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Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre XIII

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CHAPITRE XIII.

CLASSIFICATION DES ENGRAIS.


On peut diviser les engrais en deux grandes classes : engrais organiques, engrais minéraux ou chimiques.

I. Engrais organiques. — Les engrais organiques proviennent tous de la végétation, soit directement, soit par l’intermédiaire des animaux. Ce sont parfois des plantes vertes ou sèches, ou des résidus provenant des plantes ou de leurs fruits. Ce sont aussi des dépouilles d’animaux, des résidus industriels issus de matières animales, ou même très souvent des déjections solides ou liquides, provenant des animaux vivants, mélangées ou non avec des débris végétaux.

À cause de leur origine commune, ces engrais contiennent toujours les éléments constitutifs des plantes, nécessaires à leur nutrition, azote, acide phosphorique, potasse, chaux et même soufre et magnésie. Ces principes sont visiblement distribués en proportion très variable, et les écarts de composition sont même très grands pour une même matière.

Le tableau suivant fait connaître en kilogrammes les poids de matières fertilisantes contenus dans 1,000 kilogrammes des divers engrais organiques : les valeurs inscrites sont des moyennes.

NATURE DES ENGRAIS. AZOTE TOTAL ACIDE
phosphorique.
POTASSE. CHAUX.
ENGRAIS VÉGÉTAUX.
Roseaux 4 à 2,7 1,8 à 0,4 3 à 6 2,7
Triangles de marais 5,7 1,5 5,8 »
Buis (séché) 35 » » »
Fougères (sèches) 24 3 à 4 27 à 18 8 à 6
Genêts (secs) 25 3 à 1 5 à 9 2 à 4
Bruyères (sèches) 8 à 10 0,3 à 1 2 à 3,7 2,3 à 3,5
Warechs verts 4 à 5 1,1 » 7 à 11
Warechs secs, du Nord 14 4 16 17
Algues sèches, de Méditerranée 5 1,1 1,8 »
Tourbes 6,4 à 25 0,9 0,8 »
RÉSIDUS VÉGÉTAUX.
Balles de blé 7,2 4,0 8,4 2
Balles d’avoine 6,4 0,2 10,4 7
Marcs de raisin 8 à 18 2,5 à 4,3 2 à 16 »
Lies de vin (sèches) 19 38 » »
Marcs d’olives 8 à 13 2,5 à 1 8 »
Marcs de pommes 1,1 à 2,8 0,4 à 0,9 1,2 à 3 »
Tourteaux de colza 49 28 14 »
Tourteaux de lin 50 à 75 5,9 à 13 15 »
TouId.aux d’arachide 54 à 75 5,9 à 13 15 »
TouId.aux de coprah 39 11 25 »
TouId.aux de coton 32 à 65 12 à 30 16 »
TouId.aux de sésame 55 à 63 16 à 20 14,5 »
Déchets de coton 10 à 15 4 à 5 » »
Marcs de café secs 18,5 120 » »
RÉSIDUS ANIMAUX.
Fumier de ferme (moyenne) 5,5 3,7 6,0 7,0
Liquide de vidange 9,4 3,3 2,0 »
Liquide de vidange 6,0 » » »
Liquide Id. 0,27 » » »
Poudrettes 3,2 à 28 5,7 à 81 1 à 20 »
Colombines 83 à 53 44 » »
Sang frais 30 0,4 0,6 »
Sang desséché 54 à 139 5 à 15 6 à 8 »
Chair desséchée 70 à 140 2,5 à 80 3 à 8 »
Os verts (frais) 40 à 45 210 à 220 » »
Os dégélatinés 9 à 18 275 à 310 » »
Débris de poisson 38 à 100 » » »
Poils et cheveux 140 à 170 » » »
Cornes 143 à 166 » » »
Plumes 178 » » »
Rognures de cuir 93 » » »
Marcs de colle 37,5 » » »
Chiffons de laine 50 à 80 1,8 1,9
Tontisses de laine 20 à 60 » » »
Poussières de laine 25 à 50 2 à 13 3 à 9 »
Guanos 6 à 178 110 à 160 6 à 27 »
ENGRAIS DIVERS.
Eaux d’égoût (Paris) 0,02 à 0,08 0,01 à 0,06 0,02 à 0,06 »
Eaux Id. égoût(Bruxelles) 0,14 0,05 0,11 »
Eaux Id. égoût(Berlin) 0,10 0,04 0,04 »
Eau du Nil 0,001 0,0004 0,0037 0,05
Limon du Nil 1,1 1,9 67 15
Vases de rivière 2 à 2,9 » » »
Tangue de Normandie 0,3 à 1,6 0,8 à 14 » 129 à 280
Merl de Bretagne 0,5 0,1 à 2 » 308 à 430
Gadoues vertes (Paris) 3,8 4,1 4,2 25 à 32
Gadoues noires (fermentées) 4,0 4,7 5,0 30
Suie de bois 11,5 » » »
Suie de houille 13,5 » » »
Cendres de bois 0 8 à 150 56 à 176 250 à 400
Cendres de houille 0 2 à 30 5 à 25 13-200
Cendres de tourbe 0 2,5 à 26 2,5 à 18 250 à 400

Les plantes qui croissent spontanément dans les terres incultes, forêts, landes, garrigues, marais, sont assez fréquemment utilisées comme engrais et enfouies dans le sol soit à l’état vert, soit après dessiccation : les genêts, les rameaux de buis, les fougères, les bruyères, les roseaux et triangles de marais, constituent une fumure assez riche en azote et potasse, mais pauvre en acide phosphorique. Souvent aussi on les emploie comme litières, servant de base à la production du fumier de ferme.

Les tourbes peuvent rendre des services analogues, à cause de leur forte teneur azotée.

Les varechs, goëmons et algues diverses que l’on recueille en abondance sur certaines côtes, peuvent rendre de grands services à la culture des champs du littoral : ils apportent surtout de l’azote et du calcaire. En Bretagne, où leur emploi est très fréquent, on les enfouit dans le sol à raison de 40 à 60 mètres cubes par hectare : cette dose contient de 80 à 100 kilogrammes d’azote.

Les divers résidus végétaux obtenus dans les fermes ou dans l’industrie sont utilisables comme engrais. Tels sont les marcs de raisin, de pommes, d’olives. Tels sont aussi les tourteaux obtenus par le traitement des graines oléagineuses : ils sont fort riches en azote, assez riches en acide phosphorique ; mais ils contiennent en outre des proportions notables de matières grasses, inutiles, sinon nuisibles à l’amélioration du sol[1], mais ayant au contraire une réelle valeur pour l’alimentation des animaux. Sauf pour les tourteaux issus de graines toxiques ou irritantes, il sera donc en général préférable de les employer à la nourriture des animaux, dont on utilisera ensuite le fumier.

Les résidus animaux sont principalement riches en azote et même en acide phosphorique. La chair, le sang, les poils, les plumes, la laine, le cuir, ne sont guère que des engrais azotés, d’ailleurs fort riches. Les os ont, au contraire, peu d’azote et beaucoup d’acide phosphorique et constituent des engrais phosphatés.

Les déjections animales issues de l’homme et des animaux sont visiblement indiquées pour les fumures, et leur richesse en azote et même en acide phosphorique est habituellement très grande. Les colombines ou résidus de poulailler sont des engrais de premier ordre. On a trouvé sur certains points du globe des dépôts immenses de colombine qu’on a exploités sous le nom de guanos. Au Pérou seulement, la masse de guano a été évaluée à 38 millions de tonnes. La composition des guanos livrés par le commerce est excessivement variable ; leur falsification est très facile, et pour ces deux motifs, les agriculteurs ne doivent acquérir des guanos qu’après un titrage chimique.

Les guanos actuellement envoyés du Pérou renferment par 1,000 kilogrammes :

30 à 90 kilogrammes d’azote,
120 à 250 d’acide phosphorique.

Il y a une trentaine d’années, les guanos importés avaient une richesse notablement supérieure. La plus grande partie de l’azote se trouve dans le guano sous forme ammoniacale, immédiatement utilisable par la végétation : cette particularité permet de rendre compte de son activité dans les fumures.

La composition des matières de vidange, et aussi des poudrettes, est également sujette à des variations énormes, qu’il convient de ne pas oublier. Ici encore une partie de l’azote est à l’état d’ammoniaque, susceptible d’une action nutritive immédiate.

Les détritus organiques qui proviennent des villes, balayures, gadoues, eaux d’égoût, contiennent à la fois des débris animaux et végétaux, et leur valeur fertilisante est fort variable d’un endroit à l’autre.

Le fumier de ferme, mélange de déjections animales avec des matières végétales, doit par le fait de cette double origine, avoir une richesse assez grande en azote, en acide phosphorique et en potasse. Son importance comme engrais nous oblige à entrer dans quelques détails.

Fumier de ferme. — Le fumier de ferme est constitué par le mélange des litières avec les déjections solides et liquides des animaux de la ferme, soit animaux de travail, bœufs, mulets, chevaux, soit animaux d’élevage, juments et poulains, vaches laitières, bœufs d’engrais, moutons, brebis, chèvres, porcs, etc.

La litière est habituellement formée avec la paille des céréales, quelquefois avec les fanes sèches de diverses plantes : colza, pois, haricots, pommes de terre. Le but de la litière est double : elle doit servir au couchage des animaux, et pour cet usage, elle doit être douce, molle, en même temps que douée d’une certaine élasticité ; mais il faut également qu’elle puisse absorber les déjections liquides : les pailles des céréales, à cause de leur forme tubulaire, satisfont très bien à ces deux conditions.

La composition du fumier de ferme change beaucoup selon les conditions de production ; elle varie en particulier avec la nature des animaux, le mode d’alimentation, le genre de litière et la quantité de litière fournie.

Les fumiers de vache, de porc sont très aqueux ; ceux de cheval et de mouton sont beaucoup plus secs.

Les animaux nourris avec des légumineuses fourragères, sainfoin, trèfle, luzerne, donnent un fumier beaucoup plus riche en azote que ceux, que l’on nourrit avec des foins de prés, formés surtout de graminées moins nutritives. Les betteraves fourragères, les pommes de terre, procurent un fumier particulièrement riche en potasse.

Les vaches laitières, qui exportent par le lait de l’azote et de l’acide phosphorique, en laissent moins au fumier que les animaux de travail ou d’engraissement.

Le tableau suivant fait connaître la composition de divers fumiers de ferme, de production récente.

Poids de matières fertilisantes contenues
dans 1,000 kilog. de fumiers de ferme récents.
NATURE
DES FUMIERS.
AZOTE. ACIDE
PHOSPHORIQUE.
POTASSE.
k. k. k. k. k. k.
Cheval 4,5 à 6,7 2,3 à 3,2 3,0 à 8,4
Vaches 3,4 à 8,0 1,3 à 3,8 4,0 à 10,8
Bœufs d’engrais (9,8) » »
Moutons 5,0 à 8,5 5,0 à 7,5 6,5 à 17
Porcs 4,5 à 8,0 2,0 6,0 à 17
Mixtes divers 3,7 à 11,00 1,2 à 13,00 4,0 à 13
Purin 00,25 à 1,5 00,03 à 0,5 2,0 à 4,0

Voici également les compositions de divers fumiers frais, obtenus par M. Boussingault dans des conditions bien déterminées de nourriture et de litière.

Les résultats sont toujours rapportés à 1,000 kilogrammes de fumier :

ESPÈCE
DE L’ANIMAL.
MODE
DE NOURRITURE.
AZOTE ACIDE
phosphorique
POTASSE POIDS DE PAILLE
fourni par jour
comme litière
par tête d’animal.
k. k. k. k.
Cheval Foin et avoine 6,7 2,3 3,5 2
Vaches Foin et pommes de terre 3,4 1,3 7,2 3
Moutons Foin 8,2 2,1 8,4 225gr.
Porcs Pommes de terre cuites 7,8 2,0 16,9 450gr.

Transformations progressives du fumier de ferme. — Dans le fumier récemment produit, l’azote se trouve presque tout entier à l’état de matière organique complexe, mais au bout de quelques heures, et dans l’étable même, une sorte de fermentation s’établit très activement dans les déjections liquides : elle a pour effet de transformer la substance azotée en ammoniaque, ou plutôt en carbonate d’ammoniaque, dont une partie se dégage dans l’air ambiant ; par suite, des pertes assez notables d’ammoniaque se produisent déjà dans l’étable.

Quand le fumier est transporté au tas, le phénomène change de nature : une nouvelle fermentation commence, comparable en quelque manière à une véritable combustion de la substance organique ; il se dégage de l’eau, de l’acide carbonique, en même temps que beaucoup de chaleur. L’élévation de température qui en résulte, peut être très considérable, si on n’y prend garde, surtout dans les fumiers secs, de mouton ou de cheval ; un thermomètre introduit dans les tas s’y élève fréquemment jusqu’à 80°. Cet échauffement détermine la déperdition de doses très importantes d’ammoniaque. L’arrosage fréquent du tas de fumier est un des meilleurs moyens de combattre ces effets fâcheux.

À cette sorte de combustion succède une nouvelle fermentation, analogue aux fermentations qui se produisent dans le sol sur la matière végétale quand l’air y fait défaut ; la substance végétale de la paille, sous l’influence de microbes spéciaux, se transforme peu à peu en une masse noirâtre assez homogène, qu’on a quelquefois nommée beurre de fumier, et sur laquelle se fixe, avec une certaine énergie, l’ammoniaque dégagée. Il se produit en même temps de l’eau, de l’acide carbonique, et aussi, comme l’a montré M. Gayon, un carbure d’hydrogène, le gaz des marais ou grisou, éminemment inflammable. M. Gayon a pu, en un jour, au moyen de 1 mètre cube de fumier, obtenir 100 litres de ce gaz.

Le résultat de ces transformations successives est ce qu’on appelle le fumier consommé. Il est notablement plus riche en principes nutritifs que le fumier frais. Nous empruntons, à MM. Müntz et Girard, le tableau suivant qui indique comparativement la composition de fumiers frais et consommés (rapportée à 1,000 kilogrammes) :

AZOTE. ACIDE
PHOSPHORIQUE.
POTASSE.
k. k. k.
Fumier de vache frais 8,1 4,0 14,5
Id. après trois mois 11,80 6,8 20,8
Fumier de mouton frais 6,5 6,2 17,1
Id. après trois mois 9,2 10,70 22,8

Cette concentration des matières fertilisantes provient visiblement de la diminution de la masse totale, par suite surtout du départ d’eau et d’acide carbonique. On trouve, en effet, que le poids du fumier consommé n’est plus que les trois quarts, ou même la moitié, du poids du fumier frais qui l’a fourni.

Dans le fumier frais, la plus grande partie de l’azote se trouve à l’état de matière organique azotée insoluble : dans le fumier consommé, la dose d’azote ammoniacal, soluble dans l’eau, est beaucoup accrue, et atteint parfois la moitié de l’azote total.

Le poids du mètre cube de fumier est très variable selon son état : le fumier frais pèse de 300 à 580 kilogrammes, en moyenne 500 kilogrammes environ. Le fumier consommé pèse environ 800 kilogrammes (par mètre cube).

Soins à donner au fumier. — Pour atténuer autant que possible les pertes de principes nutritifs, il faut maintenir le fumier bien tassé et bien arrosé ; il faut, en outre, empêcher que les eaux ammoniacales issues du fumier, c’est-à-dire le purin, s’infiltrent inutilement dans les profondeurs du sol. Ces eaux doivent être recueillies soigneusement, et on s’en servira avantageusement pour l’arrosage du tas.

On réduira beaucoup les pertes d’ammoniaque en couvrant la surface du tas de fumier avec une couche de terre d’environ 15 centimètres, qui condense les vapeurs ammoniacales et maintient la fraîcheur au-dessous d’elle. Cette terre ainsi saturée d’ammoniaque constitue ensuite un véritable engrais azoté.

II. Engrais minéraux ou engrais chimiques. — On désigne sous ce nom les diverses substances issues de gisements minéraux naturels ou produites par l’industrie chimique, qui peuvent être employées pour fournir aux terres qui en manquent : de l’azote, de l’acide phosphorique, de la potasse, de la chaux.

À l’encontre des engrais organiques qui sont en quelque manière des engrais complets réunissant tous ces principes en proportion d’ailleurs très variable, les engrais chimiques ou minéraux n’en apportent qu’un ou deux au plus ; mais les écarts de composition sont habituellement moins importants.

Engrais chimiques azotés. — Ils comprennent les sels ammoniacaux et les nitrates. Le tableau suivant fait connaître les teneurs en azote des produits commerciaux employés et des mêmes sels purs.

AZOTE
par
1,000 kilog.
IL Y A EN OUTRE :
k. k.
Azotate de soude pur 164,7 »
Id. du commerce 156 à 159 »
Azotate de potasse pur 138,6 465,9 de potasse
Id. du commerce 122 à 137 413 à 461 Id.
Sulfate d’ammoniaque pur 212,1 »
Id. du commerce 172 à 211 »
Phosphate ammoniaco-magnésien 100 500 d’acide phosphorique

Les trois premiers sels sont très solubles dans l’eau. Le dernier est insoluble et son usage peu répandu, bien qu’on ait obtenu de très bons résultats dans des essais culturaux faits avec son concours.

Le carbonate d’ammoniaque, qui existe en dissolution dans les eaux de condensation des usines à gaz d’éclairage, peut être également utilisé comme engrais azoté ; mais ses propriétés caustiques ne permettent de le répandre sur le sol qu’en dissolution très étendue. Son addition aux eaux d’irrigation des prairies pourrait donner de très bons résultats.

Engluais phosphatés. — Ce sont à peu près exclusivement des combinaisons d’acide phosphorique et de chaux. Les phosphates de chaux forment en certains points du globe des masses très considérables, dont l’exploitation apporte à la culture un précieux concours. La France est très bien partagée sous ce rapport, et elle renferme un grand nombre de gisements de phosphates livrés à une exploitation régulière.

Le phosphate de chaux naturel contient, avec une proportion variable de matières minérales associées, précisément le phosphate qui forme la substance principale du squelette osseux des animaux. On l’appelle phosphate tricalcique ; il est insoluble dans l’eau pure, très peu soluble dans l’eau chargée d’acide carbonique ou de matières salines.

Les divers phosphates naturels se présentent avec des textures très inégales, plus ou moins favorables à leur activité fertilisante.

Les phosphates cristallins ou apatites, que l’Espagne fournit en abondance, offrent une grande résistance aux actions chimiques, et par cela même, leur assimilabilité doit être très faible ; leur emploi direct pour la fumure des terres est peu recommandable.

Les nodules, exploités dans la Meuse, les Ardennes, le Pas-de-Calais, sont bien moins compactes et plus faciles à dissoudre dans les réactifs : aussi leur assimilabilité est beaucoup plus grande, et on peut la comparer à celle des phosphates d’os.

Les phosphorites du Quercy présentent une texture intermédiaire ; leur solubilité dans les acides faibles, et aussi leur activité culturale sont moindres que celles des nodules, mais bien plus grandes que celles des apatites.

L’aptitude fertilisante des phosphates naturels est étroitement liée à leur état de division ; la pulvérisation très parfaite est éminemment favorable à leur bonne utilisation par les racines des plantes, et c’est une condition dont les agriculteurs doivent toujours avoir souci.

On a cherché à augmenter l’efficacité des phosphates naturels en les transformant en phosphates solubles dans l’eau. Quand on ajoute à du phosphate tricalcique une quantité convenable d’acide sulfurique, celui-ci se combine aux deux tiers de la chaux du phosphate pour former du sulfate de chaux (plâtre) ; il reste un phosphate soluble dans l’eau, qu’on appelle phosphate monocalcique ; celui-ci demeure mélangé au plâtre et aux impuretés du phosphate primitif, plus ou moins modifiées par l’action propre de l’acide sulfurique. La matière ainsi obtenue a reçu le nom de superphosphate.

Par le fait de réactions secondaires qui se produisent après la fabrication, une partie du phosphate monocalcique se combine avec de la chaux pour donner un nouveau phosphate insoluble dans l’eau comme le tribasique, mais soluble dans le citrate d’ammoniaque : c’est le phosphate bibasique.

Les superphosphates contiennent donc d’ordinaire :

1° Du phosphate monocalcique soluble dans l’eau ;

2° Du phosphate bicalcique, soluble dans le citrate d’ammoniaque ;

3° Du phosphate tribasique primitif qui a échappé à la transformation.

4° Du plâtre, etc.

Les apatites, peu utilisables pour la fumure directe des terres, servent surtout à produire des superphosphates.

L’industrie chimique produit aussi de grandes quantités de phosphate bicalcique, sous le nom de phosphates précipités, ainsi appelés parce qu’ils sont produits au sein d’un liquide, en poudre très ténue. Le phosphate bicalcique, soluble dans le citrate d’ammoniaque, y est toujours accompagné d’une certaine dose de phosphate tricalcique, analogue au phosphate naturel, mais à l’état très divisé.

Depuis plusieurs années, la métallurgie pratique pour la déphosphoration des fontes un procédé imaginé par MM. Thomas et Gilchrist ; les scories qui proviennent de ce traitement sont riches en acide phosphorique et chaux, et peuvent, avec beaucoup d’avantages, être employées comme engrais phosphatés et calcaires. Le phosphate s’y trouve principalement sous forme tricalcique, mais dans un mode de division très favorable qui le rend en quelque manière comparable au phosphate précipité.

Les os d’animaux, pulvérisés soit à l’état frais, soit après calcination, constituent aussi de bons engrais phosphatés. Le noir animal provenant des sucreries et raffineries est aussi d’un emploi très fréquent ; comme les os frais, il apporte une certaine dose d’azote organique.

Le tableau suivant fait connaître la richesse de divers engrais phosphatés ; il indique la teneur totale en en acide phosphorique, ainsi que la proportion pouvant être dissoute dans le citrate d’ammoniaque. Les nombres se rapportent à 1000 kilogrammes de matière.

NATURE du PRODUIT. ACIDE
phosphorique
total.
ACIDE
phosphorique
soluble dans
le citrate
d’ammoniaque.
LE PRODUIT
CONTIENT EN OUTRE :
k. k. k.
Phosphate tribasique pur 458 0 »
Nodules des Ardennes 160 à 220 0 »
Nodules de l’Yonne 140 à 180 0 »
Nodules du Pas-de-Calais 200 à 300 0 »
Nodules de la Haute-Saône 290 à 330 0 »
Apatites d’Espagne 190 à 390 0 »
Apatites de Norvège 385 à 420 0 »
Phosphorites du Lot 230 à 400 0 »
Sables phosphatés (Somme) 270 à 360 0 »
Craies phosphatées de l’Oise 105 à 300 0 »
Cendres d’os 350 à 400 0 »
Os frais 210 à 220 0 40 à 45 d’azote
Noir animal de sucreries 300 à 340 0 traces d’azote
Id. de raffineries 250 à 300 0 15 à 20 d’azote
Phosphate bicalcique pur 462 462 »
Phosphates précipités 250 à 450 220 à 420 »
Superphosphates 100 à 220 »
Scories de déphosphoration 70 à 200 20 à 100 »
Phosphate ammoniaco-magnésien 500 100 d’azote

Les engrais phosphatés apportent en même temps que l’acide phosphorique des doses élevées de chaux, capables de rendre de grands services à la nutrition végétale ; les scories de déphosphoration en renferment jusqu’à 400 kilogrammes par tonne, et leur application peut facilement équivaloir à un chaulage proprement dit.

Engrais potassiques. — La plupart des sels de potasse employés en agriculture sont solubles dans l’eau ; l’emploi des silicates, peu ou point solubles, a jusqu’à présent été très restreint.

Nous donnons ci-dessous les richesses en potasse des principaux produits[2].

NATURE du PRODUIT. RICHESSE
en potasse pour
4.000 kil.
LE PRODUIT
CONTIENT EN OUTRE :
k. k.
Carbonate de potasse pur 681,6 »
Potasse brute (carbonatée) 115 à 365 »
Chlorure de potassium pur 631 »
Id. du commerce 440 à 600 »
Sulfate de potasse pur 540,7 »
Id. du commerce 514 à 378 »
Nitrate de potasse pur 465,9 138,6 d’azote
Id. du commerce 413 à 461 122 à 137 d’azote

Le carbonate de potasse est peu employé à cause de son prix élevé et de sa causticité[3]. Le sulfate de potasse paraît préférable au chlorure, bien qu’il fournisse la potasse à un taux plus élevé ; il est probable que l’acide sulfurique qu’il renferme, intervient utilement dans la nutrition des récoltes.

Engrais calcaires. — L’utilité des amendements calcaires est double ; ils doivent non seulement assurer l’alimentation calcaire des récoltes, mais il faut en outre, dans bien des cas, qu’ils mettent ou conservent le sol dans un état favorable à la nitrification des matières azotées. Pour atteindre le premier but, on peut se servir indifféremment de n’importe quel composé calcaire ; le sulfate de chaux ou plâtre paraît très favorable dans ces conditions. Le plâtre pur non cuit, contient par 1,000 kilogrammes, 325kil6 de chaux. Le plâtre crû du commerce, en renferme seulement de 250 à 280 kilogrammes.

Pour que dans la terre arable, la nitrification des principes azotés puisse se produire, il faut nécessairement qu’elle contienne une certaine quantité de carbonate de chaux ou calcaire libre. Si cette condition n’est pas réalisée, il faut introduire ce calcaire ; l’addition de plâtre ne produirait aucun effet. Il faut mélanger à la terre, aussi parfaitement que possible, du carbonate de chaux très divisé. Ce résultat peut être atteint de diverses manières.

Chaulage. — On peut se servir de chaux vive, cuite récemment, que l’on jette sur les champs à l’automne avant les labours ; les fragments de chaux absorbent promptement l’humidité et l’acide carbonique de l’air et ne tardent pas à se déliter en un mélange pulvérulent de chaux éteinte et de carbonate de chaux. Le labour, soigneusement effectué, distribue cette matière dans le sol arable, où la combinaison avec l’acide carbonique achève de se produire. Le contact temporaire de la chaux éteinte avec les silicates complexes qui constituent la terre normale, paraît avoir une influence très heureuse sur leur désagrégation et leur changement en principes minéraux actifs.

Cette opération constitue le chaulage. On la pratique habituellement à la dose de 1,000 à 1,500 kilogrammes de chaux vive par hectare, et on la réitère tous les deux ans, jusqu’à ce que le sol contienne réellement du calcaire libre.

Il faut bien se garder de pratiquer pendant une même saison le chaulage d’un champ et sa fumure par des engrais animaux[4] ou des sels ammoniacaux ; l’action de la chaux dégagerait l’ammoniaque en pure perte.

Marnage. — Une autre solution un peu différente est réalisée par l’emploi des marnes. On désigne sous le nom de marnes des roches assez communes dont la composition équivaut à un mélange de calcaire et d’argile. La proportion de calcaire y est très variable, et va depuis 10 jusqu’à 90 %. Elles sont toujours tendres, friables, et sont susceptibles de se déliter au contact de l’eau. Leur introduction dans le sol a pour effet principal de lui donner du calcaire, mais elle peut aussi améliorer beaucoup sa constitution physique, en diminuant la cohésion due à un excès d’argile.

Sur les côtes de la Manche, voisines du Mont-Saint-Michel, on recueille en grande quantité une sorte de vase marine, appelée tangue, qui est utilisée très heureusement pour l’amendement des terres pauvres en calcaire. Ces tangues constituent des engrais calcaires très actifs à cause de la ténuité de leurs particules ; la proportion de chaux y est de 129 à 260 millièmes ; on y trouve en outre, un peu d’azote et des quantités assez importantes d’acide phosphorique qui augmentent encore leur valeur.

Le merl des côtes de Bretagne, qui est l’objet d’exploitations analogues, est encore plus riche en calcaire, mais plus pauvre en acide phosphorique. (Voir le tableau des engrais de la page 210.)


  1. Le commerce livre actuellement, sous le nom de tourteaux sulfurés, des tourteaux qui ont été débarrassés des matières grasses à l’aide du sulfure de carbone.
  2. Le chlorure de potassium ne renferme pas à vrai dire de potasse, puisqu’il ne contient pas d’oxygène ; mais il équivaut à une certaine dose de potasse, qui se trouve inscrite au tableau.
  3. L’emploi du carbonate de potasse a, dans ces derniers temps, été spécialement préconisé par M. G. Ville pour la culture de la vigne.
  4. Y compris le fumier de ferme.