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Le Diable amoureux/Notes

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Texte établi par Gérard de NervalPlon (p. 290-292).
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NOTES.




Nous donnons ici le premier dénoûment, que l’auteur a changé, selon le compte qu’il en rend dans l’épilogue qui est à la fin de la nouvelle.


Après ces mots : « d’un gentilhomme enfin », il y avait :


Elle voulut insister, j’étais devenu inflexible. M’imputant le malheur des miens, j’eusse exposé ma tête à tous les risques, et eussé-je pu redouter des châtiments, j’étais déterminé à les affronter, à les souffrir, plutôt que de demeurer en proie aux remords qui déchiraient mon cœur.

C’était dans cette disposition que je m’avançais vers les murs qui m’avaient vu naître, et que je devais trouver bientôt remplis du deuil que j’y avais causé. Les mulets, quoique forts, ne marchaient pas assez vite au gré de mon impatience : « Fouette donc, malheureux, fouette ! » disais-je au muletier. Il fouette ; et, en effet, les mulets hâtent le pas.

Je découvrais déjà, mais d’assez loin, le sommet des tours du château ; pour animer encore davantage les animaux qui me tirent, je les aiguillonne avec la pointe de mon épée ; ils ruent, ils prennent le mors aux dents. Bientôt on ne les voit plus courir, ils volent. Le postillon, démonté, est jeté dans une ornière ; les rênes, retombées en avant, ne peuvent plus être saisies par moi ; je crie, je m’emporte ; on s’effraye, on s’écarte, on fuit sur mon passage ; enfin, je traverse comme un orage le village de Maravillas, et suis emporté à six lieues au delà, sans que rien mette obstacle à la force invincible qui entraîne ma voiture. Je me fusse précipité mille fois, si la rapidité du mouvement m’en eût laissé les moyens.

Las d’efforts, de tentatives de toute espèce, je me rassois. Je regarde Biondetta. Elle me semble plus tranquille qu’elle ne devait l’être, elle que j’avais vue susceptible de crainte pour de bien moindres raisons. Un trait de lumière m’éclaire : « Les événements m’instruisent, m’écriai-je, je suis obsédé. » Alors je la prends par un bouton de son habit de campagne : « Esprit malin, prononçai-je avec force, si tu n’es ici que pour m’écarter de mon devoir et m’entraîner dans le précipice d’où je t’ai témérairement tiré, rentres-y pour toujours. » À peine eus-je prononcé ces mots, elle disparut ; et les mulets qui m’avaient emporté étant de même nature qu’elle, l’avaient suivie.

La calèche fait un mouvement extraordinaire ; il m’enlève du siège, et je me vois au point d’en sortir. Je lève les yeux au ciel ; un nuage noir s’élevait en l’air, le sommet représentait une énorme tête de chameau. Le vent, qui emportait cette vision avec la violence d’un ouragan, l’eut bientôt dissipée. En portant mes regards autour de moi, je vis que les mulets étaient évanouis, et que ma calèche, penchée vers la terre, portait sur ses brancards.

Je me trouvai seul dans une petite plaine aride écartée des chemins ordinaires. Mon premier mouvement fut de me prosterner pour rendre grâces de ma délivrance.

J’aperçois un hameau ; j’y vais, j’y trouve des secours pour me faire conduire où je devais aller, mais sans demander de nouvelles, sans me faire reconnaître. J’étais absorbé dans ma douleur, et accablé de remords qui ne s’étaient jamais fait sentir aussi vivement.

J’arrive au château. J’osais à peine lever les yeux, ni les arrêter sur aucun objet. J’entends une voix : « C’est Alvare ! c’est mon fils ! » J’élève la vue, et reconnais ma mère… Au milieu de ces réflexions, etc.


Nous avons rapporté dans la Notice les paroles attribuées à Cazotte comme ayant été prononcées à l’occasion de son jugement, d’après le compte rendu rédigé par M. Bastien, l’éditeur de ses œuvres. Les termes de la phrase semblent impliquer qu’il reconnaissait la justesse de sa condamnation, soit en général, soit au point de vue de l’état de choses révolutionnaire. M. Scévole Cazotte, fils de l’illustre victime, nous a écrit pour protester contre cette rédaction, ainsi qu’il l’a fait à l’époque de la publication de M. Bastien. Les paroles de Cazotte furent au contraire empreintes du sentiment de son innocence et de l’horreur que lui inspirait le tribunal qui s’était attribué le droit de le juger. Nous croyons devoir citer un passage de la lettre de M. Scévole Cazotte qui fait honneur à la fermeté de ses convictions :

« Et moi aussi, je fus alors condamné, mais non saisi et exécuté, et M. de Nerval ne peut me refuser la conscience des sentiments qui, du cœur de mon père, avaient pénétré dans le mien. Eh bien, je lui rappellerai les paroles de l’Écossais Monrose (Mountross) à ses juges, lorsqu’on lui prononça la sentence qui le condamnait à la mort et à ce que son corps fût divisé en quatre quartiers, pour être exposé dans les quatre principales villes de l’Écosse :

« Je regrette, répondit-il, qu’il ne puisse pas fournir assez de matière pour l’exposition dans toutes les grandes villes du monde, comme monument de ma fidélité à mon roi et aux lois séculaires de mon pays ! »

« Et j’affirme à M. de Nerval que les sentiments de mon père et les miens étaient beaucoup plus près de ces paroles que de celles qui ont été citées par M. Bastien…

» Ce 25 juillet 1845.

» J. Scevole Cazotte. »