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Le Diable au XIXe siècle/XXXI

La bibliothèque libre.
Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 2p. 350-391).

HUITIÈME PARTIE


LE COMBAT CONTRE L'ÉGLISE




CHAPITRE XXXI

La déchristianisation des peuples catholiques.




Nous voici revenus encore une fois aux faits strictement contemporains ; car, fidèle à mon plan que j’ai exposé dans le premier volume, je tenais à montrer la haute-maçonnerie à l’œuvre, après avoir déblayé le terrain des diverses pratiques qui ne sont pas le monopole du Palladisme et des sociétés occultes nettement satanistes.

Je sais que quelques-uns de mes lecteurs auraient voulu me voir me borner à la révélation des faits dont j’ai été témoin oculaire et pensent que mes relations de cas démoniaques anciens étaient superflues. Cette opinion a été manifestée publiquement, sous forme de critique, par M. le chanoine Ribet, dont les savants ouvrages sont hautement appréciés par toutes les personnes qui étudient la mystique.

Mais c’est là l’opinion de ceux de mes lecteurs qui connaissaient déjà la plupart des cas non-contemporains que j’ai dû citer ; ils sont le tout petit nombre dans le public qui me suit. Les développements inattendus, auxquels j’ai été contraint à raison de certaines attaques qui se sont produites, ont satisfait au contraire la grande majorité si j’en juge par les lettres en quantité formidable qui m’ont été adressées.

Je demande donc pardon aux lecteurs déjà au courant, dont j’ai mis la patience quelque peu à l’épreuve ; je les prie de songer à tous ceux qui ignoraient ces choses, faute d'avoir lu les ouvrages qui ont précédé le mien. En effet, cette publication a eu l’heureuse chance de pénétrer dans les milieux les plus divers, de remuer de braves gens qui étaient à mille lieues de soupçonner les incessantes manifestations du diable dans la société humaine et à qui des adversaires de mauvaise foi déclaraient que mes récits étaient de ridicules inventions.

« Au-point de vue de l’art, a écrit M. le chanoine Mustel, cette critique (la critique de M. le chanoine Ribet) est juste, et nous avions d’abord regretté vivement ces superfétations, malgré l’intérêt qu’elles pouvaient présenter. À la réflexion, nous sommes moins sévère. L’auteur, vivement attaqué, — peut-être surpris de ces attaques, — a voulu se défendre, lui et son œuvre, en montrant dans le passé des faits historiques, rigoureusement contrôlés, et que l’ignorance et la mauvaise foi peuvent seules contester, faits semblables ou analogues à ceux qu’il rapporte. Ce motif n’est-il pas de poids ? Quant aux études sur l’hystérie et la possession, elles s’imposaient dès que le docteur Bataille voulait, non pas seulement raconter, mais apprécier les faits dont il avait été témoin. À examiner le résultat, si la composition de son livre est moins simple et moins une, n’y a-t-il pas avantage à présenter comme un faisceau et à traiter d’ensemble toute la question du diable ? »

Il m’a donc fallu déblayer le terrain, comme je viens de le dire, et toute personne qui y réfléchira reconnaîtra qu’il était nécessaire, dès l’instant que j’étais accusé de raconter des faits absurdes, impossibles, de dérouler aux yeux du public nouveau, non au courant des manifestations de l’occultisme, un panorama en quelque sorte général. Et encore, la moisson est tellement abondante que j’ai dû me restreindre et faire une simple glane dans ce champ immense du surnaturel diabolique.

À présent, nous avons à nous occuper de la haute-maçonnerie, telle qu’elle fonctionne actuellement. Nous allons voir son œuvre néfaste de déchristianisation des peuples catholiques ; nous examinerons son travail, toujours souterrain, mais à côté de ses opérations magiques. Je dirai aussi quel est le rôle des sœurs maçonnes, quelle est leur manière d’opérer. Je soulèverai le voile qui, jusqu’à ce jour, a dérobé à la vue même des francs-maçons non-juifs la fédération secrète que les israélites initiés ont introduite dans la secte internationale et que le Palladisme, rite suprême, autorise et protège. Je donnerai le plan des chefs secrets de la haute-maçonnerie. Je raconterai un épisode des plus curieux de la conspiration contre la Papauté. Enfin, dans cette huitième partie, je ferai connaître l’état général de la franc-maçonnerie universelle et ses bilans annuels.


Ruiner l’Église du Christ, tel est le but principal que la maçonnerie se propose, et elle ne néglige rien pour arriver à ses fins. Les chefs de la secte, les vrais chefs, ceux qui sont palladistes et que Satan trompe en se faisant passer à leurs yeux pour l’égal de notre Dieu et son futur vainqueur, ne comprennent pas que tous leurs efforts seront inutiles ; car ils prennent pour une vaine prophétie l’inéluctable parole : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » Ils s’imaginent donc que l’avenir leur appartient, qu’un jour viendra où la religion catholique aura complètement disparu de la surface du globe, où Lucifer sera adoré publiquement par toutes les nations.

En attendant, il s’agit de faire perdre la foi chrétienne aux peuples par n’importe quels moyens. La doctrine palladique est gardée secrète au sein des triangles ; au dehors, par l’action des Loges et des sociétés que celles-ci inspirent, on répand le scepticisme ; l’athéisme même est considéré comme auxiliaire, jusqu’à un certain point.

Mais, en même temps qu’on s’efforce d’obscurcir les esprits par le doute et l’incrédulité, on travaille à obtenir des gouvernements toutes les mesures de nature à détruire peu à peu l’influence de l’Église et l’Église elle-même. C’est là l’action politique.

J’ai promis de montrer comment la haute-maçonnerie procède à cette œuvre de déchristianisation chez tous les peuples catholiques ; je dois surtout m’occuper de ce qui s’est passé et se passe en Italie, car l’Italie est le théâtre de la grande lutte contre la Papauté.

Le 15 octobre 1880, le F∴ Garibaldi écrivait au F∴ Pietro Corsigli :

« Notre organisation gouvernementale est mauvaise ; l’abaissement physique et moral de notre nation a pour cause l’éducation cléricale. Mais, pour comble de malheur, nous sommes des paresseux, nous ne savons pas agir. Il faut remuer le gouvernement, il faut que les loges le secouent. Messineo m’a envoyé une longue lettre de Palerme ; il m’invite à rappeler à Lemmi qu’il est temps de faire quelque chose en Italie. Je sais bien que Lemmi ne peut pas suffire à tout ; il se doit d’abord aux intérêts généraux de l’institution ; mais Mazzoni et Petroni ont passé l’âge de l’activité, et si Lemmi ne décide rien au sujet de notre pays, rien ne se fera. C’est pourtant en Italie qu’il faut agir.

« Je vous résume ainsi la lettre de Messineo, mon cher Pietro, et j’ajoute que Messineo a tout-à-fait raison.

« Puisque vous allez à Rome le mois prochain, voyez Lemmi ; dites-lui que ce qui est nécessaire ne lui sera pas refusé. J’ai vu récemment un F∴ américain, qui est venu me visiter dans ma solitude. Il m’a fait part des bonnes dispositions des Émérites à l’égard de Lemmi, il peut donc marcher. En avant ! toujours en avant !

« Si l’on ne secoue pas la torpeur du gouvernement, tout le travail déjà fait sera bientôt perdu ; l’ennemi reprendra peu à peu les positions d’où nous l’avons délogé. Vous connaissez le vieux dicton : les nonnes, les moines, les prêtres et les poulets ne sont jamais satisfaits. Le Vatican nous mangera, si nous ne le mangeons pas.

« Sous peine d’infamie, un peuple ne doit pas consentir à être la risée du monde, et l’on se moque partout de nous, en nous voyant encore si encapucinés. Agissons, agissons !

« Nous sommes d’accord, maçons de tous les pays, pour exterminer le monstre clérical ; mais alors, pourquoi se préoccuper d’agir partout, excepté


Dona Maria-del-Olvido de Bourbon
Grande-Maîtresse Maçonne en Espagne

en Italie, où la maçonnerie maintenant s’endort ? Où est le trou, là est la bête. Dites-le bien à Lemmi, non pas que son zèle ait besoin d’être stimulé, mais afin de le pousser à diriger tous ses efforts chez nous. Il y a nécessité, ainsi que Messineo le dit très justement. »

Cette lettre de Garibaldi, le F∴ Pietro Corsigli la remit à Lemmi ; l’original est aux archives du Souverain Directoire Exécutif, à Rome, dossier du Congrès de Milan de septembre-octobre 1881, sous le n° d'enregistrement A-37.

Sous le n° A-121, dans le même dossier, se trouve une lettre d’Albert Pike à Lemmi, datée du 5 décembre 1880.

On y lit:

« … J’approuve le projet de Congrès maçonnique italien. Il est indubitable qu’il y a lieu de provoquer une agitation par les Loges de la Péninsule ; mais, d’autre part, calmez l’action en Bavière, et consacrez-vous tout entier à faire réussir la réunion de Milan.

« Il faut ruiner à bref délai les influences cléricales en Italie ; les lois contre les congrégations religieuses n’y sont point observées. Était-ce donc la peine de tant travailler à les obtenir ?

« Et les écoles ? on y donne toujours l’instruction catholique. Par les Loges, faites protester. Il faudrait même que le Congrès émit un vœu en faveur de la création de lycées de filles ; mais obtenez cela, en prenant les précautions utiles et en ayant soin d’obtenir aussi qu’on n’y place aucun prêtre-aumônier.

« Il sera bon de faire voter un ordre du jour quelconque, témoignant que les Loges ont à cœur la solution de la question sociale dans le sens favorable aux ouvriers.

« À raison de cet ordre du jour, vous pourrez publier un résumé des travaux du Congrès, et vous mettrez à profit cette publication pour opérer en 214.

« Je m’en rapporte à vous en ce qui concerne l’opportunité ou l’inopportunité d’étendre aux Loges l’institution des Messagers. »

Le Congrès maçonnique italien se tint, en effet, à Milan ; les séances eurent lieu du 28 septembre au 3 octobre 1881.

Les résolutions qui furent votées sont les suivantes :

« I. La Franc-Maçonnerie italienne considère que la solution de la question sociale mérite non seulement l’étude, mais aussi l’action des Loges. Elle constate que le gouvernement n’a pas accompli son devoir en ce qui concerne les innombrables œuvres dites Œuvres Pies qui ont été fondées par le cléricalisme, pour, sous l’étiquette menteuse de la charité, corrompre le peuple. Les mœurs de la patrie sont ainsi en péril et ont besoin d’être réformées, ainsi que les lois. Les Œuvres Pies devront donc être transformées par le gouvernement en institutions de prévoyance pour la classe ouvrière.

« II. Sur la demande d’un certain nombre de Frères, le Congrès décide que les femmes ne seront plus désormais tenues à l’écart de la Franc-Maçonnerie. Des Loges féminines seront constituées au plus tôt »

(J’ouvre une parenthèse pour apprendre aux profanes et aux maçons incomplètement initiés que l’émission d’un vœu et l’adoption d’une décision de cette nature sont ce qu’en argot de la haute-maçonnerie on appelle opérer en 214. L’expression vient d’une circulaire n° 214 que rédigea en 1872 Albert Pike au sujet de la maçonnerie féminine. Il y disait que, pour mieux cacher l’existence des Loges androgynes, il était utile de provoquer de temps en temps des discussions à ce sujet dans les convents, sauf à rejeter les vœux en faveur du rétablissement de ces Ateliers, ou, s’ils étaient adoptés une première fois, les annuler dans un convent ultérieur à peu de distance.)

« III. Le Congrès est d’avis qu’il y a lieu également de constituer au plus tôt des Loges d’ouvriers, tant à la ville qu’à la campagne, et qu’elles devront être organisées de façon à ce que l’initiation des prolétaires soit le moins coûteuse possible et même gratuite, sauf une cotisation insignifiante pour couvrir les frais indispensables. »

(Ce vœu est encore de la catégorie des manifestations platoniques, uniquement faites pour la galerie. Les frères trois-points ne tiennent aucunement à admettre parmi eux des ouvriers ; mais ils éprouvent le besoin de faire croire qu’ils s’intéressent aux ouvriers et qu’ils ne leur ferment pas leurs portes. Vis-à-vis des profanes, les ordres du jour semblables à celui-ci sont donc une autre manière d’opérer en 214 ; mais ce n’est pas néanmoins comme dans le cas de l’ordre du jour précédent. Sur la question des loges féminines, on se moque de la galerie, attendu qu’elles existent et qu’il n’est nul besoin d’en voter la création ; en ce qui concerne les loges ouvrières, elles n’existent pas, et, en dépit de tous les votes, on ne les crée jamais.)

« IV. Le Congrès décide que, par les soins de l’autorité maçonnique, il sera institué un corps de Messagers secrets, lesquels seront choisis parmi les maçons de condition complètement libre et dont le dévouement à l’Ordre aura été depuis longtemps éprouvé ; ces messagers ne seront inscrits à aucune Loge particulière et relèveront directement de l’autorité centrale de la Maçonnerie italienne ; ils auront pour mission de communiquer à tous les Ateliers les ordres et les instructions du Chef.

« V. Il sera créé, d’autre part, un corps de Frères propagandistes, dont la fonction sera de voyager de ville en ville, comme colporteurs et marchands de toute espèce, pour répandre partout, et notamment parmi les populations rurales, des opinions favorables à la Maçonnerie, pour en faire l’éloge adroitement parmi les profanes et la défendre contre les préjugés ; ces propagandistes, qui ne se feront point connaître pour maçons et qui, dans leurs pérégrinations, s’abstiendront de toute visite aux locaux maçonniques, seront dénommés Frères Ambulants.

« VI. Lorsque l’Ordre aura intérêt à initier un personnage de condition sociale très élevée ou qui sera, pour un motif à apprécier par le Grand-Maître, dans une situation commandant la réserve la plus absolue et le secret le plus rigoureux, son initiation secrète sera connue uniquement du Grand-Maître, et, par exception, du Grand-Maître Adjoint, du Grand Secrétaire et du Grand Trésorier.

« VII. Le Congrès déclare que la solution de la question sociale, dans le sens qui doit donner satisfaction aux revendications légitimes des travailleurs, est l’objet des constantes études et des hautes préoccupations de la Franc-Maçonnerie italienne. Les Loges sont autorisées à ouvrir, dans leur sein, des débats ayant pour but de trouver les moyens pratiques de faire aboutir auprès des pouvoirs publics toute mesure tendant à l’extinction du paupérisme et à l’amélioration du sort des classes laborieuses.

« Ce septième vœu du Congrès, adopté à l’unanimité, sera publié. »

Il l’a été, en effet ; mais on a vu récemment, en Sicile, comment le F∴ Francesco Crispi, 33e, ami intime du Grand-Maître Lemmi, entendait régler la question sociale : à coups de fusils.

« VIII. Le Congrès décide qu’il y a lieu d’organiser secrètement les forces libérales de l’Italie et que les Loges doivent agir plus que jamais de telle sorte que la majorité de la représentation nationale au Parlement soit acquise à la Franc-Maçonnerie.

« Le Congrès adopte pour l’Italie le règlement édicté par le Grand Orient de France en 1848 (Ère Vulgaire), sous le titre Règlement maçonnique des mesures à prendre dans les cas d’élections. »

Il n’est pas mauvais de citer ici ce règlement :


Art. 1er. — En toute période électorale, un candidat Maçon sera d’abord proposé par la Loge, dans le ressort de laquelle se fera l’élection, pour être ensuite imposé aux Frères de l’obédience.

Art. 2. — Dans l’élection, qu’elle soit départementale, cantonale ou communale, l’agréation du Grand Orient sera également nécessaire, également réservée.

Art. 3. — Chaque Maçon jurera d’employer son influence pour faire réussir auprès du corps électoral la candidature adoptée en Loge et agréée par le Grand Orient.

Art. 4. — L’élu de la Maçonnerie sera astreint à faire en Loge une profession de foi, dont acte sera dressé.

Art. 5. — Il sera invité à recourir aux lumières de la Loge, ou à celles du Grand Orient, dans les occurences graves qui peuvent se présenter pendant la durée de son mandat.

Art. 6. — L’inexécution de ses engagements l’exposera à des peines sévères, même à l’exclusion de l’Ordre. L’application de ces mesures exceptionnelles sera laissée à la discrétion du Grand Orient.

Art. 7. — Dans les localités où plusieurs Loges existent, elles devront s’entendre entre elles pour le choix des candidatures à faire agréer par le Grand Orient. Elles pourront prendre, selon les circonstances, telles mesures qu’elles jugeront utiles pour faire réussir les candidatures maçonniques ; dans ce but, elles seront libres, pendant la période électorale, de se réunir, suivant les besoins, soit ensemble, soit séparément, soit encore en se fractionnant par comités sectionnaires.

Art. 8. — Chaque Loge, pouvant juger utile de s’aider de la publicité, devra se ménager des moyens d’insertion dans les journaux ; mais le Grand Orient se réserve de lui recommander ceux de ces journaux qui auront sa confiance.


Mais voici les deux plus importants votes du Congrès maçonnique de Milan, ceux qui fixent le mieux le but de la secte relativement à la déchristianisation du peuple :

« IX. Le Congrès décide que le principal but des efforts de la Franc-Maçonnerie italienne sera, pour le présent, d’obtenir du gouvernement :

« a) La régularisation du patrimoine ecclésiastique, dont la propriété appartient à l’État et dont l’administration appartient aux pouvoirs civils ;

« b) L’application énergique de toutes les lois existantes qui assurent à la société civile son indépendance absolu vis-à-vis des influences cléricales ;

« c) L’observation rigoureuse des lois existantes en vertu desquelles les congrégations religieuses devraient être supprimées, et la proposition de toutes mesures de nature à empêcher que ces lois ne soient éludées ;

« d) La promulgation de la loi sur les biens des congrégations religieuses (confiscation) ;

« e) La suppression de toute instruction religieuse dans les écoles ;

« f) La création de collèges pour jeunes filles, où celles-ci soient à l’abri de toute influence cléricale quelconque.

« X. Enfin, le Congrès décide que, par l’initiative de l’autorité maçonnique, il sera procédé à la création d’un grand parti anticlérical, sans distinction d’opinion politique, et dont le but sera de combattre et de détruire le cléricalisme par tous les moyens, quels qu’ils soient. »

On le voit, les inspirateurs du Congrès avaient fidèlement obéi aux ordres du chef suprême Albert Pike, et le vœu du F∴ Garibaldi était accompli. L’agitation allait commencer.

Dans sa séance du 2 juin 1882, l’Assemblée Constituante de la maçonnerie italienne ratifia les décisions du Congrès de Milan.

Toutefois, il est bon de dire que, depuis le 13 juillet 1881, c’est-à-dire environ deux mois avant la réunion du Congrès de Milan, Lemmi s’était déjà mis à l’œuvre pour organiser les anticléricaux en Italie sous la direction occulte du Souverain Directoire Exécutif de là maçonnerie universelle.

Ce jour-là, avait lieu la translation de la dépouille mortelle de Pie IX à l’église Saint-Laurent-hors-les-murs. Lemmi avait recruté, dans la lie de la populace, trois cents et quelques mauvais garnements capables de tout, qui, pour trois lires par tête, devaient troubler la pieuse cérémonie. En effet, dès que le cercueil du pape défunt fut dans le corbillard, sur la place publique, ces individus, massés sur un point, rompirent les rangs des agents qui maintenaient la foule et se précipitèrent vers le char funèbre en criant : « Al Tevere la cassa! » (Au Tibre la caisse !) C’était le mot convenu. La foule ne suivit pas le mouvement et témoigna son horreur d’aussi odieuses excitations ; mais il y eut des coups échangés, la police eut quelque peine à refréner ces furieux ; bref, l’incident avait été créé et payé par la maçonnerie pour pouvoir faire publier dès le soir, dans les journaux impies, qu’une partie de la population romaine était hostile à l’Église.

Tel fut le premier acte par lequel Adriano Lemmi affirma l’anticléricalisme violent dans la cité des Papes.

C’était si bien un coup monté, que, dans cette soirée du 13 juillet 1881, Lemnmi et les autres chefs de la franc-maçonnerie italienne se réunirent au petit-palais Sciarra, qui est au Corso, dans un local concédé par le prince Sciarra, 33e, franc-maçon haineux, à une société démocratique militante, nommée lei Diritti del Uome (Société des Droits de l’Homme). Cette association n’était autre qu’un club révolutionnaire, créé récemment par la maçonnerie.

Là, Lemmi avait convoqué, par les coryphées des loges romaines, toutes les fortes têtes plébéiennes, employés de commerce et d’usine et ouvriers irréligieux, en un mot, tous les meneurs des divers quartiers de la ville. Dans le nombre des employés, il y avait beaucoup d’initiés, est-il besoin de le dire ? Quant aux ouvriers, ils ignoraient que, excitateurs habituels de la populace, ils subissaient l’influence des sectaires. Du reste, c’est toujours ainsi que les choses se passent : à côté des loges, la maçonnerie crée des sociétés dont les chefs lui appartiennent; d’où il résulte que les gros bataillons des non-initiés sont les instruments inconscients de la secte, qui exploite leurs mauvais instincts.

Dans cette réunion, il fut décidé que la Société des Droits de l’Homme serait désormais et avant tout le centre anticlérical de dix cercles ouvriers de quartier (rione), dont la création fût votée en même temps ; ce qui, on le remarquera, donne ainsi onze, c’est à dire le nombre luciférien.

Voici exactement les dix cercles anticléricaux ouvriers fondés à Rome, le 13 juillet 1881 :

(1. Circolo anticlericale del rione Ponte (dont fut président le F∴ Nino de Andréis, 33e). — 2. Circolo anticléricale del rione Monte-Esquilino. — 3. Circolo anticlericale dei rioni Trastevere-San-Angelo-Ripa. — 4. Circolo anticléricale del rione Borgo (dont fut président le F∴ colonel Achille Maïocchi, député, un des lieutenants lucifériens de Lemmi ; ce cercle fut établi à proximité du Vatican). — 5. Circolo anticlericaie del rione Pigna. — 6. Circolo anticlericale del rione Campo-Marzio. — 7. Circolo anticlericale del rione Regola. — 8. Circolo anticlericale dei rioni Trevi-Colonna (dont fut président le F∴ Ettore Ferrari, autre lieutenant de Lemmi). — 9. Circolo anticléricale del rione Monte-Testaccio. — 10. Circolo anticlericale del rione Campitelli.

La caisse du Souverain Directoire Exécutif paya immédiatement les premiers frais de loyer et d’installation des locaux nécessaires.

Aussi, quand le Congrès maçonnique se réunit quelques semaines plus tard à Milan, les chefs firent ressortir que le parti anticlérical s’organiserait très facilement, pourvu que partout les loges suivissent l’exemple de Rome.

Lorsque, le 2 juin 1882, l’Assemblée Constituante de la maçonnerie italienne ratifia les décisions du Congrès de Milan, le mouvement était déjà commencé dans les provinces. Or, tandis que l’assemblée des sectaires émettait son vote définitif, ce même jour-là, presque à la même heure, le F∴ Giuseppe Garibaldi rendait le dernier soupir, dans sa solitude de Caprera. Il y eut, chez les francs-maçons, une vive surprise, quand on en reçut la nouvelle au Grand Orient de Rome ; rien n’avait pu faire prévoir cette fin, car à cette époque le fameux condottiere était très bien portant ; il fut pris d’un étouffement subit, inexplicable, qui le tua en quelques secondes sur son fauteuil, où il se reposait, prenant l’air, près d’une fenêtre ouverte. C’était lui qui avait stimulé le zèle de Lemmi ; la main de Dieu s’appesantissait sur lui, au moment où son œuvre de mal était consacrée par le suffrage unanime des chefs de la secte en Italie.

Un an après, l’œuvre maudite était constituée dans les principales villes. Mais il est bon de dire que Lemmi ne l’avait pas bornée à la péninsule. Dès 1881, peu après la réunion du palazzetto Sciarra, il avait inspiré la formation de groupes du même genre en France et en Espagne.

Dans un rapport officiel qu’un certain F∴ espagnol, nommé Agapito Balaguer, revenant d’un voyage (juillet 1883), adressait au F∴ Antonio Romero Ortiz, grand-maitre du Suprême Conseil d’Espagne, j’ai trouvé des renseignements fort intéressants sur les résultats obtenus et en Italie par Lemmi au bout d’un an.

« À cette heure, écrit le F∴ Agapito Balaguer, il n’est pas une ville italienne de plus de 8.000 habitants qui n’ait son cercle anticlérical ouvrier. La propagande contre la superstition catholique a pris, dans ce pays, des proportions inouïes, dont nous ne saurions trop nous réjouir.

« Toutefois, les Italiens n’ont pas un fonctionnement semblable à celui des Espagnols et des Français. Les groupes n’ont pas, en général, un comité central apparent, les reliant les uns aux autres d’une façon permanente. Chacun semble, aux yeux des membres non-initiés, se mouvoir avec une parfaite autonomie. Ce n’est que dans certaines occasions, par exemple, pour fêter un anniversaire populaire, qu’ils centralisent leurs pouvoirs entre les mains d’un comité élu, lequel a une existence qui prend fin aussitôt après l’expiration des causes de sa formation ; et, de cette manière, la véritable direction centrale est ignorée.

« Le mot d’ordre est toutefois le même dans tous les groupes, et les drapeaux de chaque cercle, d’un bout à l’autre de l’Italie, sont d’un modèle semblable. En cas de manifestation, tous les groupes sont sur pied ; chaque inscrit va se ranger autour du drapeau de son cercle, et ainsi toutes les forces anticléricales d’une ville sont immédiatement réunies.

« Tel est le système d’organisation des plus grandes villes : Rome, Naples, Florence, Turin, Milan.

« Il convient, cependant, de faire une mention spéciale pour la Lombardie. Là, l’organisation existe selon le mode espagnol et français. Tous les groupes de cette vaste province sont régis, indépendamment de leurs comités particuliers, par une commission centrale qui porte le nom de Comité Directif et siège à Milan, corso Vittorio-Emanuele, 15. C’est une fédération qui a pour titre : Lega Popolare Anticléricale (ligue populaire anticléricale).

« Les membres de ce comité directif sont, pour le présent exercice 1883, nos FF∴ Felice Cavalotli, président, député de la ville au Parlement, Ottorino Lazzarri, secrétaire, Enrico Dalbesio, Giuseppe de Franceschi, Carlo Ferrari-Ferruccio, Ferdinando Fontana, Alexandro Ouchtomskoy, Emilio Quadrio, Aristide Polastri, et un profane, le citoyen Nicola Torti, qui est un ouvrier. Parmi les FF∴ qui ne font pas partie du comité directif, mais qui agissent de la façon la plus active, il faut citer les FF∴ Pirro Tornaghi, Edgardo Ghezzi, Adriano Boneschi et Emanuele Mariano. Le comité est renouvelé chaque année, le 16 décembre, par une assemblée générale. La ligne a un organe, intitulé l’Anticléricale. La cotisation est de cinquante centimes par mois.

« Le comité directif a seul le mandat de convoquer les groupes en assemblée plénière ; toutefois, quand vingt groupes votent qu’il y a lieu de convoquer une assemblée plénière, le comité directif est tenu de faire la convocation dans les quinze jours.

« L’influence du F∴ Cavalotti, à qui, vous le savez, notre illustre F∴ Adriano Lemmi n’est pas sympathique, se fait ressentir dans cette ligue ; il en résulte qu’elle ne prend guère son inspiration à la via della Valle, à Rome. Mais il n’y a que demi-mal ; car l’action, pour être parallèle, ne vise pas moins à atteindre le même but. Le F∴ Castellazzo, à qui je parlais de la ligue de Cavalotti, me disait que son existence est très précieuse au F∴ Lemmi ; en effet, cette fédération qui est manifestement indépendante du Suprême Conseil de Rome, aux yeux de tous, empêche de soupçonner qu’ailleurs tous les groupes sont reliés au Souverain Directoire Exécutif.

« Enfin, en Italie, les diplômes des groupes anticléricaux sont délivrés d’une façon des plus irrégulières. Des groupes en ont, d’autres n’en ont pas. Ceux qui en ont les reçoivent en général dû comité du groupe lui-même, contrairement au système adopté en Espagne et en France, où c’est la commission centrale de Barcelone et celle de Paris qui les délivrent. Quelques groupes italiens, notamment la société des Droits de l’Homme, de Rome, se font délivrer leurs diplômes par la commission centrale de Paris ; cela, disent-ils, en signe d’alliance franco-italienne.

« Presque partout, les groupes n’ont pas de titre distinctif. Ils s’appellent : cercle anticlérical de telle ville, quand il n’y a qu’un groupe dans la ville, ou de tel quartier, quand la ville est importante.

« On n’appelle guère les femmes à faire partie des groupes anticléricaux ; la femme italienne est encore trop superstitieuse. Quant aux sœurs, elles n'ont rien à faire dans ces cercles, vu que l’élément ouvrier y domine. Néanmoins, il en est quelques-unes, très rares, qui ont demandé elles-mêmes à en faire partie ; mais ce sont uniquement celles qui cultivent la muse et qui ont toujours quelque poésie de leur composition à réciter ; elles ne se font connaître que comme écrivains devant les ouvriers, dont elles recherchent les applaudissements ; il faut bien leur passer cette satisfaction d’amour-propre, d’autant plus qu’en se mêlant au peuple elles font une propagande qui n’est pas sans résultats.

« À Naples, le principal groupe a pris un titre distinctif : les Humanitaires. C’est une femme qui préside ce cercle, notre S∴ Ernesta Napollon. Ce groupe est très nombreux, notre illustre défunt F∴ Garibaldi s’y était inscrit, quelque temps avant sa mort ; c’est aussi ce cercle que notre F∴ Giovanni Bovio a choisi pour être celui de son inscription dans le parti anticlérical non fermé aux profanes. Le F∴ Cresponi y vient aussi parfois.

« J’ai longuement causé à Rome avec les FF∴ Lemmi, Castellazzo, Pantano et Parboni. Ils se réjouissent de l’organisation ainsi créée ; elle est en pleine prospérité. Malgré la divergence des préférences politiques, tous sont d’accord pour détruire le Vatican. L’union est faite par le groupement des FF∴ Adriano Lemmi, Crispi, Alessandro Castellani, Pianciani, Ettore Ferrari, Maffi, Ludovico Fulci, auxquels se joignirent, dès l’année dernière, les FF∴ Alberto Mario, Napoleone Parboni, Benedetto Cairoli, Cesare Becherucci, Bertani, Andrea Costa, Guido Bandinelli, Gregorio Pirani, Giovanni Silli, Filopanti, Settimio Boën, et les FF∴ Pantano, Alberto Mancini, Dr Eugenio Marchesini, du Cercle Central Républicain. Le cercle Maurizio Quadrio, de Rome, a signé son adhésion par la main des FF∴ Nissolino, A. Fratti, F. Albani et Falleroni, et le Cercle Démocratique Universitaire, par la main des FF∴ Paoloni, Gatti, Ribo, G.-M. Castiglione, Scifoni, Palombi et Marini.

« Dans les provinces, partout où j’ai passé, j’ai reçu le meilleur accueil, et tous souhaitent que le mouvement anticlérical d’Espagne et de France marche de pair avec celui d’Italie.

« À Gênes, j’ai vu avec plaisir, à la tête des ouvriers anticléricaux, nos FF∴ Firpo, Mosto-Papa, Marcelli, Federico Ottoni, Genovesi, Gamba ; à la Spezia, nos FF∴ Rafaele Milanesi, Luigi Morolli, Delbecchi, Abel Vanni, Alamanno del Bravo, Carlo Grazzini ; à Ancône, nos FF∴ Bosdari et Domenico Barzilari ; à Trévise, notre F∴ Antonio Mattei ; à Novare, notre F∴ Carlo Massa ; nos FF∴ Quartaroli, Liverani, Zanoli, Turchi, Epaminondas Farini, Giovanni Valzania, à Lugo, où est le centre des associations populaires de la Romagne ; à Viareggio, notre F∴ Palmerini ; à Lucques, notre F∴ Amerogi ; à Savone, notre F∴ Scotto ; à Girgenti (Sicile), notre F∴ Riggio ; à Camogjli, notre F∴ Queirolo; à Sicarolo, notre F∴ Giovanni Alberli ; à Pisé, nos FF∴ Carlo Caluri, Ferdinando Barsotti, Egidio Bandini ; à Macerata, notre F∴ Cicarelli ; à Asti, nos FF∴ Borelli et Musso Grillone ; et tant d’autres que j’oublie.

« Partout, nos FF∴ dirigent les cercles ouvriers anticléricaux ; l’organisation est merveilleuse ; partout, le flot monte et grossit chaque jour, et notre chère Maçonnerie tient les écluses ! »

Un document comme celui que je viens de reproduire n’a pas besoin de commentaire.

Il en est de même de celui qui va suivre.

Le 29 septembre 1883, Adriano Lemmi envoyait « aux FF∴ délégués secrets du Souverain Directoire Exécutif auprès des Cercles populaires anticléricaux d’Italie » une circulaire confidentielle, ainsi conçue :

« Il faut, par votre inspiration, faire mettre à l’étude dans les Cercles anticléricaux toutes les questions qui plaisent à l’ouvrier, et principalement celles qui entretiennent dans son cœur la haine de la superstition (lisez : du catholicisme). Cette haine est sainte, el il est nécessaire de l’attiser sans cesse.

« Multipliez les conférences.

« Que vos conférenciers, sans trop insister sur le rôle de la franc-maçonnerie, en fassent l’éloge, comme en passant ; qu’ils détruisent les préjugés existant contre nous, mais en termes discrets et adroits.

« Qu’ils abordent les plus hauts sujets, dans des entretiens familiers, et que, pour mieux conquérir l’affection du peuple, ils montrent l’ère de bonheur qui s’ouvrira pour l’Italie lorsque le pape n’en souillera plus le sol, lorsque les noms de cardinal, d’archevêque, d’évêque ne seront plus prononcés dans la patrie enfin délivrée des conspirateurs parricides.

« Le programme des sujets à traiter est vaste. Voici, cependant, ce qu’il faut dire aux auditeurs prolétaires :

« Le but de la société est le bonheur commun. On y arrivera par un gouvernement institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels. Par homme, nous entendons tout individu, sans distinction de sexe, faisant partie de l’humanité ; mais, en ce qui concerne la femme, il faut avant tout la soustraire au confessionnal, et c’est seulement lorsque son esprit sera dégagé de la superstition, que l’homme libre, trouvant enfin en elle une digne compagne, pourra par une législation sage lui assurer la jouissance des mêmes droits.

« Ces droits sont : l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.

« Devant la nature, tous les hommes sont égaux ; ils doivent l’être de même, devant la loi ; telle est l’égalité civique.

« Pour être juste et par conséquent devenir la règle supérieure des citoyens, la loi doit être l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; mais il faut que la volonté de chacun des citoyens participant au pacte social soit vraiment libre, c’est-à-dire affranchie des erreurs imposées par la séculaire tyrannie des prêtres ; sans quoi, le suffrage des hommes superstitieux fausse la consultation du peuple, en y introduisant des éléments Serviles, un esprit de discorde et l’arrière-pensée criminelle de se servir de la liberté pour l’anéantir.

« Il est donc nécessaire, avant tout, de réduire les antilibertaires, les suppôts du despotisme, à l’impuissance, jusqu’au jour où, la tyrannie sacerdotale ne pouvant plus avoir d’action sur eux, leurs esprits comprendront enfin la vérité.

« La loi, ainsi établie, doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Elle ne peut ordonner que ce qui est équitable, que ce qui est utile à la prospérité sociale, que ce qui est à l’avantage de tous. Elle ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société. Toute loi, qui ne réunirait pas ces conditions, amènerait le retour à l’esclavage, et ne serait pas la loi.

« Dans la société, doit exister, pour le bien général, une administration ; les fonctions administratives ne sauraient constituer une supériorité de caste ou autre ; elles constituent simplement des emplois publics, auxquels tous les citoyens doivent être également admissibles.

« L’élection aux emplois publics doit être faite autant que possible par le suffrage du peuple. Pour les charges spéciales dont le choix des investis appartient naturellement aux administrateurs de la société, ceux-ci ne doivent investir des fonctions que les hommes à l’âme libre et distinguer parmi eux, pour leur donner la préférence, ceux qui sont les plus méritoires par les vertus et les talents.

« Par liberté, il faut entendre le pouvoir naturel qui appartient à l’homme de faire tout ce qui lui plaît sans nuire aux droits d’autrui. La liberté a donc pour principe la nature ; son unique règle est la justice ; la sauvegarde de la liberté de chacun, pris en particulier, est la loi, résultant du pacte social. La limite morale de la liberté est dans cette maxime : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »

« Ainsi, dans une société libre, il ne peut exister de prêtres de la superstition ; car, au nom de son dogme, le prêtre prétend s’opposer à ce que l’homme suive la voix de la nature, même si l’homme, en exerçant son droit, ne nuit en aucune façon à autrui. C’est pourquoi le prêtre de la superstition, étant l’ennemi-né de la liberté humaine, doit disparaître.

« Toute opinion tendant à développer le bien-être général dans la société affranchie du despotisme sacerdotal doit pouvoir être exprimée librement ; chaque citoyen a le droit de la manifester soit par la plume, soit par la parole, en un mot, de n’importe quelle manière. Là est la vraie liberté de la manifestation de la pensée. Mais la loi ne saurait tolérer que, par la presse ou autrement, des citoyens indignes de ce nom, étant, par faiblesse intellectuelle, enclins à désirer la servitude, puissent se livrer à une propagande des mauvais principes, destructeurs de la liberté si chèrement acquise par le sang des martyrs du droit humain, et fausser ainsi les esprits de leurs concitoyens ; une loi qui permettrait une si pernicieuse licence préparerait le retour de la tyrannie et ne serait donc pas la loi d’une société libre. Les législateurs qui la voteraient seraient d’avance les complices des antilibertaires et les restaurateurs de la superstition, pendant tant de siècles seule cause des maux de l’humanité. Aussi une telle loi est impossible, — sans valeur, si elle venait à être édictée ; — et la seule liberté vraie, en matière de propagande des opinions, est celle qui, d’accord avec la raison, a pour base cet axiome : « Liberté du bien, répression du mal. »

« Dans le même sentiment, le droit de s’assembler paisiblement ne peut être interdit aux citoyens. Egalement, le droit d’association est fondamental dans une société libre, sauf le cas où des individus associés poursuivraient un but contraire aux intérêts de la société elle-même, c’est-à-dire aux intérêts de l’ensemble des hommes constituant le corps social.

« Par sûreté, il faut entendre la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et des biens qui lui sont propres.

« Quand nous aurons constitué la société vraiment libre, il sera prudent néanmoins de nous tenir en garde contre le rétablissement de la tyrannie ; car il est des natures perverses qui éprouvent le besoin d’asservir la multitude en se plaçant au-dessus d’elle en caste privilégiée. Ces mauvais citoyens recourront à l’hypocrisie, lorsqu’ils verront l’impossibilité de renverser par la violence notre édifice social. Il faut donc prévoir même le cas où, à force d’astuce et trompant le peuple, ils parviendraient, en simulant la vertu, à avoir la majorité dans les emplois publics, à devenir les gouvernants.

« Pour écarter tout péril résultant de cette situation, il est indispensable que, par la loi établie lors de l’avènement de la liberté et de l’égalité, ceux qui gouvernent soient à jamais dans l’impossibilité d’opprimer le peuple ; c’est la loi elle-même qui, au moyen de mesures sagement prévues, doit protéger la liberté publique individuelle contre l’oppression possible des gouvernants. Aussi, nul ne doit être accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites.

« Tant que le gouvernement se trouve entre les mains d’hommes justes, ces formes seront nécessairement respectées ; c’est pourquoi le citoyen, régulièrement accusé d’un délit ou d’un crime, et quelque innocent qu’il puisse être, doit se soumettre à la loi justement invoquée pour l’appeler où le saisir ; sa résistance serait une grave faute et aggraverait son cas.

« Mais, si les gouvernants sont des hypocrites ayant surpris la confiance du peuple, ils exerceront leur autorité par des actes en violation de la loi ; car ceux qui rêvent l’anéantissement de la liberté ont bientôt fait d’agir avec arbitraire. Alors, l’acte exercé contre l’homme en dehors des cas et sans les formes que détermine la loi est un acte tyrannique, contre lequel le citoyen opprimé a le droit et le devoir de se révolter, et si l’on veut agir contre lui par la violence il lui opposera légitimement la force.

« Dans une société libre, gouvernée par des administrateurs justes, les peines portées par la loi contre les citoyens qui se seront rendus coupables d’un délit ou d’un crime doivent être proportionnées à la faute, et, par leur nature, être utiles à la société.

« Il n’est pas de plus grand crime que celui de complot pour faire revivre la superstition et restaurer la tyrannie sacerdotale ; une société libre étant pour chacun de ses membres la meilleure des mères, travailler au retour du despotisme des prêtres et à la renaissance des dogmes maudits, c’est se rendre le pire des parricides ; celui qui serait criminel à ce point, plus coupable que la vipère dénuée de raison piquant le sein qui l’a réchauffée, devra être retranché de la société, c’est-à-dire mis à mort.

« Par droit de propriété, il faut entendre, celui que tout citoyen possède naturellement de disposer comme il lui convient du produit de son travail. Le travailleur économe doit être libre d’acquérir et de veiller à l’augmentation de son bien-être ; mais sont mal acquis les biens obtenus par la spéculation ou par l’exploitation abusive d’autrui, et la loi doit avoir la prévoyance nécessaire pour que toute spéculation ou exploitation abusive soit rendue impossible. Des sages mesures que les législateurs auront à fixer dans ce sens, il résultera que la société libre, fondée sur l’égalité et la justice, ne verra pas ces fortunes scandaleuses, honte des siècles précédents, source de paresse chez les uns et de misère infligée fatalement aux travailleurs parias.

« Chacun est propriétaire de soi-même ; mais la personnalité humaine n’est pas une propriété aliénable. On a le droit d’engager ses services et son temps, mais non de se vendre ni de se céder en aucune manière. Tout contrat, même sous forme de vœu, aliénant la personnalité d’un individu et soumettant sa volonté à l’arbitraire d’un autre, est illégal.

« L’intérêt général passant avant l’intérêt particulier dans une société libre, un citoyen peut être exproprié, lorsque la nécessité publique le commande ; mais c’est le seul cas où un membre de la société peut être privé de tout ou partie de sa propriété. D’autre part, la justice veut que le citoyen exproprié au nom de l’intérêt suprême de tous soit préalablement et convenablement indemnisé.

« L’indemnité en cas d’expropriation ne doit avoir lieu que s’il s’agit de biens honnêtement acquis, cela est de toute évidence. C’est pourquoi, lorsque la société des hommes libres se constituera, un de ses premiers actes de salut public sera de déposséder les ministres de la superstition et tous les moines et nonnes parasites qui, par le mensonge et la captation, ont accumulé des richesses illégitimes et accaparé hypocritement des domaines, soit d’une façon collective comme congrégations, soit avec une astuce personnelle non moins scélérate, comme prêtres vendant des indulgences, des prières et des places au prétendu paradis et se faisant donner en échange des biens matériels. Toute fortune de prêtre, de moine ou de nonne représente donc un passé impuni d’escroqueries et de vols, et, à ce titre, elle doit être confisquée sans indemnité aucune, par la justice du gouvernement, au profit de la société brisant les chaînes de l’erreur. Cette équitable expropriation est déjà en voie d’accomplissement chez les nations où la vraie lumière commence à pénétrer : elle devra être exécutée jusqu’au bout et d’une manière impitoyable.

« L’emploi des biens des malhonnêtes gens expropriés devra être réglé de façon à créer à la société des hommes libres des ressources suffisantes pour assurer la subsistance aux citoyens malheureux, vieillards ou infirmes ; car les secours à ceux qui sont hors d’état de travailler sont la dette sacrée de la société libre et juste.

« L’instruction, étant le pain de l’âme, doit être conforme à la science progressive et à la morale civique. L’instruction à tous les degrés doit être gratuite : tant que l’idéal de la société des hommes libres ne sera pas réalisé, nous devons ajouter que l’instruction doit être également laïque ; quand le peuple aura enfin la liberté que lui veut donner la franc-maçonnerie, ce mot de laïcité n’aura plus de raison d’être inscrit dans la loi, puisqu’il n’y aura plus de prêtres. Aujourd’hui, comme plus tard, nous devons dire encore qu’au moins l’instruction primaire doit être obligatoire.

« Sur la question d’existence ou de non-existence de la divinité, il ne faut pas contrecarrer les idées particulières que peuvent avoir les ouvriers de nos cercles. Ne cherchons pas à convertir les athées à notre philosophie métaphysique, et bornons-bous à apprécier qu’ils sont nos utiles auxiliaires pour la ruine de la superstition. Quant à ceux qui sont spiritualistes, il convient de rectifier leur jugement sur la notion de Dieu ; avec adresse et graduellement, on leur expliquera, dans les conférences, que l’Être suprême, étant de sa nature suprêmement bon et vraiment père de l’humanité, doit être séparé de la conception sacerdotale, dont le Dieu, tel qu’il est défini et imposé par les prêtres, est en réalité un persécuteur surnaturel, infiniment mauvais et barbare ; sans soulever aucun voile, nos conférenciers habitueront le peuple à honorer l’Être suprême tout en haïssant le clergé. La lumière se fera d’elle-même dans les esprits intelligents, en attendant qu’elle puisse être révélée publiquement, lorsque l’idéal de la société des hommes libres sera réalisé.

« Enfin, pour ce qui concerne la politique, il faut faire pénétrer dans les esprits cette idée que la souveraineté réside dans le peuple, et qu’elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable ; mais, étant donné que nos nationaux ne sont pas encore mûrs pour la République, que c’est en dirigeant les conseils de la Monarchie que nous parviendrons à détruire l’influence cléricale et à anéantir la superstition elle-même, et que c’est là le suprême objectif de tous nos efforts, nos conférenciers, sans prêcher aucunement le renversement de la Maison de Savoie dont nous n’avons pas à nous plaindre, devront simplement poser la question politique en ces termes à leurs auditeurs : « Le statut est éminemment respectable, lorsque le peuple l’accepte librement ; il forme un contrat entre le peuple et l’autorité, sous la condition naturelle que le peuple peut toujours, lorsqu’il ne répond plus à son sentiment et à ses besoins d’expansion libérale, le revoir et le réformer par les moyens légaux. La constitution actuelle de l’Etat est donc susceptible de constante amélioration, et elle sera loyalement respectée par tous les bons citoyens, tant que la Maison de Savoie sera en communion d’idée avec le peuple ; mais un principe de droit humain domine tout, c’est celui qui dit qu’une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »

« Tel est le memorandum, qui servira de guide à tous nos conférenciers dans l’œuvre de propagande créée maçonniquement par la fondation des cercles populaires anticléricaux d’Italie. »

On peut dire que cette circulaire de Lemmi contient, mieux que toute autre, le plan de déchristianisation des peuples catholiques. Elle méritait donc d’être publiée ; car elle montre la tactique que j’ai dénoncée et fait voir comment les décisions du Congrès de Milan ont été mises à exécution.

Sauf les réserves de Lemmi au sujet de la politique de la maçonnerie vis-à-vis de la Maison de Savoie, il est évident que ce plan de campagne s’applique à toutes les nations où le catholicisme est pratiqué, sinon honoré comme religion de l’État.

En Autriche-Hongrie, en Bavière, en Belgique, en Espagne, en Portugal, les instructions du chef de la secte internationale sont suivies par les arrière-loges tout aussi bien qu’en Italie, et, soit sous le nom de cercles populaires, soit sous ceux de sociétés de tout genre, même de gymnastique, les francs-maçons travaillent avec activité à déchristianiser le peuple.

Dès qu’une association quelconque se fonde, aussi bien avec un programme d’études que pour un motif de délassement, si vous ne voyez pas dans son règlement une part faite à la religion, si les directeurs de cette société ne s’adjoignent pas un aumônier, — c’est là la pierre de touche, — c’est que cette association, ce cercle, ce groupe, reçoit, le sachant ou l’ignorant, son inspiration de la franc-maçonnerie.

En France, la secte a déjà obtenu beaucoup plus de résultats qu’en Italie ; mais, chez nous, l’œuvre de mal est commencée politiquement depuis plus longtemps.

Il serait trop long de faire l’historique de toutes ses conquêtes dans le domaine de la législation. Peu à peu, comme le flot de la mer ronge la falaise, les loges ont entamé, dans un travail de destruction plus ou moins lent, l’œuvre séculaire de l’Église ; il n’est que temps d’élever une digue ! Les députés-maçons, esclaves du mot d’ordre, ont obtenu déjà la dispersion d’un grand nombre de congrégations d’hommes, jésuites, dominicains, carmes, franciscains et tant d’autres ordres qui sont la gloire de la civilisation ; la laïcisation de l’enseignement public, en attendant la suppression des écoles, collèges, pensionnats, tenus par des religieux ou des religieuses ; la laïcisation des services de l’assistance publique ; l’expulsion des sœurs de charité des hôpitaux et hospices des principales villes ; la diminution graduelle, jusqu’à une somme infime, du budget des cultes, dette d’honneur de l’État contractée en dédommagement des biens ecclésiastiques confisqués et vendus par la Révolution ; le service militaire imposé aux séminaristes, dans le but de tarir les sources vives du sacerdoce ; l’ingérence du gouvernement sectaire dans le budget des paroisses, alimenté par les dons et aumônes des fidèles ; et tant d’autres mesures iniques que j’omets, je n’ai cité ici que les principales. Tout cela est l’exécution d’un plan infernal, il ne faut pas se le dissimuler ; car la politique anticléricale émane des loges, tout ce que nous voyons voter en hostilité à l’Église par les assemblées parlementaires a été préalablement discuté et arrêté dans les loges ; il suffit de parcourir les bulletins officiels de la secte pour s’en rendre compte. Or, qui inspire les loges, si ce n’est la haute-maçonnerie ? et qui inspire la haute-maçonnerie, si ce n’est Satan ?

Et Satan n’est pas satisfait, il n’est pas encore arrivé à ses fins. Malgré tout ce qu’il a obtenu déjà en France, il se montre peu content de ses serviteurs ; il les trouve mous ; il les excite à poursuivre plus vivement l’œuvre de déchristianisation. Il souffle la haine du nom chrétien aussi bien chez les athées que chez les vrais initiés.

Au dernier convent du Grand Orient de France (septembre 1893), on a voté la suppression pure et simple des congrégations religieuses quelles qu’elles soient, même celles des sœurs de charité, avec la confiscation de leurs biens.

Le 12 septembre, le F∴ Merchier, donnant communication du rapport de la commission de propagande, soumettait à l’assemblée la déclaration suivante, dans laquelle, disait-il, la commission trace les grandes lignes à suivre, afin de dissiper toutes les hésitations :

« Le Convent de 1898, fidèle aux doctrines anticléricales et humanitaires de la Franc-Maçonnerie, désireux de voir le Conseil de l’Ordre donner à toutes les Loges de l’obédience une impulsion énergique propre à amener la réalisation, depuis si longtemps souhaitée, des réformes nécessaires, le charge d’organiser sur toute l’étendue du territoire de la République, une agitation pacifique, destinée à permettre enfin l’écrasement du cléricalisme,

« Par :

« 1° L’application intégrale des lois scolaire et militaire ;

« 2° La vulgarisation des lois propres à amener à bref délai la séparation des Églises et de d’État ;

« 3° La suppression pure et simple des congrégations et du retour de leurs biens à la nation. »

Le 15 septembre, ces trois vœux de la commission de propagande furent mis en délibération.

Le F∴ Poulle, 33e, président du Convent, fit remarquer que les trois questions devraient être propagées par les Loges, si la proposition de la commission était acceptée par l’assemblée.

Le premier et le second articles furent adoptés sans modification. Quant au troisième, il fut adopté en ce qui concerne la suppression des congrégations, mais avec un amendement proposé par le F∴ Blatin pour ce qui concerne le retour des biens des congréganistes à la nation ; aux termes de cet amendement, ces biens devront être répartis entre les communes, les départements et l’État.

À ce convent, le délégué de la loge l’Encyclopédique, de Toulouse, avait déposé un vœu, touchant le même objet, et dans lequel les sectaires indiquaient très carrément comment un gouvernement impie devra s’y prendre pour réaliser la suppression absolue des congrégations religieuses.

Il est utile, je crois, de reproduire ce vœu dans mon livre ; car je n’écris pas seulement pour les lecteurs de l’heure présente ; je désire laisser une œuvre qui puisse être utilement consultée plus tard et qui établisse bien qu’en cette fin du dix-neuvième siècle les catholiques ont été autant que possible avertis et renseignés sur les projets des ennemis de Dieu.

Voici donc ce vœu maçonnique, in-extenso :


La Respectable Loge Chapitrale l’Encyclopédique, orient de Toulouse, considérant que le cléricalisme, qui plus que jamais relève audacieusement la tête, constitue un véritable danger politique et social, émet le vœu que toutes les Loges de France se joignent à elle pour demander au Conseil de l’Ordre de faire le nécessaire afin d’obtenir du Parlement que les lois régissant les associations religieuses soient appliquées, édifiées ou modifiées conformément aux desiderata suivants :

Art. 1er. — Toutes les congrégations, communautés et associations religieuses quelconques d’hommes ou de femmes, autorisées ou non autorisées, actuellement existantes, seront dissoutes, et leurs biens, meubles ou immeubles, feront retour à l’Assistance publique.

Art. 2. — Aucune association religieuse, sous quelque domination que ce soit, ne pourra se former ni en fait ni en droit dans toute l’étendue du territoire français.

Art. 3. — Tout citoyen français qui se déclarerait propriétaire des couvents, maisons, chapelles, terres, biens, meubles et immeubles servant à des congrégations ou associations religieuses, devra, dans le délai de trois mois, à partir de la promulgation de la nouvelle loi : 1° Faire valoir ses titres de propriété, sous peine de voir lesdits biens revenir à l’État pour être reversés à l’Assistance publique ; 2° Expulser des locaux et biens susdits les membres des congrégations dissoutes qui déclareraient vouloir y habiter individuellement ou non. Par le fait de la présence des ex-congréganistes dans ces mêmes locaux et biens, lesdits biens et locaux seraient réputés propriété des congrégations dissoutes et confisqués comme tels.

Art. 4. — Toute fraude relative aux titres de propriété que l’on ferait valoir en vertu de l’article précédent, fraude ayant pour but de conserver ou de faire passer aux congrégations dissoutes en France, mais existant encore à l’étranger, là propriété des biens et locaux énoncés à l’article 3, serait punie de la perte desdits biens, indépendamment des peines édictées par la loi nouvelle qui seraient également appliquées à tous auteurs de tentative de fraude.

Art. 5. — Tout propriétaire étranger qui ne se conformerait pas aux pres- criptions de l’article 3 serait, en outre, immédiatement expulsé du territoire français.

Art. 6. — Ne peuvent porter un costume religieux que les évêques, prêtres et vicaires, pasteurs ou rabbins, qui sont payés par le budget des cultes, et seulement dans l’exercice du culte.

Art. 7. — Tous laïques, tous séminaristes, prêtres libres, moines, frères et sœurs vivant ou non en commun, qui porteraient un costume religieux, seront punis de la prison et de la perte de leurs droits civils et politiques.

Art. 8. — Sont également punis de la perte de leurs droits civils et politiques tous ceux qui, directement, chercheraient à favoriser le rétablissement clandestin ou au grand jour des congrégations, ou qui tenteraient de faire revivre, sous quelque forme que ce soit, les pratiques ou les règles de la vie monastique ou congréganiste.

Art. 9. — Les contrevenants aux dispositions des articles précédents seront punis de 100 à 10.000 francs d’amende et de… à… de prison.

C’est bien là un nouveau et grand pas vers la suppression complète de l’Église elle-même. En apparence, on ne veut que détruire les congrégations ; quelle hypocrisie ! Mais déjà on entame le clergé séculier. L’article 6 du projet est un monument de perfidie ; examinez-le bien.

Il vise uniquement le sacerdoce catholique, bien qu’on y parle des pasteurs protestants et des rabbins israélites ; on veut faire croire au peuple, près de qui on fera de la propagande, que l’on agit à un point de vue général. Pasteurs et rabbins ne portent pas de costume spécial à la rue ; donc, les prêtres catholiques sont seuls visés.

Nous verrons plus loin qu’il entre dans le plan de la haute-maçonnerie d’abolir l’Église en réduisant le Pape et les Cardinaux à vivre sans feu ni lieu, et en morcelant le catholicisme par églises nationales, sans chef et sans hauts dignitaires relevant directement du chef. La loge l’Encyclopédique contient certainement des palladistes, pour être si au courant du plan secret ; selon son vœu, les évêques, les prêtres et les vicaires pourront seuls, et dans les églises seulement, pendant la célébration des saints offices, revêtir les ornements sacerdotaux et les insignes de leurs dignités ; les cardinaux sont considérés comme n’existant pas ; la soutane violette sera encore tolérée, mais pas le costume rouge du cardinal.

Prison et perte des droits civiques pour quiconque, sauf l’évêque, le curé et le vicaire, se revêtirait, même dans une église, d’insignes religieux quelconques, que le commissaire franc-maçon qualifierait de costume dans son procès-verbal. Après l’ingérence du gouvernement sectaire dans la comptabilité des fabriques, nous aurons l’ingérence dans les cérémonies du culte, pour rendre le culte impossible. Suppression des diacres et des sous-diacres ! c’est la franc-maçonnerie qui le veut.

Et l’article 8, est-il assez vague, pour pouvoir, sous n’importe quel prétexte, enlever à n’importe quel catholique ses droits de citoyen ! Quel délit plus élastique que celui de « tenter de faire revivre, sous quelque forme que ce soit, les pratiques de la vie congréganiste ! » Et ils osent, ces cyniques, dire qu’ils sont des hommes tolérants, et non des persécuteurs !…

Peu après ce convent de septembre 1893, une autre loge du Grand Orient de France, la Clémente Amitié, agissant sous l’impulsion des chefs secrets de la secte, préparait les voies aux nouvelles lois scélérates que Satan veut faire voter dans notre pays. Cette loge adressait, au mois de décembre, à tous les ateliers de France, même à ceux pratiquant un autre rite que celui de la rue Cadet, une circulaire dont la portée n’échappera à personne.

Bien qu’il ait déjà été publié par des journaux, ce document trouve encore sa place ici ; il faut conserver ces pièces-là, pour l’édification du monde catholique tout entier.

Voici cette circulaire :


La Respectable Loge (Chapitrale et Aréopagite) la Clémente Amitié, à toutes les Respectables Loges de la Fédération du Grand Orient de France et aux Respectables Loges du Rite Écossais et de la Grande Loge Symbolique.

Très cher Vénérable,
Très chers Frères,

Dans le but de compléter un travail dont vous saisirez aisément la très grande importance, nous avons l’honneur de vous demander de vouloir bien nous envoyer les renseignements suivants :

ORDRES RELIGIEUX
A. — Congrégations d’hommes.

1. — Combien avez-vous de monastères ou de compagnies possédant des maisons conventuelles ou autres dans votre orient ?

2. — À quel ordre appartiennent les moines ou religieux ?

3. — Combien sont-ils ?

4. — Quels monastères ou maisons religieuses exercent une industrie ?

5. — Quelle est cette industrie ?

6. — Qui font-ils travailler ?

7. — Connaissez-vous les prix du travail ?

8. — Combien gagnent-ils ?

9. — S’agrandissent-ils ?

10. — Qu’en dit-on dans le public ?

11. — Nuisent-ils aux autres commerçants ?

12. — Ont-ils une influence politique ?

13. — Quelles sont les congrégations enseignantes ?

14. — Quel est leur prix de pension et d’externat ?

15. — Combien ont-elles d’élèves ?

B. — Congrégations de femmes.

1. — Combien avez-vous de couvents dans votre orient ?

2. — À quel ordre appartiennent les religieuses ?

3. — Combien sont-elles ?

4. — Quels couvents exercent une industrie ?

5. — Lesquels ont des ateliers ou ouvrières ?

6. — Combien ont-ils d’ouvrières ?

7. — Combien d’enfants ?

8. — À quel âge prennent-ils les enfants ?

9. — Comment les religieuses font-elles exécuter le travail ? (Font-elles exécuter le même travail ? ou apprennent-elles véritablement un métier permettant de gagner sa vie en sortant du couvent ?)

10. — Que donnent-elles à une ouvrière qui quitte le couvent ?

11. — Dans quel état intellectuel et physique sortent les ouvrières ?

12. — À combien estime-t-on la fortune de ces couvents ?

13. — Quelle est leur influence ?

14. — Quelles sont les congrégations enseignantes ?

15. — Quel est le prix de pension et d’externat ?

16. — Combien ont-elles d’élèves ?

Nous vous prions, très cher Vénérable el très chers Frères, d’étendre les renseignements que vous pourriez nous donner à tous les départements d’où quelque fait (?) est parvenu à votre connaissance, et nous vous saurons un gré infini de nous le transmettre le plus tôt possible, sûrs que vous pouvez être que le parti que nous comptons en tirer répondra aux idées que nous partageons tous.

Nous comptons sur votre zèle, sur votre ardeur pour le bien et pour la délivrance du joug noir, que cette Chambre nous fera probablement encore attendre.

Devant les défaillances de soi-disant républicains, en face du cléricalisme plus fort que jamais, montrons que notre mot d’ordre est toujours celui de Voltaire : Écrasons l’infâme !

Salut et fraternité.

Le Vénérable : Edgar Monteil. — Le Premier Surveillant : Cour Cenet. — Le Second Surveillant : Copin. — L’Orateur : Baron. — Le Secrétaire : Drecq.

Il est impossible de se méprendre sur le but poursuivi là par la franc-maçonnerie. Si les sectaires voulaient sérieusement des renseignements vrais, ils ne s’adresseraient pas à leurs collègues en mensonge. Il n’est nul besoin d’une enquête faite par un Vénérable pour pouvoir répondre exactement à un tel questionnaire. Les religieux et les religieuses, — même, parmi ces dernières, celles qui se vouent à la vie contemplative, — s’inscrivent, par déclaration légale, à la mairie de leur commune, et tout le monde connaît leurs occupations. Ce sont les francs-maçons et les sœurs maçonnes qui se cachent ; allez donc demander à une mairie seulement les noms des membres composant telle ou telle loge sur le territoire de la commune ; le fonctionnaire officiel sera dans l’impossibilité de vous renseigner, vu que maçons et maçonnes ne se déclarent pas, même sous la République qui ne leur est certes pas hostile. Le but de la Clémente Amitié est uniquement de recueillir, sous forme de rapports auxquels on donnera la couleur de doléances de telle et telle population communale victime des couvents, tous les mensonges, toutes les impostures possibles et imaginables. On formera un dossier de toutes ces infamies, et quelque jour un Brisson ou un Floquet déposera le paquet, en séance de la Chambre ou du Sénat, entre les mains d’un ministre anticlérical complice, à qui tous les maçons députés ou sénateurs, se levant comme un seul homme, réclameront, avec des cris de bêtes sauvages, de présenter une loi supprimant les congrégations religieuses. C’est alors que seront appliquées les résolutions du convent de septembre 1893 ; et le tour sera joué, en attendant un nouvel acte tendant à la suppression de l’Église elle-même.


Par ce rapide aperçu, on vient de voir comment la secte procède pour aboutir à déchristianiser les peuples catholiques. Ce chapitre de mon ouvrage comporte, si je voulais entrer dans des détails, la matière de plusieurs volumes ; mais, au lieu de m’étendre sur le sujet, j’ai préféré donner seulement quelques exemples bien frappants. En suivant avec attention et dans leur ordre les documents que je viens de reproduire, depuis la lettre de Garibaldi à Pietro Corsigli, on sera frappé du machiavélisme du plan palladiste, on constatera combien tout est prévu — sauf l’intervention de Dieu — dans cette tactique abominablement savante et vraiment infernale.

Il me faut dire cependant quelques mots de l’action de la secte dans les pays où domine le protestantisme.

Là, en politique, on travaille à pousser le gouvernement à opprimer les catholiques ; la dissolution du Sonderbund, en Suisse, le Kulturkampf, en Allemagne, sont l’œuvre secrète de la franc-maçonnerie ; les preuves en ont été données par d’autres auteurs (le père Deschamps, Claudio Jannet, etc.) ; mais la secte ne réussit pas toujours au gré de ses désirs.

En dehors de l’action politique, il est une propagande souterraine qui se fait, et ceci m’amène à parler des Odd-Fellows.

La maçonnerie n’est pas hostile au protestantisme, il s’en faut de beaucoup ; en adoptant la date de 1717 comme création de la secte succédant à celle des Rosi-Crucians, on trouve que le protestantisme a fortement contribué à l’engendrer. Les fondateurs anglais, en effet, Jacques Anderson, Théophile Désaguliers, Georges Payne, Lumden-Madden, Calvert, King et Elliot sont tous protestants ; Désaguliers, notamment, est fils d’un ministre protestant qui avait quitté la France après la révocation de l’édit de Nantes.

Mais les protestants, qui sont dans le secret de la haute-maçonnerie, tirent, pour la plupart, leur origine religieuse des disciples des Socin, c’est-à-dire des groupes d’adeptes de la réforme les plus hostiles au catholicisme. Si l’on peut s’exprimer ainsi, les sociniens sont à l’extrême-gauche du protestantisme, tandis que les puséistes en forment l’extrême-droite ; cela est si vrai, que c’est chez les puséistes qu’ont lieu les plus nombreuses conversions catholiques, tandis que les sociniens sont naturellement tout mûrs pour le luciférianisme ; eux, ils se convertissent à Satan.

Or, la haute-maçonnerie, tout en faisant cause commune avec l’extrême-gauche (socinienne) et la gauche (anabaptiste, presbytérienne, luthérienne, calviniste, etc.) du protestantisme, n’a nullement pour but final de faire régner sur le globe les idées de Luther, de Calvin et autres prétendus réformateurs. Son but final, nous le connaissons, c’est le culte universel de Lucifer soi-disant Dieu-Bon.

Il s’agit donc d’agir sur les esprits des protestants, de leur faire perdre toute foi en Dieu et en son Christ, comme on cherche, d’autre part, à pervertir l’âme des catholiques.

C’est à cette œuvre que se vouent les Odd-Fellows.

Je n’ai pas pénétré chez les Odd-Fellows, ayant assez à faire chez les Palladistes ; mais, une partie de ceux-là (les initiés de la seconde classe) étant en rapports avec ceux-ci, ayant la correspondance directe de Charleston, étant reçus dans les triangles, j’en sais suffisamment pour pouvoir tracer à grands traits une esquisse de cette société non moins satanique que l’autre.

En outre, je complèterai, dans ce bref tableau, mes renseignements personnels par ceux de mon excellent ami M. A.-C. De la Rive, qui est un travailleur infatigable, doublé d’un enquêteur habile, sachant à merveille diriger où il faut ses recherches et possédant des moyens sûrs d’information, dont son récent volume la Femme et l’Enfant dans la Franc-Maçonnerie Universelle a fourni l’éclatante preuve. Nous avons, lui et moi, en diverses circonstances, travaillé chacun de notre côté, en des enquêtes parfois bien délicates, hérissées de difficultés, nous livrant parallèlement à des investigations sur des questions identiques ou analogues, et, je dois le dire, nos renseignements ont parfaitement concordé.

Je vais donc relever ici quelques notes de M. A.-C. De la Rive[1] et les compléter de mon mieux.

Ce sera un historique sommaire, je le répète, mais intéressant néanmoins, à raison du développement effrayant pris en ces dernières années par l’Ordre satanique des Odd-Fellows. Je laisse à M. A.-C. De la Rive le soin de poursuivre les découvertes ; car, là encore, il y a tout un monde d’iniquités à dévoiler. Mieux que personne, il me paraît devoir être l’historien définitif de la secte quasi-rivale du Palladisme.

C’est vers 1788 que fut fondé, à Londres, l’Ordre des Odd-Fellows. Ce mot, d’un sens très anodin, veut dire : les drôles de corps, les bons garçons, les joyeux drilles ; dans le public profane, on qualifiait au début leurs réunions de « clubs des originaux ». Comme on le voit, il n’y a pas là de quoi inspirer la défiance ; c’est toujours sous des dehors d’aimable compagnon que Satan s’insinue dans la société. Mais, allez au fond des choses, soulevez le voile ; apprenez que, dans cet ordre à l’aspect bénin, il y a deux classes d’adeptes, dont l’une absolument secrète, et vous saurez que la seconde classe d’adeptes s’intitule « Ré-Théurgistes Optimates », exactement comme les Palladistes. Il y a encore une différence entre les Palladistes, qui n’ont qu’une classe (en cinq grades), et les Odd-Fellows, c’est que, chez les premiers, le prétendu Dieu-Bon est invoqué uniquement sous le nom de Lucifer (sauf en Italie), tandis que les Odd-Fellows parfaits initiés disent indifféremment Lucifer ou Satan. Ajoutons encore que les Palladistes nomment leurs groupes triangles, alors que les Odd-Fellows appellent les leurs loges, comme dans la maçonnerie ordinaire des grades symboliques.

Une loge d’Odd-Fellows fut constituée à Manchester, en 1809, et la division s’éleva bientôt entre les ateliers de Londres, Manchester et Liverpool. Les deux derniers se détachèrent de l’association, prirent le titre d’Ordre indépendant des Odd-Fellows, et nommèrent un Comité Central dont tous les membres devaient demeurer à Manchester.

En 1817, le forgeron Wildey, régénérateur des Odd-Fellows, partit pour l’Amérique ; il y fonda, en 1819, avec deux francs-maçons, une loge à Baltimore sous le titre distinctif de Loge Washington n° 1. Bientôt, des ateliers furent érigés partout ; mais il s’éleva promptement entre eux des différends, parce que plusieurs prétendaient au titre de Grande Loge quoiqu’ils n’eussent pas reçu de patente ou de lettres régulières de constitution. Wildey parvint à faire admettre que tous les Frères, en général, se soumettraient à une seule Grande Loge, à savoir celle des États-Unis ; ce qui eut lieu en 1825. Dès lors, cette dernière fut reconnue comme l’autorité légitime des autres Grandes Loges qui existaient, au nombre de quatre, ayant neuf ateliers dans leur obédience.

Cependant, les Odd-Fellows américains ne purent se mettre en relations avec les Odd-Fellows anglais du même rite, parce qu’aucune loge des premiers n’avait obtenu de patente de Manchester.

Wildey fit à cet effet, en 1826, et à ses propres frais, un voyage en Angleterre ; et, le jour même de son départ, on lui remit les lettres-patentes qu’il avait demandées et qui constataient que « à la Grande Loge des Etats- Unis était conférée la haute juridiction sur les Odd-Fellows de ce pays, avec le droit d’y fonder des ateliers, sans l’intervention d’un tiers ». — De 1826 à sa mort, qui eut lieu en 1861, Wildey resta presque constamment à la tête de l’association, qui n’était pas encore, du moins jusqu’en 1854, expressément luciférienne.

Vers 1842, de nouvelles difficultés surgirent entre les Odd-Fellows anglais et les Odd-Fellows américains. Ceux-ci n’admirent pas les Frères anglais à leurs travaux, parce que la Grande Loge de Manchester se refusait à faire coïncider le mot de passe avec celui de la Grande Loge des États-Unis, ensuite parce qu’on se proposait d’apporter des changements aux rituels sans entente préalable. La Grande Loge d’Amérique voulait, en outre, qu’on supprimât les banquets dans les loges britanniques, et que, à son exemple, aucune boisson ne fût permise dans les réunions. Un autre point de différence, et peut-être le plus important, fut que les Odd-Fellows anglais payaient moins que les américains et que ceux-ci refusaient de les admettre aux prix fixés en Angleterre. Ces difficultés amenèrent de tels heurts qu’une rupture complète s’en suivit, de sorte qu’il n’exista plus de relations officielles entre les autorités des deux pays.

En 151, les Odd-Fellows d’Amérique tinrent leur séance annuelle dans le local de la Grande Loge Nationale de Washington. Il résulta des rapports qui furent présentés que l’association comptait alors aux États-Unis 28 Grandes Loges, 1.700 loges inférieures et 160.000 membres environ. Le montant des recettes, pour l’année 1850, s’était élevé à 880.389 dollars (4.401.945 francs).

C’est de cette même année 1851 que date l’introduction des femmes dans l’Ordre des Odd-Fellows. Dans la séance du 20 septembre, l’assemblée générale des sociétaires américains décida que les loges d’Odd-Fellows pourraient tenir des réunions androgynes, et l’on créa pour les femmes un grade, sous le titre de Rébecca. Il fut décidé, en outre, que les veuves d’odd-fellows qui feraient la demande d’affiliation seraient reçues de plein droit, sans être soumises à aucun scrutin, qu’elles ne paieraient aucune contribution, et qu’elles porteraient, comme insigne distinctif, un ruban vert et rose ; mais cette admission ne pourrait toutefois avoir lieu que si le mari défunt n’avait laissé aucune dette vis-à-vis de la caisse de la loge.

Trois ans plus tard, l’Ordre, étant en pleine prospérité, fut l’objet d’une transformation qui resta ignorée de la plupart de ses membres et qui lui inocula le satanisme.

Un maçon écossais, du nom de Longfellow, qui, vers 1837, était venu s’établir aux États-Unis, recommandé au F∴ John Cogdell, président de la Grande Loge dite des Anciens Francs-Maçons de la Caroline du Sud, et qui, sachant faire valoir ses services, avait fini par se faire agréer comme secrétaire particulier du F∴ Moïse Holbrook, souverain grand commandeur grand-maître du Suprême Conseil de Charleston, s’était affilié aux Odd-Fellows, pour étudier le mécanisme de leur organisation ; Holbrook lui avait bien volontiers accordé l’autorisation de cumulation de rites.

Longfellow s’était voué depuis longtemps à l’étude des sciences occultes. Moïse Holbrook, qui, pour sa part, connaissait à fond tous les secrets de la cabale, avait parfait son éducation de sataniste.

Souvent, Longfellow et Holbrook avaient caressé entre eux le projet de créer dans la maçonnerie un rite nettement luciférien ; le vieux Moïse avait composé à cet effet une horrible cérémonie, qu’il avait intitulée la Messe Adonaïcide. Leur idée première était de faire pénétrer ce rite exécrable dans les arrière-loges par le canal de la maçonnerie de l’Écossisme ; mais, à cette époque-là, le Suprême Conseil de Charleston n’avait pas encore la prépondérance sur les autres Suprêmes Conseils du Rite Écossais.

Puis, Moïse Holbrook mourut, et son disciple Longfellow quitta Charleston, emportant les cahiers manuscrits du rite infernal en préparation.

En 1854, l’ex secrétaire intime du grand-naître cabaliste réunit, parmi ses co-affiliés odd-fellows, quelques membres haineusement anticatholiques des loges du Canada et leur fit part du plan qu’il avait conçu. La réunion, tenue secrète, à l’insu des autres sociétaires, eut lieu à Hamilton.

Wildey avait alors, depuis longtemps, franchi le cap de la soixantaine ; Longfellow lui avait montré les cahiers de Moïse Holbrook, et il en avait été émerveillé. Cependant, Wildey n’avait pas osé prendre sur lui la responsabilité de l’innovation éclose dans le cerveau de Longfellow ; mais il lui avait laissé carte blanche pour tenter l’expérience.

Le plan de Longfellow, exposé à la réunion secrète d’Hamilton, était celui-ci :

On laisserait subsister, sans aucun changement, l’organisation et les grades des Odd-Fellows d’alors, et l’on s’en servirait comme d’un paravent pour mieux cacher l’existence d’une seconde initiation. En d’autres termes, il y aurait deux classes d’initiés : les uns constitués et cérémoniant comme à l’ordinaire, qui ne se soupçonneraient pas former une première classe ; les autres, choisis avec soin parmi les premiers et formant la deuxième classe, pour pratiquer un rite essentiellement satanique.

La proposition de Longfellow fut adoptée ; néanmoins, il y eut encore beaucoup de tâtonnements dans sa mise à exécution, jusqu’en 1858. Les loges lucifériennes étaient peu nombreuses et fonctionnaient mal, irrégulièrement ; les parfaits initiés, c’est-à-dire les satanistes, agissaient trop isolés. Thomas Wildey, devenu jaloux de son pouvoir et craignant de se voir éliminer ou tout au moins de voir Longfellow empiéter sur son autorité, se prêtait peu à favoriser le développement de la seconde classe, refusait les locaux. Aux yeux de tous, il restait toujours le grand-maître de l’Ordre ; Longfellow, grand-maitre des parfaits initiés épars, mal reliés les uns aux autres, n’avait pour ceux-ci qu’un titre, n’était considéré que comme une sorte de pontife innovateur du rite satanique, mais n’était nullement obéi.

Bref, Longfellow fut un moment découragé de voir ses tentatives infructueuses.

En 1857, il fit un voyage aux États-Unis, revit ses anciens amis du Suprême Conseil de Charleston, exposa de nouveaux plans au docteur Gallatin Mackey, qui était alors grand-secrétaire du Suprême Conseil et rédigeait la Quaterley Rewiew ; il communiqua aussi ses idées à Albert Pike, qui les goûta fort, mais ne pouvait les imposer, du moins le dit-il, et qui sans doute songea dès lors à se les approprier pour établir plus tard sa domination sur tout l’Écossisme, puis sur toute la Franc-Maçonnerie.

Le souverain commandeur grand-maître à Charleston, le F∴ John Honour, fat sondé à son tour par Longfellow ; sans doute, il approuva le plan de celui-ci ; mais, comme Wildey, il craignit, s’il l’adoptait, de livrer la maison à un rusé compère qui pourrait le supplanter. Pour repousser les offres de Longfellow, il fit valoir que son grand lieutenant commandeur Charles Furman n’avait aucune tendance luciférienne, et qu’il serait impossible de greffer le rite satanique pur sur l’Écossisme, sans mettre Furman dans le secret.

Longfellow ne se tint pas pour battu. Il regagna l’Europe et tenta d’obtenir du Suprême Conseil d’Ecosse (pratiquant le rite écossais en 33 degrés) ce qu’il n’avait pu obtenir du Suprême Conseil de Charleston. Il avait à Édimbourg des amis dévoués : entre autres, Samuel Somerville, qui l’avait autrefois recommandé à John Cogdell, et le colonel Swinburne. Somerville et Swinburne étaient tous deux trente-troisièmes : le premier était devenu, en outre, trésorier général du Suprême Conseil.

À Édimbourg, cependant, Longfellow ne réussit pas davantage : il eut pour lui, grâce aux efforts du colonel Swinburne et de Samuel Somerville, le lieutenant grand commandeur John White-Melville et un autre membre du Suprême Conseil d’Écosse, nommé William Donaldson ; mais là, ce fut à cause du souverain commandeur grand-maître, le duc d’Atholl, qu’il y eut impossibilité absolue de tenter le moindre effort.

Sur ces entrefaites, Longfellow fut rappelé au Canada par les FF∴ Hunro et James Scott, influents odd-fellows de la seconde classe, qui, craignant de voir le disciple de Moïse Holbrook abandonner l’Ordre, avaient employé tous les moyens de persuasion et étaient parvenus à faire admettre au vieux Wildey qu’il n’était nullement question de le supplanter.

Wildey consentit donc à favoriser le développement de la seconde classe d’initiés, tout en imposant certaines conditions, dont voici les principales :

1° Le grand-maître des parfaits initiés ne s’ingèrerait jamais dans les affaires des loges de la première classe, qui seules demeureraient officiellement les loges de l’Ordre des Odd-Fellows ;

2° Le siège central des loges secrètes de la parfaite initiation serait fixé à Hamilton, et relèverait secrètement de la Grande Loge des États-Unis ;

3° Le souverain grand-maître de la Grande Loge odd-fellow des États-Unis aurait toujours le droit de destituer le grand-maître de la seconde classe et de le remplacer par un autre parfait initié sans avoir à motiver son décret ;

4° La seconde classe formerait uniquement un rite secret ; ses initiés se borneraient à avoir des tenues réservées pour la pratique de leurs cérémonies et ne chercheraient jamais à former une administration distincte ; ils s’imposeraient une surtaxe personnelle qui serait envoyée par les chefs secrets à la Grande Loge des États-Unis, laquelle établirait le budget annuel spécial de la seconde classe et fixerait le chiffre des dépenses des tenues réservées ; dans les cas où le chiffré de ces frais viendrait à être dépassé par une loge secrète, celle-ci devrait faire supporter l’excédent à ses membres, sans avoir à recourir à la caisse de la Grande Loge des États-Unis ;

5° Enfin le souverain grand-maître de l’Ordre, déclinant toute responsabilité relativement aux cérémonies liturgiques des initiés de la seconde classe, se réservait la faculté de renier ceux-ci, dans le cas où le secret de l’innovation viendrait à transpirer et causerait du scandale ; et, pour mieux assurer le mystère du rite nouveau ainsi introduit dans l’Ordre, chaque initié de la seconde classe prendrait un nom particulier, réservé aux procès-verbaux et à l’inscription sur les rôles de la parfaite initiation, de façon à déjouer toutes les recherches des profanes, si l’innovation de Longfellow venait à être soupçonnée.

Le traité fut signé entre Wildey et Longfellow ; le souverain grand-maitre autorisait ainsi l’autre à se servir de l’Ordre des Odd-Fellows pour se livrer, sous son couvert, avec les initiés qu’il ferait passer de la première à la seconde classe, à toutes les orgies de sacrilèges possibles et imaginables. Longfellow prit, comme pontife du rite secret, le titre de Grand-Prêtre du Nouveau Magisme Évocateur.

À la mort du F∴ John Honour, souverain commandeur grand-maître du Suprême Conseil de Charleston, ce ne fut pas son grand lieutenant Charles Furman qui fut appelé à lui succéder. Le docteur Gallatin Mackey, rêvant, lui aussi, d’introduire le satanisme pur dans le Rite Écossais, manœuvra de façon à obtenir que le remplaçant de John Honour serait nommé à l’élection ; et l’on sait que ce fut Albert Pike qui fut élu (janvier 1859).

Albert Pike, en luciférien forcené qu’il était, entretint les relations plutôt avec Longfellow qu’avec Wildey, et il en fut toujours de même pour les rapports entre Charleston et Hamilton ; de telle sorte que le souverain grand-maître de la Grande Loge des États-Unis est, aux yeux du public et de la maçonnerie ordinaire, le chef des Odd-Fellows américains, tandis que le véritable chef, au regard de la haute-maçonnerie, est le grand-prêtre secret d’Hamilton, autorité pontificale des initiés de la seconde classe.

Ainsi, on ne saurait mieux comparer les Odd-Fellows qu’aux Manichéens, qui avaient aussi deux classes : les Auditeurs, auxquels on ne faisait connaître qu’une partie de l’enseignement et auxquels on voilait l’infamie du système, en affectant un grand zèle de continence et de pauvreté ; et les Élus, qui, possédant seuls le secret théurgique, participaient aux turpitudes de la secte.

De même, aujourd’hui, les Odd-Fellows de la seconde classe sont seuls les vrais Odd-Fellows, les parfaits initiés ; seuls, ils sont en correspondance directe avec le Suprême Directoire Dogmatique de la haute-maçonnerie ; seuls, ils ont leurs libres entrées dans les triangles palladiques et dans les autres sociétés lucifériennes.

En 1861, les journaux maçonniques des divers États composant l’Union américaine arrivèrent remplis des récits de pompes funèbres célébrées par les nombreuses loges d’Odd-Fellows en l’honneur de Thomas Wildey. L’Ordre avait alors 3.420 ateliers !

L’association ne fit que prospérer et s’étendre encore ; mais il arriva ceci que les fondateurs du rite secret de la seconde classe n’avaient pas prévu. Ce mode d’organisation, imaginé par Longfellow, allait créer un obstacle à la réception de n’importe quels odd-fellows comme visiteurs dans les loges de la maçonnerie ordinaire.

En effet, pour mieux masquer leurs sacrilèges pratiques, les parfaits initiés, qui sont facilement arrivés, comme cela est facile à comprendre, à diriger, par une influence discrète, les loges de la première classe, seules avouées, ont recherché surtout, comme adeptes servant de trompe-l’œil, des gens simples et naïfs, ne nourrissant nullement des sentiments d’hostilité à l’égard de l’Église. C’est ainsi que, dans les loges non secrètes d’Odd-Fellows, on rencontre des protestants aucunement sectaires et même pas mal de catholiques. Ces recrues se laissent entraîner, ne voient dans l’institution qu’une société de camaraderie et de délassement, absolument inoffensive, et y demeurent le plus souvent jusqu’à la mort, sans se douter jamais qu’ils appartiennent à une branche de la franc-maçonnerie et à une de ses pires branches. Ils fraternisent avec Durand et Martin, qui ont l’air de simples sceptiques, indifférents aux questions religieuses, et qui, appartenant à la seconde classe sous les pseudonymes de Christ-Moque et de Satanophile, par exemple, disent la messe noire et poignardent des hosties consacrées.

Ces protestants non sectaires et ces catholiques naïfs sont nécessaires aux vrais Odd-Fellows, pour empêcher de soupçonner les infamies qui se commettent dans la classe supérieure de l’Ordre ; mais, d’autre part, ils sont trop éloignés de l’anticléricalisme moyen de la maçonnerie ordinaire pour être accueillis en visiteurs par les loges des Rites Écossais, de Royale-Arche, de Swedenborg, de Misraïm et autres. Et les parfaits initiés, les Odd-Fellows de la seconde classe, ne peuvent, à leur tour, avouer leur secret aux ateliers symboliques ni même aux chapitres de Rose-Croix ; car ce serait mettre sur la voie de la constatation d’existence d’une haute-maçonnerie ; aussi, ceux-ci se bornent-ils, en tant que visiteurs, à se présenter aux triangles, aux adeptes du fakirisme ou de la San-ho-hoeï.

Cette question de l’admission des Odd-Fellows comme visiteurs dans les loges maçonniques est toujours vivement controversée, quand l’occasion se présente en discussion. Pourtant, l’Ordre travaille fort activement à la déchristianisation des peuples ; l’alliance avec Albert Pike (aujourd’hui avec Adriano Lemmi) est complète ; les ateliers de la première classe, par ce mélange perfidement calculé de lucifériens masqués, de protestants honnêtes et de catholiques naïfs, détachent peu à peu ces derniers des pratiques religieuses et amènent doucement les autres à l’anticléricalisme.

Un rapport du F∴ Kappus, membre de la Grande Loge Eclectique de Francfort-sur-le-Mein, dont il fut donné lecture au cercle maçonnique intitulé les Clairières de la Forêt-Noire, fondé à Seckingen, sous la direction de la loge constituée à Freybourg, reconnaissait qu’en 1873, dans le Maryland-Sud, le comité d’instruction des Odd-Fellows exerçait sa surveillance sur 2.744 pauvres enfants auxquels on inculquait la doctrine luciférienne.

À la tenue du 10 septembre 1874, de la Grande Loge dite aux Trois-Globes, orient de Berlin, le F∴ von Etzel, après discussion, soumettait à l’assemblée la motion suivante qui fut adoptée :

« Les Odd-Fellows n’étant pas considérés comme formant des sociétés secrètes et ne poursuivant qu’un but humanitaire (toujours le même masque !), les Loges n’ont provisoirement par de motifs pour agir envers eux d’une manière hostile et pour ne pas admettre leurs visiteurs.

« Par la même raison, on ne peut défendre à aucun Frère maçon d’assister à leurs réunions ; mais il n’y a pas lieu d’entrer avec eux en relations officielles. »

Les Odd-Fellows furent donc admis comme visiteurs à Berlin.

Par contre, l’année précédente, la Grande Loge de Hambourg, à la suite d’une demande de la Loge provinciale de Rostock, avait décidé que les ateliers de son obédience seraient invités à ne pas admettre à leurs travaux des membres de loges d’Odd-Fellows.

À Brunswick, où il existait une loge d’Odd-Fellows depuis 1873, les membres de cette société se virent refuser l’entrée des ateliers du pays qu’ils voulaient visiter.

Berlin comptait alors deux loges assez importantes de ce rite satanique : il en était de même à Stuttgard et à Dresde.

Au mois de juin, les Odd-Fellows firent une demande pour introduire leur Ordre à Francfort-sur-le Mein.

« Les travaux des Odd-Fellows, disait alors le F∴ Kappus, ont lieu à portes fermées, et ils ont, comme signes de reconnaissance, un attouchement et un mot de passe. Il y a aussi une cérémonie d’admission, des bijoux, des ornements, qui sont presque les mêmes que ceux des francs-maçons. »

La loge le Temple de l’Amitié, à l’orient de Bingen, prit la défense des Odd-Fellows auprès de la Grande Loge de l’Union, à l’orient de Darmstadt ; celle de Louis aux Trois-Étoiles, à l’orient de Friedberg, agit de même. Le F∴ Wilhelm Redlich, manufacturier à Bayreuth, grand secrétaire de la Grande Loge de Bavière, dite Grande Loge au Soleil, proposa : « 1° d’accueillir les Odd-Fellows et leurs loges, sans éviter ni rechercher de contact avec eux ; 2° d’admettre ouvertement les francs-maçons allemands dans les ateliers d’Odd-Fellows, et vice versa, sans préférence pour d’autres postulants. » La loge Charles et Charlotte à la Fidélité, orient d’Offenbach, se rallia à ces conclusions.

On voit, par ces quelques exemples, combien en Europe l’admission des Odd-Fellows comme visiteurs maçonniques est chose discutée. Cependant, partout les chefs de la franc-maçonnerie se réjouissent de leur voir prendre de l’extension ; mais les chefs savent quels précieux auxiliaires sont pour eux ces sectaires aux dehors bon-garçon.

Le F∴ Hubert, qui est un parfait initié, lui, publiait, dans sa Chaîne d’Union, numéro de juillet 1888, une correspondance d’Espagne, où on lisait ces lignes : « Le mouvement en faveur de la fusion de toutes les obédiences se continue. Ajoutons que les Odd-Fellows sont à la veille de prendre pied en Espagne. » Ce n’est pas la première fois que cette secte pénétrait dans la péninsule ibérique ; mais, à partir de 1888, elle réussit à s’y implanter.

Du reste, les Odd-Fellows ont eu, pendant longtemps, des ramifications, non sculement en Espagne, mais aussi en France, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Russie, en Autriche-Hongrie, en Belgique, en Angleterre, en Turquie. Aujourd’hui, beaucoup de leurs adeptes européens ont passé au Palladisme (du moins, ceux des affiliés qui avaient l’initiation de la seconde classe) ; mais ils sont encore très bien organisés en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Belgique et en Danemark.

J’ai dit que le rite secret de la seconde classe a été institué d’après les cahiers de Moïse Holbrook, son disciple et secrétaire intime Longfellow les ayant apportés de Charleston au Canada. Toutefois, ii est probable que des notes d’Holbrook ont dû être conservées au Suprême Conseil de Charleston, et il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’Albert Pike s’en fût plus tard inspiré ; c’est même là ce qui expliquerait certaines ressemblances frappantes entre telles et telles légendes des Palladistes et des Odd-Fellows.

Ainsi, dans leurs prétendus oracles, les Odd-Fellows ont eu, comme les initiés des triangles, la révélation que l’Ante-Christ descendra, par trois générations successives de filles-mères, d’une fille née en Alsace sous le règne de Napoléon III. La prophétie diabolique fut appliquée par les Odd-Fellows, dit-on, à Barbe Bilger, qui, on le sait, a été élevée en véritable luciférienne ; mais cette malheureuse, après avoir joué un certain rôle dans la Maçonnerie occulte, a fait faux-bond aux sectaires et se réfugia dans un couvent de Nancy.

Cette mésaventure a mis les Odd-Fellows dans un état d’infériorité vis-à-vis des Palladistes, qui, eux, se dirent sûrs de leur Sophie Walder.

En Europe, ainsi qu’en Amérique, les Odd-Fellows, comme du reste les Palladistes et les autres sociétés lucifériennes, célèbrent, chaque année, une messe démoniaque, à dix heures du matin, le jour de notre Fête-Dieu. La liturgie de cet office sacrilège varie suivant les sociétés ; mais, chez toutes, la principale cérémonie consiste dans la profanation des Saintes-Espèces. Chez les Odd-Fellows, c’est la Messe Adonaïcide, selon le rituel de Moise Holbrook, qui se dit.

Enfin, tout en prospérant dans un grand nombre de pays, c’est surtout aux États-Unis et au Canada que les Odd-Fellows se sont multipliés dans des proportions inouïes.

La soixante-unième tenue plénière annuelle de leur Suprême Grande Loge, qui eut lieu, à Baltimore, le 21 septembre 1885, sous la présidence du F∴ Henry Garey, enregistra les constatations que voici :

Les membres de la secte avaient augmenté de 11.488, durant l’année, et on comptait 142 loges de plus. À cette tenue étaient venus des représentants de partout ; il y en avait qui avaient fait plus de deux mille lieues pour s’y rendre. Le revenu total de 1884-1885 fut de vingt-six millions de francs en chiffres ronds et pour compter en notre monnaie.

L’évènement de la session fut le découvrement de la statue de F∴ J.-L. Ridgeley, qui avait été, pendant quarante ans, le grand secrétaire de l’Ordre ; le monument fut élevé au milieu du parc Harlem ; il coûtait 100.000 francs, et 400.000 membres de l’Ordre avaient contribué à la réunion de cette somme, à raison de 0 fr. 25 par personne.

Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit là d’une simple société de joyeux vivants, sous prétexte qu’odd-fellows signifie « les drôles de corps, » les originaux. Il existe partout des clubs de gens qui s’amusent, se distrayant en bons camarades, en compagnons de plaisir, en garçons plus ou moins frivoles. Ces groupes-là existent par milliers sur notre globe ; mais leur propre est d’être absolument distincts, le besoin de fédération est inconciliable avec l’amusement et la frivolité. Et voyez comme cette fédération est formidable ! En outre, est-ce qu’une société de plaisir est internationale ? est-ce qu’elle a des degrés d’initiation ?

Bien plus, les Odd-Fellows ont beau prétendre se désintéresser des questions religieuses ; ils ont, comme toute société de leur espèce, leurs enfants terribles, qui oublient la consigne et laissent échapper le secret.

En janvier 1589, un odd-fellow canadien (évidemment de la seconde classe) publiait, dans le Daily Witiness de Montréal, les lignes suivantes, signées Cosmo :

« Le romanisme, ou catholicisme romain, considéré comme système, n’a aucun droit, constitutionnel ou autre, d’exister au Canada, non plus que dans tout autre État libre. C’est un absolutisme étranger, ayant des prétentions, des visées à une domination universelle. Son chef suprême est un Souverain étranger, ne relevant pas de notre Constitution, ne subissant pas l’action de nos lois, et n’ayant ni droits ni titre d’aucune sorte pour exercer son autorité dans ce pays et dans les autres États analogues. Sa suprématie est incompatible avec la liberté britannique, avec toute liberté humaine. C’est le cheval de Troie, dans les murs, les flancs remplis d’ennemis en armes. C’est un imperium alienum et hostile in imperio, et, à tous égards, il doit être traité comme tel. »

Et toutes les revues officielles maçonniques s’empressaient de reproduire cette élucubration anticatholique et félicitaient l’odd-fellow. N’est-ce pas probant ?

Oui, si l’on n’y prend garde, au Canada, pays où le catholicisme a la majorité et où la foi des ancêtres est en honneur, les Odd-Fellows feront plus de mal que les francs-maçons ordinaires. Ils sont plus dangereux, parce que, souverainement hypocrites, ils trompent mieux.

Aux États-Unis, ils s’appliquent surtout à agir sur les protestants et à les exciter contre la papauté. Dans les cités de New-York et Brooklyn qui se touchent, leurs loges comptent 29.000 membres. On y regrette toujours le décès du F∴ David Knapp, pasteur grand de la loge Howard no 60, de New-York, qui a laissé l’an dernier à cet atelier 3.000 livres sterling (75.000 fr.). D’autre part, la Grande Loge de Californie a décidé l’édification d’une maison pour les Odd-Fellows âgés et l’érection d’un monument à la mémoire du pasteur grand Sire Farnsworth.

Ex Europe, leur flot monte : ils laissent assez volontiers aux Palladistes les pays catholiques, et ils s’attachent surtout aux pays protestants. Ils s’insinuent, malgré toutes les difficultés qui viennent d’être exposées, dans les loges de la maçonnerie ordinaire, découvrent bien vite quels sont les FF∴ qui ont des tendances à l’occultisme, leur donnent isolément l’initiation satanique, et ceux-ci deviennent tout autant de nouveaux propagateurs des plus honteux et des plus criminels mystères.

C’est ainsi qu’il advient que sur une loge ordinaire se greffe parfois une arrière-lege pratiquant le rite odd-fellow. Tel fut le cas de la loge la Régénérée, de Fribourg (Suisse), au sujet de laquelle M. De la Rive a fait d’importantes révélations[2]. M. Huysmans, dans une interview publiée par le Matin, a confirmé pleinement le récit de M. De la Rive et déclaré que, lui, de son côté, il tenait les faits « d’un témoin oculaire. » À la Régénérée, indépendamment de la salle affectée aux tenues ordinaires et située dans une maison donnant sur la rue, il y avait, au fond d’un long et étroit jardin, un temple secret creusé dans le roc, auquel on avait accès par une porte secrète d’une auberge voisine, mal famée ; et là, les parfaits initiés de la loge se livraient à leurs turpitudes et à leurs sacrilèges. On transperçait à coups de poignard les Saintes-Espèces, reçues en communion à une église catholique, et la grande-maîtresse ou le grand-maître consacraient à Satan des hosties noires ; les sœurs maçonnes, mêlées aux frères parfaits initiés, étaient complètement dévêtues, dans ces réunions secrètes. Or, c’est bien là la Messe Adonaïcide selon le rituel de Moïse Holbrook : consécration d’hosties noires, profanation d’hosties blanches, état de nudité des femmes présentes ; il n’y a pas à s’y tromper. L’arrière-loge de la Régénérée pratiquait le rite de la seconde classe des Odd-Fellows, cela est indiscutable.

Je m’en tiendrai à cet exemple, pour montrer les ravages accomplis par cette secte infernale venue d’Amérique, comme sa rivale luciférienne, la secte des Palladistes.

Je termine sur les Odd-Fellows en donnant une nomenclature des journaux spéciaux, organes des principaux groupes de l’Ordre ; j’ai copié cette liste en 1887 sur un volumineux cahier de notes que Sophie Walder m’avait prêté. Il est probable que, depuis lors, le nombre de ces bulletins officiels de la satanique fédération n’a fait que s’accroître.

Les journaux des Odd-Fellows étaient donc les suivants, en 1887 :

États-unis D’Amérique. — The Companion and American Odd-Fellows, à Columbus (Ohio). — The Odd-Fellows Talisman, à Indianapolis (Indiana). — New-Age, à San-Francisco (Californie), P.-0. Box, 2354. — The Odd-Fellows Herald, à Bloomington (Illinois). — The Odd-Felloiws News, à La Crosse (Wisconsin). — The Mystic Jewel, à Cincinnati (Ohio). — The Triple Link, à Carollton (Missouri). — The Guide, à Albany (New-York). — The Odd-Fellows Register, 404, Cumberland-Street, à Portland (Maine). — Odd-Fellows Journal, à Hulmeville (Pensylvanie). — Brooklyn-Review, 34, Broadway-street, à Brooklyn (New-York). — The Weekley Call, 525, Montgomery-street, à San-Francisco (Californie). — The Brooklyn News, à Brooklyn (New-York). — The Telegram, à Baltimore (Maryland). — The Weekley Denver Times', à Denver (Colorado). — The Noble Grand. à Dubuque (Iowa). — The Bundle of Sticks, à Columbus (Ohio). — Odd-Fellows Sftings, 480, N.-Road-street, à Philadelphie (Pensylvanie). — The Odd-Fellows Review, à Springfield (Iinois). — Ohio Odd-Fellows, P.-O.-Box, 259, à Cincinnati (Ohio). — Vidon Orphan, à Triend (Wisconsin). — The Convenat, à Moline (Illinois). — Der Fuhrer, 100, Orchard-street, à New-York. — The Odd-Fellows Register and Masonic Journal, à Portland (Maine).

Canada. — The Dominion Odd-Fellows, à Toronto (Ontario).

Cuba. — El Porvenir, à La Havane.

Allemagne. — Der Odd-Fellows, à Leipzig (rédacteur : le F∴ Eug. Grinm).

Danemark. — Odd-Fellows Bladet, à Copenhague.

Nouvelle-Zélande. — The Australasian Odd-Fellows, P.-O. Box, 278, à Dunedin.


Maintenant, le lecteur a bien vu comment la haute-maçonnerie opère dans son infernal travail de déchristianisation des peuples.

Au sommet des sociétés secrètes, — la preuve est faite, à présent, — sont trois fédérations suprêmes, chacune ayant sa sphère d’action bien particulière :

1° La San-ho-hoeï, qui inspire les sociétés secrètes d’Asie, dirige la Maçonnerie chinoise, manœuvre spécialement parmi ces innombrables populations où Satan règne déjà en maître, et combat dans l’ombre les missionnaires catholiques, en préparant leur massacre. La San-ho-hoeï est indépendante du Palladisme et de l’Ordre des Odd-Fellows, mais est en relations fraternelles avec eux.

2° L’Ordre des Odd-Fellows, dont la seconde classe est essentiellement satanique, et qui manœuvre de préférence dans les pays protestants (États-Unis, Angleterre, Allemagne, Suisse, Danemark) ou dont le gouvernement relève d’un souverain protestant (Canada). Les Odd-Fellows, par leur seconde classe, sont attachés au Palladisme par des liens tels que, tout en ayant leur autonomie, ils reconnaissent néanmoins la suzeraineté du Souverain Pontife de la Maçonnerie universelle, vicaire de Satan sur la terre.

3° Le Palladisme, qui manœuvre partout, qui a ses grandes entrées même au Conseil Suprême de la San-ho-hoeï ; qui pénètre, connu ou inconnu, dans tous les Chapitres, Aréopages, Consistoires, Grands Campements, Grands Orients, Grands Collèges et Suprêmes Conseils de tous les rites maçonniques ; qui, par des intermédiaires habilement choisis, dicte sa loi aux loges et arrière-loges du monde entier ; qui est, dans la lutte des sectes contre l’Église, la puissance aujourd’hui la plus formidable, disposant d’un budget annuel de quarante millions.

Les agents déguisés de la secte peuvent dire et répéter que tout cela est du roman ; je leur laisse accumuler mensonges et maladresses. J’écris cet ouvrage, afin qu’il soit établi que les catholiques ont été bien prévenus, bien mis au courant de ce qui se trame contre eux, et qu’un chrétien leur a montré tous les fils de la plus effroyable conspiration des temps modernes. Les critiques de détail et les contradictions haineuses m’importent peu. Je vais droit mon chemin, et je laisse au temps le soin de prouver que j’ai bien dit et écrit l’horrible mais exacte vérité.


Pendant que j’écris cette œuvre de longue haleine, les évènements se précipitent, m’apportant déjà leur témoignage.

J’ai commencé cette publication, tandis que le chef suprême de la haute-maçonnerie avait son siège à Charleston ; aujourd’hui, il est à Rome, en face du Vatican, guettant le moment favorable où il pourra en expulser le vicaire de Jésus-Christ.

Puisque le souverain pontife luciférien est maintenant un italien (Adriano Lemmi, depuis le 20 septembre 1893), j’ai donc eu raison de dévoiler tout particulièrement les manœuvres anticatholiques de la secte en Italie.

Toutefois, je dois à la vérité de dire que tous les francs-maçons italiens ne sont pas des sectaires forcenés. Il y a parmi eux des aveugles ; il y a des indépendants, comme Felice Cavalotti, dont j’ai parlé plus haut. Il y a même, mêlés à cette gauche du parlement de Montecitorio, des esprits droits, honnêtes, qui n’obéissent pas à la consigne du Palais Borghèse, qui ont courageusement combattu à la tribune les Lemmi et les Crispi.

Ainsi, il me paraît nécessaire d’en finir sur ce sujet en reproduisant ici une loyale déclaration, toute récente, du brave Imbriani, pour lequel je demande les plus ferventes prières de mes lecteurs.

On avait reproché à Imbriani de n’avoir jamais, lui député de l’extrême-gauche, jeté la pierre contre le clergé. « Vous siégez parmi nous, lui dit-on ; vous attaquez Lemmi et Crispi, et jamais vous n’avez un mot contre les hommes noirs. Vous êtes donc un faux-frère ? »

Voici ce qu’Imbriani a répondu par la voie de la presse :

« Trouvez-moi un prêtre, un vrai prêtre, qui ait jamais intrigué dans les banques, qui les ait bouleversées, qui ait plongé ses mains dans les caisses de l’État, qui se soit révolté contre la loi, qui ait livragué le monde, qui ait affamé et saigné le peuple, qui ait détruit la propriété, violé le domicile d’autrui, contribué à forger des lois exceptionnelles, et qui ait travaillé pour des alliances hybrides et dangereuses ;

« Donnez-moi un prêtre qui corrompe les électeurs et les fonctionnaires, qui tire sur de pauvres gens sans armes et affamés, qui vende sa conscience, sa plume et son influence au profit des chefs trafiquants de la politique, de la finance et de l’industrie ; donnez-moi un prêtre qui ait fait tout cela et tout le reste perpétré par les laïques, et aussi je vous traînerai ce prêtre devant la représentation de la souveraineté nationale, et je le couvrirai de tout mon mépris et de toute mon exécration, comme je le fais pour tous les autres.

« Mais jusqu’à ce que vous m’ayez trouvé ce prêtre, et tant que les prêtres continueront à se consacrer à leur ministère, en accomplissant l’importante fonction, même sociale, de diriger et de fortifier les âmes ; tant qu’ils continueront à prêcher et à exercer la charité, à répandre l’instruction, à traiter les sciences, les lettres et les arts, à assister les malades dans les hôpitaux, dans les lazarets, et les blessés en temps de guerre ; tant que ces prêtres protégeront et assisteront les orphelins et les abandonnés, qu’ils proclameront la grande maxime chrétienne et sociale : Ne point faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’il soit fait à soi-même ; tant que ces prêtres rendront moins douloureuses les agonies, moins poignantes les inégalités de la fortune, moins amères les douleurs de la vie ; tant que ces prêtres feront tout cela, non seulement je n’en ai jamais dit du mal et je n’en dirai jamais, mais à l’occasion je les louerai même, comme l’autre jour, j’ai loué les chanoines palatins des Pouilles, qui font la charité et donnent du travail, en face des dilapidations des administrateurs de la Maison royale, et non de la munificence du Prince. »

Voilà comment parle l’ardent et impétueux député Imbriani, si bien surnommé le marteau de Crispi.

Les Lemmi et consorts ont donc contre eux, en Italie même, des hommes indépendants ; et c’est pourquoi, si je viens de montrer la ténébreuse œuvre du mal, il ne faut pas, quel que soit le péril, désespérer de la miséricorde divine. La Maçonnerie a eu l’audace sacrilège d’établir son souverain pontificat diabolique dans les murs de la Ville-Sainte. Dieu a permis cela, Dieu le tolère. Ne serait-ce pas pour mieux montrer au monde entier, au jour de la défaite certaine de la secte, que c’est précisément à Rome, au centre du catholicisme, que la tête du serpent doit être écrasée ?

  1. La Franc-Maçonnerie démasquée, numéro d’avril 1894.
  2. La Femme et l’Enfant dans la Franc-Maçonnerie universelle, pages 673 à 680.