appelait son petit homme ou son petit négociateur. Il le gardait quelques jours à Pignerol, discutait pied à pied avec lui les conditions d’un accommodement possible avec le duc de Savoie, et le laissait ensuite repartir comme il était venu, non sans railleries terreurs auxquelles le pauvre bailli était en proie. « Je ne saurais assez exprimer la frayeur naturelle et sans affectation qui lui prist en nous quittant, sur la fantaisie qu’il eust que Ruvigny auroit peut estre eu quelque vent de son absence, me répettant avec des mouvemens de peur incroyable que si cella a pu estre, le dit Ruvigny estoit homme à le faire assassiner pour avoir ses papiers[24]. »

En habile négociateur, Tessé dès le début ne négligeait rien de ce qui pouvait aider au succès de l’affaire : « Je ne dois pas oublier, écrivait-il, que j’ai promis à l’oreille de Groppel 30 000 écus une fois payés et 4 000 écus de pension pour le marquis de Saint-Thomas, comme aussi 4 000 écus pour Groppel une fois payés et 2 000 écus de pension. Je puis assurer Sa Majesté que la proposition de cette grâce du Roi a esté placée en sorte que je n’ay rien sur cella à désirer ni pour la manière, ni pour la sorte dont il m’a paru qu’elle était reçue[25]. »

Ce serait tout à fait sortir de notre sujet que de raconter les interminables péripéties de cette négociation, dont les pièces, éparses tant à Paris qu’à Turin, pourraient former plusieurs volumes. Nous ne voulons mettre en lumière que les incidens qui ont trait au mariage de la duchesse de Bourgogne. Durant ce long échange de communications entre Versailles et Turin, on ne sait ce qu’on doit le plus admirer de l’audace et de l’habileté de Victor-Amédée, ou de la modération et de la patience de Louis XIV, depuis qu’il avait échappé à l’influence de Louvois. C’était lui qui était le vainqueur. Depuis l’origine de la guerre, il n’avait pas subi un seul revers, tandis que Victor-Amédée avait été outrageusement battu. Son armée occupait la moitié des États de son adversaire, et campait aux portes de Turin. Néanmoins il semble que ce soit Victor-Amédée qui lui fasse la loi. Rien que l’habile Savoyard proteste dans les termes les plus humbles de son désir « de rentrer dans l’honneur des bonnes grâces du roi », en réalité, c’est lui qui pose les conditions. Il veut affranchir le Piémont, en arrachant Casal à la France, et en recouvrant Pignerol. C’est le but légitime qu’il s’est proposé en entrant dans cette guerre, jusqu’à présent néfaste pour lui, et pour l’atteindre, il joue avec habileté de la situation que les événemens lui ont faite.

Guillaume d’Orange est l’âme de la coalition ; il souffle aux puissances qui la composent sa haine de la France. Mais c’est Victor-Amédée qui en est le nœud. C’est lui qui relie d’un côté l’Autriche à l’Espagne, de l’autre Guillaume d’Orange à l’empereur Léopold. Ce nœud défait, la coalition se dissoudra d’elle-même. Il le sait bien. Louis XIV le sait aussi. De là la hardiesse singulière avec laquelle Victor-Amédée, vaincu, n’en demande pas moins pour prix de sa défection, non seulement que ses États soient purement et simplement évacués, et que la France ne garde rien de ses conquêtes, mais qu’une indemnité de guerre lui soit payée, et que Pignerol lui soit rendu, démantelé. Moyennant cela, il sortira de la Ligue et s’emploiera auprès de l’Empereur et du Roi Catholique pour amener la paix générale. Si ses anciens alliés s’y refusent, il se rangera ouvertement du côté du Roi très Chrétien. De là aussi la patience avec laquelle Louis XIV écoute et discute ces propositions exorbitantes. Il consent à ne rien garder de ses conquêtes, pas même ce comté de Nice dont il s’est emparé, et qu’il soutient, en invoquant des argumens juridiques, n’être qu’une dépendance de l’ancien comté de Provence. Il consent même, non sans répugnance, à rendre cette place de Pignerol que Richelieu jugeait indispensable à la France. En retour de ces concessions, il ne demande qu’une chose : des garanties contre la mauvaise foi du duc de Savoie.

Quand il aura restitué toutes ses conquêtes, rappelé ses troupes et rendu Pignerol, qui lui répond que ce prince s’emploiera, comme il le promet, à la paix générale, et s’il y échoue, qui lui répond que, la guerre continuant, il pourra compter sur son alliance ? Aussi est-ce sur la question des garanties réclamées par Louis XIV, en exécution des promesses du duc de Savoie, que, pendant trois ans, roulera uniquement la négociation. Louis XIV voudrait conserver provisoirement certaines places, ou tout au moins les remettre entre les mains des Suisses, des Vénitiens, ou du Pape qui en demeureraient séquestres jusqu’à la paix générale. Victor-Amédée en propose d’autres. A peine celles-ci sont-elles acceptées, — car Louis XIV va de concessions en concessions, avec une modération toute nouvelle chez lui, — que Victor-Amédée soulève quelques difficultés et revient sur ses engagemens. Tessé s’indigne de ces variations perpétuelles, et compare le duc de Savoie tantôt « à un malade capricieux et subtil », tantôt à un baladin qui, devant un public de foire, fait passer un objet d’un gobelet dans un autre : « Cinq sous qu’il est dedans ! cinq sous qu’il est dehors ! » Mais si des places de guerre peuvent difficilement passer, comme une muscade, d’un gobelet à un autre, il n’en était pas tout à fait de même d’une garantie d’une autre nature que Victor-Amédée offrait en même temps, comme nous allons le voir, de deux côtés à la fois, et qui n’était rien moins que sa propre fille.

C’était un usage assez fréquent de l’ancien droit des gens, dans les cas où quelque engagement conditionnel était pris par un traité ou une convention, que des otages fussent constitués pour répondre de l’accomplissement de la condition. En principe les otages répondaient sur leur vie. En fait, et par suite de radoucissement relatif des mœurs, il n’y avait guère en jeu que leur liberté, pourvu toutefois que ce fussent des otages de qualité, car pour les autres on n’y regardait pas toujours de très près[26]. Ce n’en était pas moins une proposition assez singulière que faisait le duc de Savoie, lorsque dès le début de la négociation, il proposait d’envoyer en France une de ses filles comme otage de sa parole, en même temps que le fils aîné du prince de Carignan, alors l’héritier présomptif de la couronne. La princesse ainsi proposée ne pourrait-elle pas tenir lieu des places qu’on lui demandait en garantie ? L’offre était au début assez vague, et, dans les instructions données à Groppel, il lui était même recommandé formellement de laisser dans le doute laquelle de ses deux filles Victor-Amédée offrait ainsi. Cependant, au cours des communications qui s’échangeaient, par lettres chiffrées, entre Pignerol et Turin, la proposition prenait corps et se précisait. C’était de l’aînée des deux princesses qu’il s’agissait. Elle n’avait pas huit ans, étant née le 6 décembre 1685. Aussi la proposition paraissait-elle peu sérieuse à Versailles. « Je balancerais, dit une note de Croissy[27], sur la demande d’envoyer en France, comme otage de sa parole, la princesse sa fille, et le fils du prince de Carignan. Ces sortes de conditions sont plutôt une marque offensante de la mauvaise opinion de la parole de ceux auxquels on la demande qu’une sécurité pour la faire tenir. On sait que des enfans de cet âge ne courront point de fortune, quoi que puisse faire M. le duc de Savoye, et l’on ne croira pas de l’humeur qu’il est, crue la tendresse et le plaisir de la revoir fussent bien capables d’arrêter ou de suspendre les résolutions qu’il aurait prises. »

Le projet d’envoyer, en même temps que la princesse Adélaïde, le fils du prince de Carignan échouait devant l’opposition formelle de ses parens, qui ne pouvaient se résoudre à se séparer d’un enfant en bas âge. Mais la tendresse paternelle n’était pas pour arrêter beaucoup le duc de Savoie, qui avait ses visées. « Le sieur Groppel avait insinué, dit une note postérieure[28], l’extrême désir qu’avait M. le duc de Savoye que Mademoiselle sa fille estant en France, y puisse estre élevée dans l’espérance du mariage de Mgr le duc de Bourgogne. M. de Tessé avait déjà le pouvoir de lui faire espérer cet honneur, et S. M. lui a donné ordre de le confirmer. »

Ainsi encouragé, Tessé donnait suite à l’affaire, et les négociations entre Groppel et lui étaient poussées assez loin pour qu’à la date du 3 mai 1693, Groppel lui communiquât un projet de traité dont il ne voulait pas à la vérité lui laisser prendre copie, mais dont, à force de lui faire répéter les termes, Tessé pouvait transmettre à peu près mot pour mot la teneur à Versailles. Ce projet est écrit sur deux colonnes[29], les réponses de Tessé étant en regard des propositions de Groppel. L’article 3 des propositions de Groppel était ainsi conçu : « Que le mariage de Mgr le duc de Bourgogne avec Mademoiselle la princesse de Savoye se traittera incessamment, pour s’effectuer lorsque les futurs seront en âge, et que le contrat se fera présentement. » À cette proposition Tessé répondait : « J’aurai l’honneur de traitter au nom du Roi et de Monseigneur du mariage de Mgr le duc de Bourgogne avec Mademoiselle la princesse de Savoye, dont le contrat sera signé et conclu en même temps que le présent traitté, pour en estre la consommation remise au temps que l’âge le permettra. » Mais avant que cet accord ne fût réalisé, l’affaire devait encore passer par bien des péripéties, et la négociation se trouver suspendue par une vigoureuse reprise d’hostilités. C’était sans doute pour mieux cachera ses alliés le jeu qu’il jouait vis-à-vis de la France que Victor-Amédée venait mettre le siège devant Pignerol, où il ne jetait pas moins de 4 000 bombes (août 1693). Mal lui en prenait, au reste, car Catinat s’avançait pour secourir Pignerol, et le forçait à livrer la bataille de la Marsaille qui fut pour lui une sanglante défaite (4 octobre 1693). Il est même surprenant qu’un mois après cette défaite Victor-Amédée ait, en grand secret, envoyé de nouveau Groppel à Pignerol pour reprendre la négociation au point où elle en était restée, sans rien rabattre des conditions qu’il posait pour se détacher de la Ligue, et que Louis XIV, au lendemain de cette nouvelle victoire, ne se soit pas montré plus exigeant. Pour avancer les choses, le duc de Savoie exprimait le désir de voir Tessé venir en personne à Turin. Pareille manière de négocier convenait tout à fait au caractère aventureux de notre homme, beaucoup moins timoré que le bailli Groppel, et il n’eut garde de refuser.

Le 30 novembre au soir, Tessé s’avançait donc jusqu’à une certaine distance de Turin[30]. Là, il trouvait un trompette qui lui apportait une casaque à la livrée du duc de Savoie. Tessé s’affublait de cette casaque, ainsi que d’une perruque noire, et sous ce déguisement, il arrivait à onze heures et demie du soir à la porte de secours du palais de Turin, où il était introduit et logé dans un appartement magnifique. Il y passait quatre jours dans le plus grand secret, et ces quatre jours étaient dépensés tout entiers en conversations avec le duc de Savoie lui-même. Revenant sur les causes de sa rupture avec la France, ce prince ne laissa pas de tenir à Tessé un langage assez fier : « Je me flatte, lui dit-il, que le Roi me rendra la justice dans le fond de son cœur de croire que je ne me suis lié avec ses ennemis que pour ne pas tomber dans le mépris et la dépendance dont j’étais menacé, et bien que ce fut par lui, il est trop juste pour ne pas s’être aperçu que, si j’ai eu le malheur de perdre son amitié et sa protection, j’eusse été beaucoup plus à plaindre si j’eusse perdu son estime. Je ne suis à son égard qu’un tout petit prince, mais le caractère des souverains, quelque opprimés qu’ils soient, est indélébile. J’ai toujours respecté le Roi, mais j’ai cru devoir lui faire connaître que je ne le craignais pas[31]. »

Avec force protestations de son désir « de l’honneur de rentrer dans les bonnes grâces du roi », il tenait bon cependant sur les conditions auxquelles il était prêt à se détacher de la Ligue : évacuation de ses États envahis, restitution de Pignerol, envoi de sa fille en France comme otage, mais avec l’espérance qu’elle deviendrait un jour l’épouse du duc de Bourgogne. Ce point était le seul sur lequel il n’y eût point de difficulté. Victor-Amédée ne négligeait rien cependant de ce qui pouvait servir à assurer l’affaire. « Un des jours qu’il estoit avec le comte de Tessé, il voulut lui faire voir les princesses ses filles, et les ayant appelées de la chambre voisine où elles étoient, il leur parla quelque temps et luy en donna assez pour les voir[32]. » Les choses paraissaient à peu près conclues, et le duc de Savoie frappant dans la main de Tessé « jurait sa foy et parolle d’homme d’honneur et de prince et que s’il y manquoit il vouloit passer pour un fripon et un chien[33]. »

Restait à obtenir l’agrément du Roi. Il demeurait convenu qu’aussitôt que Tessé, qui devait se rendre à Versailles, lui aurait fait savoir les dispositions favorables de Sa Majesté, Victor-Amédée dépêcherait, de son côté, à Vienne l’abbé Grimani. « Cet abbé, d’une des premières maisons de Venise, avait eu la principale confiance de ce prince dans tout ce qui s’estoit traité entre luy et l’Empereur, et par-là il le croioit plus propre à y faire reconnoître la nécessité où il se trouvoit de traiter avec la France[34]. »

C’est ainsi que Victor-Amédée colorait aux yeux de Tessé la mission qu’il allait confier à l’abbé Grimani. En réalité, cette mission, dont le fait même a bien été connu des contemporains mais dont le véritable caractère leur a en partie échappé, avait, comme nous Talions voir, un tout autre but. Lorsque, avant de conclure un traité avec la France, Victor-Amédée dépêchait un envoyé à Vienne, il se souvenait de cette parole d’un de ses ancêtres « que la casaque des ducs de Savoie a deux envers. » C’était une vieille tradition de sa maison, placée qu’elle était entre l’Allemagne et la France, de faire affaire avec le plus offrant et dernier enchérisseur. Les petits États aux prises avec de plus grands qu’eux en sont souvent réduits à cette politique, et la maison de Savoie n’a pas fait, à tout prendre, autre chose que la pratiquer avec plus de persistance, et généralement avec plus de bonheur qu’une autre.


IV

Le nouveau négociateur, qui va entrer en scène, était pour Victor-Amédée une relation de jeunesse, moitié compagnon, moitié mentor. C’était à Venise, en 1086, qu’ils avaient fait connaissance, durant certain carnaval fort gai que Victor-Amédée y avait passé, soi-disant à se divertir, en réalité à nouer son premier commerce avec l’Empereur. Voici comment Denina s’exprime sur son compte dans sa Vie de Victor-Amédée[35] : « Ce gentilhomme, né avec beaucoup de talens, instruit par ses études et ses voyages, avait toutes les qualités requises pour entretenir un prince qui cherchait à connaître le monde. » Victor-Amédée avait, depuis cette rencontre à Venise, conservé grande confiance en ce gentilhomme abbé, qui devait mourir cardinal, après une existence assez remplie et agitée. A plusieurs reprises depuis son entrée dans la Ligue, Victor-Amédée s’était servi de lui pour faire parvenir ses griefs à l’Empereur : « Vous avez trop d’esprit et de lumière, lui écrivait-il au mois d’avril 1091, pour ne pas voir le malheureux estat de mes affaires, et le juste accablement où je suis de voir que non seulement on ne peut pas me secourir comme il seroit nécessaire, mais qu’on ne veut pas faire du moins ce qu’on pourroit, si on le vouloit tout de bon[36]… »

Rien n’était donc plus naturel que le choix de ce négociateur, mais la mission dont il était chargé était loin d’avoir le caractère que, vis-à-vis de Tessé, Victor-Amédée s’était efforcé de lui donner. Cela résulte avec la dernière évidence des nombreuses et verbeuses dépêches que, durant toute l’année 1694 et les premiers mois de 1695, Grimani adressait de Vienne à Victor-Amédée[37]. La mission de Grimani avait un double but : obtenir que de nouveaux renforts fussent envoyés en Italie, à la tête desquels serait placé le prince Eugène ; mais surtout proposer pour le fils de l’Empereur, le roi des Romains, un mariage avec cette même princesse Adélaïde de Savoie dont Tessé avait été chargé de proposer la main au duc de Bourgogne. Cette seconde partie de sa mission était, aux yeux de Grimani, beaucoup plus importante que la première, et c’était sur les avantages de cette alliance qu’il s’étendait dans une audience qu’il obtenait de l’Empereur au mois de janvier 1694, et dans un long mémoire qu’il lui remettait. Au cours de cette audience et de ce mémoire, Grimani ne manquait pas de faire valoir l’attachement personnel de Victor-Amédée pour l’Empereur et son dévouement à la maison d’Autriche, la fidélité qu’il avait jusqu’à présent gardée à la Ligue et qui lui avait coûté si cher, l’importance dont était pour la cause générale le maintien de la Savoie dans l’alliance puisqu’elle barrait à la France le chemin du Milanais, enfin l’avantage qu’il y aurait pour elle à écouter les propositions de paix séparée que la France lui faisait déjà. Le moyen le plus sûr de la retenir dans l’alliance n’était-il pas un mariage qui unirait plus étroitement les intérêts des deux maisons ? Si l’Empereur repoussait cette offre, et si, la guerre continuant, la fortune des armes se prononçait en faveur de la France, Louis XIV pourrait bien entraîner la Savoie dans son alliance, et demander à son tour la main de la princesse Adélaïde pour son petit-fils. Quelle raison aurait Victor-Amédée pour repousser une offre aussi avantageuse, et, s’il s’y refusait, Louis XIV n’aurait-il pas le moyen de l’y contraindre ?

Enfin, pour achever de porter la conviction dans l’esprit de l’Empereur, Grimani faisait valoir la convenance d’un mariage avec une princesse catholique, parente au degré successible de la reine d’Angleterre[38], mariage auquel le roi d’Espagne se montrait favorable. Sans doute la jeune princesse n’était pas nubile, mais le roi des Romains n’était pas non plus en âge de contracter mariage. Quand la princesse aurait quatorze ans, le prince en aurait dix-neuf. Les âges se convenaient donc parfaitement, et jusqu’au mariage Victor-Amédée était prêt à envoyer sa fille à Innspruck pour y être élevée sous les yeux de l’Impératrice. Quant à la dot, sans doute, on voudrait bien dispenser Victor-Amédée de l’acquitter, en considération des lourdes charges que la guerre lui avait imposées, et de l’indemnité qui lui était due de ce chef. En un mot les propositions que Grimani faisait à l’Empereur de la part de Victor-Amédée étaient identiquement les mêmes que celles que Tessé était chargé, de sa part également, de faire à Louis XIV. Il n’y avait à changer que les noms[39].

À cette ouverture Léopold était loin d’opposer un refus ; mais il demandait à réfléchir, et ces réflexions duraient longtemps, au grand désespoir de Grimani, qui, dans ses lettres, se plaint incessamment des lunghezze di quesla corte. En bon mari, il voulait consulter l’Impératrice, qui était opposée au mariage, en souverain sage le conseil antique dont il invitait Grimani à voir successivement tous les membres, en père consciencieux son confesseur, l’abbé Errera, auquel il le renvoyait également, et partagé entre tant de conseils, il n’était pas possible de tirer de lui une réponse définitive. Chaque fois que Grimani le pressait, c’était quelque objection nouvelle qui surgissait. Moins politique et moins résolu que Louis XIV, Léopold ne pouvait se résignera s’engager pour une époque aussi éloignée. Sans doute la jeune princesse présentait toutes les apparences de la santé. Mais elle n’avait que neuf ans. Avant l’époque fixée pour le mariage, il se ferait un cambiamento in sua costitutione, et qui pouvait garantir qu’après ce changement, la succession au trône serait assurée ? L’abbé avait beau répondre qu’en ce cas, il ne serait pas passé outre au mariage, cette incertitude paraissait au prévoyant souverain une raison suffisante pour ne prendre aucun engagement. Ou bien, il tirait objection de l’âge du roi des Romains. Sans doute le prince n’avait que seize ans ; mais il était déjà di naturale igneo e di gagliarda inclinazione al senso. Une si longue attente lui paraissait insopportabile, et, si on la lui imposait, on craignait qu’il ne contractât qualche viziosa consuetudine[40].

En même temps qu’il opposait à Grimani ces raisons dilatoires, Léopold usait vis-à-vis de Victor-Amédée d’un procédé peu loyal. « Par les voyes souterraines que les souverains se gardent d’ordinaire entre eux pour s’informer mutuellement de ce qui peut concerner le bien de leurs affaires » pour emprunter le langage de Tessé, il informait Louis XIV de la mission que Grimani était venu remplir auprès de lui. A la vérité, il n’en rendait pas compte tout à fait exactement. « L’empereur, écrivait Tessé à Saint-Thomas, n’a pas manqué de faire savoir au Roy, par un chemin que je vous diray, si j’ay jamais l’honneur de vous voir, que l’abbé Grimani n’a agi à sa cour que pour l’engager à envoyer un nombre considérable de trouppes en Piémont, et à procurer de la part de M. le prince d’Orange des remises assés fortes pour pouvoir agir plus offensivement que les années précédentes. » Ainsi Léopold, tout en trahissant Victor-Amédée, trompait en même temps Louis XIV sur le principal objet de la mission de Grimani, ce qui n’empêchait pas Tessé d’ajouter ironiquement : « Je suis bien certain que la noirceur de cet avis, dont j’ai cru qu’il étoit bien à propos que j’eusse l’honneur de vous informer, doit au moins faire faire des réflexions dont, par respect, je ne parle point, et comme je me suis livré par bonne foy sur bien des choses, je ne diray mon meâ culpâ qu’alors que, par ordre de Son Altesse Royale, vous m’annoncerés que j’aurois été la dupe de tout ce qui s’est passé[41]. »

A cette demande directe d’explication, Saint-Thomas, fort embarrassé, répondait, en s’excusant d’employer un style rude et barbare, « que Son Altesse Royale avait été extrêmement agitée entre le désir de donner la dernière main au traitté et la réflexion des accidens et des dangers auxquels elle auroit été exposée, jouant un pareil tour à l’Empereur et au roi d’Espagne qui peuvent avoir si aisément des troupes en Italie. » C’était ce qui avait obligé Son Altesse Royale, après y avoir pensé et repensé cent fois, « à prendre le party de concilier son désir et sa sûreté, en participant à l’Empereur les puissantes raisons qui la convient à songer à une paix particulière, devant que de le faire à son insçeu. » C’est pour cela qu’elle avait dépêché à Vienne l’abbé Grimani, et Saint-Thomas n’y voyait point d’autre mal que la longueur dans laquelle on le traînait. Aussi Son Altesse Royale, n’ayant point de réponse catégorique, avait-elle peu de jours auparavant envoyé un extraordinaire pour presser l’Empereur, « et l’animer à mettre tout en ordre pour conclure et parvenir à son but, sans plus de dilation[42]. »

Il était bien vrai que Victor-Amédée, sentant sans doute son jeu découvert, avait dépêché un courrier extraordinaire à Vienne pour obtenir enfin réponse sur l’affaire du mariage de sa fille avec le roi des Romains. Mais la réponse que le courrier lui apportait était loin de répondre à son désir. C’était une lettre autographe de l’empereur Léopold[43] écrite en italien all’ serenissimo Duca, signore cugino mio amatissimo. « J’ai su beaucoup de gré à Votre Altesse, lui disait-il en substance dans cette lettre, du désir qu’elle m’a fait témoigner par l’abbé Grimani de voir sa fille unie en mariage au roi mon fils. Mais, considérant la jeunesse de ces deux enfans, il ne me paraît pas possible d’en arriver quant à présent à quelque détermination arrêtée. J’espère qu’en son temps la Providence divine voudra bien accorder ces bonnes dispositions de nos âmes, et j’assure Votre Altesse que je tiendrai toujours la susdite princesse en estime particulière. J’ai voulu profiter du retour de l’abbé Grimani pour assurer Votre Altesse de ces sentimens, en même temps que la remercier de son zèle ardent (vivo zelo) pour la cause commune. »

Quel dépit ce refus déguisé fit naître dans l’âme d’un prince orgueilleux comme Victor-Amédée, il est assez aisé de se l’imaginer. Son zèle ardent ne devait pas résister à cette épreuve. Aussi s’empressait-il de reprendre avec la France le cours des négociations qu’il traînait volontairement en longueur depuis un an. Pour y parvenir, il employait un moyen adroit. Impériaux, Espagnols et Savoyards réunis venaient de mettre le siège devant Casai. Cette place importante, que Louis XIV avait cru habile d’acheter au duc de Mantoue, devenait pour lui un embarras, par l’impossibilité où il se trouvait de la secourir. Victor-Amédée s’entremit. Il proposa qu’après un semblant de défense, une chamade fût battue et la place remise, démantelée, non pas à l’Empereur ni au roi d’Espagne, mais au duc de Mantoue, son ancien propriétaire. Tessé fut encore l’intermédiaire de cette négociation singulière, au moyen de laquelle Victor-Amédée obtenait, malgré cinq années de revers ininterrompus, un des principaux résultats qu’il s’était proposés, en entrant dans cette guerre. Mais ce prince avisé ne négligeait pas de rappeler en même temps le souvenir de l’autre affaire, dont la conclusion avait été suspendue par l’envoi de Grimani à Vienne. Le 17 avril 1695, c’est-à-dire quelques jours à peine après que le relus de l’Empereur avait été connu à Turin, Barbezieux écrivait à Tessé : « Le Roy a vu le portrait que le sieur Groppel vous a remis de la fille de M. le duc de Savoye. Sa Majesté a été surprise que l’on vous l’ait envoyé, cela ne paraissant avoir aucun rapport avec l’affaire dont il s’agit »[44]. Toutes les affaires se tenaient dans la pensée du duc de Savoie. Celle de Casal à peine réglée, il en entreprenait deux autres : la conclusion du mariage, et la restitution de Pignerol.

L’affaire du mariage ne souffrait point de difficultés. Dans une nouvelle Disposition d’articles pour la paix d’Italie arrêtée le 18 avril 1696 entre Tessé et Groppel[45], se trouve une clause ainsi conçue : « Le mariage de Monseigneur le duc de Bourgogne avec Madame la Princesse, fille de Son Altesse Royale, se traittera incessamment pour s’effectuer de bonne foy lorsqu’ils seront en âge, et le contrat se fera présentement, ou quand on fera l’échange des ratifications ; après lesquelles la princesse sera remise incessamment entre les mains du Roy, et dans le même moment que l’on restituera à Son Altesse Royale ses places et estats. » Il n’y avait pas davantage de difficulté sur une question à laquelle Victor-Amédée n’était cependant pas indifférent, et qui, pour s’agiter entre princes, et dans un temps assez différent du nôtre, ne laissait pas d’avoir déjà son importance : celle de la dot. Provisoirement, cette question était ainsi réglée : « Son Altesse Royale donnera pour dot à Madame la Princesse sa fille, deux cent mile escus, pour le paiement desquels Son Altesse Royale fera une quittance de cent mile escus deus du reste du mariage de Madame la Duchesse Royalle, avec les intérêts échus et promis, et pour le restant, le Roy le remet en faveur du présent mariage, Son Altesse Royalle s’obligeant d’ailleurs de donner à la princesse sa fille ce que l’on appelle en piémontois, fardel, et en françois, présent de noces, et dans le contrat de mariage sera stipulé le douaire que Sa Majesté accordera, suivant la coustume et usage de France. »

Il n’en était pas de même de la question de Pignerol, qui tenait particulièrement à cœur à Victor-Amédée. « M. le duc de Savoye, dit une note de Croissy, s’est trop expliqué de la peine de voir son pays toujours ouvert par cette place, et du chagrin d’en entendre les tambours de Turin, pour doutter qu’elle n’en fasse toute son ambition. C’est le fruit unique qu’il se propose de cette guerre. Il lui a été promis par les traittés de la Ligue, et s’il ne les peut obtenir par un accommodement avec la France, on ne peut guère doutter qu’il ne hasarde tous les événemens de la guerre pour y parvenir[46]. » C’est, en effet, sur la question de la restitution de Pignerol et sur celle connexe des garanties demandées par Louis XIV en échange de cette restitution, que vont encore rouler pendant plus d’une année ce que Tessé appelle assez irrévérencieusement les chipotteries du duc de Savoie, chipoteries qui donnent lieu de part et d’autre à d’incessantes communications épistolaires. « Vous connaîtrez, écrivait Tessé à Barbezieux, par les papiers ci-joints, comme quoy si nous ne concluons pas des choses importantes, au moins escrivons-nous beaucoup, et comme quoy nous nous escrimons, M. le duc de Savoye et moi, car vous pouvez conter que son homme ne m’escrit pas un mot qui ne soit bien veu, corrigé, relu et examiné par luy-mesme[47]. »

Pour hâter les communications, Victor-Amédée sollicitait Tessé d’envoyer à Turin son secrétaire, un certain Valère, qui lui servait en même temps de copiste, et dans une longue lettre Tessé rend compte à Louis XIV du rapport dudit Valère. Le nom aidant sans doute, il semble qu’on assiste au récit d’une scène de comédie, Victor-Amédée essayant de tous les moyens pour obtenir quelque chose de ce messager subalterne, le tournant et le retournant de cent façons pour lui arracher quelque parole imprudente, tantôt le gracieusant, tantôt feignant la colère pour l’intimider ; Valère se cantonnant au contraire, comme un serviteur bien dressé, dans son rôle secondaire, se défendant d’être autre chose qu’un simple copiste, ne demandant qu’à souper quand on voudrait le faire causer, mais finissant cependant par dire avec fermeté au duc de Savoie qui voulait rouvrir avec lui la discussion sur certains articles : « Je suis ici pour obéir à Votre Altesse Royale, mais elle me permettra de lui dire que tout cela est inutile tandis que vous ne voudrès pas donner au Roy les assurances dont Sa Majesté ne peut se départir. Votre Altesse Royale mesme sçait bien que le Roy de Suède fut tué d’un coup de mousquet. M. de Turenne le fut d’un coup de canon. M. le prince de Condé est mort dans son lit, mais vous, Monseigneur, qui de la manière dont vous vous exposés, pouvès tous les jours avoir le sort des deux premiers, faites réflexion dans quel estat seroient les affaires du Roy si, s’estant dépouillé de tout ce que vous exigés, un successeur qui n’auroit pas pour Sa Majesté les mesmes engagemens de cœur que vous promettez, prenoit d’autres intérêts, tels que ceux dans lesquels Votre Altesse Royale est depuis la guerre. Et pour lors, l’ostage de Mme la princesse ne seroit qu’un faible gage d’une union très incertaine. » Victor-Amédée sourit à ce discours ; mais il prit son parti de laisser repartir Valère, non sans avoir expliqué au trompette qui l’accompagnait « qu’entre mourir et estre pris en le reconduisant à Pinerol c’estoit la mesme chose[48]. »

L’accord finissait cependant par s’établir sur les places que le Roi demandait à conserver en garantie de l’exécution des engagemens pris par le duc de Savoie, et le 29 mai 1696, Tessé et Groppel signaient à Pignerol une convention qui consacrait cet accord. Mais à peine ce dernier était-il rentré à Turin, que, plus mort que vif, il écrivait à Tessé, que son maître l’avait désapprouvé d’avoir accepté certaines modifications relatives aux conditions de la restitution de Pignerol et qu’il refusait de ratifier la convention. Tessé n’était guère moins troublé, car il craignait que cet incident imprévu ne lui fît tort aux yeux de Louis XIV, et ne compromît son renom d’habile négociateur. Aussi cherchait-il par avance à s’excuser : « Quand un prince se veut barbouiller et déshonorer et désavouer ce que son ministre a fait, ce sont choses que toutes les pénétrations du monde, ni les mesures possibles ne peuvent éviter. Votre Majesté me permettra d’ajouter qu’un théatin consommé dans la patience, s’impatienterait à ma place de tout ce qui m’arrive avec ces gens-là dont j’avoue que les variations et les procédés m’excèdent de douleur et de chagrin[49]. »

Pour sortir de cette difficulté nouvelle, Tessé ne voyait qu’un moyen. C’était de se prêter à une dernière entrevue avec Victor-Amédée. Il se rendait de nouveau à Turin, dans la nuit du 4 au 5 juin, cette fois sous le déguisement d’un valet de l’adjudant général de Savoie. « Votre Majesté, écrivait-il à Louis XIV, en lui rendant compte, dans une longue lettre[50], de son expédition, n’aurait pu s’empêcher de rire, de me voir avec une perruque bien noire de M. le maréchal de Catinat. » Cette fois il fut reçu par Victor-Amédée en personne qui, inquiet de son arrivée, l’attendait seul dans son jardin. Ils se promenèrent quelque temps le long du rempart non sans que, avouait plus tard Tessé à Barbezieux, le diable ne le tentât de « jeter du haut en bas ce cauteleux prince et de lui rompre le col. » Le duc de Savoie le conduisit ensuite, au travers de deux ou trois rues obscures, chez le marquis de Saint-Thomas qu’ils trouvaient malade et couché « dans un lit dont la chambre, les meubles, et deux tristes chandelles de suif, ne marquaient ni les bienfaits du maistre, ni la commodité du ministre. » En présence de son secrétaire d’État, Victor-Amédée essaya de remettre en question quelques-uns des articles sur lesquels l’accord paraissait établi, et comme Tessé lui opposait la signature de Groppel : « Cependant, répondit Victor-Amédée, si j’ai été assez malheureux pour avoir employé un sot auquel vous avez tourné la teste, et qui, non seulement a excédé mes instructions, mais a signé tout ce que je lui avais défendu de signer, je ne prétends pas tenir ni rattifier les articles par lesquels il a excédé son pouvoir. » « Ni moy, Monseigneur, répliqua Tessé, je ne prétends pas être assez malheureux pour rien changer à un traitté signé, envoyé au Roy mon maistre, et duquel j’attends la rattification d’un moment à l’autre. »

« Sur cela, continue Tessé, la conversation de sa part commença un peu de s’eschauffer. J’essayois de me retenir, mais enfin la gourmette se lascha un peu, et lui ayant demandé la respectueuse liberté de lui parler franchement, je fis une petite récapitulation de ce qui s’étoit passé entre luy, son ministre, son envoyé et moi. » La difficulté soulevée par le duc de Savoie ne portait au fond que sur un point : à quelle époque Pignerol rasé lui serait-il rendu ? Louis XIV voulait que ce fût seulement après la conclusion de la paix générale, à laquelle Victor-Amédée promettait de s’employer. Victor-Amédée voulait que ce fût sur-le-champ, et, pour obtenir cette dernière concession, il donnait une assez surprenante raison, c’était que pour faire une extrême infamie telle qu’estoit celle de changer d’escharpe sans en avoir de prétexte réel, il falloit au moins prétexter cette action d’un extrême avantage. » « Le Roy est trop juste, ajoutait-il, pour vouloir qu’en me déshonorant pour son service, je n’aye pas un prétexte. » « Quoy, Monseigneur, répliquait Tessé, pour me servir des mesmes termes dont V. A. R. se sert, vous voulès, dittes-vous, vous déshonorer pour la possession de Pinerol razé dans trois mois, et vous ne le voulès pas pour la possession de Pinerol razé dans six. » La conversation durait sur ce ton jusqu’à cinq heures du matin, pour reprendre le lendemain au soir, et ne se terminer qu’à une heure après minuit. Enfin Victor-Amédée, voyant qu’il ne pouvait rien tirer de Tessé, se décida à le faire reconduire avec les mêmes précautions. Tessé ne put regagner Pignerol et échapper aux partis qui tenaient la campagne, qu’en se cachant à plusieurs reprises dans les blés.

Après cette infructueuse tentative pour obtenir quelque concession dernière, Victor-Amédée prit enfin son parti, et, le 29 juin, le traité était définitivement signé par Tessé et Saint-Thomas, munis de pleins pouvoirs. Ce traité devait demeurer provisoirement secret, mais il était convenu que, par une lettre publique, Catinat offrirait au duc de Savoie l’évacuation de la portion de ses États envahie, la restitution de Pignerol démantelé, et le mariage du duc de Bourgogne avec la princesse Adélaïde, moyennant la conclusion d’une trêve, et la promesse, une fois la trêve expirée, « d’agir conjointement avec l’armée française contre les autres puissances belligérantes en Italie[51]. »

« Dès que cette trêve, dont l’éclat ne peut pas tarder, sera rendue publique, écrivait Tessé à Louis XIV[52], je ne comprends pas comment M. le prince d’Orange, l’Empereur et tout de suitte tous les princes compris sous le nom de la Ligue ne devineront pas, sans qu’on leur dise, qu’il faut qu’il y ait un traitté secret entre V. M. et le duc de Savoye. Car enfin, Sire, c’est une chose risible et qui, pour parler en terme vulgaire, montre la corde, qu’un général de la pénétration de M. de Catinat, à la teste de l’armée de V. M., propose par une lettre portée par un trompette le mariage de M. le duc de Bourgogne. Il ne faut pas, ce me semble, estre grand prophète pour deviner qu’une telle mission est concertée, et M. le prince d’Orange en sait trop pour ne pas voir que tout ce que nous faisons n’est qu’une comédie dont la principale scène est conclue. »

La comédie se déroulait en effet acte par acte. Le 12 juillet, la trêve était signée, et sur la demande expresse du duc de Savoie, Tessé acceptait d’aller provisoirement comme otage à Turin, bien qu’il eût peu de goût pour ce personnage. « Il me souvient, écrivait-il à Barbezieux[53], d’avoir ouï dire que l’on pendit par provision un ostage à Bordeaux, sauf à lui de rappeler de la condamnation très injuste qu’il essuyoit. Ne me laisses pas trop longtemps dans ce personnage ambigu d’ostage, qu’en vérité je n’accepte que parce que j’entrevois que personne n’y pourroit peut estre, dans les conjonctions présentes, servir le Boy comme j’espère de le faire. Je regarde le personnage que je fais comme un sacrifice de ma volonté qui me couste plus que je ne dis. »

Tessé, suivant son désir, ne devait pas jouer longtemps ce personnage ambigu. Troublés par cette brusque défection (bien qu’elle ne fût point tout à fait inattendue), les alliés s’efforçaient bien de retenir le duc de Savoie dans leur cause. L’Empereur en particulier dépêchait auprès de lui l’abbé Grimani qui avait ordre d’offrir le Montferrat avec l’alliance du roi des Romains. Le hasard faisait même que Tessé se rencontrait précisément avec Grimani, au moment où celui-ci sortait du cabinet du duc de Savoie. Mais Victor-Amédée tenait bon et disait à Tessé : « Je vous prie d’informer le roy que j’ay répondu à l’abbé que, quand on me donneroit dorénavant le Milanois joint au Montferrat je les reffuserois, que mon party est pris et que je ne désire que le retour des bonnes grâces de Sa Majesté[54]. » En effet, le 29 août suivant, Tessé signait solennellement, et comme un instrument nouveau, un traité qui n’était que la reproduction de la convention arrêtée à Pignerol, entre Groppel et lui, quelques mois auparavant. En particulier l’article relatif au mariage de la princesse de Savoie avec le duc de Bourgogne, ainsi que les stipulations relatives à la dot, ou plutôt à l’absence de dot, y étaient exactement reproduites. Victor-Amédée en était quitte pour promettre un fardel, et Louis XIV s’engageait en échange a la constitution d’un douaire. Par ce même traité Victor-Amédée obtenait une distinction que sa maison ambitionnait depuis longtemps et que Louis XIV, auquel il s’alliait, aurait eu mauvaise grâce à lui refuser : ses ambassadeurs seraient traités désormais en France comme ceux des têtes couronnées et le titre d’Altesse Royale lui serait donné à lui-même dans tous les actes publics. Quelques semaines après, intervenait un nouveau traité, auquel la France n’était pas partie directe, mais dont les négociations n’en avaient pas moins été suivies de près par Tessé et par le Roi lui-même. Ce traité, signé à Vigevano le 7 octobre 1696 entre les plénipotentiaires de l’empereur d’Autriche, du roi d’Espagne et du duc de Savoie, assurait la neutralité de l’Italie et l’évacuation immédiate de son territoire. C’était par l’entremise de Victor-Amédée que ce résultat était obtenu, et Tessé avait le droit de lui rappeler la prophétie qu’il lui faisait un jour que « lorsqu’il prendroit un party ferme et qu’il parleroit de même, il arriveroit qu’il se rendroit glorieusement l’arbitre de la paix générale[55]. »

Victor-Amédée avait peine à dissimuler sous un air de gravité digne la joie pétulante que lui causait l’heureuse transformation de ses affaires et la situation nouvelle qui lui était faite. « Je sais, écrivait Tessé au Roi[56], que dans son petit particulier, quand il n’est vu que de ses valets, il saute vis-à-vis de son miroir, se remercie de la grande affaire qu’il a faite, et gambade comme un homme auquel la joye donne des mouvemens involontaires qui se montrent naturellement quand on lâche la bride à l’humanité. » Plus mesurée, mais très vive encore était l’expression de son contentement dans une lettre qu’il adressait au pape Innocent XII pour lui annoncer la conclusion imminente de la paix. « Très Saint Père, lui écrivait-il[57], c’est à V. S. qui daigne regarder avec tant de bonté les avantages de ma maison, qui vous est si parfaitement dévouée, que sont dus les premiers avis que je luy donne par cette lettre… des offres qui m’ont été faites par M. le Maréchal de Catinat pour parvenir à un établissement de la neutralité en Italie. Ces offres consistent à me rendre tout ce qu’on m’avait pris pendant cette guerre, et me remettre Pinerol après en avoir démoly les fortifications, place dont l’importance est assez connue de V. S., au mariage de ma fille avec monsieur le duc de Bourgogne, mariage qui se célébrera, lorsqu’ils auront atteint l’âge requis, dont on passera cependant le contrat, et dès à présent elle sera reçue en France, et le roi lui assignera sa dot, sans qu’il m’en coûte rien, avec d’autres conditions qui me sont avantageuses. »

Ce n’était pas seulement la joie d’avoir marié sa fille sans qu’il lui en coûtât rien qui emplissait le cœur de Victor-Amédée. C’était la juste fierté d’avoir, en poursuivant avec persévérance un double but, la restitution de Casal au duc de Mantoue et celle de Pignerol à lui-même, tiré la Savoie de la dépendance où Richelieu et Louis XIV avaient voulu la réduire. Ajoutons que l’heureuse issue de cette négociation, bientôt suivie de la paix générale signée à Ryswick, ne fait pas moins d’honneur à Louis XIV qui, par l’intermédiaire de Tessé, l’avait dirigée jour après jour, et dans le moindre détail. Chose rare dans l’histoire ! le vainqueur avait su rendre d’injustes conquêtes. En abandonnant Pignerol, en déchargeant la Savoie du joug qui pesait sur elle depuis le traité de Cherasco, il réparait l’erreur de Richelieu et les fautes de Louvois ; il en revenait, malheureusement pour un temps trop court, à cette politique de juste mesure dans l’ambition et de modération dans la victoire dont la France ne s’est jamais départie sans dommage, et à laquelle aucun pays ne saurait manquer sans laisser en suspens la paix de l’Europe ; enfin il rétablissait avec une nation voisine et naturellement amie des relations cordiales qui étaient et seront toujours de l’intérêt commun des deux pays. De ces relations, une jeune princesse de onze ans allait être le gage fragile. Nous venons de voir comment il avait été disposé d’elle à son insu. Dans une prochaine étude, nous montrerons quel visage elle sut faire à sa nouvelle fortune.


HAUSSONVILLE.

  1. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia. Introduzione.
  2. Lettre de Charles-Quint à Charles III, duc de Savoie, citée par Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia, t. I, p. 270.
  3. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia.
  4. Mémoires historiques sur la maison royale de Savoie, par le marquis Costa de Beauregard ; Turin, 1816, t. II, p. 122.
  5. Dépêche de Giorgio Zorzi, l’ambassadeur vénitien, citée par Carutti, t. II, p. 283.
  6. Servient à Pomponne (cité par G. Rousset dans son Histoire de Louvois, t. III, p. 75).
  7. Dépêche citée par G. de Leris dans son Etude historique sur la comtesse de Verrue et la cour de Victor-Amédée II de Savoie, p. 14.
  8. Aff. étrang. Correspondance Turin, vol. 94.
  9. Lettres de Mme de la Fayette à Lescheraine, publiées par M. Perero ; Turin, 1880.
  10. Tessé au Roi, cité par Camille Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 535.
  11. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 5. Mémoire des affaires qui ont été traitées pendant l’ambassade du comte de Rebenac.
  12. Camille Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 287.
  13. Ibidem, p. 344.
  14. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94.
  15. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94. Chamlay à Croissy, 10 février 1692.
  16. Les papiers de Tessé, qui ne forment pas moins de quinze volumes (et encore sont-ils incomplets), étaient devenus la propriété de M. le comte de Barthélémy d’Hastel, l’historien regretté des filles du Régent, allié à la descendance de Tessé. Ils ont été mis à ma disposition par ses héritiers avec une obligeance dont je ne saurais être trop reconnaissant, et m’ont beaucoup servi pour ce travail. J’ai également consulté les nombreuses lettres de Tessé, qui sont aux Archives des Affaires étrangères, au Dépôt de la Guerre et aux Archives de Turin.
  17. Saint-Simon, Mémoires, édition Chéruel, t. I, p. 228 ; t. III, p. 387. Additions au Journal de Dangeau, t. IX, p. 96.
  18. Tessé à Louvois, cité par C. Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 487.
  19. Tessé à Saint-Thomas, 22 octobre 1695. Archives d’état de Turin. Lettere a varii allegati, 1691-1695. Beaucoup de lettres de Tessé se trouvent également à Turin dans les deux volumes consacrés aux négociations secrètes de Pignerol et dans un fonds spécial.
  20. Arch. Turin. Tessé à Saint-Thomas, 1er décembre 1691.
  21. Id., Ibid., 21 mars 1693.
  22. Id., Ibid., 27 avril 1694.
  23. Arch. Turin. Tessé à Saint-Thomas, 17 août 1693.
  24. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé à Croissy, 18 avril 1696. Le marquis de Ruvigny, huguenot, Français d’origine, était résident britannique à la cour de Savoie.
  25. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94. Tessé à Croissy, 31 mai 1693.
  26. Voy. Vattel, Droit des gens. Édition de 1883, t. II, p. 242.
  27. Aff. étrang. Turin, vol. 94, 8 février 1693. Il semblerait résulter des termes de cette note que l’initiative de cette proposition serait venue de la France. D’autres documens établissent au contraire qu’elle venait de la Savoie.
  28. Aff. étrang. Turin, vol. 94, 20 avril 1693.
  29. Aff. étrang. Turin, vol. 94.
  30. Le récit de cette négociation se trouve incomplètement et parfois même inexactement rapporté dans l’ouvrage improprement appelé Mémoires de Tessé. J’ai pu compléter et parfois rectifier le récit de ces Mémoires à l’aide de documens que j’ai trouvés aux Archives des Affaires étrangères, et avec les papiers originaux de Tessé lui-même
  31. Mémoires de Tessé, t. I, chap. III, p. 53.
  32. Aff. étrang. Turin, vol. 94. Note du 10 décembre 1693.
  33. Ibid.
  34. Ibid. Note du 18 décembre 1693.
  35. Cette Vie de Victor-Amédée, par l’abbé Denina (l’auteur des Révolutions d’Italie), se trouve en manuscrit à la bibliothèque du Roi à Turin.
  36. Arch. Turin. Victor-Amédée à Grimani.
  37. Les dépêches de Grimani font partie à Turin de la collection : Lettere Ministri Austria. Mais elles sont classées à part, et distinctes de celles de l’ambassadeur ordinaire, le marquis de Prié.
  38. La princesse Adélaïde était en effet petite-fille de Madame, Henriette d’Angleterre, sœur de Charles II, qui était l’oncle de la reine Marie, Comme de Guillaume d’Orange.
  39. Arch. Turin. Grimani à Victor-Amédée. Lettre du 30 janvier 1694 et copie du Mémoire adressé par Grimani à l’Empereur, 28 mars 1694.
  40. Arch. Turin. Grimani à Victor-Amédée. 26 juin 1694.
  41. Arch. Turin. Tessé à Saint-Thomas, 18 mars 1694.
  42. Arch. Turin. Saint-Thomas à Tessé, 1er avril 1691.
  43. L’original de cette lettre est au musée des Archives de Turin.
  44. Papiers Tessé.
  45. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94.
  46. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94.
  47. Dépôt de la Guerre. Italie, vol. 1313. Tessé à Barbezieux, 25 avril 1696.
  48. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 1er mai 1696.
  49. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 1er juin 1696.
  50. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 10 juin 1696.
  51. Mémoires de Tessé, t. I, ch. III, p. 72.
  52. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 5 juillet 1696.
  53. Dépôt de la Guerre. Italie, 1373. Tessé à Barbezieux, 16 juillet 1696.
  54. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 29 juillet 1696.
  55. Ibid.
  56. Dépêche citée par Camille Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 536.
  57. Papiers Tessé. La même lettre se trouve en italien aux Affaires étrangères, Corresp. Turin, vol. 95.