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Le Collage/Le Collage/X

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Édouard Dentu (p. 35-38).
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X


5 septembre.

Rue de Rivoli, aujourd’hui, pendant une averse, j’ai rencontré Germondy, réfugié comme moi sous les arcades.

Mon premier mouvement est de l’éviter. Lui, m’a reconnu, fend la foule et vient a moi.

— Vous n’êtes donc pas mort !… On ne vous a plus vu, depuis des mois, malheureux ! La rue des Moines vous fait peur ?…

Je balbutie, en invoquant de pauvres prétextes. Ce qui me fait peur, c’est d’entrer dans certaines explications, comme ça, à brûle-pourpoint, et au milieu de la bousculade des passants mouillés. Ah ! si nous étions installés l’un en face de l’autre, commodément, dans un bon café calme, peu fréquenté ! Comme je saisirais l’occasion de me déboutonner une fois pour toutes, de découvrir enfin ma plaie à un excellent garçon que j’aime, plus âgé que moi, plus sérieux peut être, en tout cas mieux assis dans la vie ! Germondy compatirait sans doute à mes embarras, me donnerait quelque conseil. Je lui offre un madère.

— Oh ! impossible, mon brave… Voyez ! l’averse s’achève…

Il est pressé. À Paris depuis deux jours, pour ses affaires, il repart le soir même, afin d’aller rejoindre sa femme en villégiature à Cabourg, comme tous les étés. Ici, par politesse, je me vois obliger de lui demander, d’une voix distraite, des nouvelles de sa femme. Oh ! elle va mieux ! L’air de la mer lui est toujours favorable. Puis, il me donne un tas de détails : « Nous ne nous sommes presque pas baignés… La plage est même peu fréquentée… Des vents de l’Ouest insupportables… » En attendant, un temps précieux s’écoule. Il ne pleut plus. Un rayon de soleil couchant perce les nuages, prend en enfilade les arcades. Au moment où je vais aborder enfin un sujet, dont, malgré notre intimité, je n’ose parler sans une espèce de honte, Germondy arrête un fiacre vide et monte.

— Où voulez vous que je vous mette ?… Du côté de la Madeleine ?

L’idée de sentir mon cri de souffrance coupé par les cahots de la voiture ne me tente pas.

— Merci. Je vais à la Bastille, moi !

Et, nous nous sommes séparés.


Même jour.

En y réfléchissant, malgré les poignées de mains et les protestations cordiales, je trouve que Germondy, dans cette rencontre, s’est montré froid. Il ne m’a plus invité, comme les aunées précédentes, à passer quelques jours dans leur villa au bord de la mer. D’ailleurs, je n’y aurais quand même point mis les pieds. Lorsqu’on vit avec une femme, il est impossible de conserver dans leur intégrité ses anciennes relations. Peu à peu un cercle d’abandon et d’isolement se creuse autour de vous. Parents, amis intimes, instinctivement, ou par discrétion, ou par égoïste indifférence, vous tiennent à l’écart.


6 septembre.

Avec ça, mes affaires vont mal. Je ne gagne pas davantage et mes dépenses se trouvent triplées. Je m’endette. Pour avoir acheté coup sur coup deux robes à Célina, je ne me suis pas trouvé en mesure de payer un billet souscrit à mon tailleur. Vers les fins de mois, je n’ai plus la ressource économique de dîner fréquemment en ville : maintenant il faut que la marmite bouille tous les jours. Et Célina, par là-dessus, qui me fait des peurs, en se croyant à chaque instant enceinte. Ce n’est jamais vrai, heureusement. N’importe ! j’ai les charges du mariage, avec quelques autres soucis.