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Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/11

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La Promenade



LA PROMENADE.


Nous nous trouvâmes le lendemain au bois de Boulogne au ranelack, et après avoir donné nos chevaux à garder à nos valets, le chevalier B… m’introduisit au château de la M… nous apprîmes que la R… se promenait avec la J. P… et nous avançâmes de ce côté là. J’étais dans la plus grande agitation ; je ne pouvais faire un pas, sans que ces lieux ne me rappelassent des plaisirs passés…

En détournant la grande allée des maronniers du côté du bois de Boulogne, nous rencontrâmes la R… et la belle P… cette dernière fixa les yeux de mon côté, elle m’eût à peine apperçu, qu’elle jeta un cri mêlé de surprise et de frayeur, aussitôt elle se trouva mal, je devinai que j’étais l’auteur de cet événement et je me gardai bien de me montrer de crainte que ma présence ne fit le même effet sur la R… et que mon imprudence ne m’attirât quelques nouveaux malheurs. On sait que la R… qui avait pour elle la sollicitude d’un amant pour sa maîtresse, la fit reconduire dans son appartement, et sans manifester à mon ami, l’effet qu’avait produit sur moi la vue de la R… et de la P… nous nous retirâmes.

Nous montâmes à cheval ; après une promenade, champêtre nous revîmmes dîner chez un restaurateur à la porte du bois.

Nous étions à peine arrivés, que je fus demandé par mon véritable nom, je trouvai à ma grande surprise dans un cabinet attenant à la pièce où nous étions un domestique qui me remit la lettre suivante.

« Je n’ai pu vous voir, sans éprouver la plus vive satisfaction et les plus grandes inquiétudes. Je désire vous prouver mon attachement, vous devez le mériter par votre constance. Ah ! si j’osais croire que j’ai eu part à ton imprudente démarche, je ferais encore plus pour toi ; en indiquant votre adresse, je serais ce soir à minuit dans les bras de mon cher Page. Réponse par le fidèle serviteur qui te remettra ce billet. »

Réponse.

« Chérubin est toujours le même ; malgré ses malheurs, il n’a jamais pû oublier sa chère J. P… Il n’y a point de dangers qu’il n’affronte pour la voir, il n’y a rien qu’il ne fasse pour lui réitérer les assurances de l’amour le plus vif et qui ne finira qu’avec sa vie ; il attend minuit avec impatience, il comptera les secondes pour des années. A minuit rue de Richelieu, hôtel de ***. Recevez en attendant les brûlans baisers de l’amoureux Chérubin. »

Je remis cette lettre au domestique de J. P… et je rentrai ému et rayonnant de joye de ce qui venait de m’arriver. Le chevalier B… s’apperçut bientôt de ma distraction, il ne pouvait la faire disparaître, malgré l’enjouement de son caractère. Vous me pardonnerez la question que je vais vous faire, me dit-il, je suis bien trompé si vous ne venez de recevoir l’heureuse nouvelle de quelque bonne fortune. J’ai quelques droits à votre confiance, et si je la mérite, daignez m’en faire part pour que je puisse m’en réjouir avec vous. — Je vous avoue, mon digne ami, que vous avez deviné juste ; c’est une ancienne connaissance que je cherchais en venant ici, je l’ai trouvée, elle m’a apperçu, nos yeux se sont entendus, elle m’a fait suivre ; et je la recevrai dans mes bras à minuit… Il faut donc, chevalier, bien réparer les forces que mon infidélité d’hier m’a fait perdre. Je regrette seulement de ne pas faire une partie quarrée… mais je pense… je réfléchis aux moyens… La chose se fera, mon cher ami, nous passerons une nuit délicieuse, laissez-moi conduire l’aventure… La soubrette vaut bien la maîtresse ; tout ce que je souhaite, c’est que vous retrouviez suffisament de vigueur pour participer en second aux plaisirs qui nous attendent. — Je vous abandonne la conduite de cette affaire, chevalier ; guidé par vous, je ne puis manquer de devenir un héros dans les combats amoureux ; que ne peut l’exemple sur un écolier qui désire de bien faire ? cette intrigue me paraît si piquante, que déjà je me sens très-amoureux de ma soubrette, et que blazé des beautés de bordels, un nouveau genre ranimera mes appétits, et me fera faire des exploits extraordinaires.

Nous achevâmes le diné gaîment, et nous eûmes soin de prendre des alimens qui contribuassent à exciter chez le chevalier une fermentation qui l’empêchât de rester spectateur indifférent de la nuit heureuse que j’allais passer… Nous revînmes à Paris attendre l’heure du berger ; un instant à la comédie Italienne, et de-là souper à mon hôtel avec le compagnon de mes plaisirs.

Une lettre de ma chère J. P… m’attendait, elle était ainsi conçue :


Bourges, ce…

« J’arrive ce soir à Paris à onze heures, fais préparer, à ton hôtel, un lit pour moi et un pour ma femme de chambre, je suis si fatiguée de la maudite voiture que j’ai prise, que je ne peux t’en dire davantage, je t’embrasse,

ta sœur Julie. »

Je sautai de joie à la lecture de cette interressante missive, j’appris au chevalier le nom de mon héroïne, et sa surprise fut extrême, il connaissait la duchesse de P… et sa femme de chambre qui n’était pas moins appétissante, sa bonne fortune le transportait de joie.

Nous attendîmes avec impatience l’instant de notre réunion, enfin onze heures sonnent, une voiture se fait entendre, je fais cacher le chevalier B… jusqu’à ce que j’ai prévenu la duchesse de la présence de mon ami ; j’appréhendais qu’elle ne refusât de se prêter à la partie que j’avais arrangée. Enfin j’arrive à la portière et je reçois dans mes bras ma prétendue sœur, qui par précaution s’était voilée, et nous voilà introduit dans mon appartement, où il m’est permis, tandis que la suivante fait transporter une malle assez pesante, de témoigner à ma charmante amie la satisfaction que j’éprouvais de la serrer contre mon cœur, et la juste reconnaissance que je lui devais pour une si grande preuve de son amour.

Le chevalier B… était dans un cabinet à côté, je prévins la duchesse de ma liaison intime avec lui, et j’eus bientôt levé ses scrupules en lui annonçant que le chevalier B… ferait partie quarrée avec sa suivante. — Vous avez des idées singulières, mon cher Chérubin, et je m’apperçois que l’absence et vos malheurs ne vous ont pas rendu plus sage ; mais puisque je me suis livrée à discrétion, vous userez de votre victoire comme bon vous semblera, vous savez que je suis docile, et que je ferai tout pour combler les vœux de mon aimable vainqueur. — Divine amie, tant de complaisance ne peut-être payée par trop d’amour. Les expressions me manquent pour te marquer ma reconnaissance, mais… — Mais taisez-vous, dit-elle, petit idolâtre, en précipitant ses lèvres sur les miennes ; et ses baisers enflammés me coupèrent la parole, j’étais dans le délire, j’allais oublier que le moment de la volupté n’était pas venu… Y pensez-vous, dit-elle, en s’arrachant de mes bras ? voyons votre second, il est tems de lier connaissance. La duchesse à qui j’avais indiqué le cabinet, courut sur le champ avec une grâce enchanteresse en faire sortir mon prisonnier, et prenant le chevalier B… par la main, puisque votre ami vous a instruit de tout ce qui a rapport à nos amours, je n’ai point à craindre que le chevalier B… soit assez indiscret pour aller divulguer ma faiblesse, je lui demande son silence et son amitié. — Je vous promets l’un, madame, et je m’honore d’accepter l’autre, lui répond le chevalier, en lui baisant respectueusement la main.

En attendant le souper, la duchesse nous fit part de la ruse qu’elle avait employée pour obtenir de la R… la permission de venir coucher à Paris. J’ai fait mettre à la petite poste une lettre, par laquelle j’étais demandée par la duchesse de B… ma parente ; qui se disait dangereusement malade, il ne m’a pas été difficile d’obtenir la permission de lui aller rendre mes soins.

La duchesse est mon amie intime ; elle est extrêmement indulgente sur les fautes de son prochain ; je l’ai prévenue et elle s’est prêtée bien facilement à ma supercherie, j’ai un congé de deux jours. Ce que me dit la duchesse me combla de joie.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre