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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/07/09

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 189-193).


IX

LES ÉPREUVES D’AUTEURS


« Les épreuves à corrections font partie de ces concessions désagréables que l’imprimeur doit faire au client. » Il faut reconnaître cependant que l’épreuve, unique ou multiple, protège pour une large part l’imprimeur contre la responsabilité qu’il encourrait, à l’égard de l’auteur, pour les erreurs que le livre contiendrait. Pour cette raison, il faut souhaiter que, dans les cas douteux, le nombre des épreuves soit aussi élevé que possible.

Les auteurs ne se font point faute d’ailleurs de se prévaloir en ces circonstances de la liberté que leur accordent les usages, et l’on peut dire qu’en pratique le nombre des épreuves en placards ou en pages à fournir est illimité : suivant ses besoins, et sur sa demande, l’auteur peut recevoir successivement une première d’auteur, une deuxième, une troisième, et même plus si, d’après les corrections ou les modifications qu’il apporte au texte, il l’estime nécessaire : il est seul juge en cette matière, et généralement il ne remet le bon à mettre en pages ou, le cas échéant, le bon à tirer, que s’il répute le texte « amené à son état à peu près définitif ».

Pour les épreuves, s’il s’agit de placards, les paquets sont disposés sur la presse dans l’ordre précédemment indiqué, soit en se suivant, soit en colonnes, ou encore imposés dans les mêmes conditions ; pour les épreuves de mise en pages les pages sont placées par côté et en ordre d’imposition.

Le tirage d’une épreuve exécuté sur une forme, à l’aide de la presse, est plus propre et donne un meilleur registre que celui fait, sur des paquets simplement liés et entourés de garnitures. Ce point n’est pas négligeable : nombre de personnes, en effet, attachent une grande importance à la présentation des épreuves à correction et refusent nettement les épreuves dites à la « brosse » ; d’autres, au contraire, un peu ignorantes des choses de l’imprimerie, considèrent l’épreuve de correction comme un tirage d’essai.

Pour éviter des récriminations toujours désagréables, l’épreuve sera convenablement margée, bien lisible, sur papier propre, suffisamment grand et collé ; elle portera cette indication : épreuve à la brosse, expression qui devrait être comprise de tout profane.

a) Dans les imprimeries de moyenne importance, et a fortiori dans les maisons importantes, des ouvriers spéciaux — appelés pressiers ou faiseurs d’épreuves, mais qui s’attribuent parfois le titre de conducteurs — sont chargés du tirage des épreuves à la presse en blanc, à la presse à bras, dite aussi presse manuelle Stanhope ou Foucher, ou de leur confection à la brosse.

b) Dans les ateliers, où le nombre des ouvriers ne permet pas d’affecter de manière spéciale un employé au tirage des épreuves, généralement chaque compositeur fait lui-même épreuve de sa composition pour la remise au correcteur des typographiques. Quelquefois même, ce travail, très simple en apparence, est confié à des apprentis auxquels personne n’a pris soin de donner au moins quelques leçons élémentaires relatives à ce sujet et sur les actes desquels chacun, malgré les plaintes du correcteur, s’ingénie à fermer les yeux.

Les paquets portés à la presse ne sont jamais débarrassés de leurs porte-pages, souvent constitués par des maculatures de forces différentes et pleines d’aspérités ; l’encrage consiste, plutôt en l’épandage à la surface du caractère d’une sorte de cirage pâteux ; la pression est mal réglée ; le coup de barreau est donné au hasard de la vigueur des bras, pendant un duel à coups d’éponge ou de cadrats, et sans la précaution de mettre à droite et à gauche du marbre les supports de pression. Les paquets, vaguement séparés par des garnitures de fortune, ne sauraient donner à l’impression quelque idée d’une marge cherchée ; le papier, quelconque, porte ici en déchirures multiples les traces violentes de la robustesse de l’ouvrier et là atteste par des moines nombreux l’amour du rouleau et la déplorable qualité de l’encre ; le caractère a subi le contact violent de la platine, et l’absence des supports en plomb ou en fer aux quatre coins du marbre a causé d’irréparables dégâts. Ajoutez à cela des blanchets qui ne sont jamais lavés ni entretenus, un rouleau détestable, une table à encre qui ne fut oncques nettoyée et un marbre de presse que l’encre sèche dispute à la rouille. Les épreuves faites, les paquets, sans être lessivés, sont portés sous le rang, où ils restent, exposés à la poussière, parfois un temps fort long avant d’être corrigés. Ces habitudes regrettables sont préjudiciables autant à la presse elle-même qu’à la lettre, surtout s’il s’agit de caractères de fantaisie, de compositions délicates et ornementées. Pour peu en effet que l’on fasse, dans ces conditions, deux ou trois épreuves avant la mise en pages, l’éreintement et l’encrassement du caractère sont complets.

Les épreuves des pages en formes ne sont souvent guère mieux traitées. Si le pressier est un manœuvre quelconque n’ayant aucune notion de la presse à bras, les résultats du travail sont déplorables, aussi bien pour le matériel lui-même que pour l’auteur ou le correcteur. Le lavage des caractères n’a jamais lieu ou, si par hasard et pour des raisons majeures il est exécuté, il est fait dans des conditions qui permettent de dire qu’il eût mieux valu se tenir tranquille.

c) Assez rarement, surtout pour les envois destinés aux auteurs, les épreuves sont exécutées sur le marbre. La forme ou les paquets préalablement encrés à l’aide d’un rouleau à main sont recouverts d’une feuille de papier dont la face a été légèrement mouillée à l’aide d’une éponge ou d’un blaireau. Le papier, simplement posé sur la composition, doit être bien tendu et ne présenter aucun pli. Avec une brosse plate spéciale, dite brosse à épreuves, on frappe la feuille : les coups doivent être modérés, afin d’éviter toute déchirure du papier rendu particulièrement fragile, en raison de son humidité ; ils doivent aussi être rapides, car le papier sèche vite et en même temps se déforme et se rétrécit ; enfin, ils seront bien dirigés, car la lettre, particulièrement celle des paquets, se couche si elle est frappée obliquement ou trop fortement.

Le taquoir remplace parfois la brosse ; il ne faut pas oublier que son action est brutale, et que son emploi doit être particulièrement surveillé.

d) La brosse, comme le taquoir, ne donne que des épreuves quelconques, trop fréquemment floues, de lecture difficile ; des pâtés d’encre isolés ou des manques de touche nombreux ajoutent encore à ces inconvénients ; aussi est-il de règle de réserver l’emploi de la brosse et du taquoir presque exclusivement pour la confection des épreuves destinées au personnel de l’imprimerie, correcteurs, reviseurs et tierceurs.

La presse manuelle elle-même n’est pas, à ces différents égards, exemple de tous reproches, dont la gravité s’augmente ou s’atténue en raison de l’incapacité ou des soins du pressier. Cependant, si le pressier a pris quelque précaution, les épreuves donnent suffisamment satisfaction, lorsqu’il s’agit d’épreuves de texte courant, ou de texte ne comportant que des gravures au trait.

Pour le tirage des épreuves comportant des similis, ou pour les épreuves à fournir en grandes quantités, et sur des papiers spéciaux, nombre d’imprimeries utilisent des presses spéciales à cylindre, sur lesquelles une légère mise en train peut être faite et la marge possible.

e) Au sortir de la presse, dès qu’une épreuve vient d’être terminée, le caractère — aussi bien pour sa conservation que dans un but de propreté indispensable au travail — doit être lavé et rincé.

Le conducteur passe légèrement sur la forme une brosse imprégnée d’essence ; il enlève ainsi l’excès d’encre et, le cas échéant, nettoie les zincs ou les gravures qui souffriraient d’un lavage à la potasse et à l’eau courante, nécessaires cependant pour débarrasser le caractère de toute trace d’encre, surtout de la poussière du papier et aussi des restes d’essence ou de pétrole.

Pour un lavage convenable, il suffit d’avoir une bonne brosse, de la potasse assez forte et de l’eau en abondance.

La brosse sera assez large pour être maintenue dans la main droite et assez haute pour qu’on ne soit pas exposé à égratigner le caractère avec le bois ni à se raboter les doigts sur l’œil de la lettre.

La potasse utilisée, liquide ou consistante, est diluée dans l’eau ; on emploie également le potassium allongé d’eau en quantité suffisante. La potasse sera à bonne dose, afin qu’elle nettoie suffisamment sans cependant laisser trace de caustiques plus ou moins dangereux. Avec une solution à trop haute dose, quelques heures après un rinçage insuffisant, la potasse constitue une sorte de poudre blanche qui bouche l’œil du caractère et risque d’avarier les déliés de la lettre employée dans cet état. Une solution faible n’enlève que superficiellement l’encre et les poussières qui se sont glissées entre chaque lettre.

Pour obtenir une dissolution au degré convenable, on verse une quantité donnée d’eau dans un récipient, on trempe deux doigts dans ce liquide, et on verse doucement la potasse jusqu’au moment où les doigts glissent l’un contre l’autre comme enduits d’un corps gras. La brosse est trempée dans cette solution, puis une première fois passée à plusieurs reprises sur la forme en un mouvement circulaire, et une deuxième fois dans le sens des lignes de la composition ; les bois, les garnitures, le châssis sont également lavés.

Après ce premier nettoyage, la forme est à l’aide de la brosse passée à l’eau ; puis elle est rincée convenablement, soit en la soumettant à l’action d’un jet puissant, soit en l’inondant d’une grande quantité d’eau.

Quelque bien lavée à la potasse que soit une forme, elle sera mal nettoyée si le rinçage est insuffisant : la distribution qui en sortira sera désastreuse, et les doigts des compositeurs noircis et rongés par le mélange d’encre, de potasse et de pétrole ou d’essence en diront assez sur la négligence de l’imprimeur.

Il est indispensable de rappeler ici que les gravures sur zinc ne doivent, en aucun cas, être lavées avec une dissolution de potasse, en raison de l’action nocive de ce produit qui oxyde rapidement le zinc. Il faut éviter également le lavage à l’eau courante de ces mêmes gravures. Lorsque, par inadvertance, des zincs ont été rincés à l’eau, il est bon de les sécher immédiatement, puis de les graisser abondamment avec une huile légère, et ensuite de les enduire d’une dissolution de bitume de Judée.

Les gravures sur bois, rincées trop abondamment à l’eau froide ou chaude, ont le grave défaut de se disjoindre, si elles sont en plusieurs pièces, ou de se casser lorsqu’elles sont d’un seul morceau. Il est préférable, pour tous ces bois, même s’ils ont été trempés dans l’huile bouillante, de se borner à un simple lavage à l’essence de pétrole. Le nettoyage terminé, les bois sont retirés et remplacés par des garnitures ; les formes peuvent alors être portées au lessivage pour être rincées à grande eau.