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Le Docteur Herbeau/7

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Le Docteur Herbeau




VII.

Décidément, le Riquemont était jaloux. À partir du jour où il avait surpris le docteur Herbeau aux genoux de Louise, lui baisant les doigts et la comparant à Vénus, ç’avait été chez lui une idée fixe que le docteur Herbeau faisait la cour à Louison. Les gens que les idées visitent rarement se jettent avec avidité sur celles que le hasard leur présente ; ils s’y attachent, s’y cramponnent, et s’en dessaisissent difficilement. M. Riquemont avait d’autant mieux accueilli celle-ci, qu’elle rôdait depuis long-temps autour de son cœur, et qu’il était déjà, à son insu, familiarisé avec elle. Il avait commencé par en rire, mais ses soupçons, à peine éveillés, s’étaient presque aussitôt changés en certitude. Une fois sur la piste, le fin renard s’était tenu en observation, ne perdant pas de vue Aristide, épiant ses moindres gestes, commentant ses moindres paroles, toujours présent à ses visites ; et, bien que de son côté le docteur se tînt prudemment sur ses gardes, chaque visite avait illuminé d’un nouveau trait de lumière l’esprit clairvoyant du rusé châtelain.

Le premier mouvement de M. Riquemont avait été de provoquer Aristide, et de lui passer d’abord son grand sabre à travers le ventre. Mais la prévoyante nature avait pris soin de mitiger la férocité de cette ame par une forte dose d’amour-propre ; la crainte de jouer un rôle ridicule lui conseilla d’attendre, et de se venger sans éclat et sans bruit. Il savait d’ailleurs à quoi s’en tenir ; tout en s’exagérant les coupables intentions d’Aristide, il savait que le mal n’était pas allé loin, et je dois dire à la honte de cet homme abominable qu’il puisait ses motifs de sécurité moins dans la vertu que dans la santé de sa femme.

Au point où en étaient les choses, la position pouvait sembler embarrassante. Après l’avoir suffisamment abreuvé d’amertumes et de déboires de tout genre, il s’agissait de trouver un prétexte honnête pour jeter M. Herbeau à la porte. Rien n’était plus simple en apparence ni plus difficile en réalité. Pour rien au monde l’orgueilleux butor n’aurait consenti à s’avouer jaloux du vieux docteur. Reconnaître une pareille rivalité, en convenir vis-à-vis de sa femme, donner à M. Herbeau la satisfaction de croire qu’il avait pu troubler le grand Riquemont dans sa sécurité conjugale, étaient autant d’humiliations auxquelles sa vanité répugnait invinciblement. Il redoutait surtout de devenir la fable du pays et de compromettre la belle influence politique qu’il avait conquise dans son département. M. Riquemont jaloux du docteur Herbeau ! certes le cas eût été plaisant, et les malins esprits de la Vienne en auraient fait des gorges-chaudes. C’était là ce qu’il fallait éviter. Cependant que résoudre ? à quel parti se rendre ? Obliger, à force de mauvais procédés, l’ennemi à se retirer ? M. Riquemont avait tout épuisé, et le docteur ne semblait nullement disposé à déserter la place. Surprendre le coupable en flagrant délit amoureux ? au train dont allaient les choses, l’occasion pouvait ne se présenter jamais, ou du moins se faire long-temps attendre. Après de mûres réflexions, M. Riquemont avait pensé que le parti le plus convenable était de renvoyer l’amant sous le prétexte du médecin. On sait la façon dont il s’y prit auprès de Louise, comment il aborda la question, de quelle sorte il leva la séance. Il s’était bien attendu à quelque résistance ; mais il n’avait pas compté sur une telle obstination. Son humeur jalouse s’en irrita et faillit éclater. Il se retira furieux et ne doutant plus que sa femme ne fût complice du perfide.

Le grand air le calma et le ramena à des idées plus saines. Après quelques tours d’allées, il finit par se demander s’il était vraisemblable que Louise se fût laissé prendre avec ses vingt ans aux graces éclopées d’Aristide. Il est vrai qu’en songeant à l’étrange figure qu’il avait aperçue dans son miroir toutes les fois qu’il s’était fait la barbe, il convenait avec une impitoyable impartialité que la femme qui avait pu se résoudre à épouser un pareil visage, pouvait, sans beaucoup déroger, accueillir favorablement les hommages du vieux docteur. Puis il se rappelait ce qu’il avait entendu conter de l’influence des médecins sur leurs malades. À vrai dire, il ne savait trop que croire ni qu’imaginer. Ce qu’il y avait de plus clair en tout ceci, c’est que le docteur Herbeau lui était odieux pour toute espèce de raisons, qu’il le haïssait pour son esprit, pour ses manières, pour ses opinions, pour sa croix d’honneur, pour sa jument, pour sa culotte courte, pour ses bas de soie, pour sa perruque, pour ses boucles d’argent ; que tout en cet homme lui était souverainement antipathique, et qu’enfin il n’avait rien tant à cœur que de se débarrasser de cet hôte incommode. Mais là se reproduisait la difficulté dont nous parlions tout à l’heure. Vis-à-vis de lui-même, M. Riquemont avait bien un prétexte plausible et plus que suffisant ; malheureusement ce prétexte, l’orgueil lui commandait de le taire. Vis-à-vis du monde, vis-à-vis de Louise et du docteur Herbeau, il fallait un autre expédient qu’il put mettre en avant sans aventurer la dignité de son caractère. Congédier l’amant, c’était couronner la victime de myrtes et de roses ; une telle disgrace équivalait au triomphe le plus beau, tandis qu’en congédiant le médecin comme convaincu d’ignorance, M. Riquemont sauvait une défaite à son amour-propre, perdait son rival dans l’esprit public et le couvrait de honte pour la fin de ses jours. Mais à cela Louise avait répondu victorieusement : — Pourquoi vouloir remplacer le docteur Herbeau par le docteur Savenay, puisque le docteur Savenay, appelé en consultation, a rendu un éclatant hommage au talent du docteur Herbeau ? — Que répliquer ? le rustre en perdait la tête.

Le lendemain, il se leva de grand matin, et, après avoir visité ses écuries et ses étables, il fit seller un cheval et partit pour Saint-Léonard. Il mit pied à terre à la porte de M. Savenay. Le jeune homme le reçut avec une grave cordialité, sans contrainte et sans empressement.

— Je viens, lui dit M. Riquemont, déjeuner avec vous et parler d’affaires.

— Je suis tout à vous, monsieur, répondit le jeune docteur.

On déjeuna, car partout où se trouvait M. Riquemont, on dînait ou on déjeunait. Vers la fin du repas, le châtelain s’accouda sur la table, et après avoir vidé préalablement un grand verre de vin :

— Jeune homme, dit-il, je vais vous entretenir de choses graves.

— Monsieur, je vous écoute, répondit M. Savenay en croisant les bras sur sa poitrine.

M. Riquemont promena lentement sa langue sur ses moustaches rousses et hérissées comme l’enveloppe d’une châtaigne.

— Jeune homme, dit-il enfin, que pensez-vous du docteur Herbeau ?

— Je pense, comme vous, monsieur, répondit M. Savenay, que le docteur Herbeau est l’honneur de cette ville. Je le tiens pour un galant homme, pour un modèle d’urbanité, de grace et de savoir-vivre, pour un de ces rares esprits, charmans et naïfs, dont le type s’efface chaque jour et se perdra bientôt parmi nous, pour un de ces hommes enfin qu’on ne saurait entourer de trop d’estime ni de trop de respect.

— Excusez du peu ! dit M. Riquemont en remplissant son verre. Et comme médecin ?

— Comme médecin, monsieur, répliqua M. Savenay, le docteur Herbeau jouit d’une réputation acquise et justifiée par vingt ans de nobles travaux. Vous avez entendu ma profession de foi, le jour où j’eus l’honneur d’être appelé par vous en consultation au château de Riquemont ; cette profession de foi, je suis prêt, si vous le souhaitez, à la renouveler à cette heure.

— Ah çà ! mon petit, s’écria le châtelain d’un ton familier et goguenard, vous me la donnez belle ! Nous ne sommes point ici en consultation ; gardez ce langage académique pour une occasion meilleure. Le vin est bon, rien ne nous presse ; parlons franchement et à cœur ouvert. Voulez-vous que je vous dise, moi, ce que vous pensez du docteur Herbeau ? Vous pensez que c’est une vieille bête.

— J’imagine, monsieur, que vous voulez parler de Colette, répondit froidement le jeune docteur.

M. Riquemont demeura quelque temps interdit sous le regard glacé de l’amphitryon. Il vida son verre et reprit :

— Voyons, sérieusement, entre nous, pensez-vous ce que vous dites ?

— J’ai pour habitude de penser tout ce que je dis.

— Eh bien ! jeune homme, vous êtes dupe ! s’écria M. Riquemont en donnant sur la table un grand coup de poing qui fit vaciller les flacons. Vous êtes dupe, vous dis-je ! Savez-vous comment le docteur Herbeau, lorsqu’il vous croyait mort, s’est exprimé hier sur votre compte ? Savez-vous ce qu’a dit le docteur Herbeau ? monsieur, le savez-vous ? Non, vous ne le savez pas, vous ne le saurez jamais, car je n’oserai le redire, je connais trop le respect que l’on doit à votre personne. Il a dit que vous étiez une ganache.

— Soyez sûr, monsieur, que le docteur Herbeau n’a pas dit cela, affirma M. Savenay avec assurance.

— C’est moi qui l’ai dit, répliqua M. Riquemont un peu troublé, mais pour le lui faire répéter.

— Vous avez eu tort, monsieur, ajouta le jeune homme en souriant. Rappelez-vous les paroles du Christ : Vous ne tenterez pas votre Dieu. Mais brisons là. M. Herbeau me croyait mort, il m’a pu juger sévèrement. L’Égypte en faisait autant de ses rois ; j’aurais mauvaise grace à me plaindre.

— Mais vous ne savez pas tout ce qu’a dit le vieux scélérat ! s’écria le châtelain avec rage. Il s’est réjoui de votre mort.

— Permettez-moi de n’en rien croire.

— Il a prétendu que vous n’étiez pas grand’chose de bon.

— C’est tant pis pour moi.

— Que vous étiez un faiseur d’embarras !

— La chose est possible.

— Un faquin !

— Comme il vous plaira.

— Un espion de la police !

— Cessons, monsieur, ces enfantillages. Quelle que soit l’opinion que le docteur Herbeau professe à mon égard, elle ne saurait modifier en rien celle que j’ai de son esprit, de son caractère et de son mérite.

M. Riquemont se mordit les lèvres et resta silencieux, déconcerté par ce ferme langage et par cette digne attitude.

— Jeune homme, reprit-il au bout de quelques instans, souffrez que je vous adresse une question qui pourra d’abord vous sembler indiscrète, mais qui vous prouvera le sérieux intérêt que je vous ai voué. Êtes-vous riche ?

— Ma pauvreté ne doit rien à personne, répondit le jeune docteur.

— Vous êtes pauvre ?

— Oui.

— Et vous voulez faire fortune ?

— Non.

— De par tous les diables ! vous êtes fou, monsieur, s’écria le châtelain avec humeur. Qu’êtes-vous donc venu chercher à Saint-Léonard, et quel but vous proposez-vous ici-bas, si ce n’est l’argent et la fortune ? La fortune, monsieur, vous en parlez bien à votre aise. C’est la grande affaire de la vie, c’est la vie, la vie tout entière. Que faire en ce bas monde, si l’on n’y fait fortune ? La fortune ! ah ! vous n’en voulez pas. Je la garde ; merci !

— Voyons, monsieur, où voulez-vous en venir ? demanda M. Savenay en laissant échapper un geste d’impatience.

— À vous dire, monsieur, que votre fortune, cette fortune que vous dédaignez, est entre mes mains, et qu’il dépend de vous de la voir passer dans les vôtres.

— En vérité, je ne vous comprends pas, dit M. Savenay d’un air étonné.

— Vous allez me comprendre. Étranger à Saint-Léonard, vous avez à lutter contre un homme qui, depuis vingt ans, a l’unique privilége de tuer en ce pays ; on est fait à sa manière, et, bien que je vous croie fort habile, vous aurez de la peine à le détrôner. N’oubliez pas son fils, qu’il ne va pas manquer d’appeler à son aide pour l’opposer à vos débuts. C’est un niais, il réussira ; vous êtes un garçon d’esprit, votre succès est incertain ; toujours est-il qu’il vous faudra long-temps l’attendre, combattre tous les jours avec acharnement, gagner pied à pied le terrain. Eh bien ! moi, je vous offre l’occasion de rafler sur-le-champ, d’un seul coup, la clientèle du père et du fils. Cela vous va-t-il ?

— De grace, expliquez-vous, s’écria M. Savenay, qui de l’étonnement arrivait à l’ébahissement.

— Je vais m’expliquer, dit M. Riquemont.

Il but un verre de rhum, passa sa main sur ses moustaches, puis, élevant la voix et d’un ton solennel :

— Je suis riche, moi, reprit-il. Mon bon ami, tel que vous me voyez, j’ai trente petites mille livres de rentes au soleil. Ajoutez-y une influence politique qui s’étend à vingt lieues à la ronde. Je représente le parti libéral dans mon département. Les tyrans me redoutent, les vicaires tremblent à ma vue, les jésuites ont juré ma mort. Je corresponds avec le Constitutionnel.

À ce nom, M. Savenay s’inclina.

— C’est ainsi que j’ai l’honneur de vous le dire, poursuivit le châtelain. Je suis roi de la contrée. Je tiens Saint-Léonard comme une pièce de cent sous dans ma main ; j’en puis disposer à ma guise. Cela est si vrai, jeune homme, que, s’il me prenait fantaisie de retirer aujourd’hui la clientèle du château au docteur Herbeau, le docteur Herbeau n’aurait pas demain six pratiques dans la ville et aux environs ; me comprenez-vous maintenant ?

— Pas le moins du monde, dit M. Savenay.

— Comment, ventrebleu ! vous ne comprenez pas que je vous aime et que je vous veux du bien ! s’écria M. Riquemont. Oui, jeune homme, je l’avoue, je vous aime ; tout me plaît en vous. Nous avons les mêmes goûts, les mêmes idées, les mêmes opinions. Je vous ai tout de suite aimé, rien qu’en voyant votre cheval. Vous m’intéressez : je sais que vous avez, dans quelque coupe-gorge de la Creuse, une vieille bonne femme de mère qui vous pleure, une jeune fillette de sœur qui, faute de dot, ne peut se marier. Eh bien ! votre vieux Riquemont veut réunir la mère et le fils et donner un mari à la fille. Docteur Savenay, déclarez que votre confrère n’entend rien à la maladie de ma femme, et, dès aujourd’hui, je congédie le docteur Herbeau, je vous offre la clientèle du château et vous confie la santé de Louise.

Ayant ainsi parlé, M. Riquemont se frotta les mains d’un air triomphant et satisfait.

— Je vous comprends, monsieur, répondit M. Savenay. Croyez que je suis profondément touché de l’intérêt que vous voulez bien prendre à ma destinée. Vous me voyez heureux et confus des sentimens affectueux que vous avez daigné m’exprimer. Quant à la position que vous m’offrez, j’apprécie, n’en doutez pas, tout ce qu’elle a pour moi d’honorable et d’avantageux ; mais je ne saurais l’accepter.

— Vous refusez ! s’écria M. Riquemont.

— Je refuse, répliqua M. Savenay.

En cet instant, la conversation fut empêchée par un épouvantable vacarme qui ébranla tout à coup les vitres du jeune docteur. C’était un bruit d’instrumens tel que les murs de Jéricho n’en entendirent pas de pareil. S’étant approché du balcon pour voir ce que ce pouvait être, M. Savenay aperçut sous ses fenêtres un groupe de grotesques musiciens qui, aussitôt qu’ils le reconnurent, interrompirent brusquement l’ouverture de la Caravane pour attaquer vigoureusement le grand air de triomphe de la Muette. Une foule compacte encombrait les boulevarts, et quelques cris de : Vive le docteur Savenay ! éclatèrent çà et là dans les rangs. M. Savenay se retira du balcon et demanda d’un air irrité ce que signifiait cette plaisanterie. Son domestique lui répondit que c’était une sérénade que lui donnait la musique de la ville. En effet, la nouvelle du retour du jeune docteur, qu’on avait cru mort, s’étant répandue dans Saint-Léonard, ses partisans avaient décidé qu’on lui donnerait une sérénade en signe de félicitation et de réjouissance, mais, en réalité, à cette seule fin d’humilier le docteur Herbeau.

— Voilà qui m’est souverainement déplaisant, dit M. Savenay visiblement contrarié. Messieurs, ne sauriez-vous aller faire plus loin votre tapage ! ajouta-t-il en reparaissant à la fenêtre.

Mais sa voix fut étouffée par l’enthousiasme de la grosse-caisse. L’orchestre se composait de deux trompettes, de quatre violons, d’un tambour et d’une clarinette. Mme Saqui, alors en représentation à Saint-Léonard, ainsi que nous l’avons dit, avait prêté sa grosse caisse, ses cymbales et deux chapeaux chinois. Parmi les exécutans, on remarquait surtout le gendarme Canon, qui soufflait de toute la force de ses poumons dans une trompette fêlée. Lorsque M. Savenay se montra de rechef au balcon, il fut salué par l’air de : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?

— Allez tous au diable ! leur cria-t-il en fermant sa croisée avec colère.

M. Riquemont ne se sentait pas d’aise.

— J’aime à voir les populations honorer ainsi le vrai mérite, dit-il en rouvrant la fenêtre. Jeune homme, laissez mon cœur, mes yeux et mes oreilles se repaître de ce touchant spectacle et de cette douce harmonie. Bien ! mes amis, bien ! s’écria-t-il en jetant quelques gros sous que se disputèrent deux ou trois petits ramoneurs, en criant : Vive monsieur Savenay ! vive monsieur Riquemont !

— Que diable ! monsieur, dit le jeune homme en l’arrachant de la fenêtre, qu’il referma violemment, tout ceci n’a pas le sens commun, et, si cette scène devait se renouveler, je quitterais sur-le-champ Saint-Léonard pour ne plus y rentrer. Je prétends ne point servir de jouet et de prétexte à la sottise des méchans. Pour qui me prend-on ici ? Je n’ignore pas que cette sérénade est un charivari à l’adresse du docteur Herbeau, et je tiens à ce qu’on sache que je rougis d’un pareil hommage.

Cependant la musique allait son train. Pour compléter l’affaire, une petite fille vêtue de blanc, blonde et rose comme un chérubin, jambes et bras nus, petits pieds chaussés de brodequins mignons, entra dans la salle à manger et s’avança gentiment vers le jeune docteur, qui reconnut Mlle Atala d’Olibès, la fille de la directrice de la poste aux lettres. Elle tenait d’une main une couronne d’immortelles et de l’autre un énorme bouquet de dahlias, si gros que c’était le bouquet qui semblait porter la belle enfant. Elle l’offrit à M. Savenay, et, d’une voix fraîche et argentine comme le murmure d’un clair ruisseau, elle gazouilla ce compliment :

Hier, je pleurais votre trépas ;
Mais ce matin, avant l’aurore,
Un dieu me dit : Ne pleure pas,
Monsieur Savenay vit encore.
À ces mots, je cours au jardin
Moissonner les présens de Flore,
Pour les offrir au médecin
Qu’en ces lieux tout le monde honore.
De ces beaux dahlias la fraîcheur
Se flétrira, douleur extrême !
Voici le véritable emblème
Des sentimens de notre cœur.

Et, à ce dernier vers, elle tendit la couronne d’immortelles au jeune docteur.

— C’est charmant ! ravissant ! étourdissant ! s’écria M. Riquemont. Je n’ai jamais rien entendu de pareil.

— C’est en effet très joli, dit M. Savenay, qui ne put s’empêcher de sourire.

— Tiens, mon petit ange ! voici de quoi acheter des dragées, ajouta M. Riquemont en lui présentant un gros sou tout souillé de vert-de-gris.

— Est-ce que j’ai besoin de votre argent, gros vilain ! dit Mlle d’Olibès en lui jetant son morceau de cuivre à la tête.

M. Savenay prit l’enfant sur ses genoux, la caressa avec bonté, et la renvoya à sa mère les poches bourrées de friandises et de biscuits. Près de se retirer :

— Monsieur, dit-elle, voulez-vous que je vous récite une fable ?

La cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue…

— Va, mon enfant, va, ta poupée t’attend, dit le jeune homme en la reconduisant par la main jusqu’au bas de l’escalier. Il est impossible, s’écria-t-il en rentrant, de rien voir de plus burlesque ni de plus ridicule que ce qui se passe ici depuis un quart d’heure. J’ai donné ordre qu’on bridât nos chevaux ; si vous y consentez, monsieur, nous irons faire un tour hors de la ville, car, en vérité, la place n’est pas tenable.

— Docteur Savenay, dit M. Riquemont, je veux bien aller avec vous faire un tour hors de la ville. Votre modestie souffre, je le conçois…

— Ma modestie ! s’écria M. Savenay avec emportement ; ah ça ! monsieur, êtes-vous complice de tous ces imbéciles et vous moquez-vous de moi ?

— Calmez-vous, jeune homme, reprit le châtelain ; je veux dire seulement que ce qui se passe est plus sérieux que vous ne semblez le croire. Quel que soit le motif qui préside à ces démonstrations, le moment est favorable pour frapper un grand coup. Dites un mot, je congédie le docteur Herbeau, et tout Saint-Léonard est à vous.

— Non, non, mille fois non ! s’écria le jeune homme en frappant du pied le parquet, car il était au bout de sa patience : ce mot, je ne le dirai point. Je ne veux pas de la fortune à ce prix, et, si vous voulez que je vous parle franchement, j’oserai vous avouer, monsieur, que je vous juge ingrat, car les services du docteur Herbeau méritent une autre récompense que celle que vous leur réservez.

À ces mots, il prit sa cravache, descendit précipitamment l’escalier et sauta sur son cheval, qui l’attendait depuis quelques instans dans la cour. Suivi de M. Riquemont, il passa fièrement devant le bruyant orchestre, sans jeter un regard aux exécutans qui, en le voyant paraître, avaient entamé, les uns l’ouverture de Lodoïska, les autres la marche de Moïse.

Une fois hors de Saint-Léonard, le châtelain revint à la charge, mais vainement ; M. Savenay fut inflexible, et tous deux se séparèrent à mi-chemin de Riquemont, médiocrement satisfaits l’un de l’autre.

M. Riquemont s’en retourna, d’autant plus acharné contre le docteur Herbeau, qu’il ne savait comment s’y prendre pour se débarrasser de cet homme. Tout le bien que lui en avait dit le jeune docteur n’avait fait qu’envenimer son humeur irascible et jalouse. On se tromperait, d’ailleurs, si l’on pensait que M. Savenay se fût aliéné en ce jour les bonnes grâces du châtelain. La nature grossière du Riquemont n’était pas inaccessible au sentiment du juste et de l’honnête. La noble contenance de notre jeune ami lui avait singulièrement imposé, et, tout en s’irritant de son refus, le rustre n’avait pu s’empêcher d’en apprécier la délicatesse et d’en admirer le désintéressement. Mais plus son cœur le portait vers le jeune médecin, plus il ressentait d’aversion pour le vieux, et M. Savenay, par sa belle conduite, n’avait réussi qu’à porter un dernier coup à son infortuné confrère.

M. Riquemont éprouvait le besoin de rafraîchir son ame brûlante par des émotions douces et patriarcales. Avant de rentrer au château, il s’arrêta dans la prairie où ses chevaux et ses poulains pâturaient en liberté. Ils étaient tous là, ses amours, errant ou mollement étendus sur l’herbe, au soleil, à l’ombre des chênes. À cet aspect, son cœur soulagé se gonfla de satisfaction et son regard rayonna d’orgueil. Il resta long-temps au milieu d’eux, comme un pacha dans son harem, allant de l’un à l’autre, de celui-ci à celui-là, les flattant de la main, leur parlant, les baisant au front, les examinant des pieds à la tête avec une sollicitude amoureuse. À sa voix bien connue, les poulains familiers accouraient en bondissant, puis s’échappaient brusquement en gambades charmantes, tandis que, sur son passage, les chevaux, couchés sur le gazon, allongeaient le col et tournaient vers lui leurs grands yeux caressans. Ils avaient tous un nom de son choix. Or, la chose est assez curieuse pour valoir la peine d’être contée. Croirait-on que ce diable d’homme, comme s’il eût voulu fondre en une seule les deux passions qui partageaient sa vie, l’hippomanie et le libéralisme, avait choisi à chacun de ses élèves un parrain parmi les membres de l’opposition ? En un mot, pour baptiser ses chevaux, il s’était servi du tableau de la chambre des députés en guise de calendrier. Chaque animal était nommé suivant son mérite. Aux plus fringans, aux plus ardens, aux plus vigoureux, aux plus aimés enfin, appartenaient les noms les plus formidables de l’extrême gauche. Ceux qui venaient ensuite, d’un sang moins généreux, d’une race moins pure, représentaient les consciences douteuses et les flottantes opinions. Enfin, comme il se trouvait dans le nombre quelques anciens serviteurs, fourbus ou couronnés, dont on tolérait la vieillesse, ceux-là portaient les noms les plus vénérables de l’extrême droite. Grâce à cette ingénieuse invention, M. Riquemont en était arrivé à identifier les filleuls et les parrains, de telle sorte qu’aux jours de visite, en parcourant les rangs de ses élèves, il les apostrophait tous par un nom célèbre, distribuant à chacun l’éloge, l’encouragement ou le blâme, selon que le parrain s’était montré plus ou moins féroce aux dernières séances de la chambre.

— Bien, mon garçon ! disait-il à l’un. — Bravo, mon fils ! criait-il à l’autre. Vous avez bien mérité du pays ! — Toi, mon vieux, tu fléchis, tu baisses ! — Toi, là-bas, mon petit, tu me fais l’effet de vouloir tourner casaque ! Allons ! mes enfans, courage ! l’horizon politique se rembrunit. La mère-patrie vous tend les bras, et demande que vous brisiez ses fers. — Et vous, vieillards, ajoutait-il en s’adressant aux membres décrépits de la droite, vil troupeau de tyrans et d’esclaves, rangez-vous, faites place à la liberté qui s’avance. — Et, ce disant, il leur administrait par-ci par-là quelques bons coups de cravache, si bien qu’un jour un de ces vieillards, rajeuni par l’outrage, lui détacha dans le ventre une ruade qui vous le mit au lit pour deux mois.

On pense bien que M. Riquemont ne se livrait à ces excentricités qu’en ses jours de gaillarde humeur. Cette fois, il s’abstint de toute démonstration politique. D’ailleurs, étant parti de grand matin, il n’avait pas lu son journal, et ne savait à quoi s’en tenir sur les destinées de la France. Après avoir fait la revue de ses élèves, de ses enfans, comme il les appelait, il alla s’asseoir au pied d’un hêtre et laissa errer autour de lui un regard triste et mélancolique. Certes, le pèlerin n’était pas élégiaque, et ce n’est pas lui qu’on accusera de promener sa douleur sur les lacs et de confier sa plainte aux échos du rivage. Eh bien ! en cet instant, il sentit son cœur de granit se fendre et près d’éclater. Il se rappela le temps où, libre de toute préoccupation étrangère a ses goûts et à ses instincts, il s’abandonnait exclusivement à la culture de ses terres et à l’éducation de ses poulains : temps heureux où son ame de faune et de centaure ignorait les tourmens de la jalousie et ne connaissait d’autres soucis que les variations de l’atmosphère et l’amélioration de la race chevaline ! Il savoura longtemps le miel de ses souvenirs ; puis, en repassant dans son esprit les derniers jours qui venaient de s’écouler, en songeant que c’était le docteur Herbeau qui avait empoisonné ce paisible bonheur, sa rage, un instant assoupie, se réveilla plus vive et plus terrible, et le miel des souvenirs se changea en flots d’amertume qu’il jura de faire avaler au perfide Herbeau jusqu’à la dernière goutte. Il se leva avec colère, remonta sur son cheval, et gagna le château d’un air sombre.

Cependant le cœur de Louise était plein d’orages. À l’idée que M. Savenay pouvait remplacer le bon Aristide, sa jeune ame se mourait d’épouvante. La pauvre enfant s’était bien interrogée depuis la veille : à force de s’interroger, Louise avait fini par comprendre ce qui se passait en elle, d’où lui venaient ce trouble et cet effroi. Elle s’était avoué qu’elle avait peur d’aimer, elle aimait.

Cette découverte la jeta dans un vrai désespoir. Avant d’être une honnête et charmante femme, Louise avait été une brave et noble fille, chaste et pure autant que belle. Morte à la fleur de l’âge, sa mère ne lui avait laissé que de bons exemples. Son éducation avait été religieuse. Son aïeule, aimable et pieuse, l’avait élevée saintement dans la solitude. Jamais les mauvais bruits du monde n’étaient parvenus jusqu’à elle. Aucune image décevante n’avait voilé le ciel de ses jeunes années. Aucune lecture malfaisante n’avait inquiété sa joyeuse ignorance. Elle s’était mariée sans se douter de l’amour, sans imaginer qu’il pût exister un autre sentiment que celui qu’elle éprouvait pour son mari, un autre bonheur que l’accomplissement de ses devoirs, convaincue que tous les maris ressemblaient à M. Riquemont, et tous les mariages au sien. Plus tard, la tristesse et l’ennui, l’imagination et les sens s’éveillant, quelques livres aussi, dérobés aux regards du maître et dévorés en cachette, durant les soirées d’hiver, sous le manteau de la cheminée, tandis que le vent sifflait aux portes et que le grillon chantait dans les fentes de l’âtre, lui avaient bien révélé de vagues horizons qui ne ressemblaient en rien à ceux qui bornaient la vue du château de Riquemont ; mais ces horizons, ces plages inconnues, ne lui étaient apparus que flottant au loin dans la brume des rêves, et jamais elle n’avait songé qu’elle put y aborder un jour. Ce nouveau monde que nous cherchons tous, comme Christophe Colomb, patrie mystérieuse vers laquelle nous pousse incessamment le curieux instinct de notre divine nature, elle l’avait entrevu, mais confusément et sans le chercher ailleurs que dans le ciel. Elle croyait sa vie close ici-bas et n’attendait rien sur la terre. Elle s’était sentie dépérir sans connaître le mal qui la consumait. Elle avait vu sa jeunesse pâlir, sans savoir, sans se demander d’où soufflait le vent qui la flétrissait avant l’âge.

Lorsque l’amour éclata dans son cœur, lorsque Louise comprit qu’elle aimait, elle fut saisie d’un grand remords, et toutes les pieuses voix qui avaient bercé son enfance s’élevèrent pour la maudire. Dans son innocence, elle s’exagérait son crime. Elle se jugeait déjà épouse infidèle et parjure. — Pourtant, mon Dieu ! ce n’est pas ma faute, s’écriait-elle avec désespoir. Je ne prévoyais rien, je ne me doutais de rien. Je ne sais pas comment cela s’est fait. Mon Dieu ! ne m’abandonnez pas, et je triompherai des coupables pensées qui m’assiégent. — Elle pleurait et se tordait les bras. Quoique faible et n’en pouvant plus, elle s’échappa de sa chambre, de cette chambre que le jeune homme absent remplissait tout entière. Mais elle retrouva partout l’image qu’elle voulait fuir. Partout elle le voyait pâle, défait, sanglant, tel qu’il s’était présenté à elle le jour de ce funeste orage. Partout elle entendait sa voix grave, affectueuse et parfois tendre. En dépit d’elle-même, elle se racontait heure par heure, instant par instant, les jours enchantés qu’ils avaient passés ensemble. Elle s’enivrait, à son insu, du charme de son repentir.

Le sentiment du devoir l’emporta. Après bien des larmes et des déchiremens intérieurs, Louise décida que non-seulement M. Savenay ne pouvait remplacer le docteur Herbeau, mais encore qu’elle ne devait plus le revoir. Elle irait donc noblement à son mari et lui confesserait à genoux le trouble et l’effroi de son cœur, le priant de lui pardonner et de la sauver d’elle-même. Ce parti pris une fois, elle se sentit plus calme et mieux avec sa conscience.

Le lendemain, elle se leva de bonne heure pour accomplir sa résolution. Lorsqu’elle fit demander M. Riquemont, son pauvre cœur battit bien fort et ses jambes se dérobèrent sous elle. Elle ne savait plus où elle avait pris le courage d’un si hardi dessein. Elle était toute pâle et toute tremblante. On vint lui dire que M. Riquemont était parti de grand matin pour Saint-Léonard, et qu’il ne reviendrait que le soir. À cette nouvelle, la jeune femme se sentit soulagée d’un grand poids. C’était un jour de gagné : peut-être le soir n’arriverait pas.

Le soir arriva vite. Au bruit des pas de M. Riquemont, Louise tressaillit, et toute force l’abandonna. M. Riquemont n’entra pas dans la chambre de sa femme et resta dans la salle voisine. Louise, l’ayant vainement appelé, se résigna à l’aller trouver. Il se promenait de long en large, et n’accorda pas la moindre attention à Louise, qui le regardait d’un air inquiet. Elle essaya de lui parler, il lui répondit en sifflant. La pauvre enfant avait de grosses larmes dans les yeux. M. Riquemont s’étant assis, elle alla s’appuyer craintivement sur son épaule ; puis, se laissant glisser furtivement entre ses genoux, elle se prit à le regarder d’un air humble, timide et suppliant, comme une blanche levrette qui demande grâce à son maître. Le maître laissa tomber sur elle un regard superbe et dédaigneux.

— Mon ami, dit-elle enfin d’une mourante voix, j’ai bien réfléchi à ce que vous m’avez proposé hier, et je vous dois, je me dois à moi-même de vous déclarer encore une fois que cela ne se peut pas. Mon ami, daignez m’écouter.

M. Riquemont s’était levé brutalement. Louise s’attachait à ses genoux.

— J’ai besoin, s’écria-t-elle, de toute votre indulgence.

— Comment ! mille millions de tonnerres ! s’écria M. Riquemont en éclatant comme une bombe, il est donc écrit là-haut que je n’aurai pas un instant de repos ici-bas ! Comment ! vous allez encore me casser la tête de cette sotte affaire ! Malheur à qui a jeté la discorde dans ma maison ! Je me vengerai, mille diables ! Quant à vous, madame, rentrez dans votre appartement.

À ces mots, il sortit en brisant les portes.

Louise rentra dans sa chambre et fondit en pleurs. Telle était donc la récompense de ses pieuses intentions ! Mais la noble enfant ne se laissa pas décourager par ce premier échec ; elle ne cherchait pas un prétexte à sa faiblesse, mais un appui, une sauvegarde. Elle imposa silence aux rébellions de son amour-propre offensé, et, moins jalouse de sa dignité que de son salut, elle employa une partie de la nuit à écrire à son mari ce qu’il avait refusé d’entendre. Ce fut une lettre touchante, telle que nul ne saurait l’écrire, adorable dans ses aveux, dictée par un sentiment ingénu, plus charmant et plus méritoire que l’irréprochable vertu. La candeur et l’effroi d’une ame timorée s’y révélaient à chaque ligne. C’était le cri d’une conscience troublée, plus précieuse et plus respectable que l’austère innocence en sa sécurité.

Le lendemain, après avoir fait remettre par un serviteur cette lettre à M. Riquemont, Louise attendit la réponse avec anxiété. Elle connaissait le caractère emporté de son mari, son humeur atrabilaire, ses susceptibilités étroites. D’ailleurs, elle se sentait coupable vis-à-vis de lui, vis-à-vis d’elle-même ; aussi, pour prix de ses aveux, la mort lui aurait semblé douce. Au bout d’une heure, les pas lourds et pesans de M. Riquemont se firent entendre. L’innocente coupable recommanda son ame à Dieu et s’apprêta à mourir. M. Riquemont parut ; il tenait à la main la lettre de sa femme. Louise baissa la tête et attendit l’arrêt de son juge. Après un long silence, durant lequel il tint Louise palpitante sous son regard :

— Il ne manquait plus que cela ! s’écria-t-il d’un ton ironique ; vous m’écrivez ! Je vais être obligé d’établir à Riquemont une petite poste pour desservir notre correspondance ! Je suis en effet un mari si terrible et si redoutable ! Vous allez voir que j’interdis à madame la liberté de la parole.

— Mon ami, dit Louise sans lever les yeux, j’ai voulu vous parler hier, et…

— Eh bien ! vous en ai-je empêchée ? ai-je refusé de vous entendre ? mais vous avez préféré m’écrire. Cela flattait vos goûts romanesques.

— Mon ami…

— Vous êtes romanesque, ne vous en défendez pas. Vous avez des prétentions au beau style, voici long-temps que je m’en aperçois. Avant qu’il soit peu, vous écrirez de petits chefs-d’œuvre. Puis vous publierez vos mémoires. Voilà qui me plaît dans une femme ! Je prétends, au jour de votre fête, vous faire présent d’une bouteille d’encre et d’un paquet de plumes d’oie.

— Mon ami, dit Louise, avez-vous lu la lettre que je vous ai adressée ?

— Moi ! s’écria M. Riquemont ; halte-là ! je ne veux pas de la liberté de la presse dans mon ménage. J’attendrai, pour lire vos lettres, que vous les écriviez en vers.

Et, parlant ainsi, il mit en pièces le papier qu’il tenait à la main.

— Ainsi, monsieur, demanda Louise, vous n’avez pas lu cette lettre ?

— Non, madame, répliqua M. Riquemont, et je réserve le même sort à toutes celles que vous voudrez bien m’adresser. Sachez, d’ailleurs, que quoi que vous puissiez écrire et dire, vous ne changerez rien à mes décisions ; ce que Riquemont veut, Dieu le veut.

À ces mots, il se retira tout fier de sa belle équipée.

— Seigneur ! s’écria la jeune femme ; puisque mon mari me repousse et m’abandonne, qui me sauvera, si ce n’est mon vieil ami, le bon Aristide Herbeau ?

Hélas ! jeune imprudente, implorez un autre appui ! car mieux vaudrait à la colombe éperdue se réfugier entre les griffes d’un vautour, mieux vaudrait à la gazelle harcelée par les chiens des chasseurs s’abriter dans la gueule d’un loup affamé.

Aristide Herbeau n’est plus reconnaissable. Ne cherchez plus le bon Aristide ; notre héros s’est transfiguré. Ses mouvemens sont brusques, son geste est prompt, sa voix impérieuse, sa parole saccadée, sa démarche belliqueuse. Son regard étincelle ; son front est chargé de tempêtes. Ce n’est plus le docteur Herbeau ; c’est un lion rugissant, c’est un sanglier blessé. Jeannette se demande ce qu’est devenu son maître ; Adélaïde, son mari. Colette elle-même ne reconnaît plus le poids accoutumé. Ses flancs frissonnent sous l’éperon et ses oreilles se dressent avec étonnement aux sifflemens aigus de la cravache. Adélaïde, Jeannette et Colette ne savent qu’imaginer. Vainement l’épouse interroge l’époux ; vainement elle s’alarme du long retard de Célestin. Le docteur Herbeau n’est plus ni époux ni père. Il ne vit et ne respire que pour la vengeance.

Cependant le jour de la sérénade avait été assez fatal à la maison Herbeau pour qu’il fût permis de s’en inquiéter. On sait que depuis long-temps cette maison tremblait sur sa base, et qu’il ne fallait plus qu’un grand coup de vent pour la jeter à bas. M. Riquemont avait dit vrai : il n’y avait que son patronage apparent qui la retînt encore dans sa ruine et l’empêchât de crouler comme un château de cartes. On s’étonnait avec raison que Célestin ne vînt pas disputer son héritage à l’ambition du nouveau médecin. Déjà des bruits fâcheux, auxquels Mme d’Olibès n’était pas étrangère, couraient dans la ville sur le jeune absent. On assurait qu’à cause de sa constitution débile et de sa timidité naturelle qu’il n’avait pu vaincre, Célestin était à jamais perdu pour la science. On ajoutait que c’était par vanité et par orgueil que les parens retardaient son retour. Il est vrai qu’on prétendait d’autre part que Célestin avait réalisé glorieusement toutes les espérances de sa famille, et qu’il allait bientôt apparaître radieux, comme un jeune guerrier armé de pied en cap, pour venger l’honneur et les intérêts de son père. Malheureusement, les bruits que sème la bienveillance n’éveillent point d’échos et meurent bientôt à la peine, tandis que les autres courent, prospèrent, grossissent, grandissent, choyés, caressés, nourris par la charité publique. Au milieu de toutes ces rumeurs, éclata, comme un obus entre les jambes du docteur Herbeau, le double incident de la mort et de la résurrection du jeune docteur. Depuis quelques jours, on commençait à se moins préoccuper de M. Savenay. Cet épisode réveilla dans toutes leurs fureurs les sympathies et la curiosité qui faisaient mine déjà de s’assoupir.

La nouvelle de la mort du jeune étranger avait remué tous les esprits. Nous sommes obligé d’avouer que Mme Herbeau ne chercha point à dissimuler la joie qu’elle en éprouvait. Quant au docteur, bien que nous l’ayons vu tomber dans le piége de M. Riquemont, nous devons dire qu’il s’en affligea sincèrement, et qu’il alla même jusqu’à gourmander vertement l’allégresse d’Adélaïde. Il y eut à ce sujet une scène assez vive entre les deux époux. Toujours est-il que, durant quatre jours, M. Savenay avait passé pour mort à Saint-Léonard. Chacun racontait la catastrophe à sa manière. Les uns soutenaient qu’il avait été foudroyé sous un chêne ; les autres, que son cheval l’avait jeté sur un tas de pierres ; d’autres, qu’il avait été emporté par une trombe. Enfin, on apprit, à n’en pouvoir douter, que son cadavre venait d’être retrouvé dans la Vienne, près du moulin de Champ-fleuri. Le fait était attesté par M. Grippard, huissier, qui le tenait du percepteur, lequel se l’était laissé dire par un rat de cave qui le savait d’un cabaretier. Rien n’était plus sûr ni plus authentique. Quatre garçons meuniers devaient, le soir même, rapporter sur un brancard les restes mortels à la ville. Saint-Léonard s’était mis en mesure de rendre quelques honneurs au défunt. On avait fait creuser un grand trou dans le cimetière, et, vers les quatre heures de l’après-midi, les cloches se prirent à se lamenter. Après avoir bien dîné, Saint-Léonard se leva de table et se répandit sur la route de Champfleuri pour voir arriver le cadavre. Mais voilà bien une autre tête ! le noyé ressuscite ! Au lieu de M. Savenay mort, porté sur un brancard par quatre garçons meuniers, on le vit arriver vivant, sain et sauf, à cheval. Il fendit la foule ébahie au grand trot et ne s’arrêta qu’à sa porte, où l’attendait son enterrement. Qui fut bien désappointé ? Mme Herbeau d’abord, puis les chantres de la paroisse et un poète de Saint-Léonard qui avait composé une ode sur le trépas du jeune médecin.

On imagine aisément de quel intérêt romanesque dut se voir entouré l’étranger. On sut bientôt que, tandis qu’on le croyait flottant sur les eaux de la Vienne et pêché sous les roues d’un moulin, il était installé au château de Riquemont, hébergé comme l’ami de la maison. Le lendemain, la sérénade et la visite du châtelain complétèrent l’ovation commencée la veille. On avait aperçu M. Riquemont jetant des pièces d’or aux musiciens ; on avait vu M. Savenay, pour se dérober aux transports de la foule, déserter son logis et s’échapper à travers champs. On s’entretenait aussi des vers charmans composés par Mme d’Olibès ; il en circulait déjà plusieurs copies dans la ville. Les ennemis du docteur Herbeau allaient partout, les déclamant avec emphase. On racontait que M. Savenay, dans sa reconnaissance, avait fait présent à la petite Atala d’Olibès d’un magnifique bracelet orné de rubis et d’émeraudes. On ne doutait pas qu’il n’épousât très prochainement la directrice de la poste aux lettres, que les érudits de l’endroit, depuis qu’ils avaient lu ses vers, appelaient la moderne Sapho. Le soir du même jour, on assurait que M. Riquemont avait jeté des billets de 500 francs par la fenêtre, que M. Savenay avait fait cadeau d’une cassette de diamans à Mlle d’Olibès, et que les bans de son mariage avec la mère seraient publiés le lendemain.

Disons-le hautement à leur gloire, dans cette circonstance, les amis du docteur Herbeau déployèrent une énergie et firent preuve d’un dévouement bien rares en pareille occurrence. Comprenant que le cas était grave, ils se rendirent en corps à la maison d’Aristide. Aristide était absent. Ils trouvèrent Adélaïde en proie à une violente attaque de nerfs. Le bruit de la sérénade et les nouvelles du dehors l’avaient jetée dans cet état. Elle se tordait sur son lit en poussant des cris perçans, tandis que Jeannette, aux abois, frappait dans les mains de sa maîtresse et lui versait sur le visage une carafe d’eau glacée. La présence des amis la calma. Ils eurent pour la consoler des paroles bonnes et tendres. Ils cherchèrent à lui démontrer que tout n’était pas perdu, et qu’il ne fallait pas se désespérer pour si peu, convenant toutefois que la situation ne manquait pas de gravité et qu’il était urgent de prendre un parti décisif.

— Que faire, hélas ! dit Adélaïde.

— Rappelez Célestin, s’écrièrent-ils tous à la fois.

Sur ces entrefaites, le docteur Herbeau arriva. Il écouta sans sourciller le récit de cette funeste journée. Lorsqu’il fut question de M. Riquemont et de son attitude malveillante en cette désastreuse affaire, le visage du docteur s’alluma, et un sourire fatal passa sur ses lèvres.

— C’est bien ! dit-il d’un air à la fois calme et sombre.

Dès qu’ils eurent achevé de chanter cette lamentable épopée :

— Rappelez Célestin ! reprirent les amis en chœur. C’est le seul parti qu’il vous reste à prendre ; c’est la seule digue, le seul rempart que vous puissiez raisonnablement opposer à la faveur près de vous échapper. Rappelez Célestin ! vos ennemis s’étonnent eux-mêmes que ce ne soit pas déjà fait. Ils triomphent de vos lenteurs. Qu’attendez-vous ? que M. Savenay ait éclairci votre clientèle et substitué sa puissance à la vôtre ? Il n’est déjà que trop de mal. Rappelez, rappelez Célestin !

— Nous l’avons rappelé, dit Adélaïde ; mais le cruel enfant ne vient pas.

— Il viendra, dit le docteur Herbeau, gardez-vous d’en douter. Il viendra, comme un jeune archange, mettre son pied vainqueur sur la tête de nos ennemis.

— Qu’il vienne donc ! s’écria le chœur des amis.

— Mes amis, dit le docteur Herbeau en élevant la voix et avec une affectueuse dignité : souffrez que je vous remercie de votre présence en ces lieux. Je suis heureux et fier de vous voir réunis autour de moi en ce jour difficile. Un poète a dit quelque part :

Donec eris felix, multos numerabis amicos ;
Tempora si fuerint nubila, solus eris

ce qui signifie, pour ceux qui ne savent pas le latin : — Tant que vous serez heureux, vous aurez beaucoup d’amis ; si votre ciel se couvre, vous serez seul. Solus eris ! — On voit bien, messieurs, que le poète qui a écrit ce distique ne connaissait pas Saint-Léonard. Mon ciel s’est couvert, et vous voilà tous rangés autour de mon malheur comme autour d’un drapeau. Vous êtes de nobles cœurs ! Vous n’ignorez pas que le vent a jeté mon kiosque dans la Vienne, ce kiosque où nous avons passé ensemble de si douces heures en des temps plus heureux ! J’élèverai sur l’emplacement un petit temple à l’Amitié… Un murmure flatteur courut dans les rangs des amis. — Et chaque année, à pareil jour, poursuivit le bon Aristide avec attendrissement, je l’ornerai des plus belles fleurs de mon jardin, en reconnaissance de votre généreux dévouement. À ces mots, on l’entoura de plus près, on lui prit les mains ; quelques-uns même l’embrassèrent avec effusion. Adélaïde pleurait silencieusement dans un coin, et Jeannette, présente à cette scène, sanglottait bruyamment, sans savoir pourquoi. — Les jours heureux reviendront, reprit le chœur des amis. Étouffez ces sanglots et séchez ces larmes. Il ne sera pas dit qu’un étranger sans renom n’ait eu qu’à paraître à Saint-Léonard pour renverser votre vieille et bonne renommée. Vous triompherez de cette épreuve. Nous avons espoir dans le retour de Célestin. Le bonheur et la prospérité rentreront avec lui sous le toit des Herbeau. Rappelez, rappelez Célestin ! Les amis ne se retirèrent que sur le tard. Le docteur Herbeau voulut qu’on vidât, comme par le passé, quelques cruchons de bière. On s’entretint longuement de Célestin, qu’on appela l’enfant du miracle. Pour démentir victorieusement les calomnies que les méchans semaient dans la ville, Adélaïde communiqua à l’assemblée plusieurs lettres de ce jeune homme. Lues à haute voix, ces épîtres furent plus d’une fois interrompues par l’enthousiasme des assistans. Tous en admirèrent à l’envi la distinction du style et l’élévation des sentimens. Une fois sur ce chapitre, l’orgueilleuse mère raconta avec complaisance les progrès de son fils dans la science et en toutes choses, ses belles relations, ses beaux succès dans le monde. Lord Flamborough ne fut pas oublié ; c’était un riche seigneur anglais, établi depuis quelques années à Montpellier, qui avait pris Célestin en grande affection. Adélaïde ne tarissait pas, et le docteur se vit obligé de mettre un frein à ses épanchemens. Entre neuf et dix heures de la nuit, le chœur des amis se retira en répétant : — Rappelez Célestin ! Resté seul avec sa femme, le docteur Herbeau se mit à marcher avec agitation dans la chambre. Les mains enfoncées dans les poches de sa culotte courte, il faisait crier le parquet sous ses souliers à boucles d’argent. Il ne parlait pas ; seulement, de temps en temps, ses lèvres serrées s’entr’ouvraient pour laisser passer avec une expression de fureur concentrée le nom de M. Riquemont. Adélaïde, qui ne l’avait jamais vu ainsi, l’observait avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Elle voulut l’interroger, mais il ne répondit pas, et, comme elle insistait, il ne se gêna point pour lui imposer silence. C’était le monde renversé : Aristide maître en sa maison ! Parfois un sourire infernal sillonnait, comme un éclair, son visage assombri : c’est qu’alors il songeait au lendemain, au jour promis à sa vengeance. En effet, mercredi tirait à sa fin ; le jour du rendez-vous était proche. De son côté, Adélaïde n’attendait pas ce jour avec une moindre impatience. Alarmée de ne point voir arriver son fils, surprise de ne pas même recevoir de réponse à la lettre pressante qu’elle lui avait adressée, se doutant de quelque mystère, Mme Herbeau avait pris le parti, à l’insu du docteur, d’écrire de nouveau à Célestin pour lui demander raison de son retard et de son silence, lui enjoignant expressément de répondre courrier par courrier, s’il ne voulait encourir la malédiction maternelle. À ce compte, une lettre de Célestin devait arriver le lendemain, jeudi, à Saint-Léonard, à moins que ce malheureux enfant ne fût mort, ou que Mme d’Olibès ne retînt à la poste la correspondance de la maison Herbeau, à moins enfin que Célestin n’arrivât lui-même en personne. Le couple dormit peu ou point. Aristide se leva avec le soleil ; mais, au lieu de seller Collette et de partir pour les alentours, ainsi qu’il en avait l’habitude, il s’alla promener en pantoufles dans son jardin. Il huma le grand air et lut quelques odes d’Horace. Sur le coup de dix heures, il déjeuna de grand appétit et but à lui seul une bouteille de vieux bordeaux. Adélaïde n’en revenait pas de le voir agir de la sorte. Mais ce fut bien autre chose, lorsqu’après le déjeuner elle vit son époux, le docteur Herbeau, procéder à la plus brillante toilette qu’il eût faite de sa vie entière, et cela sans parler, sans mot dire, s’agitant en silence comme un automate. — Que signifie ceci ? expliquez-moi cela ? disait-elle. — Rien, pas un mot, pas même un regard. Elle se démenait autour de lui, inquiète, éperdue, comme une poule qui, ayant couvé des œufs de canard, voit ses petits à peine éclos courir et se jeter à l’eau. La toilette du docteur achevée, Adélaïde ne put s’empêcher d’admirer son époux ainsi façonné. À vrai dire, il paraissait vingt ans. Son visage fraîchement rasé avait la blancheur mate et parfumée d’un pain de savon à la pâte d’amandes. Sous la perruque poudrée à frimas, son front rayonnait du suave éclat de la jeunesse ; ses yeux lançaient des jets de flammes ; sous son nez gonflé de projets amoureux, sa bouche demi-souriante s’épanouissait comme une rose. Son costume était on ne peut plus galant, habit noir qu’il portait pour la première fois, rappelant par sa coupe les meilleures traditions du xviiie siècle ; cravate blanche, négligemment enroulée ; jabot étincelant ; épingle de diamant brochant sur le tout ; manchettes de batiste tombant à mille plis sur des mains potelées ; gilet de satin noir éblouissant ; culotte et bas de soie de la même couleur, dessinant une jambe juvénile et fine encore en sa mâle vigueur ; souliers à boucles d’argent toutes neuves ; chaîne d’or et breloques chatoyant sur le ventre ; ongles roses, taillés en ogives ; pierre fine brillant à l’annulaire de la main droite ; le tout exhalant les senteurs de l’iris et singulièrement relevé par une fière mine et par une grace tout-à-fait guerroyante. — Seigneur Dieu ! où donc allez-vous ? s’écria Mme Herbeau stupéfaite. — Je vais, répondit le docteur, dîner chez le curé de Savigny. — Vous iriez dîner chez un évêque, répliqua Mme Herbeau d’une voix aigre, que vous ne seriez pas mis de la sorte. — Je vais où il me plaît d’aller, riposta le docteur sans s’émouvoir. À ces mots, au lieu de cravache, il prit son jonc à pomme d’or, et gagna le devant de sa porte, où l’attendait Colette sellée et bridée. — Aristide, dit Mme Herbeau de plus en plus émerveillée, il se passe des choses que je ne dois pas savoir. — Alors pourquoi m’interroger ? répondit Aristide en enfourchant Colette. Et il partit au pas de sa monture, sans avoir déposé sur le front de son épouse le baiser accoutumé. Après l’avoir long-temps suivi du regard, Adélaïde se frotta les yeux et se demanda si elle était bien éveillée. Au bout d’une heure, le facteur de la poste lui remit un paquet au timbre de Montpellier. À la suscription, Mme Herbeau reconnut l’écriture de son fils bien-aimé. Elle brisa le cachet d’une main émue, et trouva sous l’enveloppe trois lettres incluses. La première qu’elle ouvrit était ainsi conçue :

« Ma chère et tendre mère,

« Je suis fort étonné que vous vous étonniez de ne me point voir arriver à Saint-Léonard. J’espère que les deux lettres ci-incluses vous donneront de ma conduite une explication satisfaisante. Je vous réponds à la hâte ; l’heure du courrier me presse, et lord Flamborough est là qui m’attend.

« Recevez, ma chère et tendre mère, l’expression de tous mes respects et de mes plus affectueux sentimens.

« Célestin Herbeau,
« Docteur-médecin de la Faculté de Montpellier. »


Adélaïde jeta les yeux sur les deux lettres qui accompagnaient celle qu’elle venait de lire.

L’une était l’épître qu’elle avait adressée à son fils, quelques semaines auparavant, pour lui ordonner de partir ; l’autre, celle que le docteur Herbeau avait, le même jour, — le timbre en faisait foi, — écrite à Célestin pour lui enjoindre de rester.