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La nouvelle loi de l’enseignement secondaire et supérieur en Roumanie

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Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899, Texte établi par François PicavetSociété de l’enseignement supérieur37 (p. 26-221).

LA NOUVELLE LOI DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR EN ROUMANIE

I

Le peuple roumain a commencé à vivre comme nation civilisée depuis une trentaine d’années seulement, et les progrès qu’il a faits dans toutes les directions et surtout la manière dont il a su acquérir la civilisation des vieilles nations de l’Occident, est une preuve de plus de la vitalité latine si souvent contestée. Et c’est une preuve d’autant plus intéressante à retenir qu’elle vient de la part de latins oubliés là-bas dans les Carpathes et qui pendant des siècles, toujours sous les armes, n’a fait que défendre sa terre maternelle, sa langue et son origine latine, parmi les peuplades barbares qui l’envahissaient de tous côtés et la convoitaient.

L’instruction, cette arme puissante de toute civilisation, a préoccupé l’attention de nos premiers hommes d’État, pour la plupart d’éducation française et nous trouvons une loi, concernant l’enseignement primaire, secondaire, et universitaire, établie déjà le 5 décembre 1864. À cette époque l’état de l’instruction était très rudimentaire ; à peine pouvait-on compter quelques écoles primaires dans les chefs-lieux des départements, trois ou quatre lycées et un tout petit nombre d’écoles rurales. Ajoutons aussi, pour compléter ce tableau, les deux universités de Bucuresci (Bucharest) et Jasi (Jassy), qui, quoique désignées sous ce nom, étaient loin de répondre à la haute portée d’instruction qu’elles impliquaient, et représentaient plutôt l’ébauche des futures universités[1].

La vaillante pléiade de 1848, pléiade à laquelle on doit l’énorme progrès que le pays a fait, était inspirée des idées et de la civilisation française. C’est Paris, qui fut pour ainsi dire le berceau intellectuel de la renaissance roumaine, renaissance qui un Jour peutètre sera une des pages qui intéressera l’histoire de l’influence de la civilisation française. Et c’est grâce à cette impulsion que l’instruction attira dès les premiers instants l’attention de tous les hommes politiques.

La nouvelle loi créée en 1864, était bien loin de répondre à tous les besoins ; assez rapidement faite et très peu étudiée, elle représentait le cadre, les motifs d’une prochaine loi, qui était désirée dès les premiers instants. C’est ainsi que depuis 1864 jusqu’aujourd’hui tout ce que le pays a compté et compte comme hommes distingués dans l’enseignement, s’est occupé à réaliser cette tâche qui s’imposait, vu surtout le progrès rapide que faisait le pays.

C’est dans cet ordre d’efforts, que nous pouvons citer les noms de M. Cogalniceanu, Jean Strat, le général Tell, V. Conta, V. A. Urechia, Sturdza, Poni, Maiorescu, Marzescu et M. Take Ionescu, un des plus éminents ministres de l’instruction publique que le pays ait eus.

Les querelles politiques et les changements de gouvernements inhérents, paraît-il, à tous les pays d’origine latine, de même que le peu de séjour au ministère ont empêché tous ceux qui luttaient, dans cette direction de réaliser leurs idées. Un des plus heureux parmi eux, l’ancien ministre de l’instruction publique sous le cabinet conservateur, M. Take Ionescu, a eu la chance et le temps, étant resté à peu près quatre ans au ministère, de réaliser la réorganisation de l’enseignement primaire et normal primaire par la loi votée en 1894 ; les événements politiques ne lui ont pas permis d’amener en discussion dans les corps législatifs sa loi sur l’enseignement secondaire et universitaire, presque définitive dans le projet qu’il voulait présenter.

Les réformes faites dans l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’instruction publique, la loi concernant l’enseignement primaire, de même que les lois concernant l’enseignement ecclésiastique et la réorganisation du clergé, ont modifié sinon transformé en majeure partie tout ce qui restait encore de fondamental dans la loi de 1864, Il est vrai que la loi de 1864 avait commencé déjà depuis bien des années à tomber en désuétude par la force des choses ; trop incomplète, d’une part, pour répondre aux exigences de l’enseignement moderne et trop peu étudiée, de l’autre, pour répondre aux besoins du pays.

C’est toujours à M. Take Ionescu que l’on doit l’agitation plus active dans le sens d’une réforme imminente. Pendant l’hiver de l’année 1895, c’était sa dernière année au ministère, M. T. Ionescu nomma une commission qui comprenait tout ce que le pays avait d’éminent et de compétent en matière d’instruction et qui sous sa présidence devait discuter l’esquisse de projet qu’il avait formulé lui-même. Les événements politiques qui sont survenus n’ont pas permis à M. T. Ionescu, de réaliser jusqu’au bout son programme de réformes.

Les ministres qui se sont suivis, MM. Poni et Marzescu, ont été poussés par le même courant que leurs prédécesseurs et ils ont médité des projets de loi, cherchant par tous les moyens à bien savoir si les nouveaux projets répondaient aux exigences de la civilisation moderne et à celles du pays. Des commissions ont été nommées à cet effet et composées de manière à ce que tout le corps professionnel pût donner son avis.

C’est M. Spiru Haret, professeur à la Faculté des sciences de l’Université de Bucuresci, le ministre actuel de l’Instruction publique qui a eu la chance, vraiment enviable, de réaliser par un projet de loi, l’organisation de l’enseignement secondaire et universitaire, organisation vers laquelle ont aspiré tant d’hommes d’élite. Profitant de tout ce qui a été fait en matière d’instruction dans le pays, utilisant tous les projets des anciens ministres, il a réussi à présenter un projet bien étudié et même trop étudié. Comme très modestement l’a répété souvent M. Haret, lors de la discussion de son projet, la loi qu’il présente n’est que la synthèse des projets antérieurement esquissés, une synthèse qui est loin d’être absente de valeur personnelle et qui a réclamé surtout un labeur inouï. M. Haret, en dehors de ces documents a cherché, comme d’ailleurs l’avaient fait quelques-uns de ses prédécesseurs, en demandant l’opinion de tous les professeurs, à se rendre bien compte, de ce que le pays voulait, de sorte que même à ce point de vue le projet ne pouvait être mieux documenté.

Toutes les conditions que nous venons d’énumérer ont fait du projet de M. Haret, un sorte de projet quasi-national et la preuve c’est que même une partie de l’opposition a voté pour la prise en considération[2]. Néanmoins il y a des petites choses, qui quoique bonnes en principes sont loin de correspondre à une pratique immédiate, il y a aussi des calculs mal faits, mais ce n’est que d’après son ensemble qu’un projet d’une pareille importance peut être jugé[3].

II

L’enseignement secondaire. — L’enseignement des jeunes gens. — Quelques mots seulement pour rappeler l’ancienne organisation et cela pour mieux comprendre les réformes que la nouvelle loi implique.

D’après la loi de 4864, l’enseignement se donnait dans ce qu’on appellait les gymnases et les lycées. Le gymnase au fond n’était qu’une partie du lycée : c’étaient les quatre premières années ; les cours duraient 7 ans, le gymnase compris. Puis on passait l’examen de baccalauréat ès lettres et ès sciences, examen qui impliquait un seul titre et un seul concours. Cette dénomination de gymnase était plutôt en relation avec la population scolaire ; toutes les fois qu’elle n’était pas nombreuse et que les exigences du département n’impliquaient pas le besoin d’un lycée, on se limitait à la création des quatre premières années du lycée, et elle recevait le nom de gymnase.

Les gymnases et les lycées étaient de deux sortes : classiques et réels ; la différence consistait dans le fait, que dans l’enseignement réel, les mathématiques et les langues modernes étaient enseignées sur une plus grande échelle, aux dépens des études classiques.

D’après la nouvelle loi le lycée comprend huit classes au lieu de sept et le gymnase toujours quatre. Mais, ce qui constitue la différence importante, c’est la manière de comprendre ces foyers d’enseignement. Le gymnase reste par lui-même une unité indépendante, ce qui n’existait pas dans l’ancienne organisation ; le but du gymnase c’est d’assurer une culture générale élémentaire et suffisante, car la plupart des jeunes gens se contentaient d’habitude du gymnase. Les études au gymnase finies, les jeunes gens pouvaient concourir pour les écoles professionnelles et pour cela il fallait donner plus de fondement à cette première étape ; dans ce but on a tâché de compléter le-plus possible les connaissances obtenues dans les écoles primaires, en insistant surtout sur les connaissances réclamées par la vie pratique.

Le programme des gymnases est le même que pour les quatre premières classes des lycées (art. 4 de la loi). Après avoir terminé les quatre classes du gymnase les élèves sont soumis à un concours dans le but de se rendre bien compte, « de se convaincre surtout de l’influence des études faites sur la formation de leur jugement ; (art. 18). L’examen a lieu au lycée devant une commission, nommée par le ministre et composée de quatre professeurs de l’école, sous la présidence d’un professeur choisi parmi ceux de l’Université ou du lycée.

Dans la nouvelle transformation il y a donc un seul type de gymnase, au lieu de deux anciens types, qui ne correspondaient pas du tout aux exigences des connaissances et de l’enseignement moderne.

Dans les quatre premières classes du lycée, de même que dans le gymnase, les objets d’étude sont les suivants : « la religion, les langues roumaine, latine, française, allemande ; l’histoire universelle et l’histoire naturelle ; la géographie générale et la géographie du pays ; les mathématiques raisonnées élémentaires, avec des applications sur l’arpentage, le nivellement, le drainage, les irrigations, et avec des notions de comptabilité ; éléments de physique, de chimie, sciences naturelles, cosmographie ; notions d’hygiène ; notions de droit usuel, et instruction civique ; calligraphie, dessin, musique vocale et gymnastique » (art. 3). Ces matières, ajoute l’article 3, sont obligatoires et doivent être enseignées, en sorte qu’elles doivent former un cycle complet de connaissances.

Le lycée a huit classes. Les quatre dernières classes constituent le vrai lycée ; cette deuxième partie du lycée, composée également de quatre classes, est divisée en trois catégories, dans cette nouvelle organisation. Le choix d’une carrière est assez difficile à faire, et constitue en même temps un des actes les plus intéressants de la vie, puisque. de ce moment de décision dépend l’avenir ; d’après l’ancienne loi, ce choix devait se faire après les écoles primaires. La loi de M. Haret ajourne ce choix à 45 ans, et par conséquent à un Âge assez avancé, fait assez important et qui, pensons-nous, mérite d’être relevé en l’honneur de M. Haret. C’est la petite bourgeoisie, de même que le peuple, qui sauront gré à M. Haret de cette disposition aussi scientifique que démocratique ; les parents pourront au moins se rendre mieux compte des aptitudes des enfants, qu’à leur sortie de l’école primaire.

Cette deuxième partie du lycée comprend des cours communs à tous les élèves, de même que les cours particuliers. Les trois divisions du lycée sont les suivantes : la partie classique, la partie réelle et la partie dite du : « classicisme moderne. »

Les cours communs et obligatoires à tous les élèves de n’importe quelle division du lycée, sont les suivants : « la religion ; les langues roumaine, française et allemande ; l’histoire universelle et l’histoire nationale ; notions de psychologie, de logique, d’économie politique, droit usuel et instruction civique ; la musique vocale et la gymnastique. »

Ceux de la section classique doivent en plus suivre les cours suivants : les langues latines et grecques ; répétitions de mathématiques, de sciences physiques et naturelles, dessin. » Ceux qui suivent la section réelle doivent, en outre, étudier les matières suivantes : « une des deux langues, l’italienne ou l’anglaise ; la géographie ; les mathématiques raisonnées (algèbre ; trigonométrie plane et sphérique avec des compléments et la théorie générale des équations à une seule inconnue ; application à la topographie, nivellement, drainage, irrigations ; éléments de géométrie analytique avec deux dimensions ; notions de mécanique rationnelle et de technologie ; notions de géométrie descriptive ) ; la physique ; la chimie ; la cosmographie ; les sciences naturelles ; l’hygiène et le dessin linéaire. » Ceux du classicisme moderne doivent remplacer l’étude de la langue hellène, par physique, chimie, sciences naturelles, hygiène et géographie, en suivant ces cours avec ceux de la section réelle ; c’est par ce remplacement seul que les études de la section du classicisme moderne diffèrent de ceux de la section classique (art. 3).

Un autre avantage, qui ressort de cette trifurcation du lycée, consiste dans le fait que l’élève qui a pu se tromper dans le jugement de ses aptitudes à tous les moyens pour regagner le temps perdu, en suivant des cours supplémentaires, ce qui était impossible d’après l’ancienne organisation.

En prolongeant d’un an les études du lycée le but a été de compléter les connaissances des élèves et de mieux les préparer. Le baccalauréat n’existe plus. L’institution du baccalauréat, une vraie loterie d’ailleurs, comme elle était constituée auparavant, n’avait presque pas de sens. Une commission, composée de professeurs universitaires, devait deux fois par an, en juin et en septembre, juger ceux qui avaient terminé les études du lycée et qui méritaient d’être bacheliers ; il y avait quatre épreuves écrites : une rédaction roumaine, une version latine, une traduction française et une question de sciences. Les élèves qui avaient échoué à l’écrit n’étaient pas admis à l’oral. L’oral se composait de l’examen minutieux de toutes les matières enseignées au lycée ; on voit d’ici le programme vaste que l’examen impliquait, d’où ressortait la presqu’impossibilité de pouvoir bien répondre à tout ce qu’on avait appris dans le cours de sept années du lycée. L’examen devenait alors une question de chance, faisant briller des élèves qui étaient des nullités au lycée et échouer ceux qui étaient parmi les premiers dans toutes les classes du lycée.

D’après la nouvelle loi le baccalauréat est remplacé par un examen, qui aura lieu à chaque lycée, devant une commission nommée par le Ministre et composée de quatre professeurs de l’école sous la présidence d’un professeur universitaire ; l’examen aura lieu une fois par an, du 20 au 25 juin exclusivement.

Avant d’aborder un autre point de la nouvelle organisation scolaire, disons quelques mots sur la manière dont les élèves peuvent s’inscrire dans les premières classes du lycée et du gymnase. Auparavant, vu le nombre croissant des enfants désirant s’instruire, il arrivait qu’il y avait même 100 élèves par classe ; on comprend d’ici l’impossibilité de s’en occuper et de donner une instruction bien soignée. La nouvelle organisation limite le nombre des élèves à 50, pour les quatre premières classes du lycée et du gymnase et à 40 pour les autres classes du lycée. Pour s’inscrire il faut avoir 11 ans au moins et avoir le certificat de l’école primaire[4] (art. 15). Si le nombre des demandes est trop grand et plus grand que le nombre des places disponibles, on admettra jusqu’à la concurrence des places libres seulement les candidats, qui dans leur certificat de l’école primaire, auront eu la meilleure note pour le roumain et l’arithmétique. En cas de besoin, on pourra instituer des classes parallèles.

Au point de vue des méthodes pédagogiques, cette disposition, quoiqu’elle ait été taxée de réactionnaire est excellente, car que pourraient faire les meilleurs professeurs avec 153 élèves par classe ! Rien ou à peu près rien… M. C. Dimitrescu-Iasi, dans son excellent rapport, qui restera une des plus belles pages de la littérature pédagogique roumaine, s’exprime à ce sujet dans les termes suivants : « Quand on réfléchit à ces cinq heures par jour, que nos écoliers perdent assistant seulement sur les bancs de l’école, tandis que l’école devrait être le vrai lieu où ils doivent apprendre leurs leçons — alors seulement on peut comprendre le terrible mal qu’a produit la population trop nombreuse des écoliers dans une classe[5]. L’État, ajoute M. Dimitrescu-Iasi, doit s’occuper de l’organisation des écoles professionnelles, pour répondre aux aspirations de ceux qui ne sauraient être admis au lycée ; de cette-manière un vaste champ sera ouvert aux aptitudes professionnelles, tant soit peu négligées jusqu’ici ».

III

L’enseignement secondaire des jeunes filles. — Pour les jeunes filles la nouvelle loi présente les mêmes avantages, que pour les jeunes gens. La loi de 1864 réservait une moindre place à l’instruction de la femme, la nouvelle organisation l’élargit et met les bases d’une instruction solide. Les anciens externats[6] et les Écoles centrales ayant subi les derniers temps beaucoup de changements, il arriva que les parents ne savaient plus où placer leurs filles ; en outre l’instruction qu’on y donnait était insuffisante.

La nouvelle loi institue deux sortes d’écoles : écoles du premier degré et écoles du deuxième degré. Les écoles du premier degré ont pour but de donner une culture générale pour la prochaine éducatrice et mère de famille ; il s’agit donc des éléments absolument indispensables. Voici d’ailleurs les matières qui doivent être enseignées dans cette école : « la religion ; les langues roumaine, française et allemande ; la géographie générale et la géographie du pays ; l’histoire générale et l’histoire nationale ; l’arithmétique et la géométrie élémentaire avec des applications pratiques et des notions de comptabilité ; éléments de cosmographie ; éléments de sciences naturelles, de physique et de chimie ; notions de pédagogie, d’hygiène, de médecine et de pharmacie domestique, surtout au point de vue de l’éducation et des soins des enfants ; l’économie domestique, le travail manuel, la calligraphie et le dessin, la musique vocale et la gymnastique » (art. 5). La durée des études sera de cinq années et la dernière sera spécialement consacrée aux études nécessaires aux femmes.

Les écoles du deuxième degré ont pour but de donner à la femme une instruction plus développée et de répondre en même temps aux aptitudes littéraires et scientifiques qu’elles pourraient avoir. La durée des études est de quatre ans et dans la première année seront admises avec concours les élèves ayant terminé les quatre premières classes de l’école de premier degré. Pour compléter les études commencées dans l’école de premier degré, on enseigne des notions de psychologie, logique, économie politique, droit usuel et instruction civique, de même qu’une des langues suivantes : latine, italienne ou anglaise (art. 6).

L’examen pour l’obtention du certificat des écoles de premier degré a lieu dans les mêmes conditions que pour le gymnase, et celui des écoles du second degré comme pour l’obtention du certificat du lycée.

Celles parmi les élèves de l’école du deuxième degré qui auraient suivi l’enseignement du latin, peuvent s’inscrire à l’Université aux mêmes Facultés que les élèves ayant terminé les études du lycée, section du classicisme moderne.

IV

Un chapitre intéressant concerne la manière de recruter le corps professionnel.

Auparavant, toutes les fois qu’une chaire était déclarée vacante, un concours s’annonçait trois mois d’avance ; une commission sous la présidence d’un professeur universitaire était nommée ad hoc, et après un certain nombre d’épreuves (3 écrites et 2 orales) le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de points était déclaré admis ; les autres, même s’ils avaient eu un nombre de points plus grands que la limite d’admission, n’étaient pas reçus et ils devaient se présenter de nouveau à un autre concours. Il y avait de la sorte un va et vient de la commission et des concurrents qui étaient obligés de courir tantôt à Iasi, tantôt à Bucuresci.

Un tout autre procédé est créé par le projet de M. Haret. Les titulaires enseignants se divisent en deux catégories : professeurs, pour les lettres et les sciences, et les maîtres, ceux qui enseignent la gymnastique, le dessin, les armes, etc. La géographie est comptée parmi les spécialités qui doivent être enseignées par les professeurs de sciences (groupe scientifique, art. 22).

Pour être professeur, il faut passer l’examen de capacité et il faut être licencié ou docteur ès lettres ou ès-sciences ; parmi les conditions impliquées à ceux qui aspirent au professorat, il faut mettre en relief le fait qu’on lui demande d’avoir suivi un cours de pédagogie à l’Université, de même que toutes les conférences et travaux pratiques d’un séminaire pédagogique (art. 23).

Le candidat doit passer l’examen de capacité au moins pour deux spécialités ; une comme principale, celle dans laquelle il est licencié et l’autre comme secondaire ; « l’examen passé pour une seule spécialité n’est pas valable ». On peut se présenter à l’examen de capacité au plus pour trois spécialités.

Les examens ont lieu tous les deux ans à Bucuresci, devant une commission nommée par le Ministre et composée de professeurs pris aux deux Universités ; la même commission peut être chargée de plusieurs spécialités. Les membres de la commission sont nommés pour une période de quatre ans ; au bout de deux ans le Ministre a le droit de renouveler un tiers des membres. Des examens supplémentaires peuvent avoir lieu dans l’intervalle de deux ans, dans le cas où le nombre des places disponibles est plus grand que le nombre des postulants inscrits sur le tableau au Ministère.

L’examen de capacité consiste dans des épreuves écrites, qui sont éliminatoires, orales et pédagogiques. Les épreuves écrites auront pour objet les matières des spécialités pour lesquelles le candidat se présente ; pour la spécialité principale, on tiendra compte du programme du lycée, de même que de celui de la Faculté respective ; pour les spécialités secondaires, on aura en vue le programme du lycée, de même qu’un programme spécial qui sera rédigé par le Ministre. Les épreuves orales auront pour but de prouver que le candidat est familiarisé avec les principaux problèmes de la pédagogie. Les épreuves de pratique pédagogique « auront pour objet les matières du cours secondaire ».

. Les épreuves pédagogiques auront lieu devant les élèves d’une classe secondaire, après une préparation de 24 heures. « Le candidat doit présenter à la commission le plan écrit de sa leçon ». Il aura « au moins trois leçons pour chaque spécialité ». Les candidats pour une spécialité scientifique expérimentale « seront obligés de faire en outre une préparation expérimentale de la portée de celles qu’on donne pour la licence ». Pour être admis il faut avoir une note moyenne de 7,50, le maximum étant 10.

Pour chaque spécialité un tableau sera rédigé au ministère, après chaque session d’examen « dans l’ordre de mérite » :. Les candidats inscrits au tableau « pourront être nommés pour leur spécialité principale à n’importe quelle classe du lycée et pour leurs spécialités secondaires dans les classes de gymnase ou dans les classes inférieures du lycée ».

L’inscription au tableau est valable pour deux ans et les candidats qui dans cet espace de temps ne seront pas nommés, seront admis à un nouvel examen, pour la même spécialité, dans le but de regagner une place meilleure dans le tableau ; leur mérite décidera, l’examen fini, leur place sur le tableau (art. 25).

Pour les langues étrangères, le nombre des candidats n’étant pas suffisant, les étrangers sont admis, à condition des avoir le roumain et par dérogation sont nommés pour une seule spécialité.

Les professeurs des écoles secondaires de jeunes filles sont recrutés parmi les élèves ayant terminé leurs études à l’école normale de jeunes filles ; un tableau d’après leur ordre de mérite, obtenu à l’examen général de la sortie de l’école, désigne celles qui doivent occuper les places libres (art. 28)[7].

D’après ce que nous venons de dire, on voit la préoccupation constante de la pédagogie, préoccupation qui, d’ailleurs, est très justifiée. On n’a pas besoin au lycée et en général dans une école secondaire d’un professeur savant, d’un éminent érudit, sa place est ailleurs, dans l’enseignement universitaire ; l’enseignement secondaire réclame les professeurs qui avant tout doivent savoir exposer d’une manière claire et méthodique la matière qu’ils professent.

Après trois ans les professeurs et les maîtres d’armes nommés provisoirement et qui ont fait preuve de bonnes aptitudes pédagogiques et de moralité sont nommés à titre définitif.

Une question connexe à celle du recrutement, c’est la manière de rétribuer les professeurs. Auparavant, les rétributions n’étaient pas légalement distribuées ; ainsi le professeur, à titre définitif, touchait 324 francs par mois sur les 360 inscrits dans le budget, soit qu’il eût 12 heures, 6 heures ou 28 heures par semaine. La nouvelle loi unifie le payement ; d’après elle, les professeurs doivent être payés d’après les unités d’heure, plus la « gradation ». Les appointements sont de 120 francs par mois pour les professeurs de lycée et de gymnase, « pour chaque quatre heures ou fraction de quatre heures d’un cours par semaine » ; de 100 francs par mois pour les professeurs des écoles secondaires de jeunes filles de premier et de second degré pour la même unité de temps ; de 80 francs pour les professeurs de religion et de 70 pour les maîtres. » Les suppléants seront payés avec une diminution de 20&nsp;% de la rétribution légale (art. 35). La « gradation » c’est un appointement qu’on donne à raison du temps de service fait dans le corps enseignant ; après cinq années de service avec le titre provisoire ou définitif on a une augmentation de 15&nsp;% sur ses appointements, après 10 ans 30&nsp;%, après 15 ans 45&nsp;% et après 20 ans 60&nsp;% (art. 36).

Parmi les nombreuses dispositions.nouvelles du projet de M. Haret, nous tenons à remarquer celle concernant les punitions des professeurs et celle relative à la fonction des directeurs des écoles. Les punitions qui peuvent être appliquées aux professeurs sont les suivantes dans l’ordre de leur gravité : a) L’avertissement ; b) L’amende avec la perte des appointements depuis un jusqu’à quinze jours ; la censure avec la perte des appointements depuis un jusqu’à trente jours ; la suspension depuis deux jusqu’à six mois ; la permutation ; l’exclusion temporaire du corps enseignant jusqu’au maximum de deux ans et enfin l’exclusion définitive (art. 48). Des dispositions supplémentaires indiquent et précisent les conditions dans lesquelles ces punitions doivent être données, de même que les autorités qui peuvent les prononcer {art. 49). En outre, il y a une Commission de jugement du corps didactique et supérieur, qui sera composée de cinq membres nommés par un décret royal. Des conditions rigoureuses sont mentionnées pour assurer l’intégrité et l’indépendance des deux parties : autorité ministérielle et le droit de la défense (art. 50). Les membres de cette Commission sont nommés par le ministre, qui les choisit d’après une liste présentée par chacune de deux Universités ; la Commission est nommée pour six ans.

Nous arrivons aux directeurs des écoles. La partie originale du projet concerne les attributions du directeur ; en effet, le directeur doit s’occuper, en dehors de l’école, de l’éducation des élèves, même dans les familles et il peut contrôler et inspecter les internats, de même que les pensions où habitent les élèves. En cas de nécessité, il peut intervenir pour demander la fermeture de tel ou tel local. On espère assurer, de cette manière, une meilleure efficacité à l’éducation et à l’instruction données à l’école (art. 8). Le nouveau projet a pris beaucoup de soins pour faire choisir comme directeur d’une école, la personne la plus compétente parmi les professeurs, son passé didactique et son tact pédagogique figurent parmi les premières conditions (art. 9 et 10).

Un dernier point qui mérite d’être relevé, c’est la création des bourses données aux fils de paysans, bourses qui leur facilitent l’arrivée, l’accès à la vie sociale et alimentent par cette force vitale, développée au milieu des plaines et dont la résistance a été mise à l’épreuve plus d’une fois, les classes dirigeantes du pays. Auprès des écoles secondaires l’État peut créer des internats ; les élèves internes peuvent être boursiers-ou payants (solventi) : les bourses ne sont accordées qu’aux fils de Roumains qui n’ont pas de moyens et d’après leur ordre de mérite. Au moins un quart des bourses dans chaque internat de lycée ou de gymnase, doit être réservé aux fils des paysans, qui se sont distingués dans les écoles rurales (art. 21). À la sortie du lycée d’autres bourses assurent l’existence des élèves studieux.

V

L’enseignement universitaire. La plus importante réforme de la nouvelle loi est assurément l’organisation des Universités.

Les Universités roumaines ont fait un progrès extraordinaire depuis 1864 ; et tandis que, au commencement, et avec des bourses pour chaque étudiant, on n’en trouvait qu’un tout petit nombre, les Universités sont peuplées aujourd’hui comme les plus importantes de l’Europe. Une réorganisation s’imposait donc et une réorganisation immédiate, pour pouvoir bien diriger cette jeunesse, qui devenait chaque année plus nombreuse.

La population de l’Université de Bucuresci a été pour l’année 1896-1897 de 1,736 étudiants, dont 168 étudiantes ; l’Université de Iasi est moins fréquentée, néanmoins elle figure à côté d’un grand nombre d’Universités allemandes. Voici dans quels termes M. C. Dimitrescu-Iasi, s’exprime, à propos de la population universitaire, dans son rapport. « En Allemagne on peut compter 1 étudiant pour 1.800 habitants ; en Suisse 1 étudiant pour 1.700 habitants. Si nous admettons avec approximation seulement 2.000 étudiants pour les deux Universités roumaines, et si nous mettons ce chiffre en rapport avec les 6 millions d’habitants du pays, nous aurons le rapport de : 1 étudiant pour 3.000. Ce rapport est satisfaisant, si nous pensons que nos Universités n’ont qu’un peu plus de trente ans d’existence et que leur développement a été fait, comme nous l’avons montré dans le rapport présent, dans un milieu pressé de s’assimiler le plus vite possible la culture occidentale, et auquel ont longtemps fait défaut des éléments qui pouvaient entretenir l’existence des deux Universités[8]. »

Chaque Université comprend cinq Facultés : droit, médecine, lettres et philosophie, sciences et théologie orthodoxe ; l’innovation de M. Haret consiste dans la création d’une nouvelle Faculté de théologie auprès de l’Université de Iasi, qui auparavant n’avait que quatre Facultés. Des raisons politiques, paraît-il, ont décidé M. Haret et le gouvernement libéral à la création de cette nouvelle Faculté, car le besoin ne s’en faisait guère sentir.

La partie originale de la réforme universitaire concerne le recrutement des professeurs. Jusqu’ici dès qu’une chaire était déclarée vacante, un concours annoncé au moins trois mois d’avance comportait un certain nombre d’épreuves écrites et orales ; le candidat ayant obtenu le plus grand nombre des points était déclaré professeur titulaire de la chaire. Les anciennes dispositions contenaient en outre un article spécial, établissant qu’on pouvait être nommé professeur d’après ses travaux scientifiques ou littéraires. D’après cette manière de recrutement l’arrivée à l’Université était facile et accessible à un âge relativement peu avancé, auquel on n’a eu ni le temps d’acquérir des connaissances, et d’autant moins celui d’écrire et de se faire connaître par ses travaux ou recherches. Si on réfléchit aussi aux mauvaises conditions du concours, mauvaises par la manière elle-même dont le concours avait lieu ; si l’on y ajoute les inimitiés qui y surgissaient et que provoquaient chaque vacance et les influences de la politique, malheureusement si souvent répétées et d’une manière si malhonnête, on pourra se faire une idée du peu de garantie qu’offrait le concours. Et puis, le candidat une fois admis au concours, ayant une si haute position sociale très sûre, comme chaque Roumain qui se respecte, ne travaillait plus et ne trouvait mieux à faire que de la politique ! Toutes ces conditions, tenant pour la plupart aux mœurs du pays, nous font penser aux bienfaits de la nouvelle organisation, qui s’annoncent, théoriquement parlant, si nombreux.

Dans l’ancienne organisation c’étaient les professeurs seuls qui enseignaient ; on a ajouté dans le dernier temps seulement quelques maîtres de conférences. L’organisation nouvelle institue en plus les docents et les agrégés (art. 62).

Les docents sont des professeurs libres qui ne sont pas payés par l’État. Le Sénat universitaire, d’accord avec la Faculté respective et le ministre, peut seulement donner la permission à un docent de commencer un cours. Ce sont les élèves qui suivent ses conférences, qui doivent le payer. Si après trois ans consécutifs, le cours du docent présente un intérêt quelconque pour l’enseignement universitaire, le Sénat universitaire, d’accord avec le conseil de l’Université respective et le ministre, peut reconnaître le cours comme obligatoire. Dans ce cas, le docent passe comme agrégé et il est rétribué par l’État. Le nombre des docents n’est pas limité. Les docents peuvent au besoin suppléer les agrégés et les professeurs aux cours et aux examens, mais avec l’approbation du Recteur ; si le temps pendant lequel il doit suppléer dépasse quinze jours c’est le Ministre qui décide (art. 63).

Pour être docent universitaire dans n’importe quelle branche, il faudra posséder le diplôme de docteur et passer, en outre, un examen : examen de abilitare (examen de confirmation).

« Le candidat présente à la Faculté près de laquelle il veut passer l’examen : d’abord une demande accompagnée d’un mémoire sur les études faites et ses travaux scientifiques. La Faculté, après avoir apprécié la demande du candidat, la soumettra à l’approbation du Ministre ».

L’examen doit être annoncé six mois d’avance et aura lieu à l’Université près de laquelle la vacance est déclarée, devant une Commission composée de trois professeurs : « nommés par le doyen » et choisis parmi les professeurs de la Faculté respective qui représente la spécialité pour laquelle le concours a lieu, et deux professeurs universitaires, nommés par le Ministre, qui désignera en même temps le président du Conseil parmi les membres de la Commission.

L’examen consiste dans quatre épreuves :

« 1o Un travail original, imprimé, concernant la matière sur laquelle il doit passer l’examen. Dans aucun cas ce travail ne pourra être remplacé par la dissertation avec laquelle le candidat a obtenu le titre de docteur ;

2o Un entretien (colloquium) sur la spécialité, pour laquelle il doit subir l’examen ;

3o Deux leçons publiques, faites après vingt-quatre heures de préparation sur des sujets donnés par la Faculté ;

4o Les candidats pour la docence dans les sciences expérimentales ou médicales, doivent faire en plus, deux travaux pratiques dans le laboratoire ou dans l’hôpital, sur des sujets donnés par la Faculté et dans le temps fixé par elle » (art. 64).

Malgré toutes ces conditions réclamées par le concours de docent, l’institution des docents nous paraît bien inutile, d’abord puisqu’elle implique une situation pécuniaire pour avoir la possibilité de faire des cours pendant trois ans sans être payé ; et secundo, à quoi bon subir toutes ces épreuves, qui demandent une assez longue préparation, quand on n’assure aucune situation immédiate ? Il est vrai que les docents peuvent être secrétaires des séminaires pédagogiques, chefs de travaux dans les laboratoires, prosecteurs, conférenciers, assistants auprès des cliniques de la Faculté de médecine, etc… (art. 63). Mais alors ils seront empêchés par leurs occupations de bien faire leur besogne ; car, un cours nouveau réclame du temps et même beaucoup de temps, d’autant plus qu’il doit tâcher d’intéresser, d’une part, les étudiants et de l’autre : la Faculté de laquelle il attend la consécration définitive. Il est vrai que dans d’autres pays cette simultanéité d’intérêts didactiques et personnels arrive à être conciliée, comme, par exemple, en Allemagne, mais de là on ne pourrait pas conclure la possibilité dans un pays, comme la Roumanie, où les aspirations sociales, scientifiques et littéraires, commencent à peine à s’ébaucher et avoir la prétention d’emprunter des institutions d’enseignement à un pays, qui vit depuis plusieurs siècles ! C’est là, il nous semble, un défaut de cette nouvelle organisation universitaire, un défaut plutôt pratique que théorique.

Les agrégés font les cours fondamentaux, de même que les conférences et les travaux pratiques qui s’y rapportent. Ils peuvent être en même temps, directeurs de séminaires pédagogiques, des laboratoires, chefs de cliniques, etc… (art. 65).

Un agrégé peut être élevé au rang de professeur, dans la chaire près de laquelle il est agrégé, seulement s’il a fonctionné comme agrégé « pendant cinq années consécutives et s’il s’est distingué par les travaux scientifiques sur la matière qu’il professe ou par la valeur de son cours » (art. 66).

Toutes les fois qu’une chaire est déclarée vacante, le ministère, après l’avis du conseil de la Faculté respective, peut nommer comme suppléant l’un des docents, des agrégés ou des professeurs de la faculté (art. 68).

La vacance est publiée en même temps par le Bulletin officiel (Monitorul oficial). Dans l’espace de deux mois de publication de la vacance, les candidats font leurs demandes au ministère, accompagnées d’un double exemplaire de leurs titres et travaux scientifiques ; un de ces deux mémoires est envoyé par le ministère à la Faculté respective. Le Sénat universitaire, d’accord avec le corps des professeurs des Facultés respectives, a le droit de recommander au ministère un candidat parmi ceux qui ont fait la demande, ou en dehors de ceux-là. La recommandation pourra être faite : a) parmi les professeurs ou les agrégés d’une des Facultés respectives, qui ont fait des travaux, dans la spécialité de la chaire vacante ; b) parmi les docents en exercice, qui ont fonctionné sans interruption au moins trois ans, comme docents ; c) parmi les Roumains qui occupent une fonction équivalente à celle de professeur ou d’agrégé dans une Université étrangère ; d) parmi d’autres personnes qui se sont distinguées par des travaux scientifiques d’une grande importance, dans la spécialité à laquelle appartient la chaire vacante (art. 69). Si l’Université ne trouve aucune personne compétente parmi les postulants, elle peut très bien ne recommander personne, mais alors le rapport doit être motivé et les titres, de même que les travaux scientifiques des candidats, doivent être discutés. Les décisions de l’Université sont soumises à l’approbation du Ministre, qui a le droit de ne confirmer aucun des candidats recommandés par l’Université.

Si la personne recommandée comme professeur a été agrégée, elle pourra être nommée seulement dans le cas où elle aurait professé au moins pendant cinq années consécutives dans le service de l’agrégation et étant recommandée du moins par une des deux Universités ; si elle n’a pas été agrégée, elle pourra être nommée comme agrégée du professeur, d’après la durée et l’importance de ses travaux scientifiques, dans la spécialité pour laquelle elle en fait la demande.

Si toutes ces conditions imposées (article 69) aux aspirants du professorat ne sont pas remplies par une personne, qui présente une garantie suffisante, un concours a lieu pour l’agrégation, à la chaire vacante. Le concours consiste dans les mêmes épreuves que l’examen pour la docence (examenul de abilitare) et le candidat qui aurait réussi sera nommé agrégé provisoire pour trois ans ; le titre définitif ne lui sera donné qu’après ces trois ans, et si le Sénat universitaire le recommande, après les propositions du Conseil de la Faculté respective. Dans le cas contraire, on lui accorde encore deux termes, d’une année chacun, et si pendant ce temps il n’arrive pas à être nommé à titre définitif, il cesse de figurer parmi le nombre des agrégés (art. 70).

L’examen de la docence et en second lieu, celui de l’agrégation sont en somme les deux examens fondamentaux, et en supposant que le candidat passe par tous ces stages, il lui faut au moins huit années pour arriver professeur universitaire. Ces dispositions très mathématiquement conçues et expliquées et quoique assez logiques au point de vue de l’intérêt de l’enseignement, sont loin d’être assez démocratiques, car elles donnent l’accès, elles ouvrent seulement aux classes aisées les moyens d’arriver aux plus hautes distinctions universitaires. La loi est nette sur ce point, et un docent, qui a fait un cours pendant trois ans aura plus de chance et même toutes les chances d’être nommé agrégé et plus tard professeur, avant le candidat à l’agrégation, simple professeur de lycée qui n’ayant pas les moyens de se payer le luxe d’un cours universitaire, a été obligé de passer l’examen de capacité, tout en travaillant pour guetter une chaire d’agrégation.

Un autre désavantage, hélas, bien difficile à vaincre, n’importe dans quel pays et par n’importe quelle loi, c’est celui qui résulte de la dépendance immédiate des docents et agrégés des conseils et des sénats universitaires ; les recherches scientifiques et les opinions littéraires nous semblent devoir être énormément influencées par les opinions des vieux maîtres, les juges et les seuls maîtres de la situation des docents et des agrégés. Les clans et les groupes ne cesseront pas de se former et la dignité scientifique et littéraire sera — nous donnons cette opinion en connaissant surtout le pays et les mœurs — une fonction de la situation individuelle. Ne serait-il pas possible de faire plus indépendante la situation des nouveaux éléments et de les faire maîtres de leurs opinions et recherches ?

Une disposition assez digne d’être signalée, c’est celle statuant qu’on pourrait choisir comme professeur, une personne qui se fait remarquer par ses travaux. Espérons que les gouvernements profiteront plutôt de ces dispositions surtout en ce qui concerne le côté scientifique, car il nous semble, qu’il vaut mieux avoir à une chaire, un maître de la science, même s’il parle une langue étrangère, au lieu des inconnus, des simples titrés. De cette manière on hâterait le mouvement scientifique qui commence à peine, et par le contact des élèves avec les maîtres, une discipline intellectuelle sera établie plus vite et la tradition, de même que l’émulation ne tardera pas de cette manière à enthousiasmer la jeunesse. L’exemple si intéressant de la régénération scientifique, si digne et si considérable, de l’Italie et de la Suisse, pourra attirer l’attention de la Roumanie, si avide pourtant de la vie civilisée[9].

Les professeurs sont payés 900 francs par mois et les agrégés 500 francs ; les docents occupant des fonctions dans des laboratoires sont payés d’après le budget de ces institutions. L’occupation des fonctions dans les différentes institutions universitaires est en somme le seul avantage matériel, que confère le titre de docent. Les appointements des professeurs et des agrégés augmentent par rapport au nombre des années de service (art. 36 et 80). Les professeurs et les agrégés qui dirigent des laboratoires peuvent recevoir en plus une somme (diurne)[10] de 300 francs par mois ; une exception est faite pour les instituts et les laboratoires créés par des lois spéciales.

Des nouveaux dispositifs règlent les droits des professeurs à la retraite[11], leurs attributions, les conseils universitaires, de même que la discipline des étudiants, soumise plus directement au Sénat universitaire[12].

VI

Il ne nous reste qu’à parler des séminaires pédagogiques[13] créés par la nouvelle loi et de l’école normale supérieure de jeunes filles.

Sous l’influence de l’enseignement universitaire français, on a fondé, il y a quelque temps une école normale supérieure, et chose assez curieuse en Roumanie il y avait deux écoles normales, une à Jasi et l’autre à Bucuresci, tandis qu’en France, pour une population tout à fait incomparable avec celle de la Roumanie, il n’y en a qu’une seule.

Il faut l’avouer, les anciennes écoles normales supérieures étaient loin de ressembler à leur modèle, l’école normale française ; sans matériel suffisant pour l’enseignement, sans un corps enseignant spécial et bien préparé, elles n’étaient en somme qu’une sorte d’internat, où les étudiants couchaient, prenaient leurs repas, faisaient un peu de violon et restaient enfermés pendant toute la semaine, tandis que leurs camarades de l’Université étaient libres de cette discipline de caserne. C’est sous feu A. Odobescu, admirateur enthousiaste de la culture française qu’il connaissait si profondément, qu’une des écoles, celle de Bucarest, a eu un éclat vraiment normalien. Les éléments sortis de l’école étaient loin de répondre à la hauteur de cette institution, sinon par leur prétention. De sorte que pour faire des écoles normales, ce qu’elles impliquaient, il faudrait comme l’a si clairement expliqué M. Haret lors de la discussion au Sénat, créer toute une nouvelle Université, avec des laboratoires, bibliothèques, corps enseignant, etc., et pourquoi cet avantage pour 60 étudiants alors que le reste n’en profite pas ? Dans le nouveau projet, les écoles normales cessent d’exister et elles sont remplacées par des bourses données[14] à des élèves ayant réussi à un concours spécial, instituant en même temps près de chaque Université un séminaire pédagogique, pour préparer le personnel didactique de l’enseignement secondaire (art. 9).

« Les travaux du séminaire pédagogique seront théoriques et pratiques. Au point de vue théorique, le séminaire pédagogique a pour but de familiariser les candidats avec les discussions et la littérature pédagogique. Au point de vue pratique, les séminaristes feront la pratique didactique dans une école secondaire de garçons, qui sera attachée auprès du séminaire, comme école d’application. » (art. 91).

Un maître de conférences, nommé par le Ministre, parmi les professeurs de pédagogie ou les agrégés et professeurs qui se sont fait remarquer par leur compétence et leurs travaux en pédagogie, dirigera les travaux du séminaire. Plusieurs répétiteurs l’aideront dans sa tâche. L’école d’application du séminaire pourra être dirigée ou par le conférencier de pédagogie ou par un des répétiteurs du séminaire ; dans le dernier cas, il travaillera sous la direction du maître des conférences. Les étudiants, qui se destinent à la carrière didactique sont obligés de suivre d’une manière régulière les travaux théoriques et pratiques du séminaire pédagogique (art. 23 et 91).

En dehors du séminaire pédagogique, dans chaque Université, la nouvelle loi dispose l’organisation des séminaires, analogues à ceux qui existent surtout en Allemagne près des Facultés de lettres et de philosophie et dans lesquels on fera des travaux pratiques.

Si l’école normale des jeunes gens n’existe plus, d’après la nouvelle loi, pour les Jeunes filles, une nouvelle école normale supérieure vient d’être créée.

Les conditions sociales différentes de la femme et de l’homme indiquaient cette création. Le but de cette école est de préparer des professeurs pour les écoles secondaires de jeunes filles. L’école est divisée en deux sections : littéraire et scientifique. Dans la section littéraire on enseignera « les langues roumaine, latine, française et allemande ; l’histoire des littératures antiques et modernes ; l’histoire des arts ; l’histoire générale et l’histoire roumaine ; l’esthétique, notions d’économie politique, le droit usuel et l’instruction civique ». Dans la section scientifique on enseignera : « les mathématiques avec la comptabilité, la cosmographie ; la physique ; la chimie ; la physiologie ; la zoologie ; la botanique ; la minéralogie et la géologie ; l’hygiène ». Dans les deux sections on enseignera la géographie générale de la Roumanie, la psychologie, la logique et la pédagogie (art. 94).

Les cours seront pour chaque section de trois ans. Les cours et les conférences pratiques seront faits par des maîtres de conférences rétribués par des diurnes ; le ministre pourra choisir ces maîtres des conférences « d’après les nécessités de l’école », parmi les professeurs universitaires, agrégés, docents ou même parmi des étrangers engagés par contrat (art. 95).

Les élèves de troisième année « feront la pratique pédagogique dans une école secondaire de jeunes filles de deuxième degré, sous la direction du maître de pédagogie et des maîtres respectifs » (ibidem).

Après les trois années d’études, les élèves doivent passer un examen de capacité devant une commission, composée des maîtres respectifs de la section et des délégués du Ministère. On inscrit dans un tableau les élèves dans leur ordre de réussite à l’examen. Les élèves qui ne réussissent pas à cet examen de capacité pendant trois sessions perdent le droit de se présenter à l’examen (art. 96).

Les élèves sont internes, boursières ou payantes, et sont reçues à la suite d’un concours, parmi les élèves ayant terminé les écoles secondaires de jeunes filles du deuxième degré, parmi les élèves ayant terminé les écoles normales d’institutrices et parmi les jeunes filles possédant des titres équivalents » (art. 98).

VII

Nous nous sommes efforcé de donner en quelques pages l’esquisse de cette nouvelle loi, qui nous a paru digne d’être signalée par la nouveauté et l’importance des problèmes qu’elle agite ; nous avons passé sur beaucoup de détails et même sur des faits intéressants, n’insistant que sur les points principaux de l’organisation scolaire. Comme on le voit, la loi suppose une profonde connaissance de l’enseignement en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie et même aux États-Unis et les larges et intelligentes contributions auxquelles les organisations scolaires de ces pays sont soumises, en sont une preuve indubitable.

Mais il y aurait pourtant encore à ajouter quelque chose aux quelques critiques, que nous nous sommes permis de faire au cours de notre exposition. En dehors de l’institution des docents, de la création d’une nouvelle Faculté de théologie, il nous semble que la nouvelle loi a l’air d’être trop imbibée de sentiments religieux, car la religion doit être enseignée même dans les classes supérieures du lycée. Il sera bien difficile de concilier l’enseignement religieux, avec l’enseignement scientifique ; surtout au lycée, où les jeunes gens commencent à distinguer ce qui est vrai et faux et s’aperçoivent bien vite de ce que peut signifier une légende. En outre, la loi tout en étant parfaitement étudiée est loin — pour le moment surtout — de répondre au niveau intellectuel du pays ; la loi quoique irréprochable a un mauvais côté pour l’application immédiate. D’où pourrait-on prendre toute cette élite qui formera l’enseignement universitaire ? Comment pourrait-on faire face à tous ces travaux originaux, réclamés par les concours ? Le mouvement scientifique et littéraire, de même que le niveau intellectuel actuel est très loin de répondre aux exigences de la nouvelle loi, et il faudra encore une vingtaine d’années pour avoir ce milieu scientifique qui sera capable de fournir tant de travaux originaux, car hélas ! l’originalité est bien difficile, quand on se rend bien compte de la valeur de ce mot ! Nous craignons qu’avec cette organisation, des travaux superficiels ne remplissent le domaine de la publicité, d’ailleurs comme ceux qui sont survenus après l’ancienne loi, qui réclamait un travail imprimé pour l’examen de licence ès lettres et droit, Il y a là une lacune qui sera peut-être évitée par cette commission de 90 personnes qui travaillent en ce moment, sous la présidence du ministre, pour étudier les règlements et les programmes réclamés par la nouvelle loi. La présidence de MM. Haret, et C. Dimitrescu-Iasi est une bonne garantie, que la commission sera alimentée des meilleurs aspirations, pour faire de cette loi, œuvre d’une génération d’élite, une excellente et praticable loi.

On pourrait alors dire, en tenant compte de la loi de l’enseignement primaire due à M. Take lonescu, que la Roumanie est au courant des questions pédagogiques et que l’enseignement roumain est digne de l’attention de l’Occident civilisé. Encore une fois, il faut bien réfléchir à cette transition brusque avec le présent, pour pouvoir empêcher beaucoup de malentendus et préparer l’époque, peut-être un peu lointaine, où cette loi pourra être applicable dans toute son étendue.

Paris, le 20 mai 1898.

N. Vaschide,
Lauréat de l’Université de Bucarest.
  1. L’Université de Jasi a été fondée en 1860, et celle de Bucuresci en 1863.
  2. La Chambre des députés a voté cette loi dans la séance du 18 février 1898 et elle a été adoptée avec une majorité de 107 voix contre 6 ; un mois après le Sénat l’a adoptée avec une assez grande majorité.
  3. Pour plus de détails concernant l’historique du développement de l’enseignement en Roumanie voir l’important travail de M. V. A. Urechia, l’éminent collaborateur de cette revue, « Istoria Scoalelor de la 1800 la 1864. » (Histoire des écoles de 1800 jusqu’à 1864). Bucuresci, 1894, 3 vol. ; de même que l’important rapport, qui a précédé le projet de loi à la Chambre dû à M. C. Dimitrescu-Jasi, professeur universitaire et un des plus compétents dans les matières de l’enseignement, rapporteur et actuellement vice-président de la Chambre. Le rapporteur de la loi au Sénat a été M. G. G. Meitani.
  4. Le temps d’inscription est du 16 au 31 août inclusivement.
  5. Le rapport du comité des délégués de la Chambre concernant le projet sur l’enseignement secondaire et supérieur. Bucuresci. 1898, pp. XV. 1 vol. in-8.
  6. Les externats étaient des écoles secondaires avec cinq classes.
  7. Des conditions analogues concernent les maîtres d’armes, de gymnastique et de religion (art. 29 et 30).
  8. Rapport cité, p. XXI.
  9. En dehors de ces titulaires, il peut y avoir aussi des cours libres, enseignés par des simples particuliers, avec l’autorisation de l’Université.
  10. On entend par diurne une somme qui n’est pas soumise à la retenue ni à la gradation (augmentation).
  11. Seulement après 30 ans de service, un professeur ou un agrégé peut être mis à la retraite d’office ; l’avis du Sénat universitaire est alors nécessaire, de même que celui du collège des professeurs. Cet avis est donné par un vote secret avec des boules et sans discussion ; le conseil permanent de l’instruction donnera l’avis définitif. — Après 40 ans de service, les professeurs et les agrégés peuvent être mis à la retraite par le Ministre de l’Instruction publique, toujours avec l’avis du conseil permanent. — L’âge de 75 ans passé la retraite est obligatoire (art. 78).
  12. L’Université est dirigée et administrée par un recteur nommé par un décret royal pour un terme de 3 ans, et choisi par 3 personnes recommandées par le conseil universitaire, parmi les professeurs qui enseignent. Le recteur reçoit 500 francs par mois et peut être rééligible. Il faut avoir professé au moins 8 années pour pouvoir être élu comme recteur, et être âgé de 40 ans (art. 81). — Chaque Faculté est administrée par un doyen, élu par le conseil de la Faculté pour un terme de 2 ans et ayant 150 francs par mois. — Le Sénat universitaire est composé du recteur, qui le préside, des doyens et 5 membres désignés par les 5 Facultés, un pour chacune d’elles, les membres ne peuvent être élus que parmi les professeurs universitaires en activité et sont nommés pour une durée de 2 ans. — Les agrégés font partie du conseil universitaire.
  13. On entend en Roumanie par séminaire ce qu’on entend en France par conférence.
  14. Les bourses seront d’au moins 100 francs par élève, et une partie sera désignée à ceux qui se consacreront à la carrière didactique. Des règlements sévères concernent les boursiers.