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Le Carillon du Collier/Collier rompu

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II

COLLIER ROMPU


Et tenez, maintenant que la voilà rentrée,
La superbe Vampire au sourire sanglant ;
Qu’elle compte ses morts et les recompte, outrée
D’en tenir un de moins sous son ongle brûlant ;

Je vais, si vous voulez, vous ouvrir sa demeure
Que nous envahirons, invisibles. Alors,
En ce lieu, vous verrez comment l’heure suit l’heure,
Et si la soif de vaincre amène le remords. —

De l’ivresse et du bruit dissipant les fumées,
La Sirène s’assied, lasse et fiévreuse encor.
Elle sort de leurs nœuds ses tresses parfumées
Et, boudeuse, à ses pieds jette son réseau d’or.

De sa gorge onduleuse elle enlève les gazes ;
Indolente, elle éteint son ciel de diamants ;
Elle rend à l’écrin et perles et topazes,
Ces constellations que sèment les amants.

Mais au déshabiller survit une dépouille :
Tous les joyaux partis, moins un. L’un est resté,
Le Collier ! Celui-là sous rien ne se verrouille…
Au cou, le jour ; la nuit, au cou ; jamais quitté,


Jamais ! Dans ce bijou la féline a sa force.
Amulette multiple, il est son talisman ;
En la fascinatrice il allume l’amorce,
Et lui fait, sans broncher, réussir tout roman.

Et, comme elle, Dieu sait combien elle en entame !
Du nouveau ! du nouveau ! L’Idole en veut toujours…
Mais pour ses chers blessés sa lèvre est sans dictame ;
Elle va, rayonnant le mal en son parcours.

Au cou marmoréen le Collier s’éternise.
Le corps rose émergé des flots blancs du peignoir,
La Belle est là, devant sa glace de Venise,
Essayant la vigueur de jet de son œil noir.

Dans le vaste horizon que son désir entr’ouvre
Elle plonge et replonge un penser anxieux,
Lente, et ne s’arrêtant qu’alors qu’elle découvre
Une étoile à clouer aux splendeurs de ses cieux ;

Car sans trêve elle veut, la Chasseresse altière,
Et la proie abondante et la fleur du gibier ;
De cœurs énamourés son pied cherche litière…
Qu’un ciel de sa façon est près d’être un bourbier !

Dans son calme puissant elle est donc là, qui songe,
Analysant ses traits d’un regard acharné :
Elle est belle, et pourtant l’envie acre la ronge…
Plus belle, et son pouvoir ne serait plus borné !…

Dans ce sombre travail des frissons la parcourent ;
Elle se sent frémir de la moelle à la peau ;
Jeune, il lui semble voir que des rides labourent
Ses épaules, son cou si pur, son front si beau.


Un austère coup d’œil, hors de ses habitudes,
La transporte, craintive, au seuil de l’âge mûr
Et, devant la vieillesse et ses décrépitudes,
Le cœur lui manque… un cri… sa main s’appuie au mur :

— « Je suis vieille !… » dit-elle. Et la toute-puissante
Comme un marbre blêmit… « Si j’étais jeune encor,
Je ne traînerais point ma honte avilissante…
Un amour me résiste, et mon sourire est mort !

Oh ! je suis morte aussi !… du moins, bien près de l’être.
Aux hasards d’ici-bas je perds tout mon enjeu.
C’est la fin ; car je souffre un mal… sans le connaître…
Il pleut sur moi des dards et des gouttes de feu.

Implacable, une étreinte à la gorge me brûle.
On dirait qu’un bandit, ivre d’un mauvais coup
Et dont la main féroce en jouant se stimule,
Avec un fer rougi me fait le tour du cou.

Des souffles de simoun crispent mon épiderme.
Un soc incandescent y creuse des sillons…
Est-ce un embrasement qui n’aura point de terme ?
Arrachez mon Collier !… ce sont mes médaillons…

Ce sont mes médaillons qui forgent ces tortures.
Tisons trouant ma chair, vais-je vous supplier ?
Oh ! non… Arrière donc, noblesses ou rotures !…
Va-t-en aux quatre coins du boudoir, vil Collier !!!… »

Et, saisissant le cercle aux glorieux camées,
D’une main furieuse elle en fait des lambeaux.
Elle en pousse du pied les parcelles semées…
Jetés là !… vous, jadis si choyés et si beaux !!!…