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Le Bourreau de Berne/Chapitre 6

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Le Bourreau de Berne ou l’Abbaye des vignerons
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 13p. 71-87).

CHAPITRE VI.


Il me semble que je vois mille naufrages, des milliers d’hommes avalés par des poissons, des lingots d’or, d’énormes ancres, des monceaux de perles, des pierres précieuses, des joyaux sans prix entassés pêle-mêle au fond de la mer.
Shakespeare. Richard III.



Le crépuscule disparaissait, et les ombres du soir se répandaient rapidement sur le profond bassin du lac. La figure de Maso, tandis qu’il continuait à marcher sur la plate-forme élevée, se dessinait sombre et distincte sur les nuages du sud, qui suivaient encore quelques rayons du soleil, tandis que sur les deux rivages les objets se confondaient avec la masse des montagnes. Çà et là se montrait une pâle étoile, quoique tout le firmament fût couvert de sombres nuages. On distinguait une lumière faible, et qui avait quelque chose de surnaturel, au-dessus des prairies du Rhône, presque dans la direction du sommet du Mont-Blanc, qui, bien qu’il ne fût pas visible de ce côté du lac de Genève, était, à la connaissance de tous les passagers, placé derrière les remparts de la Savoie, comme un monarque des montagnes retranché dans sa citadelle de rocs et de glaces.

L’obscurité de l’heure avancée et les réflexions désagréables causées par le court dialogue de Balthazar, produisirent un désir aussi vif que général d’arriver au terme d’une navigation qui commençait à devenir fatigante. Les objets qui s’étaient montrés naguère si beaux et si purs devenaient peu à peu sombres et menaçants, et la sublimité du théâtre sur lequel la nature avait réuni toutes ses beautés était une nouvelle source d’incertitude et d’alarmes. Ces arabesques naturelles et délicates, qu’on eût dit travaillées par les mains des fées, et que les passagers venaient de contempler avec délices, ressemblaient à d’horribles déchirures suspendues au-dessus de la frêle barque, terribles révélations de leurs bases de fer, sans pitié pendant les tempêtes.

Ces changements de scène, qui, sous quelques rapports, commençaient à prendre le caractère de mauvais présages, étaient contemplés avec inquiétude par les passagers de la poupe, bien que les éclats de rire, les plaisanteries grossières et les cris bruyants qui s’élevaient du gaillard d’avant, prouvassent assez que ces esprits insouciants se livraient encore à leurs passe-temps habituels. On vit néanmoins un individu se glisser hors de la foule, et s’établir sur la pile des marchandises, comme s’il eût été plus disposé à la réflexion, et moins à la dissipation, que ceux qu’il venait d’abandonner. C’était l’étudiant de Westphalie, qui, fatigué d’amusements au-dessous de son intelligence, et frappé subitement par l’aspect imposant du lac et des montagnes, s’était éloigné pour penser à son pays lointain et à ceux qui lui étaient chers, ému par une scène qui excitait en lui une sensibilité longtemps encouragée par un système métaphysique et subtil de philosophie. Jusque-là Maso avait parcouru son poste élevé, les yeux presque toujours fixés sur les cieux dans la direction du Mont-Blanc, les reportant de temps en temps sur la barque immobile et chargée ; mais, lorsque l’étudiant se plaça à travers son chemin, il s’arrêta, et sourit de l’air abstrait du jeune homme et de ses regards fixés sur une étoile.

— Es-tu astronome, jeune étudiant ? demanda il Maledetto avec cette supériorité que prend le marin, lorsqu’il est sur l’eau, à l’égard d’un paisible homme de terre, très-porté ordinairement à reconnaître son impuissance sur un élément dangereux et nouveau pour lui ; tu étudies bien attentivement le monde brillant qui est là-haut ; l’astrologue Pippo lui-même ne pourrait y mettre une attention plus profonde.

— C’est l’heure convenue entre moi et celle que j’aime, pour réunir les principes invisibles de nos esprits, et nous les communiquer par l’entremise de cette étoile.

— J’ai entendu parler de ces moyens de correspondance ; en vois-tu plus que nous autres, grâce à ta connaissance des étoiles ?

— Je vois du moins l’objet sur lequel dans ce moment sont arrêtés de beaux yeux bleus qui se sont souvent fixés sur moi avec affection. Lorsque nous sommes dans une terre étrangère et dans une situation pénible, une telle correspondance a ses plaisirs !

Maso posa sa main sur l’épaule de l’étudiant, et la serra avec la force d’une vis.

— Tu as raison, dit-il avec douceur ; tire tout ce que tu pourras de ton amour et, si tu es réellement aimé, serre le nœud par tous les moyens qui sont en ton pouvoir. Personne ne sait mieux que moi le malheur d’être abandonné dans le combat égoïste et cruel des intérêts vulgaires. Ne sois pas honteux de ton étoile, mais regarde-la tant et si bien que tu en deviennes aveugle. Vois dans sa douce lumière les beaux yeux de celle que tu aimes, vois sa constance et sa tristesse dans la pâleur de cet astre ; mais ne perds pas un de ces heureux moments, car bientôt un sombre rideau te cachera ton étoile.

Le Westphalien fut frappé de l’énergie singulière aussi bien que de la poésie du marin ; il reconnut la justesse de l’allusion que Maso venait de faire, car en effet les nuages s’amoncelaient rapidement et couvraient la voûte au-dessus de leurs têtes.

— Comment trouvez-vous cette nuit ? demanda-t-il en abandonnant la contemplation de son étoile.

— Elle pourrait être plus belle, et les froids lacs de la Suisse deviennent quelquefois trop chauds pour les marins les plus courageux. Regarde cette étoile, jeune homme, tant que tu le pourras, et abandonne-toi au souvenir de celle que tu aimes et de ses perfections : nous sommes sur un élément perfide, et des pensées agréables ne doivent point être dédaignées.

Maso continua sa promenade, laissant l’étudiant alarmé, inquiet sans trop savoir pourquoi, et cependant poussé par un sentiment qu’on pourrait appeler de l’enfantillage, à contempler cette faible lueur qui se montrait de temps en temps au milieu de masses de vapeurs. Dans ce moment un cri de joie s’éleva du gaillard d’avant.

Il Maledetto ne continua pas plus longtemps sa promenade et, abandonnant sa place à l’étudiant, il descendit au milieu de la société silencieuse et pensive qui occupait un espace débarrassé de marchandises près de la poupe. Il faisait si sombre qu’un peu d’attention était nécessaire pour reconnaître les visages même à une faible distance. Mais, en s’avançant parmi les personnes privilégiées avec un grand sang-froid et une indifférence apparente, il réussit promptement à se placer entre le seigneur génois et le moine augustin.

— Signore, dit-il au premier en italien avec le même respect qu’il avait déjà marqué, quoique évidemment il ne fût pas facile de lui inspirer cette déférence que les gens obscurs ressentent ordinairement pour les grands, je crains qu’un voyage commencé sous d’aussi belles apparences n’ait une fin malheureuse, et je voudrais voir cette noble et belle compagnie débarquée heureusement dans la ville de Vévey.

— Veux-tu dire que nous avons à craindre autre chose que la lenteur du voyage ?

— Signore, la vie du marin est remplie de chances diverses ; tantôt il vogue avec un calme indolent, puis il est jeté depuis les eaux jusqu’aux nuages, de manière à faire frémir les cœurs les plus fermes. Je ne connais pas beaucoup ces parages, mais il y a dans les cieux, au-dessus de ce pic, dans la direction du Mont-Blanc, des lignes qui me troubleraient si nous étions sur notre Méditerranée si bleue, et cependant si perfide. — Que pensez-vous de tout cela, mon père ? un long séjour dans les Alpes doit vous avoir donné de l’expérience sur leurs tempêtes ?

L’augustin était devenu grave et pensif depuis le moment où il avait cessé de converser avec Balthazar. Il était aussi frappé des présages sinistres qui se manifestaient et, depuis longtemps habitué à étudier les changements de temps dans une région où les éléments se déchaînent avec une violence en rapport avec la grandeur des montagnes, ses pensées étaient portées vers ces asiles hospitaliers de la ville où il se rendait, et qui étaient toujours prêts à recevoir le moine du mont Saint-Bernard, en retour des services et du dévouement de sa confrérie.

— Je pense comme Maso, et je désirerais que nous fussions débarqués, répondit le bon religieux ; la chaleur excessive qu’un jour comme celui-ci crée dans nos vallées et sur les lacs affaiblit à un tel point les substances de l’air, que les froides masses qui se forment autour de nos glaciers descendent quelquefois de leurs hauteurs comme des avalanches pour remplir le vide. Le choc est effrayant, même pour ceux qui en sont témoins dans les vallées ou parmi les rochers ; mais la chute d’une telle colonne d’air sur les lacs est ordinairement terrible.

— Et pensez-vous que nous devions craindre maintenant un de ces phénomènes ?

— Je n’en sais rien, mais je voudrais que nous fussions arrivés. Cette lumière surnaturelle au-dessus de nous, et cette profonde tranquillité sur les eaux qui surpasse un calme ordinaire, m’ont porté déjà plus d’une fois à implorer la miséricorde de Dieu.

— Le révérend augustin parle comme son livre, et comme un homme qui a passé sa vie dans un couvent situé sur une montagne, dans l’étude et la méditation, répondit Maso ; les raisons que j’ai à donner participent plus de l’expérience d’un marin. Un calme comme celui-ci sera suivi tôt ou tard, je le crains, d’une commotion dans l’atmosphère. Je n’aime pas cette absence de brise de terre sur laquelle Baptiste avait trop compté ; ce symptôme, réuni à ce nuage brûlant qui est là-bas, me fait présumer que cette tranquillité extraordinaire sera bientôt remplacée par un violent combat entre les vents. Mon fidèle Neptune m’indique aussi, par la manière dont il aspire l’air, que nous ne passerons pas la nuit dans cet état d’immobilité.

— J’espérais que nous serions arrivés avant la huit. Que veut dire cette lumière brillante qui est là-bas ? Est-ce une étoile ou une lueur qui se montre contre cette énorme montagne ?

— C’est la demeure du vieux Roger de Blonay ! s’écria le baron avec joie. Il sait que nous sommes dans les ténèbres, et il a fait allumer son phare, afin que sa lumière puisse nous guider.

Cette conjecture semblait probable, car pendant le jour le château de Blonay, situé sur le plateau de la montagne qui abrite Vevey, avait été parfaitement visible. Il avait été admiré comme un des plus jolis points de vue, au milieu d’un tableau si riche en hameaux et en châteaux ; et Adelheid l’avait montré à Sigismond comme le but de son voyage. Le seigneur de Blonay connaissant la visite qu’il allait recevoir, rien n’était plus probable qu’il montrât ce signe d’impatience à son vieil ami Melchior de Willading, en partie pour lui annoncer qu’il serait le bienvenu, et en partie comme un signal qui pourrait être utile à ceux qui naviguaient sur le Léman pendant une nuit qui menaçait d’une aussi grande obscurité.

Le signor Grimaldi, pensant avec raison que les circonstances devenaient graves, appela près de lui son ami et le jeune Sigismond, et leur fit part des appréhensions du moine et de Maso. Il n’existait pas dans toute la Suisse un homme plus brave que Melchior de Willading ; cependant il n’entendit pas les prédictions sinistres de son ami sans trembler de tous ses membres.

— Ma pauvre Adelheid, dit-il, cédant à la faiblesse d’un père. Que deviendra cette faible plante exposée à la tempête dans cette barque découverte ?

— Elle sera avec son père et avec les amis de son père, répondit la jeune fille ; car les bornes étroites dans lesquelles les passagers étaient resserrés, et le mouvement de sensibilité de son père qui l’avait empêché de réprimer sa voix, lui avaient appris les craintes générales. J’ai entendu le bon père Xavier et ce marin annoncer que notre position n’était pas sans danger ; mais ne suis-je pas avec des amis éprouvés ? Je sais déjà ce que M. Sigismond peut faire pour me sauver la vie ; et n’importe ce qui arrive, nous avons tous un protecteur qui ne nous laissera pas périr sans penser que nous sommes ses enfants.

— Cette jeune fille nous fait honte, dit le signor Grimaldi ; mais c’est souvent ainsi que les êtres les plus faibles se montrent les plus fermes et les plus nobles dans les moments où les hommes courageux commencent à se désespérer. Ils mettent leur confiance en Dieu, qui soutient ceux qui sont encore plus faibles que notre Adelheid. Mais il ne faut pas exagérer les sujets de crainte, qui, après tout, peuvent s’éloigner comme beaucoup d’autres dangers menaçants, et nous procurer des heures de félicitations et de franche gaieté en retour de quelques minutes de frayeur.

— Dites plutôt de remerciements, répliqua le moine, car l’aspect des cieux devient solennel et terrible. Toi qui es marin, ajouta-t-il en se tournant vers Maso, n’as-tu aucun conseil à nous donner ?

— Nous n’avons pas autre chose que nos rames, mon père mais, après en avoir négligé l’usage si longtemps, il est maintenant trop tard pour y avoir recours. Nous ne pourrions atteindre Vevey par de semblables moyens, avec cette barque chargée jusqu’aux bords, avant le changement qui se prépare ; et, une fois l’eau en mouvement, elles ne pourront pas nous servir du tout.

— Mais nous avons nos voiles, dit le seigneur génois, et elles pourront du moins nous servir, lorsque le vent sera levé.

Maso secoua la tête, mais il ne fit aucune réponse. Après un court silence pendant lequel il semblait étudier les cieux plus attentivement, il se rendit vers la partie de la barque où le patron dormait encore, et l’éveilla rudement. — Oh ! eh ! Baptiste, s’écria-t-il, debout ; on a ici besoin de tes conseils et de tes ordres.

Le patron endormi se frotta les yeux, et reprit lentement l’usage de ses facultés.

— Il n’y a pas un souffle de vent, dit-il ; Maso, pourquoi m’éveilles-tu ? Un homme de ton état doit savoir que le sommeil est doux pour ceux qui travaillent.

— C’est l’avantage qu’ils ont sur les paresseux. Regarde le ciel, brave homme, et dis-nous ce que tu en penses. Ton Winkelried est-il assez solide pour nous sauver d’une tempête comme celle qui se prépare ?

— Tu parles, comme une poule effrayée par les cris de ses poussins ; le lac n’a jamais été plus calme et la barque plus en sûreté.

— Ne vois-tu pas cette lueur brillante au-dessus de l’église de Vevey ?

— C’est une belle étoile, signe de salut pour le marinier.

— Sot que tu es, c’est une flamme dans le phare de Roger de Blonay. On commence à s’apercevoir sur terre que nous sommes en danger, et ils nous montrent leurs signaux pour nous avertir de nous presser ; ils s’imaginent sans doute que nous nous conduisons comme des hommes actifs et habitués à l’eau, tandis que nous sommes aussi tranquilles que si la barque était un roc qui pourrait se jouer du Léman et de ses vagues. Cet homme est devenu stupide, ajouta Maso en se tournant vers ses auditeurs inquiets ; il ne veut pas voir ce qui ne devient que trop certain pour tous ceux qui sont dans sa barque.

Un éclat de rire général qui partit du gaillard d’avant vint contredire l’opinion de Maso, et prouver combien il est facile aux ignorants de vivre en sécurité, même aux portes de la tombe. Ce fut le moment où la nature donna le premier signal intelligible aux esprits vulgaires. La voûte des cieux était entièrement voilée, à l’exception du lieu au-dessus du Rhône dont nous avons déjà si souvent parlé ; cette terrible ouverture ressemblait à une fenêtre par laquelle l’œil était appelé à contempler les affreux préparatifs qui se faisaient au-dessus des Alpes. Une lueur rouge et ondoyante en sortit, et un bruit éloigné la suivit ; ce n’était pas le tonnerre ; et cela ressemblait plutôt au bruit de mille escadrons en bataille. En un instant le gaillard d’avant devint désert, et le monceau de marchandises fut couvert de formes humaines que l’obscurité rendait indistinctes. Alors la barque, qui avait été si longtemps immobile, se balança lourdement, comme si elle eût essayé ses forces sous son poids inaccoutumé, tandis qu’une vague se fit sentir sous elle, souleva la masse entière pied à pied et passa enfin sous la poupe pour aller se jeter sur les terres du pays de Vaud.

— C’est une folie de perdre plus longtemps des moments si précieux, dit Maso vivement, car ce signe positif n’était pas perdu pour lui. — Signore il faut être prompts et hardis, ou nous serons surpris par la tempête sans y être préparés. Je ne parle pas pour moi, car avec le secours de ce chien fidèle et celui de mes bras, je suis certain de pouvoir gagner la terre ; mais il y a dans la barque une personne que je voudrais sauver, même au péril de ma vie. Baptiste est abruti par la crainte ; il faut travailler pour nous-mêmes ou périr !

— Que faut-il faire ? demanda le signor Grimaldi ; celui qui proclame le danger doit avoir au moins quelque expédient pour le prévenir.

— Si nous nous y étions pris plus tôt, nous aurions pu avoir recours aux moyens ordinaires ; mais, semblables à ceux qui meurent dans le péché, nous avons perdu des minutes précieuses. Il nous faut alléger la barque, quand nous devrions jeter à l’eau les marchandises.

Un cri que jeta Nicklaus Wagner annonça que l’avarice était encore plus forte chez lui que la crainte. Baptiste lui-même, qui avait perdu toute son arrogance et son ton d’autorité, grâce aux dangers qui devenaient manifestes pour tout le monde, se joignit à Nicklaus Wagner pour protester contre la perte de tant de marchandises. Il est rare qu’une proposition semblable à celle de Maso rencontre de l’écho parmi ceux auxquels elle est subitement présentée. Le danger ne parut pas assez imminent pour avoir recours à un expédient aussi désespéré ; et, bien qu’effrayés pour leur sûreté, les gens sans aveu qui encombraient la pile de ballots menacés étaient plutôt dans un état d’inquiétude que dans cet état d’irritation auquel il leur aurait été si facile de se porter, et qui eût été en quelque sorte nécessaire pour les induire, eux si dénués de tout bien, à détruire le bien d’autrui. Le projet calme et réfléchi de Maso eût donc échoué entièrement sans un second éclat de ce bruit aérien et une seconde vague qui souleva la barque et fit craquer les vergues. Les voiles s’agitèrent dans l’obscurité ; semblables à un immense oiseau de proie qui essaie ses ailes avant de prendre son vol.

— Saint et puissant régulateur de la terre et des mers ! s’écria le moine augustin, ressouviens-toi de tes enfants repentants et prends-nous, dans ce moment terrible, sous ta puissante protection !

— Les vents sont déchaînés, et même le lac silencieux nous envoie le signal d’être actifs, s’écria Maso. À l’eau les marchandises, si vous tenez à la vie !

Un bruit sourd au fond des eaux prouva que le marin joignait l’effet aux paroles. Malgré les signes imposants dont ils étaient entourés, chaque individu, parmi la populace qui encombrait le pont, saisit par un mouvement précipité le paquet qui contenait ses effets afin de le mettre en sûreté. Comme chaque homme réussit à ce qu’il désirait, ce mouvement spontané n’interrompit point les projets de Maso ; on crut même, au moment où toute cette multitude se leva en masse, qu’elle était dirigée par la même impulsion que le marin, bien que chacun en particulier sût le contraire pour son propre compte. Bientôt les caisses tombèrent les unes après les autres au fond des eaux ; tout le monde se mit à l’ouvrage, jusqu’au jeune Sigismond, qui finit par suivre l’exemple général. De ces légers incidents dépendent les résultats les plus importants, lorsque l’impulsion qui gouverne les masses prend un ascendant absolu.

On ne doit pas supposer que Baptiste et Nicklaus Wagner contemplèrent la perte de leurs communes marchandises avec une parfaite indifférence. Loin de là, tous les deux usèrent des divers moyens en leur pouvoir pour les conserver ; non seulement ils employèrent la voix, mais encore les mains. L’un menaçait des lois, l’autre rendait Maso responsable du sort de la barque, et l’accusait de s’être approprié des droits qui ne lui appartenaient pas. Mais leurs remontrances n’étaient point écoutées. Maso savait qu’il était dégagé de toute responsabilité par sa situation, car il n’était pas facile de le mettre en contact avec les autorités et, quant aux autres, la plupart d’entre eux étaient trop insignifiants pour craindre une réparation qui tomberait sans doute sur ceux qui auraient les moyens de la supporter. Sigismond seul travaillait avec connaissance de cause, mais il travaillait pour une femme qui lui était plus chère que toutes les richesses, et il ne voyait pas d’autres conséquences que celles qui pouvaient avoir rapport à la vie précieuse d’Adelheid de Willading.

Les plus petits paquets des passagers ayant été mis en lieu de sûreté, avec le même instinct irréfléchi qui nous porte à prendre soin de nos membres lorsque nous sommes en danger, cette précaution permit à chacun de travailler avec un zèle qui ne se refroidit pas par l’intérêt personnel. Les résultats furent prompts ; cent mains, et pour ainsi dire autant de cœurs, prêtèrent leur impulsion à l’accomplissement d’un aussi important projet.

Baptiste et ses matelots, aidés par des ouvriers du port, avaient passé un jour entier à amonceler sur le pont du Winkelried cette pile de marchandises qui, maintenant, s’écoulaient pièce à pièce avec une rapidité qui paraissait magique. Le patron et Nicklaus Wagner s’enrouaient à force de malédictions et de menaces, car les travailleurs, dans cette œuvre de destruction, avaient acquis cette même impétuosité que la pierre acquiert dans la rapidité d’une descente. Les caisses, les ballots, et tout ce qui tombait sous la main, étaient jetés à l’eau avec frénésie, et sans autre pensée que la nécessité d’alléger la barque, qui gémissait encore sous leur poids. L’agitation du lac augmentait aussi progressivement. Les vagues se succédaient, et le vaisseau suivait lourdement le même mouvement qu’elles. Enfin un cri annonça que, dans une partie de la pile de marchandises, on venait de découvrir le pont !

Le travail prit un caractère de sécurité qu’il n’avait pas auparavant ; car jusqu’alors le mouvement de la barque, et le terrain inégal sur lequel on travaillait, augmentaient les dangers causés par l’obscurité et la confusion. Maso abandonna alors son occupation active aussitôt qu’il vit ses compagnons engagés avec zèle dans l’entreprise qu’il avait mise en jeu, il cessa ses efforts personnels pour donner des ordres plus utiles qu’aucun des services qu’aurait pu rendre son bras.

— Je vous connais, signor Maso, dit Baptiste, fatigué par ses vains efforts pour arrêter le torrent, et vous répondrez de ceci ainsi que de vos autres crimes, aussitôt que nous aurons atteint Vevey.

— Vieux radoteur, tu nous aurais conduits, par ta sottise, dans un port où, lorsqu’on y est une fois, on ne peut plus faire voile pour en sortir.

— Ce lieu est situé sous vos pieds à tous deux, répondit Nicklaus Wagner ; vous, Baptiste, vous n’êtes pas moins à blâmer que ces fous. Si vous aviez quitté le port à l’heure convenue d’après nos conditions, ce danger ne nous aurait pas surpris.

— Suis-je un dieu pour commander aux vents ? Je voudrais ne vous avoir jamais vu, ni toi ni tes fromages, et du moins je voudrais que tu me délivrasses de ta présence, et que tu allasses les rejoindre au fond du lac.

— Tout cela vient de ce que tu as négligé ton devoir, et je ne sais même pas si un usage convenable des rames ne nous conduirait pas encore au port, sans qu’il soit utile de détruire ainsi notre propriété. Noble baron de Willading, nous avons ici besoin de votre témoignage ; et, comme citoyen de Berne, je vous conjure de peser toutes ces circonstances.

Baptiste n’était pas d’humeur à écouter tous ces reproches mérités, et il répondit à Nicklaus Wagner d’une manière qui eût promptement changé leur querelle intempestive en une lutte, lorsque Maso passa brusquement entre eux, et les sépara avec la force d’un géant. Cette conduite maintint la paix pendant un instant, mais la guerre de paroles continua avec tant d’acrimonie, et en termes si peu mesurés, qu’Adelheid et ses femmes, déjà pâles de terreur par le danger de la scène dont elles étaient environnées, se bouchèrent les oreilles pour ne point entendre des injures et des menaces qui les glaçaient d’effroi. Lorsque Maso eut séparé les deux adversaires, il se rendit parmi les travailleurs. Là, il donna ses ordres avec un calme parfait, bien que son œil exercé reconnût que, bien loin d’avoir exagéré le danger, il n’en avait pas reconnu d’abord toute l’étendue. Le roulis excessif ne discontinuait plus, et l’agitation furieuse des ondes qui produit ce bruit familier au marin, annonçait que les vagues avaient acquis une si grande surface, que leur sommet se brisait en envoyant des deux côtés de la barque leur blanche écume. D’autres symptômes prouvaient aussi que la situation de la barque était comprise sur le rivage ; des feux étaient allumés près de Vévey, et il n’était pas difficile de reconnaître, même à une telle distance, la sympathie des habitants de la ville.

— Je ne doute pas que nous n’ayons été aperçus, dit Melchior de Willading, et que nos amis ne cherchent les moyens de nous aider. Roger de Blonay n’est point homme à nous voir périr sans faire aucun effort. Le digne bailli Peter Hofmeister ne verra pas de sang-froid, non plus, qu’un confrère, un ancien camarade de collège, ait besoin de son assistance.

— Personne ne peut venir à nous sans courir les mêmes risques que nous-mêmes, répondit le seigneur génois ; il vaut mieux que nous soyons livrés à nos propres efforts. J’aime le sang-froid de ce marin inconnu, et je mets ma confiance en Dieu !

Un nouveau cri annonça qu’on découvrait le pont dans un autre endroit de la barque. La plus grande partie de la charge avait disparu à jamais, et le mouvement du bâtiment devenait plus vif et plus régulier. Maso appela à lui un ou deux des matelots, et ils déployèrent les voiles suivant la manière latine de gréer ; car une brise chaude, la première qui se fût fait sentir depuis quelques heures, passait au dessus de la barque. Ce devoir fut rempli comme on ferle les voiles dans un moment pressé, mais solidement. Maso se rendit parmi les travailleurs, les encourageant de la voix, et dirigeant leurs efforts par ses conseils.

— Tu n’es pas assez fort pour la tâche que tu as entreprise, dit-il en s’adressant à un individu qui essayait de diriger un ballot un peu en dehors des autres ; il vaut mieux aider tes compagnons que de t’épuiser ici inutilement.

— Je me sens assez de force pour remuer une montagne. Ne travaillons-nous pas pour sauver notre vie ?

Le marin se baissa pour regarder en face celui qui lui parlait ainsi ; c’était l’étudiant westphalien.

— Ton étoile a disparu, ajouta Maso en souriant, car Maso avait souri au milieu de scènes plus terribles encore.

— Elle la regarde toujours ; elle pense à celui qu’elle aime, et qui voyage bien loin du pays de ses pères.

— C’est bien. Mais, puisque tu tiens à jeter ce ballot dans le lac, je vais t’aider. Place ton bras ainsi. Une once de force bien dirigée vaut mieux qu’une livre de force mal employée.

Réunissant leurs efforts, ils réussirent à faire ce que l’étudiant avait vainement tenté ; le ballot roula sur le passe-avant, et l’étudiant exalté poussa un cri. La barque se pencha, et le ballot passa subitement par-dessus le bord, comme si cette barque inerte eût été prise tout d’un coup du désir d’accomplir une évolution à laquelle elle avait résisté jusqu’alors. Maso reprit avec la dextérité d’un marin son équilibre, qui avait été dérangé par ce mouvement inattendu mais son compagnon n’était plus à ses côtés. S’agenouillant sur le passe-avant, il aperçut le ballot qui s’enfonçait dans les ondes et entraînait le jeune Westphalien ; il se pencha en avant pour saisir le corps, qui paraissait encore, mais il ne put le ramener à la surface du lac, les pieds de l’étudiant étaient engagés dans les cordes ou peut-être, ce qui est aussi probable, le jeune Allemand, dont l’esprit exalté s’était identifié avec l’horreur de la nuit, avait été lui-même l’instrument de sa perte, en se cramponnant avec trop d’ardeur au corps qu’il lançait dans l’eau.

La vie d’Il Maledetto avait été semée de vicissitudes et de périls. Il avait souvent vu des hommes passer de ce monde dans l’autre, et il était resté calme au milieu des cris, des gémissements, et, ce qui est plus terrible encore, des malédictions des mourants mais jamais il n’avait été témoin d’une mort aussi prompte et aussi silencieuse. Pendant plus d’une minute, il resta suspendu sur la masse sombre et agitée des eaux, espérant voir reparaître l’étudiant ; puis il perdit bientôt tout espoir, tressaillit de douleur en se relevant, et quitta enfin ce lieu funeste. Cependant la prudence lui fit une loi de se taire, et il entrevit tout d’un coup l’inutilité et même le danger de distraire les travailleurs par une aussi triste nouvelle : le pauvre étudiant disparut sans qu’un mot de regret fût prononcé sur son sort. Personne ne connut sa mort, à l’exception du marin, et personne ne s’informa de ce qu’il était devenu. Mais celle qui lui avait promis sa foi sur les bords de l’Elbe, regarda longtemps la pâle étoile, et pleura amèrement de ce que sa constance ne rencontrait pas de retour. Ses affections survécurent de beaucoup à leur objet, car l’image de celui qu’elle aimait était profondément gravée dans son cœur. Les jours, les semaines, les mois, les années s’écoulèrent pour elle dans les chagrins d’une espérance trompée ; mais le lac Léman ne trahit jamais son secret, et le seul homme auquel le malheur de son amant fût connu, pensa peu, s’il ne l’oublia pas tout à fait, à un incident qui ressemblait à tant d’autres dans sa carrière aventureuse.

Maso reparut au milieu de la foule avec le maintien composé d’un homme qui sait que l’autorité est d’autant plus utile qu’elle est calme. Il avait alors l’entier commandement du vaisseau. Baptiste, étourdi par cette crise extraordinaire, étouffé par la colère, était incapable de donner un ordre utile ou distinct. Il était heureux pour les passagers que le commandement eût passé en d’aussi bonnes mains, car le danger devenait de plus en plus alarmant.

Nous avons nécessairement mis beaucoup de temps à décrire ces événements, la plume ne pouvant égaler l’activité de la pensée. Vingt minutes ne s’étaient donc pas écoulées depuis que la tranquillité du lac s’était troublée, et les efforts des passagers du Winkelried avaient été si prompts, que ce temps avait encore paru moins long aux travailleurs. Mais les puissances de l’air n’avaient pas été oisives non plus ; l’ouverture qui se voyait auparavant dans les cieux avait disparu, et, à de courts intervalles, le bruit effrayant produit par le choc des escadrons aériens semblait approcher. À trois différentes reprises, des brises chaudes passèrent au-dessus de la barque ; et, aussitôt qu’elles se plongeaient dans cette onde plus agitée que de coutume, les visages des passagers se trouvaient rafraîchis comme par un immense éventail. C’était simplement le changement subit de l’atmosphère, dont les régions étaient déplacées par la lutte de l’air chaud du lac et de celui qui avait été congelé sur les glaciers, ou c’était le résultat plus simple de la violente agitation de la barque.

La profonde obscurité donnait au lit du lac l’apparence d’une sombre plaine liquide, et contribuait à la terrible solennité de la nuit. Les remparts de la Savoie étaient seuls visibles au milieu des nuages, offrant l’aspect d’une muraille noire qu’on pouvait, en apparence, atteindre de la main, tandis que les côtes plus variées et plus agréables du pays de Vaud présentaient une masse indéfinissable, moins menaçante, il est vrai, mais également confuse et incertaine.

Cependant on voyait toujours la lumière dans le phare du vieux Roger de Blonay, et différentes torches brillaient sur le rivage de Vévey. Ce rivage paraissait couvert des habitants de la ville, appréciant tout le danger de la position de la barque.

Le pont était nettoyé, et les voyageurs étaient groupés entre les mâts. Pippo avait perdu toute sa gaieté, et Conrad, tremblant de superstition et de terreur, s’était débarrassé de son hypocrisie. Ils causaient avec leurs compagnons des hasards de leur situation et de leurs causes probables.

— Je ne vois aucune image de la Vierge, et pas même une pauvre lampe en l’honneur de quelques saints dans cette barque maudite ! dit le jongleur, lorsque quelques autres eurent énoncé leur opinion particulière. Il faut que le patron vienne ici, et se justifie de cette négligence.

Les passagers étaient divisés en catholiques et en protestants. Cette proposition fut donc reçue de différentes manières. Les premiers réclamèrent contre cette négligence, tandis que les seconds, influencés également par la terreur, déclaraient hautement que l’idolâtrie elle-même pouvait causer leur ruine.

— Que la malédiction du ciel tombe sur la langue coupable qui, la première, a proféré ces paroles ! murmura entre ses dents le tremblant Pippo, car il était trop prudent pour parler ouvertement en face d’une aussi forte opposition, et cependant trop crédule pour ne pas être effrayé de la témérité de ce blasphème. N’as-tu rien sur toi qui puisse protéger un chrétien, pieux Conrad ?

Le pèlerin avança une croix et un rosaire. L’emblème sacré passa de main en main, et fut pressé par les lèvres de tous les croyants, avec un zèle à peu près semblable à celui qu’ils avaient manifesté en déchargeant le pont. Encouragés par cette action, ils appelèrent hautement Baptiste à leur barre. Confronté devant ces esprits indomptés, le patron trembla de tous ses membres ; car, excepté la colère et une crainte abjecte, tout autre sentiment l’avait abandonné. Aux sommations qu’on lui fit de donner une lumière pour placer devant une image de la Vierge que Conrad venait de procurer, il objecta sa foi protestante, l’impossibilité de maintenir une flamme quelconque pendant que la barque était agitée d’une manière aussi violente, et les opinions divisées des passagers. Les catholiques se rappelèrent le pays et l’influence de Maso, et le prièrent, pour l’amour de Dieu, de venir donner du poids à leur demande. Mais le marin était occupé sur le gaillard d’avant, jetant à l’eau toutes les ancres les unes après les autres, aidé passivement par les matelots de la barque, qui s’étonnaient d’une précaution si inutile, puisque aucune corde ne pouvait atteindre le fond, mais sans oser refuser de lui obéir. Quelqu’un parlait alors de la malédiction qui avait été jeté sur le vaisseau en conséquence de l’intention qu’avait eue Baptiste de prendre le bourreau à son bord. Baptiste, en proie à une nouvelle frayeur, sentit son sang se glacer dans ses veines.

— Croyez-vous réellement que cela soit la cause de nos malheurs ? demanda-t-il d’une voix tremblante.

Toute distinction de croyance était perdue dans la frayeur générale. Maintenant que le Westphalien avait disparu, il n’y avait pas un homme parmi cette foule qui doutât que ce voyage ne fut maudit. Baptiste tressaillit, balbutia quelques paroles incohérentes et, dans l’espèce de folie dont il était saisi, son dangereux secret lui échappa.

La nouvelle que Balthazar était sur la barque produisit un silence profond et solennel. Ce fait fournit à ces esprits ignorants une preuve aussi concluante de la cause du danger, que la plus heureuse démonstration à un habile mathématicien. Une nouvelle lumière les éclaira, et à ce calme de mauvais augure succéda une demande générale de connaître quel était le bourreau. Baptiste, influencé en partie par une terreur superstitieuse, et en partie par la faiblesse de son caractère, montra de loin Balthazar ; et, après s’être substitué cette nouvelle victime à la rage populaire, il profita de cette occasion pour se retirer de la foule.

Lorsque Balthazar fut poussé de main en main jusqu’au milieu du groupe superstitieux et féroce, l’importance de cette découverte produisit une nouvelle pause silencieuse, ressemblant au calme perfide qui avait si longtemps régné sur le lac, et qui avait été le précurseur d’une violente explosion. On parla peu, car le moment était trop dangereux pour donner carrière aux sentiments vulgaires ; mais Conrad, Pippo et un ou deux autres élevèrent silencieusement Balthazar dans leurs bras, et le portèrent vers un des bords de la barque.

— Recommande ton âme à la sainte Vierge, murmura le Napolitain avec un étrange mélange de zèle chrétien et de férocité.

Ces mots présentent ordinairement une idée de charité et d’amour ; mais, malgré ce rayon d’espérance, Balthazar vit clairement le sort qui lui était réservé.

En quittant la foule qui formait un corps solide entre les mâts, Baptiste rencontra son vieil antagoniste Nicklaus Wagner. La fureur qui avait été si longtemps concentrée dans son sein, fit soudain explosion, et dans ce moment de folie il le frappa. Le vigoureux Bernois saisit son assaillant, et une lutte horrible à voir, car elle rappelait celle des brutes, s’engagea. Scandalisés par ce spectacle, offensés par ce manque de respect, et ignorant ce qui s’était passé (car la foule avait énoncé ses résolutions de cette voix brève et peu élevée que prennent ordinairement les hommes déterminés), le baron de Willading et le signer Grimaldi s’avancèrent d’un air ferme et digne pour empêcher ce honteux combat. Dans ce moment critique, la voix de Balthazar se fit entendre au-dessus du bruit de la tempête qui allait toujours en augmentant ; il invoquait non pas la vierge Marie, comme on le lui avait conseillé, mais il appelait les deux seigneurs à son secours. À ce cri, Sigismond s’élança comme un lion, trop tard pour atteindre ceux qui tenaient déjà le bourreau suspendu au-dessus des vagues, mais assez à temps pour saisir par ses habits le malheureux qui allait périr. Par un effet surhumain, la direction de la chute fut changée. Au lieu d’être englouti dans les eaux du lac, le corps de Balthazar rencontra ceux des combattants furieux, qui reculèrent sur les deux seigneurs, et au même instant ces quatre personnes disparurent sous les ondes.

Le combat des différentes régions de l’air cessa, l’air qui était sur la surface du lac céda une avalanche supérieure, et la tempête éclata dans toute sa furie.