Aller au contenu

Le Crépuscule des Nymphes, suivi de Lectures antiques/Le Crépuscule des Nymphes/13

La bibliothèque libre.
Slatkine reprints (p. 157-174).





ARISTOPHANE

CHŒURS ET FRAGMENTS LYRIQUES



PRÉFACE


Aristophane est triple ; il y a en lui un Juvénal insupportable, un Armand Silvestre fastidieux mais aussi un Shakespeare sans lequel Shakespeare ne serait pas.

De ses deux premiers aspects on ne trouvera ici nul exemple : ni satires, ni scatologie, mais le lyrisme le plus pur, la fantaisie la plus hardie, et la psychologie la plus éclairée. Hymnes aux dieux, chœurs de nuées, de guêpes et d’oiseaux, cortèges d’hyménée, scènes d’amour et de jalousie.

P. L.


LES ANTHESTÉRIES


dikaiopolis

Silence ! Silence ! Que la kanéphore s’avance, Xanthias ! dresse le phallos !

la femme de dikaiopolis

Dépose la corbeille, ma fille, et offrons les libations.

la fille de dikaiopolis

Maman, donne-moi la cuiller, pour que j’étale la purée sur le gâteau.

dikaiopolis
C’est très bien. — Ô Dionysos, maître ! j’ai mené la pompe avec joie, et j’ai sacrifié avec ma famille. Permets qu’exempté de l’armée, je mène heureusement les Dionysiaques dans les champs, et que cette trêve de trente ans me soit bonne.
la femme de dikaiopolis

Allons, ma fille, porte la corbeille avec grâce, et prends un air sérieux. Heureux celui qui te fera l’amour le matin ! Avance et prends garde que dans la foule quelqu’un ne prenne tes bijoux d’or.

dikaiopolis

Xanthias, il faut tenir le phallos bien droit, derrière la Kanéphore. Je vous suivrai, en chantant l’hymne phallique. Toi, femme, regarde du haut de la terrasse. (La Femme s’en va.) Avancez.

Ô Phalès, ami de Bakkhios ! compagnon d’orgies ! noctambule ! adultère ! ami des enfants ! Il y a six ans que je n’ai pu t’invoquer, et maintenant je reviens dans mon dême, grâce à la trêve que j’ai faite, délivré des affaires et des combats et de Lamakhos.

Certes il est beaucoup plus doux, ô Phalès ! Phalès ! de surprendre la jolie bûcheronne Thratta, l’esclave de Strymodôros, volant du bois, sur le mont Phelleus, de la prendre par la ceinture malgré ses prières et de la posséder renversée.

Phalès, Phalès, si tu veux boire avec nous, encore ivre tu mangeras demain un plat pour fêter la paix, et je prendrai mon bouclier dans la fumée.

(Les Akharnes, v. 241-279).


DIALOGUE DE HERMÈS
ET DE TRYGAIOS


hermès

Quelque chose d’humain s’approche. Ô roi Héraklès ! qu’est-ce que c’est que cette saleté-là !

trygaios, (monté sur un scarabée.)

Un hippokanthare !

hermès

Ô dégoûtant téméraire éhonté ! et cochon ! et triple cochon ! et le plus cochon qu’il y ait. Comment es-tu monté ici, ô le plus cochon des cochons ! quel est ton nom ? tu ne réponds pas ?

trygaios
Triple cochon.
hermès

De quel pays es-tu ? parle.

trygaios

Triple cochon.

hermès

Et ton père ? Parle.

trygaios

Mon père ? Triple cochon.

hermès

Par la Terre, tu vas mourir à l’instant si tu ne me dis ton nom, et d’où tu viens.

trygaios

Trygaios d’Athmonia, habile vigneron, non sycophante et peu amoureux des procès.

hermès

Tu es venu ici pour quoi ?

trygaios
Apportant ces viandes pour toi.
hermès

Ô pauvre ami ! Comment vas-tu ?

trygaios

Ah ! goulu ! tu vois, je ne te parais plus un triple cochon. Va, maintenant, et appelle-moi Dzeus.

hermès

Hé ! hé ! hé ! tu n’es pas près d’être chez les dieux. Ils ne sont pas là. Ils ont déménagé depuis hier.

trygaios

Pour quel endroit de la terre ?

hermès

Regardez-le (qui parle) de la terre !

trygaios

Enfin, où sont-ils ?

hermès
Tout à fait loin : dans le plus lointain de la voûte du ciel.
trygaios

Comment ! On t’a laissé ici tout seul ?

hermès

Tu vois, je garde ce qui reste des petits ustensiles des dieux : les petits pots, les petites tables, les petites amphores.

trygaios

Mais pourquoi ont-ils déménagé, les dieux ?

hermès
Par colère contre les Hellènes.
(La Paix, v. 180-204.)


CHŒURS DE « LA PAIX »



I. — HYMNE À LA PAIX


trygaios
Ô adorable (déesse) qui nous donne le raisin ! comment te saluerai-je ? Comment trouverai-je des mots grands comme dix mille amphores, pour te saluer ! mais je n’en ai pas dans ma maison. — Ô salut, Opôra ! et toi aussi, Théoria ! Que ton visage est beau, ô Théoria ! Quelle douce odeur tu as ! douce comme l’exemption du service militaire, douce comme le parfum !
le chœur

Elle sent l’automne, les festins, les Dionysiaques, les flûtes, les poètes comiques, les vers de Sophoclès, les grives, le lierre, les filtres, les brebis bêlantes, le ventre des femmes qui courent dans les champs, la servante ivre, les vases vides, et beaucoup d’autres bonnes choses.

trygaios

Écoutez, peuples ! que les laboureurs s’en aillent, avec leurs outils, bien vite dans les champs, sans lance, sans épée, sans javelot. Car tout, ici, est plein de la paix antique. Allez, travaillez aux terres, et chantez le Paean.

le chœur

Ô jour désiré par les justes et par les gens de la campagne ! Je te regarde avec joie, et je veux saluer mes vignes, et embrasser, après si longtemps, les figuiers que j’ai plantés étant jeune.

trygaios

Par Dzeus ! la pioche est brillante et prête. Et les fourches étincellent au soleil. Qu’ils vont bien tracer les sillons ! Moi-même je veux aller aux champs, et retourner avec la houe, après si longtemps[1], la terre. —

Souvenez-vous, hommes,
De la vie d’autrefois,
Quand Elle habitait avec nous,
Et des petits paniers à fruits,
Et des figues, et des myrtes,
Et de la douceur du vin nouveau,
Et des violettes près de
La citerne, et des olives
Que nous regrettions,
À cause de tout cela, maintenant,
Saluez la déesse.


le chœur

Salut ! salut ! reviens à nous dans la joie, ô adorée ! je mourais du désir de toi, je voulais retourner aux champs. Ah ! que de biens tu nous donnais, ô désirée ! car toi seule tu aides ceux qui usent leur vie à la terre. Autrefois, quand tu étais là, nous jouissions de beaucoup de choses douces et chères sans peine ; aux laboureurs tu étais le grain de blé, et le salut. Aussi nos vignes, nos jeunes figuiers et toutes les plantes qui existent, t’accueillent en riant de bonheur.

(La Paix, v. 520-600, pass.)


II. — LES NOCES DE TRYGAIOS
ET D’OPORA[2]


trygaios[3]

Vite ! conduis la jeune fille ! fais-la entrer chez moi. Remplis la baignoire. Fais chauffer l’eau et prépare le lit nuptial pour elle et pour moi. Ayant fait cela, reviens ici ; je vais présenter l’autre au sénat.

l’esclave

Mais, où as-tu pris ces deux femmes ?

trygaios

Où ? au ciel.

l’esclave

Je ne donnerais plus un triobole des dieux s’ils tiennent des maisons de filles comme nous, les mortels.

trygaios

Ce n’est pas vrai. Pourtant, il y en a là-haut quelques-uns qui en vivent.

l’esclave, (à Opôra).

Allons, entrons. (À Trygaios.) Dis-moi ? je lui donnerai à manger ?

trygaios

Non : elle ne voudrait ni pain ni galette. Elle lèche l’ambroisie chez les Dieux, d’ordinaire.

l’esclave

Ici aussi, on peut lui donner à lécher[4].

Il sort avec Opôra.
le chœur
Voilà un heureux vieillard, autant que je peux comprendre ce qui se passe.
trygaios

Que sera-ce quand vous me verrez tout à l’heure dans mes vêtements de fiancé ?

le chœur

Tu seras envié, ô vieillard redevenu jeune homme, et couvert de parfums.

trygaios

Je le sais. Et que sera-ce, lorsque, couché avec elle, je lui prendrai les tétins ?

le chœur

Tu seras plus heureux que les toupies de Karkinos.

trygaios

Et cela justement ! Moi qui, sur un char scarabée, ai sauvé les Hellènes, si bien qu’aujourd’hui, tous en sûreté dans leurs champs, ils font l’amour et ils dorment.

l’esclave, (revenant avec Opôra).
L’enfant est baignée, elle a les fesses belles. La galette est cuite, le sésame est fait, et tout, tout, tout. Il ne manque plus qu’un homme.
le chœur
Silence ! Amenez la fiancée hors de la porte ! prenez les torches en main, et que le peuple se réjouisse et chante avec nous en chœur !

Puis nous reporterons les outils dans les terres, après les danses, les libations, et Hyperbolos mis à la porte,

Et ayant supplié les Dieux
Qu’ils donnent la richesse aux Hellènes
Et qu’ils nous fassent beaucoup d’orge,
À tous également, et beaucoup de vin
Et manger des figues !
Et que nos femmes deviennent grosses
Et que tout ce que nous avons perdu
Depuis le commencement, nous soit rendu,
Et que le fer de feu rentre au fourreau !

trygaios

Viens, ô femme, dans les champs
Afin que, belle, auprès de moi
Tu te couches bellement.

le chœur

Ô trois fois heureux, ô digne
De tous tes biens d’aujourd’hui !
Hymên ! Hyménaïe, ô !
Hymên ! Hyménaïe, ô !
Et que lui ferons-nous ?
Et que lui ferons-nous ?
Nous la vendangerons !
Nous la vendangerons !

Mais nous qui sommes au premier rang, enlevons le fiancé et portons-le.

Hymên, Hyménaïe ô !
Hymên, Hyménaïe ô !
Vous aurez une belle maison
Et vous n’aurez pas d’ennuis,
Mais vous cueillerez la figue.
Hymên, Hyménaîe ô !
Hymên, Hyménaïe ô !
Il l’a grande et grosse,
Elle l’a délicieuse, la figue.
Tu diras en mangeant
Et en buvant beaucoup :
Hymên, Hyménaïe ô !
Hymên, Hyménaïe ô !

trygaios

Ô adieu, adieu, mes amis,
Si vous venez avec moi
Vous aurez des gâteaux.


(La Paix, v. 842-870 et 1316-1356.)
  1. La Paix fut jouée à Athènes, comme pièce de circonstance, pendant la trêve de Nicias qui suspendait la guerre du Péloponèse après treize années de ruines et de misères.
  2. L’Automne, et par conséquent la Terre féconde.
  3. Trygaios est un personnage populaire qui, sur une monture grotesque, est allé ravir la Paix au ciel, où elle était enfermée.
  4. Allusion aux mœurs des Lesbiennes. (Note de M. Ch ; Zévort, directeur de l’enseignement secondaire.)