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Le Divorce (Gagneur)/2

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Librairie de la bibliothèque démocratique (p. 25-30).


II


Daniel Duclos s’était marié, comme la plupart se marient, sans connaître beaucoup la jeune fille à laquelle il se liait à jamais.

Mademoiselle Berthe Delormel était une orpheline pauvre, élevée par une aïeule malade et maussade. Sa situation malheureuse avait intéressé Daniel plus encore que sa beauté ne l’avait séduit ; car il avait l’âme dévouée : il voyait là un être à protéger ; il saurait se faire aimer à force d’affection ; et, à défaut d’une tendresse aussi profonde que la sienne, il espérait du moins trouver la reconnaissance.

Mais cette jeune fille qu’il croyait pure, qu’il croyait libre, s’était donnée déjà à un homme qu’elle aimait toujours et qui, lui, l’abandonnait pour épouser une dot.

C’était le comte de Givry, l’un de ces oisifs fastueux appelés rois de la mode, et dont tout Paris, le tout Paris élégant, s’entretint un moment, célébrant ses galantes aventures, ses duels et ses succès sur le turf.

Pendant que Daniel Duclos épousait Berthe Delormel, Raoul de Givry épousait Louise Rabourdet, la fille d’un marchand de coton, qui achetait à sa descendance, moyennant une dot princière, un titre et un blason.

Une fois mariée, Berthe, ardente et romanesque, voulut revoir Raoul, le ramener à elle.

Elle y parvint.

Daniel et Louise, natures élevées et constantes, furent alors impitoyablement sacrifiés aux passions impétueuses de ces deux êtres égoïstes et mobiles.

Louise, un peu passive, souffrit en silence jusqu’au jour où, se trouvant ruinée, insultée par son mari, elle demanda la séparation, pour conserver à son enfant les dernières épaves de sa fortune.

Daniel, lui, essaya de lutter, de ramener sa femme au devoir, de se faire aimer en redoublant de dévouement et de mansuétude. Il pardonna, et tenta de soustraire cette femme, qu’il adorait encore, malgré ses fautes, aux entraînements du vice. Mais ce cœur insaisissable lui échappa de nouveau ; elle fit plus, elle quitta son mari.

La situation de Daniel vis-à-vis du monde devenait désormais impossible. Il ne pouvait plus pardonner. Il plaida aussi en séparation et gagna sa cause. Mais que de péripéties, que de tortures avant d’en arriver là !

Avec des goûts calmes et modestes, il avait eu l’existence la plus tourmentée, la plus douloureuse ; son besoin d’affection, son dévouement n’avaient rencontré que la plus odieuse ingratitude, presque la haine.

Aussi accepta-t-il alors comme un bienfait véritable la tranquille amitié que lui offrit madame de Givry.

Mais on a vu comment cette amitié s’était changée bientôt en une violente et irrésistible passion.

À sa lettre désespérée, son ami s’empressa de répondre que la fuite seule pouvait le sauver.

— « On ne brise, lui disait-il, le magnétique de l’amour que par la séparation. »