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Lausanne à travers les âges/Aperçu/08

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Collectif
Librairie Rouge (p. 38-40).


VIII

Dispute de Lausanne.

La conséquence de la conquête bernoise fut l’établissement définitif de la Réforme. Tandis que Farel parcourait le Chablais, Viret prêchait dans le Pays de Vaud. Charles-Quint et François Ier guerroyaient alors au sud des Alpes. À la faveur de ces rivalités princières, les Bernois organisent leur conquête et font servir la Réforme à leurs vues ambitieuses. Les Vaudois, peu portés aux nouveautés, mais d’un caractère malléable, acceptèrent de bonne grâce les conceptions théologiques qui leur furent enseignées.

Pour accréditer la nouvelle foi, les Bernois annoncèrent l’intention d’organiser, suivant l’usage du temps, une dispute religieuse et publique dans la cathédrale de Lausanne. Charles-Quint, promptement informé de leur projet, envoya aux Bourgmestre, Conseils et bourgeois, avant que l’édit fût publié, la lettre, dont nous avons donné plus haut le texte, afin de les engager à s’opposer à cette dispute. Les Conseils, se sentant appuyés par l’empereur, résolurent :

1o De continuer à vivre en bons catholiques, en attendant la convocation du concile général annoncé ;

2o De refuser de devenir les sujets d’une ville étrangère et de rejeter le mode de vivre que Berne voulait lui imposer, sans même l’avoir proposé aux trois États de Lausanne.

Les plus grands honneurs furent rendus à Berne aux députés lausannois chargés de présenter ces résolutions, mais on ne leur donna aucune réponse précise : la question devait faire l’objet d’un message spécial, qui ne tarderait pas à être porté à la connaissance des Messieurs de Lausanne. En effet, le 16 juillet, parut un édit fixant au 1er octobre la dispute de religion.

La cathédrale fut choisie pour ce colloque, qui attira une foule nombreuse. La dispute dura six jours. Tout avait été organisé de manière à impressionner les auditeurs. Les autels, les images et les statues avaient été voilés. Les commissaires bernois : J.-J. de Watteville, Diesbach, Schleif, Hubelmann et le bailli de Lausanne, J. Nægueli, assistèrent aux débats. La présidence fut confiée d’une part, à deux Bernois, Nicolas de Watteville et Cyro, et d’autre part à deux Lausannois, le chanoine Fabri et le docteur en droit conseiller Gérard Grand. Quatre notaires, dont Jacques Bergier[1], tenaient le protocole de la dispute.


Vieux bâtiments académiques.

Les tenants pour les catholiques étaient le jacobin Monbouson, Drogy, vicaire à Morges, Mimard, maître d’école à Vevey, Berrilly, vicaire à Préverenges, Jean Michod, doyen de Vevey, Ferrand Loys, capitaine de la jeunesse, et le médecin Blancherose. Un des coreligionnaires de ce dernier, le banneret Pierrefleur, nous en a fait un piquant portrait. « Entre tous les opposants qui fort se présenta, dit-il, ce fut un médecin nommé Blancherose, homme tenant de la lune et fort fantastique, lequel en ses disputes mêlait la médecine avec la théologie et faisait incontinent à rire. »

Ensuite d’ordres de l’évêque aucun des membres du clergé de Lausanne ne se présenta pour tenir tête aux partisans de la Réforme. Les chanoines se bornèrent à entrer en corps dans la cathédrale. L’un d’eux lut une protestation, puis ils se retirèrent. La nouvelle foi au contraire fut brillamment représentée ; elle avait pour porte-voix Viret, Farel, Caroli et Calvin.

Le tournoi se termina par le triomphe des réformateurs. Ferrand Loys, l’opposant laïque, et quelques prêtres passèrent à la Réforme. Cet exemple fut suivi par plusieurs personnes. Les zélateurs de la nouvelle foi brisèrent les autels, les images et les crucifix de la cathédrale, croyant donner par là la mesure de leurs récentes convictions.

Le 24 décembre 1536, LL. EE. promulguèrent un Édit de Réforme. Les sacrements furent réduits à deux, les images supprimées, ainsi que la messe, les pélerinages et toutes les cérémonies de l’ancien culte. Les ecclésiastiques furent autorisés à se marier ; le jeu et la danse prohibés ; le nombre des jours fériés réduit.

Une partie des biens d’Église fut affectée à l’entretien des pasteurs, des maîtres d’école et des indigents, ainsi qu’à des pensions en faveur des ecclésiastiques, chanoines et prêtres titulaires de prébendes. Une autre partie importante servit à faire des largesses aux communes. La petite « Largition », du 1er novembre 1536, et la grande Largition du 18 avril 1548, diminuèrent les répugnances que les Lausannois avaient pour le nouveau régime. L’administration communale, pauvre sous les évêques, vit sa position notablement améliorée par l’abandon que les Bernois lui firent des belles forêts de Sauvabelin et du Jorat, ainsi que des biens du prieuré de Saint-Sulpice, des couvents de Sainte-Catherine et de Bellevaux et du monastère de Montheron, avec des vignes du Dézaley d’En-Bas[2]. LL. EE. ne s’oublièrent pas dans cette répartition : elles gardèrent pour elles une importante partie des domaines de l’Église et emportèrent à Berne le magnifique trésor de la cathédrale, qui se composait de statues en or et en argent, de châsses, de reliquaires, de crucifix, ciboires, calices, encensoirs, manteaux, chandeliers, lampes, bassins, pierres précieuses, étoffes, tapis, broderies, missels et manuscrits d’une valeur incalculable[3]. Pour se faire une idée de l’importance de ces richesses, il faut se souvenir qu’avant la Réforme, le clergé possédait à peu près le tiers de la propriété immobilière du pays. On a évalué le revenu de l’évêque à soixante mille écus d’or et celui de chacun des chanoines à quatre mille.

  1. Ancêtre en ligne directe du président actuel du Conseil communal.
  2. Le Dézaley d’enhaut dépendait du couvent de Haut-Crêt ; il fut acquis par la ville en 1803.
  3. Voir les mémoires de M. Ernest Chavannes sur le trésor de la Cathédrale (Lausanne, 1863), et, sur le même sujet, celui de M. J. Stammler, publié en 1902 dans les Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande, série II, tome V.