Aller au contenu

Le Chariot de terre cuite (trad. Regnaud)/Acte VIII

La bibliothèque libre.
Traduction par Paul Regnaud.
Ernest Leroux (tome 3p. 43-90).


ACTE VIII

LE MEURTRE DE VASANTASENÂ




Le religieux mendiant (1) tenant à la main un vêtement mouillé. — Ô, vous tous, hommes ignorants, faites provision de bonnes œuvres :

« Mettez un frein à votre ventre ; que le tambour de la méditation vous tienne constamment en éveil, de crainte que les sens, ces voleurs redoutables, ne vous ravissent le trésor longuement amassé de vos mérites. »

Que l’homme, après avoir bien considéré le caractère transitoire des choses, ait recours à la pratique des vertus (2).

« Celui qui détruit les cinq frères (les cinq sens) et la femme (l’ignorance) sauve le village (le corps), et quand il a détruit le chândâla dépourvu d’assistance (le sentiment de la personnalité), il va droit au ciel (3).

« À quoi bon se raser la tête et le visage si l’on ne se rase pas l’esprit ? Celui dont l’esprit est bien rasé a la tête assez bien rasée (4). »

Mais, voyons ! il s’agit d’entrer dans le jardin du beau-frère du roi pour y laver dans le lac ce vêtement imprégné de teinture rouge ; ensuite je me hâterai de m’en aller. (Il se met en route pour exécuter son projet.)

Une voix derrière la scène. — Arrête, mauvais çramanaka ! arrête, arrête !

Le religieux, regardant autour de lui avec effroi. — Hé ! qu’y a-t-il ? Hélas ! (5) c’est Samsthânaka, le beau-frère du roi. Il a eu à se plaindre d’un religieux mendiant et il fait emmener le premier qu’il aperçoit n’importe où, après qu’on lui a percé (6) le nez comme à un bœuf. Où chercherai-je un refuge, moi qui suis sans protecteur, à moins que Buddha, notre seigneur (7), ne me protège lui-même ?

Samsthânaka, arrivant sur la scène l’épée à la main et suivi du vita. — Arrête, mauvais çramanaka ! arrête, arrête ! Je vais te broyer la tête, comme on broie une tête de raktamûlaka dans une société de buveurs (8). (Il le frappe.)

Le vita. — Prince, ce n’est pas bien de frapper ce religieux mendiant qui porte le vêtement rouge de ceux qui ont renoncé aux choses mondaines. Laissez-le donc en paix. Du reste, voyez ce jardin, seigneur ; ne devrait-on pas pouvoir s’y promener sans crainte ?

« Ces arbres dont il est ombragé, qui offrent un refuge plein de charmes aux malheureux sans asile (9), en font une chose charmante comme le cœur des méchants quand il est mis à nu (10), ou comme un royaume nouvellement acquis, inexploité encore et dont la jouissance est offerte (11). »

Le religieux. — Serviteur (de Buddha) (12), je vous salue. Veuillez vous calmer…

Samsthânaka. — Maître, vois un peu comme il excite ma colère.

Le vita. — En quoi ?

Samsthânaka. — Il m’a traité de serviteur. Est-ce qu’il me prend pour un barbier (13) ?

Le vita. — Il a cru, au contraire, faire votre éloge en vous appelant serviteur de Buddha.

Samsthânaka. — Continue tes éloges (14), çramanaka, continue-les !

Le religieux. — Vous êtes heureux (dhanya) ; vous êtes vertueux (punya).

Samsthânaka. — Vois-tu, maître, qu’il m’appelle dhanya et punya. Suis-je donc un philosophe matérialiste ou un abreuvoir (15) ?

Le vita. — Comment, vous trouvez que ce n’est pas un éloge de vous appeler heureux, vertueux ?

Samsthânaka. — Eh bien ! maître, qu’est-il venu chercher ici ?

Le religieux mendiant. — Laver ce vêtement.

Samsthânaka. — Mauvais çramanaka, ce jardin Pushpakarandaka, qui est beau entre tous, m’a été donné par l’époux de ma sœur. Dans ce lac, où boivent les chiens et les chacals et où je ne me baigne pas moi-même, quoique étant de la plus brillante condition, tu viens laver tes hardes qui puent et qui ont la couleur (16) du bouillon de vieux haricots. Tiens ! j’ai envie de te tuer d’un seul coup !

Le vita. — Je crois qu’il n’a pas embrassé depuis bien longtemps la profession qu’il exerce (17).

Samsthânaka. — À quoi reconnais-tu cela ?

Le vita. — À quoi le reconnaître ? Voyez !

« La peau de son crâne est encore blanche, parce qu’il a été fraîchement rasé ; son sarrau rouge n’a pas eu le temps de lui rendre les épaules calleuses ; rien n’indique qu’il ait été bien usagé, car l’étoffe toute raide et dont la trame intérieure est encore invisible, manque de souplesse et ne se modèle pas sur la forme de l’épaule (18). »

Le religieux. — Il y a peu de temps, en effet, serviteur de Buddha, que je mène la vie errante de religieux mendiant.

Samsthânaka. — Et pourquoi donc ne t’es-tu pas mis à mendier aussitôt né ? (Il le bat.)

Le religieux. — Hommage à Buddha !

Le vita. — Pourquoi frapper ainsi ce malheureux ? Laissez-le partir.

Samsthânaka. — Non, non, arrête ! Il faut que je prenne conseil (19).

Le vita. — De qui ?

Samsthânaka. — De mon cœur.

Le vita. — Hélas ! Il n’est pas encore parti !

Samsthânaka. — Mon petit cœur, mon petit maître, faut-il que ce çramanaka s’en aille ou reste là ? (Se répondant à lui-même.) Qu’il ne parte, ni ne reste. (Au vita.) Maître, maître, j’ai pris conseil de mon cœur et mon cœur m’a dit…

Le vita. — Que vous a-t-il dit ?

Samsthânaka. — Qu’il ne parte, ni ne reste, qu’il n’aspire, ni ne respire, mais qu’il soit mis à mort à l’instant.

Le religieux. — Hommage à Buddha !

Le vita. — Laissez-le partir.

Samsthânaka. — Oui, mais à une condition.

Le vita. — Laquelle ?

Samsthânaka. — Qu’il enlève la boue de ce lac sans troubler (20. l’eau, ou qu’il mette l’eau en tas quelque part et enlève la boue ensuite.

Le vita. — Quelle aberration !

« Cette terre porte des fous, véritables morceaux de pierre ou de bois sous forme de corps et de chair, dont les idées sont à contre-sens (21.. »

(Le religieux manifeste des signes d’indignation.)

Samsthanaka. — Que dit-il ?

Le vita. — Il célèbre vos louanges.

Samsthanaka. — Loue-moi, loue-moi, loue-moi encore et toujours !

(Le religieux lui obéi. (22. et s’en va.)

Le vita. — Voyez, seigneur, comme ce jardin est beau !

« Ces arbres couverts de fleurs et de fruits et enveloppés par de solides lianes ressemblent à des maris que protége la garde instituée par le roi et goûtant une félicité parfaite à côté de leurs épouses. »

Samsthânaka. — Très-bien dit, maître !

« La terre, en effet, est émaillée par une multitude de plantes fleuries, les arbres aussi penchent sous le poids des fleurs et les singes qui jouent, pareils à des lianes suspendues (23) au sommet des arbres, ressemblent aux fruits de l’arbre à pain. »

Le vita. — Seigneur, si nous nous asseyions sur ce rocher poli ?

Samsthânaka. — Soit, je m’assieds (24). (Il s’assied avec le vita.) Maître, cette Vasantasenâ me revient au souvenir comme l’injure d’un méchant qu’on ne peut pas chasser de son cœur.

Le vit, à part. — Elle a eu beau le repousser, il pense toujours à elle. Mais il ne faut pas s’en étonner,

« Car chez les hommes au cœur bas les dédains des femmes ne font qu’accroître l’amour, tandis que chez le galant homme ils l’affaiblissent ou l’éteignent. »

Samsthânaka. — Il y a déjà quelque temps que j’ai donné l’ordre à mon esclave Sthâvaraka de prendre une litière et de venir ici au plus vite. Il n’est pas encore arrivé. Cependant j’ai faim depuis longtemps et il m’est impossible de m’en aller à pied en plein midi.

Vois !

« Le soleil a atteint le milieu du ciel : il est impossible de le fixer et il a la mine d’un singe en colère ; quant à la terre, elle est aussi grièvement brûlée (affligée) que Gândhârî après la mort de ses cent fils (25). »

Le vita. — En effet.

« Les vaches négligent de brouter le gazon pour sommeiller à l’ombre ; les animaux sauvages tourmentés par la soif boivent avidement l’eau tiède de ce lac (26) ; le peuple accablé s’empresse de déserter les rues de la ville et, à mon avis, le cocher a arrêté sa litière quelque part pour éviter de fouler un sol brûlant. »

Samsthânaka. — Maître,

« Les pieds (rayons) du soleil viennent se poser sur ma tête ; les oiseaux, les volatiles, la gent ailée s’est retirée dans les branches des arbres ; les hommes, les mortels, les habitants de la terre évitent la chaleur qui leur arrache de longs et brûlants soupirs en se réfugiant dans leurs demeures. »

Et pourtant, mon esclave ne revient pas… Mais si je chantais un peu pour me distraire. (Il se met à chanter.) Hé bien ! maître, as-tu entendu ma chanson ?

Le vita. — Sans doute. Vous méritez qu’on vous appelle gandharva.

Samsthânaka. — Comment ne serais-je pas un gandharva ?

« J’ai fait la cour à une collection d’aromates, — hingûjjvala (27), cumin, cyperus, vacâyâ (28), granthi (29) et gingembre sec mêlé de mélasse (30). Peut-on avec cela ne pas avoir la voix douce ? »

Maître, maître, je vais recommencer. (Il chante de nouveau.) Maître, as-tu entendu ce que j’ai chanté ?

Le vita. — Parbleu ! vous méritez qu’on vous appelle gandharva. Ne vous l’ai-je pas déjà dit ?

Samsthânaka. — Comment ne serais-je pas un gandharva ?

« J’ai mangé du hingûjjvala saupoudré de poivre, accommodé à l’huile de sésame et au beurre, et de la viande du sacrifice (31) en même temps. Comment n’aurais-je pas la voix douce ? »

Mais, maître, cet esclave n’arrivera-t-il pas aujourd’hui ?

Le vita. — Tranquillisez-vous ; il va venir.

Sthâvaraka, conduisant la litière dans laquelle se trouve Vasantasenâ, arrive sur la scène. — Le soleil annonce qu’il est midi et j’ai bien peur que Samsthânaka, le beau-frère du roi, ne soit déjà (32) en colère contre moi ; aussi faut-il avancer au plus vite. Allons ! mes bœufs, allons !

Vasantasenâ. — Dieux (33) ! ce n’est pas le son de la voix de Vardhamânaka. Que veut dire cela ? Est-ce que le seigneur Chârudatta, pour ménager sa litière, aurait envoyé un autre conducteur et une autre litière ? Mon œil droit éprouve un clignotement, mon cœur bat avec violence, l’horizon me paraît vide et tout me semble vaciller autour de moi.

Samsthânaka, entendant le bruit des roues. — Maître, maître, voici la litière.

Le vita. — Comment le savez-vous ?

Samsthânaka. — Tu ne l’aperçois pas ? On l’entend grogner comme un vieux cochon.

Le vita, regardant. — Vous avez raison ; la voici.

Samsthânaka. — Es-tu enfin arrivé, mon petit Sthâvaraka ?

Sthâvaraka. — Oui, seigneur.

Samsthânaka, — La litière est-elle aussi là ?

Sthâvaraka. — Oui, seigneur.

Samsthânaka. — Et les bœufs également ?

Sthâvaraka, — Oui, seigneur.

Samsthânaka. — Toi aussi ?

Sthâvaraka, riant. — Certainement, seigneur.

Samsthânaka. — Alors, fais entrer la litière.

Sthâvaraka. — Par quel chemin ?

Samsthânaka. — Par cette brèche du mur.

Sthâvaraka. — Mais, ce serait m’exposer à tuer les bœufs, à briser la litière et à me rompre le cou.

Samsthânaka. — Ne suis-je pas le beau-frère du roi ? Si les bœufs se tuent, j’en achèterai d’autres ; si la litière se brise, je m’en procurerai une autre et si tu te casses le cou, je trouverai un autre cocher.

Sthâvaraka. — Vous avez raison ; mais, moi, je ne me (34) remplacerai pas.

Samsthânaka. — Que tout périsse, s’il le faut mais je veux que tu fasses passer la litière par la brèche du mur.

Sthâvaraka. — Brisons la litière avec le cocher, brisons-la ; le maître peut se préoccuper d’une autre litière, je l’en ai averti. (Il avance.) Ah ! seigneur, la litière est entrée sans se briser.

Samsthânaka. — Les bœufs ne sont pas brisés, les traits ne sont pas morts et tu ne t’es pas cassé le cou (35) ?

Sthâvaraka. — Heureusement, non !

Samsthânaka. — Maître, viens ici que nous examinions la litière. Tu es mon précepteur, mon précepteur par excellence ; tu dois être honoré, considéré comme mon proche (36) ; tu dois passer le premier et, par conséquent, monter avant moi dans la litière.

Le vita. — Soit ! (Il se prépare à monter.)

Samsthânaka. — Mais non, arrête ! Cette litière a-t-elle été faite pour toi, que tu y montes le premier ? J’en suis le maître et j’y monte avant tout autre.

Le vita. — C’est vous, seigneur, qui m’aviez dit de monter.

Samsthânaka. — Quand même je te l’aurais dit, c’était à toi d’être poli (37) et de répondre : « Seigneur, montez le premier. »

Le vita. — Hé ! bien, montez, seigneur !

Samsthânaka. — Je vais monter, mais toi, Sthâvaraka, mon petit, fais tourner la litière.

Sthâvaraka, arrêtant la litière. — Vous pouvez monter, seigneur.

Samsthânaka, monte, regarde dans la litière et, saisi de frayeur, redescend et se jette au cou du vita. — Maître, maître ! je suis mort (38) ! Il y a dans la litière une rakshashî (ogresse) ou un voleur. Si c’est une rakshashî, nous serons volés tous les deux ; si c’est un voleur, nous serons dévorés (39).

Le vita. — Ne craignez rien, ne craignez rien ! Comment voulez-vous que des rakshashîs se promènent dans une litière menée par des bœufs ? L’éclat du soleil de midi vous a ébloui la vue et vous avez éprouvé une hallucination en apercevant l’ombre de Sthâvaraka vêtu de son sarrau.

Samsthânaka. — Holà ! Sthâvaraka, mon petit, es-tu encore en vie ?

Sthâvaraka. — Parbleu ! je crois bien.

Samsthânaka. — Maître, une femme a pris place dans la litière (40). Tiens, regarde !

Le vita. — Comment ! une femme ? alors « Baissons la tête, et passons vite comme des bœufs dont la pluie frappe les yeux, car en présence d’un homme grave, comme je le suis, d’une personne de bonne famille (41), ses regards seraient intimidés. »

Vasantasenâ, à part avec stupeur. — Ciel ! voilà le beau-frère du roi, cet homme dont la vue m’est odieuse… Malheureuse que je suis, à quelles éventualités me vois-je exposée ! Il en sera de ma promenade ici comme d’une poignée de graines jetées dans une saline : elle sera infertile et funeste. Que faire ?…

Samsthânaka. — Le lâche ! le vieux chacal (42) ! Il ne regarde pas dans la litière. Maître, jettes-y un coup d’œil.

Le vita. — Soit ! rien n’en empêche.

Samsthânaka. — Quoi ! les chacals s’envolent et les oiseaux courent à toutes jambes ? Le maître est mangé par les yeux du monstre et regardé par ses dents (43). Pour moi, je me sauve.

Le vita, à part, avec tristesse en apercevant Vasantasenâ. — Hélas ! la gazelle vient se jeter dans les griffes du tigre !

« La femelle du cygne quitte l’intérieur de l’îlot où dort son compagnon, dont le plumage a l’éclat de la lune d’automne, pour se livrer au corbeau (44) ! »

(À Vasantasenâ.) Vasantasenâ, est-ce conséquent (45) ? est-ce convenable ?

« Après avoir écarté naguère (46) cet homme (47) par l’effet d’un sentiment d’honneur (48), voilà que vous le recherchez (49) dans une intention cupide, par les ordres de votre mère…

Vasantasenâ, secouant la tête. — Non.

Le vita. — Vous obéissez, ce me semble, en cela, au naturel sans dignité des courtisanes (50). »

Ne vous l’ai-je pas dit, en effet : les femmes comme vous doivent accueillir également l’homme qu’elles aiment et celui qu’elles n’aiment pas ?

Vasantasenâ. — C’est par suite d’un échange de litières que je suis venue dans celle-ci ; j’implore votre protection.

Le vita. — Alors, ne craignez rien ; je vais lui donner le change. (À Samsthânaka.) Vous aviez raison, c’est une véritable rakshashî qui s’est logée dans votre litière.

Samsthânaka. — Si c’est une rakshashî, comment a-t-elle fait pour ne pas te voler ? Si c’est un voleur, comment ne t’a-t-il pas dévoré ?

Le vita. — Ne nous occupons plus de cela. Quel inconvénient verriez-vous à ce que nous suivions à pied ce parc qui nous offre une suite non interrompue d’ombrages pour rentrer dans la ville d’Ujjayinî ?

Samsthânaka. — À quelle fin me proposes-tu cela ?

Le vita. — Nous prendrons ainsi de l’exercice et nous procurerons du soulagement aux bœufs.

Samsthânaka. — Soit ; Sthâvaraka, emmène la litière…, ou bien, non, arrête-la, arrête-la ! Je ne vais à pied qu’en présence des dieux et des brahmanes. Non, non ; je veux monter dans la litière, afin qu’on me voie venir de loin et qu’on dise : « Voici son Excellence le beau-frère du roi, qui arrive. »

Le vita, à part. — Il n’est pas facile de changer le poison en remède salutaire. Essayons pourtant… (À Samsthânaka.) C’est Vasantasenâ qui se trouve dans cette litière ; elle vient au-devant de vos désirs.

Vasantasenâ. — Hélas ! hélas ! que dit-il ?

Samsthânaka — Maître, maître ! Elle vient à moi, qui suis le premier des hommes, un Vasudeva (51) sous les traits d’un mortel ?

Le vita. — Sans doute.

Samsthânaka. — J’ai déjà eu l’occasion de poursuivre irrespectueusement cette incomparable beauté et j’ai provoqué sa colère ; je vais maintenant me jeter à ses pieds pour obtenir mon pardon.

Le vita. — Bonne idée !

Samsthânaka. — Je tombe à ses pieds. (S’approchant de Vasantasenâ.) Ma sœur, ma mère, écoute la prière que je t’adresse : « Tu me vois à tes pieds les mains jointes, ô belle aux grands yeux et aux blanches dents (52). Si la folie de l’amour m’a rendu coupable envers toi, pardonne-le-moi, ô toute belle dont je me déclare l’esclave ! »

Vasantasenâ. — Allez-vous-en ! Vous me tenez des discours qui me font rougir. (Elle le repousse du pied.)

Samsthânaka, en colère. — « Quoi ! tu oses toucher de la plante de ton pied, comme le ferait un chacal dans la forêt à l’égard d’une charogne, cette tête que ma mère et ma grand’mère ont couverte de leurs baisers et qui ne s’incline pas même devant les dieux ! »

Holà ! Sthâvaraka, où as-tu rencontré cette femme ?

Sthâvaraka. — Seigneur, la grande route étant interceptée (53) par des chariots de villageois, j’ai fait arrêter ma litière devant le jardin de Chârudatta et je suis descendu pour aider à dégager une roue ; dans l’intervalle, à ce que je pense, cette femme est montée dans ma litière qu’elle aura prise pour la sienne.

Samsthânaka. — Comment, ce n’est pas dans l’intention de venir me trouver (54), c’est par mégarde que tu es entrée dans ma litière ? Descends-en ! descends-en ! Tu as le front de te servir de mes bœufs pour courir après ce fils du syndic, tombé dans l’indigence. Descends, drôlesse, descends, descends !

Vasantasenâ. — Vous m’honorez vraiment en me reprochant de courir après le seigneur Chârudatta. Maintenant, du reste, advienne que pourra…

Samsthânaka. — « Avec ces mains munies de dix ongles pareils aux pétales du lotus et qui sont désireuses de donner des coups en guise de compliments, je te prendrai aux cheveux et j’arracherai ton beau corps de ta litière, comme Jatâyu (55) agit à l’égard de l’épouse de Bâli. »

Le vita. — « On ne traîne pas aux cheveux les femmes douées de telles perfections ! Est-il permis de dépouiller de leurs tiges les lianes qui font l’ornement des bosquets ? »

Relevez-vous donc ; c’est moi qui me chargerai de la faire descendre. Vasantasenâ, veuillez mettre pied à terre.

(Elle descend et se retire de côté.)

Samsthânaka, à part. — Le feu de la colère que ses paroles méprisantes avaient allumé tout à l’heure dans mon âme, a redoublé d’ardeur sous l’effet du coup de pied dont elle m’a frappé. Je suis décidé maintenant à la tuer. (Haut.) Maître, maître !

« Si tu désires un manteau à larges pans traînants, orné de centaines de tresses, si tu veux manger de la viande et te régaler, — chuhû, chuhû, chukku, chuhû, chuhû… (56) »

Le vita. — Eh bien ?

Samsthânaka. — Veux-tu me faire un plaisir ?

Le vita. — Sans doute, s’il ne s’agit pas d’une chose qu’on ne puisse faire (57).

Samsthânaka. — Ça n’en a ni l’odeur ni la saveur (58).

Le vita. — Alors, parlez.

Samsthânaka. — Il faut que tu tues Vasantasenâ.

Le vita, se bouchant les oreilles. — « Si je frappais une jeune femme innocente, qui est l’ornement de la ville et qui, bien que courtisane, éprouve des sentiments qu’on ne rencontre pas d’habitude dans les lieux de prostitution (59), quelle barque trouverais-je pour traverser la rivière qui sépare ce monde-ci de l’autre ? »

Samsthânaka. — Je t’en procurerai une (60), moi. Du reste, qui peut te voir dans ce jardin désert ?

Le vita. — « Qui me verra ? Mais les dix points cardinaux (61), les divinités des bois, la lune et le soleil, dont nous ressentons les rayons brûlants (62), le juge des morts, le vent, l’atmosphère, ma conscience, et la terre. — tous ces témoins des bonnes et des mauvaises actions (63). »

Samsthânaka. — En ce cas, cache-la sous le pan de ton manteau et tu la tueras ensuite.

Le vita. — Êtes-vous fou, malheureux (64) ?

Samsthânaka. — Ce vieux chacal (65) a peur de mal faire ! Soit ; je vais appeler Sthâvaraka. Sthâvaraka, mon enfant, je te donnerai des bracelets d’or.

Sthâvaraka — Que je pourrai porter (66) ?

Samsthânaka. — Je te ferai faire un siége (67) d’or.

Sthâvaraka. — Sur lequel je pourrai m’asseoir ?

Samsthânaka. — Je te donnerai tous les restes de ma table.

Sthâvaraka. — Et je pourrai les manger ?

Samsthânaka. — Tu seras le chef de tous mes esclaves.

Sthâvaraka. — Je serais le maître ?

Samsthânaka. — Mais écoute ce que j’ai à t’ordonner.

Sthâvaraka. — Seigneur, je ferai tout ce que vous voudrez, excepté une chose qu’on ne puisse faire.

Samsthânaka. — Cela n’en a pas l’odeur.

Sthâvaraka. — Parlez, seigneur.

Samsthânaka. — Il faut que tu tues Vasantasenâ.

Sthâvaraka. — Calmez-vous, seigneur. C’est moi, pauvre esclave, qui ai amené ici cette dame, montée par erreur dans ma litière.

Samsthânaka. — Ne suis-je pas ton maître (68) ?

Sthâvaraka. — Vous êtes le maître de mon corps, mais non de ma conscience (69). Apaisez-vous, seigneur ; vous m’effrayez.

Samsthânaka. — Tu es mon esclave ; qu’as-tu à craindre ?

Sthâvaraka. — L’autre monde, seigneur.

Samsthânaka. — Qu’est-ce que cela, l’autre monde ?

Sthâvaraka. — La conséquence des bonnes et des mauvaises actions.

Samsthânaka. — Et quelle est la conséquence des bonnes actions ?

Sthâvaraka. — Une condition pareille à celle d’un seigneur comme vous, qui possède beaucoup d’or.

Samsthânaka. — Et celle des mauvaises ?

Sthâvaraka. — Un état semblable au mien, dans lequel il faut attendre sa nourriture d’autrui (70). Aussi, je ne veux pas commettre une mauvaise action.

Samsthânaka. — Ah ! tu ne veux pas la tuer (71) ? (Il le frappe à coups redoublés.)

Sthâvaraka. — Vous pouvez me battre, seigneur, vous pouvez me tuer, mais vous ne me ferez pas commettre un acte coupable.

« Le sort et les fautes que j’ai commises dans une existence antérieure m’ont fait naître esclave ; je ne veux pas m’exposer à renchérir (72) sur cette triste condition et, par conséquent, j’éviterai de commettre un crime. »

Vasantasenâ, au vita. — Maître, j’implore votre protection.

Le vita. — Seigneur, apaisez-vous, je vous en prie. Toi, Sthâvaraka, je te félicite.

« Dans la condition (73) misérable et servile (74) que cet esclave occupe, il n’oublie pas les fruits à recueillir dans l’autre monde (75). Il n’en est pas de même de son maître ; aussi me demandé-je pourquoi ceux-là ne meurent pas sur l’heure qui négligent le bien pour accumuler le mal (76) ? »

(À Samsthânaka.) « L’inégalité du sort dépend des fautes commises dans une vie antérieure : c’est pour cela qu’il est esclave et que vous êtes maître ; c’est pour cela qu’il ne jouit pas de votre félicité et que vous, vous n’avez pas à obéir à ses ordres. »

Samsthânaka, à part. — Ce vieux boiteux (77) a peur de mal faire et cet esclave redoute l’autre vie… Que craindrais-je, moi ? Ne suis-je pas le beau-frère du roi ? un personnage de première importance ? (Haut.) Toi, esclave, va-t’en ! Retire-toi dans la chambre à coucher, repose-toi là à l’écart et ne bouge pas !

Sthâvaraka. — Seigneur, j’accomplis vos ordres. (S’approchant de Vasantasenâ.) Madame, je ne puis rien de plus. (Il s’en va.)

Samsthânaka, faisant un nœud coulant avec sa ceinture. — Reste là, Vasantasenâ ; je vais te tuer.

Le vita. — Comment ! la tuer en ma présence ?

(Il le saisit à la gorge.)

Samsthânaka, renversé à terre. — Le maître me tue (78) !

(Il tombe en syncope, puis reprend ses sens.)

« Je l’ai régalé sans cesse de viande et de beurre, et aujourd’hui que l’occasion se présente de m’être utile, comment se fait-il qu’il devienne mon ennemi ? »

(Réfléchissant.) Mais j’avise un moyen ; ce vieux chacal a fait de la tête un signe d’intelligence à Vasantasenâ. Il faut le dépêcher quelque part, et je pourrai la tuer. C’est cela. (Haut.) Malgré ce que je t’en ai dit, maître, je n’ai pas l’intention de commettre un crime, moi qui suis issu d’une famille d’un rang incommensurable (79). Je n’ai dit cela que pour la faire céder à mes désirs.

Le vita. — « À quoi bon parler d’une haute naissance ? La vertu est le seul mobile en pareille circonstance. C’est dans un sol fertile que les épines croissent le plus vigoureusement. »

Samsthânaka. — Maître, ta présence intimide (80) Vasantasenâ et l’empêche de céder. Va-t’en donc un peu. D’ailleurs, Sthâvaraka que j’ai battu est parti et peut s’enfuir ; mets la main sur lui et ramène-le.

Le vita, à part. — « La noblesse du caractère (81) de Vasantasenâ peut, en effet, l’empêcher de se livrer à ce fou en ma présence. Il faut les laisser seuls, car les plaisirs d’amour exigent, pour qu’on les goûte, la sécurité du mystère (82). »

(Haut.) Soit ; je m’en vais.

Vasantasenâ, le saisissant par le pan de son habit. — Ne vous ai-je pas dit que je me plaçais sous votre protection ?

Le vita. — Vasantasenâ, ne craignez rien ! — Seigneur, Vasantasenâ est comme un dépôt que je remets entre vos mains.

Samsthânaka. — Bien ! qu’elle soit comme un dépôt placé entre mes mains (83).

Le vita. — Est-ce sûr ?

Samsthânaka. — Je te le promets.

Le vita, faisant quelques pas pour s’en aller. — Mais, je réfléchis à une chose : il est assez cruel pour vouloir la tuer quand je serai parti ; il faut me cacher et voir ce qu’il a l’intention de faire.

(Il se retire à l’écart.)

Samsthânaka. — C’est décidé, je vais la tuer. Pourtant, ce vieux chacal de brâhmane, ce maître fourbe, a bien pu se cacher quelque part et, en sa qualité de chacal, ne pas oublier (84) ce qu’il aura vu. Il faut faire en sorte de lui donner le change de la manière suivante. (Il cueille des fleurs dont il se pare.) Ma petite Vasantasenâ, viens près de moi.

Le vita. — Ah ! voilà qu’il est devenu amoureux d’elle ; je puis m’en aller tranquillement (85). (Il reprend sa marche.)

Samsthânaka. — « Je t’offre de l’or, je t’adresse des paroles aimables, j’incline devant toi ma tête coiffée d’un turban (86), et cependant tu ne veux pas de moi, belle aux blanches dents ; est-ce que je suis un homme de bois pour toi (87) ? »

Vasantasenâ. — Il n’y a pas à hésiter. (Courbant la tête pour prononcer les deux stances qui suivent.)

« Pourquoi me tenter avec de l’or, vous que souillent les actes ignobles et répréhensibles auxquels donne lieu la mauvaise conduite ? Les abeilles abandonnent-elles le lotus bienfaisant et sans tache (88) dont elles font leurs délices ?

« Quoique pauvre, l’homme de bonne famille et vertueux mérite d’être l’objet d’un attachement ardent ; une courtisane s’honore en donnant son amour à un homme de bien. »

Du reste, après avoir témoigné ma tendresse à l’arbre mango, je n’irai pas faire ma cour au palaçâ (89).

Samsthânaka. — Fille d’esclave, tu compares l’indigent Chârudatta à l’arbre mango et tu m’assimiles au (ou à) Palâça, — pourquoi pas au (ou à) Çuka (90) ? C’est ainsi que tu me (91) jettes des injures en cultivant le souvenir de Chârudatta !

Vasantasenâ. — Comment ne pas penser à celui qu’on aime ?

Samsthânaka. — Je vais en finir aujourd’hui avec toi et celui que tu portes dans ton cœur ; attends un peu, belle amante de ce misérable syndic !

Vasantasenâ. — Répétez ces (92) paroles dont je suis fière.

Samsthânaka. — Hé bien ! que Chârudatta, ce fils d’esclave, vienne à ton secours !

Vasantasenâ. — Il me défendrait s’il était là.

Samsthânaka. — « Est-ce donc un Çakra (93), le fils de Bâli (94), Mahendra (95), le fils de Rambhâ (96), Kâlanemi (97), Subandhu (98), Rudra (99), le fils de Drona (100), Jatâyu, Chânakya, Dhundhumâra (101) ou Triçanku (102) ? »

Et tous ceux-là même ne pourraient rien pour toi.

« Je vais te faire périr comme Chânakya a fait périr Sitâ à l’époque des Bhâratides, et comme Jatâyu a mis à mort Draupadî (103) »

(Il la brutalise.)

Vasantasenâ. — Hélas ! ma mère, où êtes-vous ? Seigneur Chârudatta, je succombe sans avoir pu satisfaire l’amour que j’ai pour vous !… Je vais crier de toutes mes forces… Mais non, ce serait une honte pour moi qu’on m’entendît crier. Hommage au seigneur Chârudatta !

Samsthânaka. — Encore le nom de ce misérable ! Répète-le, répète-le donc, fille d’esclave. (Il lui serre la gorge.)

Vasantasenâ. — Hommage au seigneur Chârudatta (104) !

Samsthânaka. — Meurs, fille d’esclave, meurs ! (Il l’étrangle ; Vasantasenâ tombe à terre sans mouvement.)

Samsthânaka, joyeusement. — « La voilà, cette méchante créature, ce réceptacle de vices, ce séjour d’inconduite qui, venue afin de contenter sa passion (105) pour celui qu’elle aime et qui n’est pas venu, a rencontré la mort qui est venue, elle ! Mes bras n’ont-ils pas fait de moi un grand héros ? Elle ne respire même plus, et comme Sitâ dans le Mahâbhârata, elle est morte en appelant sa mère (106).

« J’ai tué cette courtisane qui avait excité ma colère quand je lui disais : « Veux-tu de moi qui veux de toi ? » Sachant que ce jardin est solitaire, elle a été frappée d’effroi à la vue du lacet.......... (107). »

Mais le vieux chacal va revenir ; il faut me retirer à l’écart.

(Il met son projet a exécution.)

Le vita, revenant avec Sthâvaraka. — J’ai décidé Sthâvaraka à revenir… Ah ! j’aperçois Samsthânaka (108). (Il s’avance et regarde.) Ciel ! voici des traces de pas… Une femme est tombée sous ses coups. Scélérat ! Quel crime avez-vous commis ? La vue du meurtre dont vous vous êtes rendu coupable sur cette femme nous jette nous-même dans une consternation mortelle… Mais quoique mon cœur soit rempli d’inquiétude à l’égard de Vasantasenâ, mes alarmes ne reposent sur rien de certain… Espérons que, dans tous les cas, les dieux donneront aux choses une issue heureuse (109). (S’approchant de Samsthânaka.) Hé bien ! seigneur, je suis parvenu à ramener Sthâvaraka.

Samsthânaka. — Maître, sois le bienvenu, et toi aussi Sthâvaraka, mon enfant.

Sthâvaraka. — Sans doute.

Le vita. — Veuillez me rendre mon dépôt.

Samsthânaka. — Quel dépôt ?

Le vita. — Vasantasenâ.

Samsthânaka. — Elle est partie.

Le vita. — Où cela ?

Samsthânaka. — Elle s’en est allée derrière toi.

Le vita, après avoir réfléchi. — Elle n’est certainement pas allée de ce côté.

Samsthânaka. — De quel côté es-tu parti toi-même ?

Le vita. — Du côté de l’est.

Samsthânaka. — Elle aura pris du côté du sud.

Le vita. — Moi je suis allé au sud.

Samsthânaka. — Eh bien ! elle, c’est au nord qu’elle se sera dirigée.

Le vita. — Vos réponses sont inconsistantes, la chose n’est pas claire pour moi. Dites-moi donc la vérité.

Samsthânaka. — Je le jure sur ta tête et sur mes pieds, il faut en prendre ton parti : je l’ai tuée (110).

Le vita, avec désespoir. — Serait-ce vrai ? Vous l’auriez tuée !

Samsthânaka. — Si tu n’en crois pas mes paroles, regarde et admire le premier acte d’héroïsme de Samsthânaka, le beau-frère du roi. (Il lui montre le corps de Vasantasenâ.)

Le vita. — Ah ! malheureux que je suis, je meurs ! (Il tombe évanoui.)

Samsthânaka. — Hélas (111) ! c’en est fait du maître.

Sthâvaraka. — Maître, reprenez connaissance ; c’est inconsidérément que je l’ai conduite (112) ici, et je suis le premier coupable de sa mort.

Le vita, d’une voix émue après avoir repris ses sens. — Hélas ! pauvre Vasantasenâ !

« La source des grâces est tarie ! L’Amour a regagné sa patrie ! Que de charmes l’embellissaient ! Quel adorable visage ! Comme elle brillait de la gaieté que provoquent les jeux d’amour ! Ah ! rivière de bonté, îlot d’enjouement ! Ah ! aimable refuge de mes pareils. Hélas ! hélas ! le bazar de l’Amour, la mine d’où provenait la denrée de la volupté a cessé d’être (113) ! »

(Il pleure.)

Malheur ! malheur !

« Que va-t-il résulter de ce crime commis par vous, maintenant que la splendeur de cette ville, — une femme innocente, — est devenue la victime d’un affreux attentat ? »

(À part.) Mais je pense à une chose ; ce scélérat est capable de m’accuser du forfait qu’il a commis : il faut que je m’en aille d’ici. (Il se met en marche pour partir, mais Samsthânaka le retient.) Ne me touchez pas, misérable ; j’ai assez de votre société, je m’en vais.

Samsthânaka. — Halte-là ! Où veux-tu te sauver après avoir tué Vasantasenâ et m’avoir accusé de ce crime ? Est-ce qu’un homme tel que moi serait un réprouvé (114) maintenant ?

Le vita. — Sans doute, vous en êtes un.

Samsthânaka. — « Je te donnerai de l’argent, cent suvarnas ; je te donnerai des effets ; je te donnerai un turban, à condition que tu m’aides à faire taire les mauvais propos qu’on pourrait tenir sur mon compte (115). »

Le vita. — Arrière ! voilà tout ce que j’ai à vous dire.

Sthâvaraka. — Ciel !

(Samsthânaka se met à rire.)

Le vita. — « Vous pouvez me haïr et vous moquer de moi, je fais fi de votre amitié ignominieuse, déshonorante. Je renonce désormais à tout rapport avec vous et je vous rejette comme un arc brisé et sans cordes (ou sans vertus) (116). »

Samsthânaka. — Allons, maître, calme-toi ! Viens ! nous allons rentrera la ville (117) et nous amuser.

Le vita. — « Quoique honnête homme, je serais tenu pour méprisable, si l’on me voyait continuer ma cour auprès de vous ; et l’on me croirait également coupable (118). Comment pourrais-je vous accompagner, vous le meurtrier de cette femme, vous que les dames de la ville, dans l’effroi que vous leur inspirez, ne regarderont plus que d’un œil à peine entr’ouvert (119) ? »

(D’un ton de pitié.) Belle Vasantasenâ !

« Puissiez-vous, dans une autre naissance, ne plus être courtisane (120), mais briller au sein d’une honnête famille dotée de bonnes mœurs et de vertus ! »

Samsthânaka. — Où te sauves-tu après avoir assassiné Vasantasenâ dans mon vieux jardin Pushpakarandaka ? Tu vas venir avec moi t’expliquer devant le juge (121). (Il l’arrête.)

Le vita. — Attendez, insensé (122) ! (Il tire son épée.)

Samsthânaka, s’écartant avec effroi. — Ah ! si tu as peur, tu peux t’en aller.

Le vita. — Il n’est pas bon, en effet, de rester ici ; je m’en vais rejoindre Çarvilaka, Chandanaka et leurs amis. (Il part.)

Samsthânaka. — Va-t’en au diable ! Sthâvaraka, mon enfant, qu’ai-je donc fait ?

Sthâvaraka. — Vous avez commis un grand crime, seigneur.

Samsthânaka. — Quoi ! tu prétends, esclave, que c’est un crime. Mais, voyons ; exécutons notre idée. (Il détache plusieurs de ses bijoux.) Tiens, prends ces joyaux ; je te les donne afin que tu sois paré toutes les fois que je serai moi-même couvert de mes parures. Tels sont mes ordres (123).

Sthâvaraka. — Ce sont des ornements qui conviennent à un prince, mais moi je n’en ai que faire.

Samsthânaka. — Va-t’en ; emmène les bœufs et attends mon retour dans la tourelle qui domine mon palais.

Sthâvaraka. — J’exécute vos ordres, seigneur. (Il s’en va.)

Samsthânaka. — Le maître a disparu pour veiller à sa sûreté (124) et j’aurai soin, à mon retour, de faire charger de fers Sthâvaraka dans la tourelle qui domine mon palais ; de cette façon, la chose restera secrète. Je vais donc m’en aller… Mais examinons la pour m’assurer si elle est bien morte ; sinon, je serai obligé de la tuer une seconde fois. (La regardant.) Oh ! c’est bien fini d’elle. Couvrons-la de ce manteau… Mais, j’y pense, il est marqué à mon nom et l’on pourrait le reconnaître. Heureusement, voilà un tas de feuilles sèches amoncelées par le vent dont je vais me servir pour la cacher. (Réfléchissant, quand il a achevé.) C’est cela ! il faut aller maintenant au tribunal et déposer une plainte contre Chârudatta, le fils du syndic, que j’accuserai d’un crime commis sur la personne de Vasantasenâ dans mon vieux jardin Pushpakarandaka.

« J’imagine un stratagème nouveau pour causer la mort de Chârudatta, qui sera déplorée comme l’immolation des animaux dans une ville pure (125) ? »

Allons-nous-en ! (Il s’en va en jetant devant lui des regards alarmés.) Fatalité (126) ! Partout où je passe, il faut que je rencontre ce maudit çramanaka tenant à la main son manteau nouvellement teint en rouge. Je l’ai laissé partir après lui avoir écrasé le nez (127), et il est devenu mon ennemi ; s’il me voit ici, il révélera que j’ai tué Vasantasenâ. Où passer ? (Il regarde autour de lui.) Pourquoi ne franchirais-je pas ce mur dans l’endroit où il est à demi démoli ? C’est décidé !

« Hâtons-nous et imitons Mahendra partant de la montagne Hanûmant et gagnant à travers les airs, en franchissant la terre et les enfers, la ville de Lankâ (128) »

(Il part.)

Le religieux mendiant (129). — Maintenant que j’ai lavé mon manteau, je vais le suspendre à une branche d’arbre pour le faire sécher. Mais les singes pourraient le déchirer, et, si je l’étends à terre, la poussière le salira. Où puis-je donc l’étaler pour qu’il se ressuie ? (Il regarde autour de lui.) Soit, voilà un amas de feuilles sèches formé par le vent (130) sur lequel je vais le déployer. (Il étend son manteau sur le tas de feuilles.) Hommage à Buddha ! Il faut que je récite les formules saintes. (Il répète les stances déjà prononcées au commencement de l’acte.) Mais c’est assez m’occuper du ciel (131); il faut, avant de l’obtenir, témoigner ma reconnaissance à Vasantasenâ, cette servante de Buddha qui m’a racheté aux joueurs à qui je devais dix suvarnas ; depuis lors je me considère en quelque sorte comme son esclave. (Son attention est attirée par quelque chose.) Mais il me semble entendre un soupir sous les feuilles. À moins que

« Ces feuilles, échauffées par le souffle brûlant du vent et mouillées par l’eau qui découle du manteau, ne s’agitent comme des oiseaux qui déploieraient leurs ailes (132). »

(Vasantasenâ reprenant connaissance découvre une de ses mains.) Tiens ! tiens ! une main de femme qu’ornent de brillants joyaux… puis l’autre ! (Il la considère avec attention.) Je crois reconnaître cette main… Mais à quoi bon tant d’examen ? C’est bien celle qui m’a mis naguère en sûreté. Du reste, voyons la personne. (Il détourne les feuilles, regarde Vasantasenâ et la reconnaît.) Je le savais, c’est bien la servante de Buddha. (Vasantasenâ fait signe qu’elle désire de l’eau.) Elle veut de l’eau… le lac est éloigné… Que faire ? Une idée… Je ferai découler (133) sur elle l’eau dont la tunique est imbibée. (Il agit comme il vient de dire ; Vasantasenâ qui a complètement repris ses sens se relève tandis que le religieux mendiant lui fait de l’air en agitant devant elle le pan de son manteau.)

Vasantasenâ. — Seigneur, qui êtes-vous ?

Le religieux mendiant. — Quoi ! servante de Buddha, vous ne vous rappelez pas de moi, de celui que vous avez racheté au prix de dix suvarnas ?

Vasantasenâ. — Je me rappelle de vous, mais non pas de la circonstance que vous indiquez (134)… depuis (135), j’avais cessé d’être.

Le religieux mendiant. — Que vous est-il donc arrivé ?

Vasantasenâ, avec douleur.Une aventure à laquelle sont exposées les courtisanes.

Le religieux mendiant. — Relevez-vous, relevez-vous, servante de Buddha, en vous appuyant sur la liane qui s’élève au pied de cet arbre (136). (Il incline la liane pour la mettre à sa portée ; Vasantasenâ la saisit et se relève.) Dans ce cloître (137) que voilà se trouve une femme qui est ma sœur en religion ; vous allez vous y reposer un instant, puis vous retournerez chez vous. Marchez tout doucement, tout doucement. (Ils se mettent en marche.)

(Regardant autour de lui.) Faites place, faites place, seigneurs ; c’est une jeune femme délicate et un religieux mendiant. Ma règle est pure. Je soumets à la coercition ma bouche et mes sens… Qu’importe à l’homme inébranlablement attaché à la vie future le tribunal du roi (138) ? (Ils s’éloignent tous les deux.)

NOTES SUR LE HUITIÈME ACTE




(1) C’est le masseur devenu religieux buddhiste dont il a été question à la fin de l’acte précédent.

(2) Comm. narah tâvat dharmânâm çarane gacched iti çeshah. Stenz. kevalam tâvad dharmânâm çaranam asmi.

(3) Toute cette phraséologie buddhique sert à bien caractériser le personnage. — Comm. pâncajanah pancendriyâni içiam avidyâm (Stenz striyam) grâmah çarîram rakshitah dushtatvavikrtipâtât abalah asahâyah candàlah ahamkârah. — Le sentiment de la personnalité, ou l’idée du moi, est considéré dans la plupart des systèmes philosophiques de l’Inde comme une catégorie intellectuelle dont l’extinction est nécessaire pour que l’homme atteigne le souverain bien, en rentrant en communion avec l’univers.

(4) Allusion à la tenue des ascètes qui, pour la plupart, avaient la tête rasée. Nous avons là une de ces maximes qui justifient le mot célèbre que le buddhisme est le protestantisme de l’Orient.

(5) Comm. hî bhaye avideti khede’vyayam.

(6) Comm. âvidhya. Stenz. bhittvâ.

(7) Comm. bhattârakah svâmî buddhah devah.

(8) Comm. D’après Wilson, le raktamûlaka est le « red radish » qu’on mange, d’après lui, pour s’exciter à boire, tandis que le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg traduit ce mot par « art senf. » — âpânakam pânagoshti madhyapâyinâm samâjah.

(9) Comm. açaranâm caranâni pramodabhûtâç ca taih.

(10) Voici comment le commentaire explique cette étrange comparaison : aguptam sphutam dushtânâm hrdayam uttânam tadânim evânyasya doshâdikam kathayatîti bhâvah.

(11) Comm. anirjitam anâtmasâtkrtam abhuktam iti upabhogyam yatra tat tathudyânam idam îdrçam asad apahâya sad eva karma vidadhâti tvam tu cetanah samnyâsinam api tâdayasîti kim atah param asad asti kâryam iti çakâropari vitasya katâkshah.

(12) upâsaka, expression propre aux buddhistes.

(13) Comm. Un barbier peut, en effet, passer pour un serviteur : nâpitah khalûpâsako drshtah ity âçayah.

(14) Comm. stunu stuhi mâm ity arthah.

(15) Comm. kim aham çalâvakah koshthakam vâ (Stenz. kim aham çrâvakah koshthakah kumbhakâro vâ) çalâvakah cârvâkah koshthakam ishtikâdinirmitam nipânam yatra paçavah pivanti pânîyam tat. — Ce passage est fondé sur le double sens de dhanya et de punya : cârvâko hi dhanyah koshthakam hi punyam ity âçayah.

(16) Comm. savarnâni. Stenz. çavalâni.

(17) Comm. aciram pravajitam samnyâsah yasya tena acirasamnyâsavattety arthah.

(18) Comm. vastrântam ceti napum. — En l’absence de toute autre explication du commentaire, la traduction de cette stance difficile reste en partie hypothétique.

(19) Comm. sampradhârayâmi niccinomîty arthah.

(20) Comm. pankâvilam. Stenz. kalusham.

(21) Comm. viparyastâ viparyâsah viparîto nirnayah tadvati manasah ceshtâ vyâpâro yeshâm taih, tâdrk manah ceshtâ ca yeshâm tair iti vâ varshma dehah.

(22) Comm. tathâ krtveti stutvâ ity arthah.

(23) Comm. avalambamânâh. Stenz. vandamânâh.

(24) Comm. âsitah. Stenz. âsînah.

(25) samtapta est pris à la fois dans les deux sens de « brûlé, échauffé » et de « affligé ». — Comm. Gândhârî était la mère des Kauravas qui furent tués par les Pândavas : gândhârî duryodhanâdînâm jananî khyâtâ.

(26) Comm. sarasah idam sârasam payah.

(27) Plante aromatique, sans doute, dont le nom ne figure pas au Dictionnaire de Saint-Pétersbourg. Wilson a traduit ce mot par assa fœtida.

(28) Plante également inconnue au Dictionnaire de Saint-Pétersbourg. Wilson l’appelle orris.

(29) C’est une désignation commune à différentes plantes ; on ne saurait donc l’identifier avec certitude.

(30) Comm. sagudâ ca çunthi. Stenz. sagudâ çunthî. — Ce passage repose sur un calembour par à peu près intraduisible, c’est-à-dire sur l’analogie, quant à la forme des mots gandharva « musicien céleste » et gandha « odeur, aromate ».

(31) Comm. pârabhrtam upâyanam tasya idam pârabhrtîyam mâmsam.

(32) Comm. idânîm. Stenz. tâvat.

(33) Comm. haddhî bhaye.

(34) Comm. âtmanah krte. Stenz. âtmîyah.

(35) Nous avons ici un nouvel exemple d’intervertissement ridicule, dans le genre de ceux qui se trouvent déjà dans la bouche de Samsthânaka au premier acte. Le commentaire a la leçon suivante, toute différente de celle de Stenz ; elle a été suivie pour l’édition de Calcutta : na ucchinnâlajjah pumçcalija vrshabhah (sic) na mrtah tvam api na mrtah. chinnâlajjety ekapadasyâpi madhye padântarair vyavahitavam cakâravacanatvâd upapadyate.

(36) Comm. prakrtam. Stenz. pitrsambhandi.

(37) Comm. âcârah. Stenz, âdarah.

(38) Comm. marâmi mriye’ ham ity arthah. Stenz. mrto’ si.

(39) Facétie grotesque dans le goût de celles qui sont familières à Samsthânaka. Comm. viruddhoktih çakâravacanatvât samâdheyâ.

(40) Comm. pravahanântah stri. Stenz. pravahanâdhirûdhâ strî.

(41) Comm. Le vita parle de sa propre dignité : atra vitenâpi nijagauravam uktam.

(42) Comm. vrdddhacetah ; Stenz. vrddhadkhodah.

(43) C’est évidemment une allusion (agrémentée de coq-à-l’âne) au prétendu monstre qui se trouve dans la litière. — Comm. viruddhoktih çakâravâkyatvât.

(44) Comm. Exemple de la figure appelée aprastutaçamsâ.

(45) Comm. sadrçam anurûpam.

(46) Comm. Quand il lui avait envoyé une litière avec une parure valant dix mille suvarnas : yadâ dçasahasrasuvarnamudrânâm alamkârah pravahanam ca preshitam tadety arthah.

(47) Comm. râjacyâtam imam avajnâya tiraskrtya.

(48) Comm. mânât. Stenz. madât.

(49) Comm. ihaivâgatâsîti çeshah.

(50) Comm. açaundiryasvabhâvena anaudâryaprakrtyâ veçyâtvâd âgatâsîti manyate janenety arthah.

(51) Comm. vâsudevakam vâsudevasadrçam ivepratikrtâvitisûtrena kan açva iva açvakah iti vat.

(52) Le texte donné par Stenz. et confirmé par le comm. ne permet guère de construction satisfaisante, et ma traduction n’est qu’approximative.

(53) Comm. ruddhe râjamârge Stenz. ruddhah râjamârgah.

(54) Comm. abhicîlitum. Stenz. abhisartum.

(55) Vautour qui joue un rôle important dans le Ramâyâna. Il n’est rapproché ici de l’épouse de Bali que par une de ces confusions que l’auteur met dans la bouche de Samsthânaka toutes les fois qu’il veut faire le bel esprit. — Comm. pâthântare hanûmân. sarvam idam çakâravacanatayâ viruddham hatopamam ceti na vismaranîyam.

(56) Comm. Onomatopée pour exprimer le bruit que font les mâchoires quand on mange : caturthacaranah bhakshanaçabdhânukârah.

(57) C’est-à-dire d’une mauvaise action (âkârya). Dans sa réponse, Samsthânaka prend, ou feint de prendre, au contraire, le même mot dans le sens de « chose impossible. »

(58) Comm. râkshasikâpi. Stenz. raso’pi. — D’après le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg, râkshasi « ogresse » a aussi le sens de parfum. Il est probable que râkshasikâ est pris ici dans cette dernière acception, en même temps que dans son sens ordinaire, avec allusion à l’ogresse dont il a été question plus haut.

(59) Comm. veçena veçyâjanasamâcrayena na sadrçah pranayah prîtih upacârac ca yasyâh tâm pranayasyopacâro yasyâh tâm iti vâ.

(60) Comm. mesham. Stenz. udupam.

(61) Les quatre points cardinaux, les quatre points intermédiaires, le zénith et le nadir.

(62) Comm. tadânim madhyâhne raver mastakasthitatvâd âha ayam iti.

(63) Comm. ete’ shtâdaça sâkshinah pratyakshâh pratyakshâh pratyaksham ity âha sukrtetyâdi.

(64) Comm. apadhvastah nashtah.

(65) Comm. vrddhaçrgâlah. Stenz. vrddhakhodah.

(66) Comm. dhârayishyâmi. Stenz. paridhâsye.

(67) Comm. pîthakam. Stenz. pîtham.

(68) Comm. na prabhavâmi na prabhur bhavâmîty arthah.

(69) Comm. M. à m. « de mes mœurs », câritrasya.

(70) Comm. bhakshakah bhûtah. Stenz. pushtako jâtah.

(71) Comm. mâryishyasiti. Stenz. mârayishyasi.

(72) Comm. krinishyâmi. Stenz. kreshyâmi.

(73) Comm. daçâ avasthâ.

(74) Comm. preshyah dâso pi san.

(75) Comm. paratra paraloke.

(76) Comm. asadrçam ananurûpam vadhapâpâdisadrçam anurûpam punyâdi. — La liaison des idées entre le premier pada de cette stance et le second est difficile. Wilson a entendu : C’est pour cela (à cause du fruit à recueillir dans une autre vie) que ceux qui accumulent le mal et négligent le bien ne meurent pas tout de suite (dès qu’ils se livrent à leurs mauvais instincts). Peut-être est-ce la vraie tournure à donner à la phrase, mais il faudrait des exemples de katham iva pris autrement que dans un sens interrogatif.

(77) Comm. vwrddhaçrgâtah. Stenz. vrddhakhodah.

(78) Comm. blâûyah bhattakam mârayati. Stenz. bhdâra bhattiaka mâryate.

(79) Comm. bvhattaraih pattraputapramânaih kulaih (Stenz. bvhati galvarkapramâwe kule) samudrapramânair iti vaktavye mallakapramâpâtayâ kulam upaminoti ; mallakah pattrapatuh tena kulasya mahattvam. maurkyâd upaminoti çakârah iti bodhyam. — Cf. la note de Wilson.

(80) Comm. lajjâyate. Stenz. lajjate.

(81) Comm. çaundirah mahâvirah.

(82) Comm. viçrambhah riçrambhah tena rasah rûgah yatra sa tathâ.

(83) Comm. Ou bien qu’elle reste entre mes mains pour mourir ; le mot prâcrit naçena pouvant signifier à la fois « dépôt » et « mort » : nâçceneti vyangyam ubhayatrdpi prdkrte padam ndceneti dhyyeyam sudhibbih.

(84) Comm. hulabhulim vismrtim karoti karishyatity arthah.

(85) Comm. nirvrtah paramasukhî.

(86) Comm. saveshtanena soshnîshena.

(87) Comm. kim sevakam. Stenz. kim te vayam. — kashtamaya. Stenz. kâshthamaya.

(88) Comm. C’est Chârudatta qu’elle a en vue : kamalam ity anenâprastutapraçamsayâ cârudattah pratipâditah ata eva cârudatte eva sucaritetyâdi viçuddhetyâdi viçeshanânvayahprâdhânyena samgacchate iti dhyeyam.

(89) Butea frondosa.

(90) Kimçuka est un autre nom de la Butea frondosa, mais on peut lire aussi kim çuka, en considérant çuka comme un mot à part désignant une autre espèce d’arbre, l’acacia sirissa ou le ziziphus scandens. Roxb. — Palâça et Çuka sont aussi les noms de deux rakshasas et Samsthânaka joue sur le double sens de ces mots. Wilson ne paraît pas s’en être aperçu, quoique le comm. aurait dû le mettre sur la voie. Comm. palam mâmsam açnâtîti palâço râkshasa (sic) ity abhiprâyah.

(91) Comm. mahyam. Stenz. me.

(92) Comm. etâni manque chez Stenz.

(93) Un des noms d’Indra.

(94) Angada, l’un des singes qui servirent d’auxiliaires à Râma dans ses combats contre Ravana.

(95) Un autre nom d’Indra.

(96) Personnage inconnu d’après Wilson ; Rambhâ était une apsara ou une nymphe céleste.

(97) Asura ou démon tué par Krshna ; c’est aussi le nom d’un rakshasa.

(98) C’est le nom d’un rshi ; mais il est douteux que ce soit ce rshi que Samsthânaka avait en vue.

(99) Un des noms de Çiva.

(100) Açvatthâman, l’un des auxiliaires des Kauravas.

(101) Nom qui se rapporte en même temps à Kuvalàçva, roi d’Oude et au fils de Triçanku.

(102) Autre roi d’Oude, dont les aventures mythologiques sont célèbres.

(103) Ou Krshnâ, l’épouse des cinq frères Pândavas. — Tous ces faits sont erronés, c’est-à-dire contraires aux données des poëmes épiques.

(104) Comm. caturthyarthe shashtî. — Ne faudrait-il pas lire bhârate yuddhe, au lieu de bhârate yuge ?

(105) Comm. ramane ramananimittam.

(106) Comm. nihçvâsâpi (Stenz. niçvâse’ pi) mriyate ambâsumr (Stenz. ambasmarâ). — Le texte, on le voit, est aussi peu sûr que peu clair et la traduction n’en saurait être qu’approximative.

(107) Le texte du dernier hémistiche de cette stance est tellement fruste ou corrompu, qu’il est impossible d’en tirer un sens satisfaisant. Voici la leçon assez différente de celle de Stenz. donnée par le commentaire : sevâ vancitabhrâtrka mama pitâ mâteva sâ draupadî yasyâh paçyati nedrçam vyavasitam putrasya sûratvam.

(108) Comm. neli kanyakâ tasydâh mâtaram veçvâm veçyânâm kanyotpattâv evânandadarçanât kanyâmâtrtvena vyavahârah tathâ câtra sarvatra kânelimâtrpadam vyâkhyâtam ; nelîmâtâ veçyâ iti dhyeyam.

(109) Quoique aucune indication scénique ne nous en avertisse, nous avons évidemment là une apostrophe qui semble un peu plus décousue qu’il ne convient. Du moins le vita paraît aller vite tout d’abord dans ses conjectures sinistres ; aussi Wilson, qui s’est efforcé de donner à la pièce une physionomie régulière, a laissé de côté ce pas âge dans sa traduction.

(110) Comm. eshâ mayâ mâritâ. Stenz. sâ mâritâ.

(111) Comm. hi hi khede.

(112) Comm. avicâritam pravahanam. Stenz. avicâritam.

(113) Comm. vipanih âpanah bâjâra hâta iti bhâshâ saubhâgyam saundaryam sudaivam vilâsâdinâm adbhutatvam ca tad eva panyam vikreyavastujâtam tasya âkarah khanir utpattibhûmih ity arthah.

(114) Comm. anâthah prâptah apadhvastah lokadvayabhrashtah.

(115) Stenz. n’avait pas d’indication sur le mètre de cette stance. En voici le texte tel que le commentaire le donne avec les gloses : attham itîndravajrâcchandah artham çatam dadâmi suvarnam te kahâvanam angarakshâdivastram kim cid anyad vâ vastu dadâmi saveshtikam veshtikâ ushnîsham katibandhanam vâ te esha duhçabdânâm phalakramo me sâmânyako bhavatu manushyakânâm. — J’ai adopté ce texte pour ma traduction en substituant parâkramah à phalakramah.

(116) Comm. gunah maurvî prasiddhâ prâninâm ramanîyâh dharmaviçeshâç ca.

(117) Ou dans le lac (pour nous baigner). Comm. nalinyâm (Stenz. nagaryâm) sarasyâm.

(118) Comm. apatitam api mâm patitam bhavantam sevamânam janah patitam iva mâm anâryam manyate ity anvayah.

(119) Comm. nagarastribhih çankitair ardhâkshibhir drshtam tvâm ity arthah.

(120) Comm. Afin de ne plus être exposée au même soit : kasyâm cid api jâtau tvam veçyâ mâ bhûh kim tv îdrçe kule jâyethâh ; veçyâtvâd eva vipattir iyam âpatitâ nedrçî tu kulînânâm anganânâm iti bhâvah.

(121) Comm. âvrttasya (Stenz. âvuttasya) adhikârinah ity arthah.

(122) Comm. jâlmah asamîkshyakârî.

(123) Comm. mayâ tâvat dattam yâvatyâm velâyâm alamkaromi tâvatim velâm tvam âtmânam alamkuru iti çeshah mama âjnâ tava. Stenz. mayâ tâvad dattam yasyâm velâyâm alamkaromi tasyâm mamânyas tava.

(124) Comm. âtmaparitrâne âtmaparitrânanimittam âtmarakshârtham ity arthah. bhâvah gatah adarçanam vitah svavadhabhiyâ punar na locanapatham âgamishyatîty arthah.

(125) Wilson a entendu la ville d’Ujjayinî en tant que livrée au culte buddhique.

(126) Comm. avida mâdike idam atiçvedârthakam.

(127) Comm. esha mayâ nasi chittvâ vâhitah. Stenz. mayâ nâsâcchedanavâhitah.

(128) C’est une allusion à un épisode bien connu du Râmâyana, seulement Samsthânaka prend le singe Hanûmant pour le mont Mahendra et réciproquement. — Comm. tulitah. Stenz. tvaritah. — Comm. mahendraçikharâd iva hanûmân iti vaktavye çakâroktayâ viparîtam ity asakrd âveditam.

(129) Comm. patâkshepeneti nepathyapatam udghâtya pravishta ity arthah. yas tâvad evam evâgatah pâtraviçeshah sa patâkshepeneti nâtake samketah evam evedam iha pûrvâdparatra bodhyam.

(130) Comm. vâtâlîpunjite çushkapattrasamcaye. Stenz. vâtâlîpunjitah çushkapattrasamcaya eshu, etc.

(131) Comm. C’est-à-dire de la délivrance : svargena mokshenety arthah.

(132) Comm. vistrînapattrâhprasâritapakshâh (Stenz. pattrâni) manye. pattrâh (Stenz. pattrâni) pakshinah. — Il y a jeu de mots sur pattra signifiant feuille et aile.

(133) Comm. gâlayishyâmi. Stenz. kshâlayishyâmi.

(134) Comm. kevalam tvâm smarâmi daçasuvarnanishkrîtatvena na smarâmîti mahatâm mahânubhâvateti bodhyam.

(135) Comm. param. Stenz. varam.

(136) Comm. Il était défendu aux ascètes de toucher qui que ce soit et à plus forte raison une femme, surtout une jeune fille : samnyâsinâ na kasyâpi sparçah kâryah kim vâcyam tatra strînâm sparçe tatrâpi tarunyâh iti çâstram.

(137) Comm. vihâro nâstikânâm devâlayam iti sphumtam. — Comm. haste(. Stenz. hastah.

(138) Comm. yo dharmâtmâ tasya na kâpi bhîr ity arthah.


Fin du tome troisième.