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Le Château dangereux/13

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 134-142).


CHAPITRE XIII.

LE SECRET.


Lorsque les portes de la geôle furent ouvertes, on put voir un de ces cachots qui alors interdisaient aux victimes toute espérance d’évasion ; mais dans lesquels un ingénieux coquin des temps modernes ne daignerait pas même rester plusieurs heures. Il était facile de voir, pour peu qu’on y prêtât attention, que les larges anneaux par lesquels les fers étaient réunis ensemble et attachés au corps du prisonnier, se tenaient par une rivure si faible que, frottés avec un acide corrosif ou patiemment usés avec un morceau de grès, les fers pouvaient être aisément séparés les uns des autres, et devenir ainsi tout-à-fait inutiles. Les serrures aussi, énormes et en apparence très solides, étaient si grossièrement faites, qu’un captif sans beaucoup d’adresse pouvait par des moyens semblables les mettre également hors de service. Le jour ne pénétrait dans ce cachot souterrain qu’à midi, et par une ouverture qu’on avait à dessein rendue oblique, de manière à exclure les rayons du soleil, tandis qu’elle n’arrêtait ni le vent ni la pluie. L’opinion qu’un prisonnier doit être regardé comme innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable par ses pairs, n’était pas admise dans ces temps de force brutale, et on lui accordait seulement une lampe et quelque autre faible soulagement si sa conduite était tranquille, et s’il paraissait peu disposé à causer au geôlier le moindre embarras en essayant de s’échapper. Telle était la cellule où était renfermé Bertram : la douceur de son caractère et sa résignation lui avaient valu tous les adoucissements que pouvait accorder le geôlier. On lui avait permis d’emporter dans sa prison le vieux volume des poésies de Thomas-le-Rimeur, dont la lecture charma les instants de sa solitude, ainsi que tout ce qu’il fallait pour écrire. Il leva la tête lorsque les chevaliers entrèrent ; le gouverneur dit à son jeune lieutenant :

« Comme vous paraissez croire que vous connaissez le secret de ce prisonnier, je vous laisse le soin, sir Aymer de Valence, de l’engager à nous le dire, de la manière que vous jugerez la plus convenable. Si cet homme ou son fils ont été injustement maltraités, mon devoir sera de les indemniser… chose qui, je crois, ne sera point fort difficile. »

Bertram leva les yeux et regarda le gouverneur en face ; mais il ne lut rien sur son visage qui indiquât qu’il fût mieux informé du secret pour lequel lui-même se trouvait en prison. Mais la contenance de sir Aymer l’éclaira, et ils échangèrent un regard d’intelligence.

« Vous savez donc mon secret, dit-il, et vous savez quelle est la personne qui prend le nom d’Augustin ? »

Sir Aymer répondit par un coup d’œil affirmatif ; et le gouverneur, regardant alternativement et d’un air très agité le prisonnier et le chevalier de Valence, s’écria :

« Sir Aymer de Valence, si vous êtes vraiment chevalier et chrétien ; si vous avez un honneur à conserver en ce monde et une âme à sauver après votre mort, je vous somme de me dire ce que signifie ce mystère ! Il se peut que vous pensiez vraiment avoir à vous plaindre de moi… dans ce cas, je suis prêt à vous satisfaire comme chevalier. »

Le ménestrel ajouta au même moment :

« Et moi, je somme ce chevalier, par son vœu de chevalerie, de ne divulguer aucun secret relatif à une personne noble et honorable, avant de m’avoir prouvé qu’il agit absolument d’après le consentement de cette personne. — Que ce billet lève vos scrupules, » répliqua sir Aymer en mettant la lettre d’Augusta entre les mains du ménestrel. « Quant à vous, sir John de Walton, loin de conserver le moindre ressentiment de la mésintelligence qui peut avoir existé entre nous, je veux l’ensevelir dans l’oubli, comme provenant d’une suite de méprises qu’aucun mortel n’aurait pu éviter… et ne vous offensez pas, mon cher sir John, si je proteste sur ma foi de chevalier que j’ai compassion du chagrin que ce billet va vous causer. Si mes efforts peuvent vous être de la moindre utilité pour démêler cet écheveau embrouillé, je me dévouerai avec autant d’ardeur que je l’ai jamais fait de ma vie. Ce fidèle ménestrel doit voir maintenant qu’il ne lui est pas possible d’hésiter à découvrir un secret qui, je n’en doute pas, sans l’écrit que je viens de lui remettre, aurait été gardé avec une inébranlable discrétion. »

Sir Aymer mit alors dans la main de Walton un second écrit dans lequel, avant de quitter le couvent de Sainte-Brigitte, il avait exposé l’interprétation qu’il donnait à ce mystère. Le gouverneur eut à peine le temps de lire le nom qu’il contenait, avant que le même nom fût prononcé tout haut par Bertram qui, en même temps, passa au gouverneur la lettre que lui avait remise le chevalier de Valence.

La plume blanche qui flottait au dessus de la toque du chevalier, coiffure de cérémonie qu’on portait au lieu de casque dans l’intérieur d’une forteresse, n’était pas d’une teinte plus pâle que ne le devint le visage du gouverneur à cette nouvelle étrange et inattendue. Quoi ! la dame dont il avait fait, suivant la phrase chevaleresque, la reine de ses pensées et la maîtresse de ses actions ; celle à qui, même dans des circonstances ordinaires, il aurait dû la plus vive reconnaissance pour le choix généreux qu’elle avait fait en sa faveur : cette dame était la même personne qu’il avait menacée de violences personnelles, et soumise à des rigueurs, à des affronts qu’il n’aurait pas même pu se résoudre à infliger à la dernière des femmes.

Cependant sir John parut d’abord ne comprendre qu’à peine les nombreuses et tristes conséquences qui naîtraient probablement de cette malheureuse complication d’erreurs. Il prit le papier des mains du ménestrel ; et tandis que ses yeux, à l’aide de la lampe, erraient sur les caractères sans paraître en comprendre distinctement le sens, de Valence craignit qu’il ne perdît la raison.

« Pour l’amour du ciel ! sir John, dit-il, soyez homme, et supportez avec une fermeté mâle ces nouvelles inattendues… Je suis tenté de croire qu’il ne s’est rien passé dans cette affaire qu’une intelligence humaine pût empêcher. Cette belle lady, j’ose le croire, ne gardera point un souvenir implacable de ces tristes circonstances : elle y verra des conséquences toutes naturelles de votre désir de réaliser des espérances qu’elle-même vous a permis de concevoir. Au nom de Dieu ! reprenez courage, sir John ; qu’on ne puisse dire que la froideur d’une belle a pu abattre ainsi le courage du plus hardi chevalier de l’Angleterre ; soyez ce que les hommes vous ont appelé « Wallon l’intrépide. » Au nom du ciel ! voyons du moins si la belle est offensée, avant de conclure qu’elle l’est irrévocablement. À qui attribuer la source de toutes ces erreurs ? Assurément, malgré tout le respect qu’on lui doit, c’est au caprice de cette dame elle-même. Pensez donc en homme, en soldat. Supposez que vous ou moi, voulant éprouver la fidélité de nos sentinelles, ou pour toute autre raison, bonne ou mauvaise, nous essayions de pénétrer dans ce dangereux château de Douglas, sans donner le mot d’ordre aux gardes : aurions-nous le droit de blâmer les soldats de faction si, ne nous reconnaissant pas, ils nous refusaient bravement l’entrée, nous faisaient prisonniers ou nous maltraitaient en repoussant notre attaque, pour obéir aux ordres que nous leur avons nous-mêmes donnés ? Où est la différence entre ces sentinelles et vous, sir John de Walton, dans cette curieuse affaire, qui, par le ciel ! servirait plutôt de sujet aux vers légers de cet excellent barde, que de texte à un lai tragique ? Allons, quittez cet air sombre, de Walton ; mettez-vous en colère, si vous le voulez, contre la belle qui a commis un tel acte de folie, ou contre moi qui ai galopé toute la nuit et qui ai éreinté mon meilleur cheval, quoique j’ignore absolument comment je pourrai m’en procurer un autre avant d’être réconcilié avec mon oncle de Pembroke ; ou enfin, si vous désirez être tout-à-fait absurde dans votre colère, dirigez-la contre ce digne ménestrel, à cause de sa rare fidélité : punissez-le d’une conduite pour laquelle il mériterait une chaîne d’or. Mettez-vous en fureur, si bon vous semble, mais chassez ce sombre désespoir : il ne sied pas au front d’un homme et d’un chevalier. »

Sir John de Walton fit un effort pour parler, et y parvint avec quelque peine.

« Aymer de Valence, dit-il, irriter un furieux, c’est jouer avec sa propre vie. » Et il se tut.

« Je suis content que vous puissiez au moins parler ainsi, répliqua le jeune homme ; car je ne plaisantais pas lorsque je vous disais que je voudrais vous voir en colère contre moi, au lieu de rejeter tout le blâme sur vous-même. Il serait courtois, je pense, de remettre immédiatement ce ménestrel en liberté ; cependant, dans l’intérêt de sa maîtresse, je le supplierai d’être notre hôte jusqu’à ce que lady Augusta de Berkely nous fasse le même honneur : il voudra bien nous aider à découvrir l’endroit où cette dame s’est réfugiée… Bon ménestrel, continua-t-il, vous m’entendez, et vous ne serez pas surpris, je pense, de vous trouver, avec le respect et les traitements convenables, retenu pendant un court espace de temps dans ce château de Douglas ? — Vous semblez, sire chevalier, répliqua le ménestrel, ne pas tant considérer le droit de faire ce que vous devez, que le pouvoir de faire ce que vous voulez. Il faut donc nécessairement que je me rende à votre prière, puisque vous avez la puissance de la convertir en un ordre. — Et j’espère, continua de Valence, que, lorsque vous serez réuni à votre maîtresse, nous jouirons du bienfait de votre intercession pour obtenir le pardon de ce que nous avons fait qui a pu lui déplaire : nos intentions étaient absolument contraires. — Permettez-moi, dit sir John de Walton, de dire un seul mot ; je t’offrirai une chaîne d’or assez pesante pour balancer le poids des fers dont tu es encore chargé, comme signe de mon regret de t’avoir condamné à souffrir tant d’indignités. — C’en est assez, sir John, reprit de Valence : ne promettons rien de plus jusqu’à ce que ce digne ménestrel ait vu que nous sommes disposés à tenir nos promesses. Suivez-moi par ici, et je vous communiquerai en particulier d’autres nouvelles non moins importantes à connaître. »

En parlant ainsi, il entraîna sir John hors du cachot, et envoyant chercher le vieux chevalier, sire Philippe de Montenay, sénéchal du château, il lui ordonna d’élargir sur-le-champ le ménestrel, de le bien traiter sous tous les rapports, mais d’empêcher qu’il sortît du château sans être accompagné d’une personne sûre.

« Maintenant, sir John, dit-il, il me semble qu’il n’est guère civil de votre part de ne pas m’offrir à déjeuner après la nuit que j’ai employée à vos affaires. Un verre de muscat pourrait être, je crois, une excellente préparation pour considérer ensuite la marche à suivre dans ces conjonctures difficiles. — Vous savez, répondit de Walton, que vous êtes le maître de commander ici tout ce qui vous plaira ; mais, de grâce, apprenez-moi sur-le-champ ce que vous savez encore touchant la volonté de la belle contre qui nous avons tous péché si gravement, et moi, hélas ! sans espérance de pardon ! — Quant à moi, dit le chevalier de Valence, je crois que cette dame ne me garde pas rancune, puisqu’elle a expressément déclaré ne pas m’en vouloir. Ses termes, vous le voyez, sont précis, et vous pouvez lire vous-même… « Elle pardonne volontiers au pauvre sir Aymer de Valence d’avoir commis une erreur dont elle-même a été la cause ; ce sera toujours avec plaisir qu’elle le reverra comme ami ; de plus, elle ne songera jamais à cette histoire que pour s’en amuser. » Tels sont expressément les termes dont elle s’est servie. — Oui, répliqua sir John de Walton ; mais ne voyez-vous pas que son coupable amant est expressément exclu de l’amnistie ? Ne faites-vous aucune attention au paragraphe ? Il prit la lettre d’une main tremblante, et en lut la fin d’une voix agitée. « Tout rapport doit désormais cesser entre lui et le prétendu Augustin. » Expliquez-moi comment ces mots pourraient avoir un autre sens que celui de ma condamnation et d’une rupture qui détruit à jamais toutes les espérances de sir John de Walton. — Vous êtes un peu plus âgé que moi, sire chevalier, répondit de Valence, et, je ne le nierai pas, beaucoup plus sage et plus expérimenté ; je soutiendrai néanmoins qu’il n’y a point lieu d’adopter l’interprétation que vous donnez à cette lettre, sans supposer préalablement que la belle qui l’a écrite avait la tête un peu dérangée… Voyons, ne tressaillez pas ; quittez cet air égaré, et ne mettez pas la main sur votre épée : je n’affirme point que tel soit le cas. Je vous répète qu’une femme jouissant de sa raison ne pourrait pardonner à une connaissance ordinaire de l’avoir traitée, involontairement et tandis qu’elle était cachée sous un déguisement, avec peu de respect et d’égard, et à la fois rompre irrévocablement, pour la même offense, avec l’amant auquel sa foi était engagée. — Ne blasphémez pas, dit sir John de Walton, et pardonnez-moi si, pour rendre justice à la vérité et à l’ange que je crains d’avoir à jamais perdu, je vous fais remarquer la différence qu’une fille pleine de dignité et de sentiments nobles doit faire entre une offense commise par une personne ordinaire, et une autre offense précisément du même genre, dont se rend coupable un homme que la préférence la plus imméritée, les plus généreux bienfaits et tout ce qui enchaîne un noble cœur, devaient faire réfléchir longuement avant que d’agir en toute chose où il était possible qu’elle fût intéressée. — Maintenant, sur mon honneur ! répliqua sir Aymer de Valence, je suis charmé de vous entendre essayer du raisonnement, quoique ce soit une manière déraisonnable de raisonner pourtant, puisque vous avez pour but de détruire vos espérances, et d’anéantir toutes vos chances de bonheur. Mais si, dans le cours de cette affaire, je me suis conduit à votre égard de manière à donner non seulement au gouverneur, mais encore à l’ami, quelque motif de déplaisir, je réparerai actuellement ma faute, sir John de Walton, en essayant de vous convaincre en dépit de votre fausse logique. Mais voici le muscat et le déjeuner : prenez-vous quelque chose, ou continuerons-nous sans nous exposer à l’influence du muscat ? — Pour l’amour du ciel ! répliqua de Walton, faites comme vous voudrez, mais dispensez-moi de votre babil, quelque bien intentionné qu’il soit. — Oh ! vous ne me ferez pas renoncer à ma vigoureuse argumentation, » dit de Valence en riant et en se versant une coupe pleine de vin ; « si vous avouez que vous êtes vaincu, je consentirai à attribuer cette victoire à la force inspiratrice de cette joyeuse liqueur. — Comme il vous plaira ; mais laissez ce sujet auquel vous ne pouvez rien entendre. — Je nie cette inculpation, » répliqua le jeune chevalier en s’essuyant les lèvres, après avoir vidé la grande coupe ; « écoutez donc, de Walton-l’Intrépide, un chapitre de l’histoire des femmes, que vous ne connaissez pas aussi bien que je le désirerais. Vous ne pourriez nier que, soit à tort, soit à raison, votre lady Augusta ne se soit aventurée plus loin avec vous qu’il n’est ordinaire dans la carrière amoureuse ; elle vous a choisi hardiment lorsque vous n’étiez encore connu d’elle que comme une fleur de la chevalerie anglaise… J’estime beaucoup cette franchise… mais c’était un choix que les personnes plus froides de son sexe prétendraient peut-être appeler téméraire et précipité. Ne vous offensez pas, je vous prie ; je suis loin de le penser ou de le dire ; au contraire, je soutiendrai de ma lance que la préférence qu’elle accorde à sir John de Walton sur les mignons de la cour est sage et généreuse, et que cette conduite est à la fois candide et noble. Mais elle-même doit sans doute craindre d’injustes interprétations ; et cette crainte peut la porter à saisir une occasion de montrer à son amant une rigueur extraordinaire, pour balancer la franchise singulière des précédents encouragements. Même il est possible à un amant de prendre si bien parti contre lui-même, que la femme ensuite ne puisse échapper à son propre argument. Comme une fille qu’on prend au mot dès son premier refus, elle ne pourra ni se mettre d’accord avec ses propres sentiments, ni rétracter une sentence rendue avec le consentement de la partie dont elle détruit les espérances. — Je vous comprends, de Valence, répliqua le gouverneur du château de Douglas, et il ne m’est pas difficile d’admettre que ces observations peuvent être justes à l’égard de plus d’un cœur féminin, mais non quand il s’agit d’Augusta Berkely. Sur ma vie ! je déclare que j’aimerais mieux être privé du mérite de ces exploits chevaleresques qui m’ont acquis, dites-vous, une réputation enviable, qu’agir avec insolence en m’appuyant sur ces exploits, comme si je disais que ma place dans le cœur de cette dame m’est trop fermement assurée pour que je puisse en être expulsé par le mérite d’un autre homme, ou par une si grande offense envers l’objet de mon attachement. Non ; elle seule aurait le pouvoir de me persuader que sa bonté, égale à celle d’un saint, me rendra dans ses affections une place que j’ai indignement perdue, par une stupidité comparable à celle des brutes. — Si vous pensez ainsi, dit sir Aymer de Valence, je n’ai plus qu’un mot à ajouter ; excusez-moi si je m’explique aussi péremptoirement : lady Augusta, comme vous le dites, doit être l’arbitre suprême dans cette question. Mes arguments ne vont pas jusqu’à insister pour que vous réclamiez sa main, qu’elle y consente ou non ; mais, pour connaître sa décision, il faut que vous sachiez d’abord où elle est, ce dont je ne puis malheureusement vous informer. — Comment ! que voulez-vous dire ? » s’écria le gouverneur, qui alors seulement commença à comprendre l’étendue de son malheur ; « où s’est-elle enfuie, et dans quelle compagnie ? — Elle est allée, je suppose, répondit de Valence, à la recherche d’un amant plus hardi et moins disposé à interpréter tout air de froideur comme un coup mortel porté à ses espérances ; peut-être Douglas-le-Noir ou quelque autre héros du Chardon, pour récompenser par le don de ses terres, de ses titres et de sa beauté, la vertu et la valeur qu’elle aimait autrefois en sir John de Walton. Mais, sérieusement, il se passe autour de nous des choses étranges. J’en ai assez vu la nuit dernière en me rendant à Sainte-Brigitte, pour soupçonner maintenant tout le monde. Je vous ai envoyé comme captif le vieux fossoyeur de l’église de Douglas : il a refusé de répondre à plusieurs questions que j’ai jugé convenable de lui adresser ; mais nous en reparlerons une autre fois. L’évasion de cette dame ajoute beaucoup aux dangers qui entourent ce fatal château. — Aymer de Valence, » répliqua de Walton d’un ton solennel et animé, « le château de Douglas sera défendu, comme nous l’avons fait jusqu’à ce jour : il déploiera long-temps sur ses créneaux la large bannière de Saint-George. Advienne de moi ce qui pourra, je mourrai l’amant fidèle d’Augusta de Berkely, quand même je ne pourrais plus vivre comme chevalier de son choix. Il y a des cloîtres, des ermitages… — Oui, parbleu ! il y en a, repartit Aymer, et de plus des ceintures de chanvre et des chapelets de chêne ; mais il ne faut pas songer à tout cela avant d’avoir découvert où est lady Augusta, et quelles sont ses intentions véritables. — Vous dites bien, répliqua de Walton ; cherchons ensemble par quels moyens nous pourrons découvrir l’endroit de cette retraite précipitée, par laquelle ma dame m’a fait injure. Devait-elle supposer, en effet, que ses ordres n’eussent pas été religieusement obéis dans le cas où elle eût voulu en honorer le gouverneur du pays de Douglas, ou tout autre individu placé sous son commandement ? — À présent, reprit de Valence, vous parlez comme un fils de la chevalerie. Avec votre permission, je vais demander qu’on fasse venir le ménestrel. Sa fidélité à sa maîtresse a été remarquable ; et dans l’étal où sont les choses, il nous faut prendre immédiatement les mesures nécessaires pour trouver le lieu où elle s’est réfugiée. »