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Lausanne à travers les âges/Vie à Lausanne/03

La bibliothèque libre.
Collectif
Librairie Rouge (p. 195-200).


III


Théâtres, ancien Casino, Kursaal.

Il existait autrefois un théâtre dans la maison où se trouve aujourd’hui la Chapelle de Martheray ; construit en 1802 par Abraham Duplex, on l’appelait la « Salle Duplex » ; après différentes péripéties, ce premier théâtre fut fermé en 1859. Il existait aussi autrefois un Casino sur la place située au nord de la Banque cantonale. Bâti en 1825, il a été démoli en 1891 pour permettre l’achèvement de l’avenue du Théâtre. C’était un bâtiment fort bien compris, possédant une jolie salle de conférences, pouvant contenir 400 personnes et servant à toutes sortes d’usage.

Cette salle a joué un rôle historique : des assemblées politiques s’y sont tenues en 1845 et en 1861. C’est là aussi que siégèrent, en septembre 1869 et en septembre 1871, les Congrès de la Paix sous la présidence de Jules Eytel, que secondait Chappuis-Vuichoud. On y vit sur l’estrade Victor Hugo, Jules Ferry, Edgar Quinet, Simon (de Trêves), Hodgson-Pratt, Ferdinand Buisson, Sonnemann, Elie Ducommun, James Fazy, William Reymond, le prof. Raoux, Blech, Armand Gœgg, Lemonnier, Mme Paule Minck, Mme Gœgg, Mme Delhomme, Mme André Léo, etc. — A côté des personnages de premier plan en figurent d’autres qui eurent leurs moments de célébrité et dont les noms sont aujourd’hui oubliés. On y lut des lettres enflammées de Mazzini, de Gambetta, de Michelet ; on y refit en idée la carte de l’Europe.

Le premier de ces congrès avait été digne : c’étaient les « vieilles barbes » de 1848, les idéalistes à la manière de Victor Hugo, qui y prédominaient. Le second fut tumultueux ; les communards, le cordonnier Gaillard en tête, y menèrent grand tapage ; au nom de la Liberté, on y fit l’éloge du crime et de l’anarchie ; les tribunes où se trouvaient Edmond de Pressensé, Adam Vulliet et nombre de Lausannois protestèrent. Une partie des congressistes se joignirent à ces protestations ; on n’en mit pas moins à la porte, toujours au nom de la Liberté, le reporter de L’Estafette, qui avait parlé irrévérencieusement du congrès, et — comme l’écrivait l’un de ses collègues — le vaudeville tourna au drame. Les séances suivantes furent moins orageuses : les éléments modérés reprirent le dessus ; la parole fut retirée aux défenseurs de la Commune. L’assemblée aborda la question d’Orient, et termina ses travaux par l’adoption de thèses (formulées par Simon de Trêves et Lemonnier), entre lesquelles on peut remarquer celles-ci : « L’obéissance aux verdicts du suffrage universel prononcés par la majorité est le premier devoir du citoyen. » — « Il n’y a République que là où il y a autonomie, c’est-à-dire là où l’indépendance humaine est respectée. » — « Le droit des populations de disposer d’elles-mêmes est supérieur à leur nationalité. » Le congrès se termina par un banquet où les éléments tapageurs reprirent le dessus : Mmes Paule Minck et Delhomme étaient débordantes d’enthousiasme, le communard Gaillard porta, pour terminer, un toast aux « trois plus grands héros de l’humanité » : Guillaume Tell, J.-J. Rousseau et Marat !

Peu d’années après, le même Casino, dont les jours étaient comptés, abrita provisoirement le Tribunal fédéral, lorsqu’il vint se fixer à Lausanne le 1er janvier 1875. Les juges fédéraux eurent, comme salle de délibérations, l’ancienne salle des concerts ; le greffe s’établit dans l’ancien café Widmer.

En 1871 fut inauguré le Casino-Théâtre actuel.

Il fut construit par une société anonyme ayant à sa tête un comité composé de MM. F. de Loys, S. Charrière de Sévery, Ph. Ogay, Albert Francillon et Gustave Auberjonois. Le capital actions fut arrêté à 500000 francs dont 350000 francs souscrits par le public lausannois ; la Bourse communale prit pour 150 000 francs d’actions, mit gratuitement un spacieux terrain à la disposition de la société pour cinquante ans, et prêta sur hypothèque une somme de 123 000 francs. La population ayant doublé depuis, cette salle de spectacles est devenue trop exiguë dans les grands jours ; aussi réclame-t-on aujourd’hui la construction d’un nouveau théâtre qui s’imposera tôt ou tard.

Église évangélique allemande (1906), Av. Villamont.

En hiver, une troupe de comédie donne des représentations, trois par semaine ; les acteurs sont recrutés avec soin ; le directeur, M. Darcourt, s’efforce de varier son répertoire et d’offrir des nouveautés afin de tenir les Lausannois au courant des succès artistiques de Paris. Au printemps sont organisées une vingtaine de représentations d’opéra-comique ou d’opérette, qui sont généralement très courues. Jadis, le théâtre ne recevait pour toute subvention que la fourniture du gaz et le service des pompiers ; depuis 1898 il lui est alloué en outre une subvention en argent qui est actuellement de 21 000 francs. Des représentations populaires, au nombre de 9, à des prix très réduits (50 cent, et 1 franc) ont été imposées par le Conseil communal.

Tel qu’il est, ce modeste théâtre a rendu bien des services. Il rappelle à ceux qui l’ont fréquenté depuis trente ans les noms d’Agar, Sarah Bernhardt, Brasseur, Baron, Lasouche, Mounet-Sully, les trois Coquelin, Réjane, Talbot, Le Bargy, Paul Mounet, Gémier, Yvette Guilbert, Lina Munte, Rosa Bruck, Lugné Poë, Georgette Leblanc, Féraudy, Sylvain et bien d’autres encore. Comme salle de concerts il a servi à Rubinstein, Planté, Sarasate, Joachim, Wilhelmj, Saint-Saëns, Paderewski, Marsick, Brema, Sevadjier, d’Albert, Risler, Schelling, Marteau, Delafosse, Fritz Blumer, de Merindol, Guillemot, Koszalsky, etc.

La petite salle de conférences et celle des spectacles ont vu défiler bien des conférenciers du pays et du dehors plus ou moins connus, plus ou moins illustres ; les rappeler tous serait oiseux ; mentionnons quelques-uns seulement : Charles Secrétan, Eugène Rambert, Edmond de Pressensé, Francis de Pressensé, Coppée, Mme Ernst, Alphonse Schéler, Mme Gréville, Jean Aicard, Paul Desjardins, Flammarion, le ci-devant abbé Charbonnel, Ed. Secretan, Edouard Rod, Paul Seippel, Victor Margueritte, Brunetière, René Doumic, Bordeaux,


Vue générale de Lausanne, prise de Montbenon, en 1905.



etc., qui par leur esprit, leur verve et leur savoir ont fait passer des heures charmantes aux intellectuels lausannois.

En 1901 a été inauguré, sur la place Bel-Air, un Kursaal qui tient à la fois du music-hall et du théâtre variétés ; on pouvait craindre au début qu’il fît tort au Théâtre ; mais ce dernier a très bien supporté cette concurrence.